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Plusieurs affaires illustrent ce contentieux. Dans la première, les défendeurs opposent, à tort, qu'ils doivent être cités devant le tribunal du lieu de leur domicile. Dans la seconde, le défendeur oppose, également à tort, qu'il doit être cité devant le tribunal du lieu du domicile de la société.

Dans une affaire opposant le négociant niçois Jules Gilli à Joseph Vigliercio à Pierre Massa et Stéphane Lanzetti de Savigliano358, le Consulat selon sentence du 5 novembre 1835359, déclare dans son dispositif que la cause est de sa compétence. Il condamne les intervenants Massa et Lanzetti aux dépens, et ordonne aux parties de « maturare i rispettivi loro incumbenti », et diffère les dépens en fin d’instance.

Dans ses motifs, le juge-rapporteur Garin indique avoir jugé ainsi selon les motifs expliqués dans les conclusions du procureur général du commerce, Casimir Verani, en date du 7 octobre 1835360. Celui-ci y rappelle liminairement que la demande de l'appelant concerne la liquidation des comptes de la société contractée entre les parties, selon acte du 17 août 1827 souscrit dans la ville de Nice. L'entreprise en question a pour objet l’approvisionnement des viandes nécessaires à cet abattoir, et le défendeur Massa a été rendu adjudicataire comme il est énoncé dans l'écriture selon acte daté du même jour passé devant le notaire Bensa. Les défendeurs Massa et Lanzetti invoquent le déclinatoire du tribunal. Etant domiciliés dans la ville de Savigliano, ils ne peuvent être cités devant le Consulat de Mer de Nice.

En réponse le demandeur, de manière opportune pour le procureur, explique qu'en raison du contrat et en raison de l'objet du litige, ils ont pu y être valablement cités. Outre ces motifs du procureur auquel le juge Garin di Cocconato se rapporte, celui-ci considère de plus, comme cela n'est pas contesté par les parties, que la société a été contractée entre eux dans cette ville de Nice, qu'elle s'y est réellement exercée et qu'en outre la majeure partie des opérations sociales y a été faite361. De plus Garin ajoute que Lanzetti a été personnellement cité pour cette cause dans la ville de Nice et ce de manière contradictoire, les conclusions du demandeur lui ayant été signifiées au début de l'instance, à lui et à Massa. Ces éléments contribuent ainsi à établir la compétence du Consulat.

358 Savigliano (Savillan en français) est une commune italienne de la province de Cuneo en Piémont.

359 ADAM, 6 FS 14 n° 757.

360 ADAM, 6 FS 140 n° 72.

361 PIGEAU (E. N.), La procédure civile des tribunaux de France, démontrée par principes, et mise en action par des

formules, Paris, Garnery, 3ème éd., 1811, vol. 1, p. 101 : « septième exc. : en matière de société on assigne devant le

tribunal du lieu où la société est établie, parceque les papiers de la société sont ordinairement dans ce lieu ; mais la compétence de ce tribunal finit à la dissolution de la société ». (art. 59 du CPC).

Si la société est dissoute, ce n'est pas le lieu du siège de celle-ci qui est pris en considération mais celui de l'associé. Deux litiges illustrent ce propos.

La première affaire oppose Zaviero Langlais et Théodore Tronchon, tous deux de la ville de Paris à Armand Defly, banquier à Paris mais domicilié à Nice. Les demandeurs se prétendent créanciers envers les frères Defly (dont l'un Gaëtan est décédé), pour une somme de 7355,58 lires, montant de deux billets à ordre en date des 1er et 23 mars 1810. Cette créance se trouve compromise par leur faillite survenue au cours de cette même année. Les demandeurs évoquent le sieur Defly pour obtenir sa condamnation au paiement en leur faveur de leur créance à raison de 25%, selon la base fixée dans le Concordat intervenu entre les frères Defly et la masse de leurs créanciers. Comparaissant devant le Consulat, le sieur Defly oppose notamment l'incompétence du Consulat au motif qu'il s'agit d'une liquidation d'une société ou maison de commerce établie à Paris et qu'ainsi les actions intentées à son encontre ne peuvent être exercées que devant le tribunal de cette ville de Paris.

Le substitut du procureur général du commerce Théodore Uberti, dans ses conclusions en date du 30 novembre 1840362 est donc amené à donner son avis sur l'exception soulevée. Il rappelle le principe que certes les actions concernant la liquidation d'une société, ou d'une maison de commerce, doivent être proposées devant les juges du lieu où se trouve le siège de la société. La liquidation, rappelle le substitut, consiste, comme chacun sait, en des opérations qui surviennent lors de la dissolution de la société. La liquidation intervient dans l'intérêt général de tous ceux qui ont des droits, pour mettre en lumière l'actif et le passif, et pour organiser définitivement toutes les affaires qui concernent la société. Mais il n'y a rien de commun, souligne le substitut, entre les controverses qui peuvent survenir au regard de ces opérations de liquidation et l'instance promue par un créancier de la société dans son intérêt particulier pour la satisfaction de ses propres droits de créance, comme c'est le cas en l'espèce. Celui qui n'est pas désintéressé avant la dissolution de la société ou dans l'acte de liquidation, conserve intacts ses droits non plus contre la société, qui n'est plus considérée comme une personne morale après qu'elle ait cessé d'exister, mais plutôt individuellement contre les membres qui la composent.

Selon l'expression de la loi sarde, c'est-à-dire des Royales Constitutions363, tous les associés de la société sont obligés de rembourser ce qui est dû par la société. Par conséquent, le créancier peut exercer ses droits contre un seul de ses associés, comme dans le cas d'espèce. Selon les principes communs qui règlent la compétence, il n'y a aucun doute à ce qu'un tel créancier exerce et fasse

362 ADAM, 6 FS 140 n°114.

363 Leggi e Costituzioni..., op. cit., L. II, tit. 16, chap. 4, §2 : « Chaque associé sera tenu solidairement pour les dettes et les obligations de la société [...]. ».

valoir ses droits de créance devant le tribunal du domicile de celui dont on demande la satisfaction de la créance. Et comme, il est notoire qu'Armand Defly, après la dissolution de la société de commerce qu'il avait contracté à Paris avec son frère défunt Gaëtan, a abandonné la capitale française et est venu fixer son domicile dans cette ville de Nice, il est donc incontestable que les sieurs Langlais et Tronchon ont pu donc faire valablement citer Armand Defly devant ce Consulat. En conséquence de ces considérations, l'Uffizio conclue au rejet de l'exception d'incompétence soulevée par le défendeur Armand Defly et invite ce dernier à donner ses arguments sur le fond, a

termini di ragione e di giustizia. Cet avis du substitut est suivi par le Consulat dans sa sentence du

14 janvier 1841364. C'est le juge Raimondi qui rapporte l'affaire. Aux motifs du substitut de l'Uffizio auquel il se réfère, Joseph Raimondi ajoute que la nature de l'action intentée par les demandeurs, qui est personnelle, permet d'être intentée partout où le défendeur se trouve et d'autant plus dans cette ville de Nice, lieu de son origine et de son domicile.

L'autre affaire oppose les frères Audiffret, représentés par leur mandataire aux frères Sarato et Joseph Verani, absents et représentés par leur curateur. Le Consulat, selon sentence en date du 11 février 1843365 déclare notamment dans son dispositif366, rejeter l'exception d'incompétence territoriale soulevée par les défendeurs.

Le Consulat, par la voix de son juge-rapporteur Raimondi, a ainsi considéré sur le déclinatoire, que la première société établie à Odessa en Russie, sous le nom de Sarato et Verani, reconnue dissoute par la mort d'Antoine Sarato, associé complimentaire de celle-ci, n'y a plus ni d'existence, ni de domicile. On pourrait ainsi appliquer le principe selon lequel les associés doivent être cités devant le tribunal du lieu de leur domicile, c’est-à-dire Nice. Les actes fournissent des indices suffisants faisant présumer que les héritiers du défunt Sarato, actionnés dans ce jugement, n'auraient pas leur actuelle résidence à Odessa. Même si Joseph Verani y demeure encore per causa di mercatura, cela n'est pas une circonstance suffisante pour démontrer qu'il y aurait fixé son domicile.

L'affaire suivante se rapporte tant au société qu'au séquestre. Elle oppose Dominique Gilly, maître des postes, habitant à Nice aux sieurs Augustin Rubatto de Gênes et Jean-Baptiste Roletti, non comparant. Ce litige porte aussi sur la compétence territoriale du juge en matière de séquestre de choses. Le magistrat en désaccord avec le substitut du procureur général du commerce déclare l'incompétence du Consulat.

364 ADAM, 6 FS 16 n°1094.

365 ADAM, 6 FS 17 n°1212.

366 Le dispositif contient deux parties, le rejet de l'exception d'incompétence d'abord, et sur le fond ensuite ordonne une expertise.

Les faits et la procédure sont les suivants : par décret du 15 décembre 1840, le maître des postes, Dominique Gilly, associé dans l'entreprise de transport de Nice à Gênes et vice versa, obtient interdiction à l'encontre de Jean-Baptiste Roletti, agent commis dans l'entreprise de cette ville, de transmettre à son associé à Gênes, Augustin Rubatto, quelques sommes retenues dans la caisse par Roletti, d’un total de 4098,45 lires, sommes restant dues au 1er octobre 1838 à septembre de cette année. Selon décret du 29 décembre, Gilly obtient la citation de Roletti devant le Consulat pour faire, au contradictoire, confirmer ces interdictions et le séquestre367, et pour le faire dans le même temps condamner au paiement en faveur du demandeur, de la somme de 4098,45 lires. Mais, Roletti lors de sa comparution en audience devant le Consulat oppose l'incompétence du Consulat, incompétences matérielle et territoriale. Seule la seconde nous intéresse ici. Le défendeur Rubatto indique qu'étant domicilié dans la ville de Gênes, il ne peut être évoqué en jugement que devant le Tribunal de commerce de cette ville. Il soutient que le Consulat n'a pas d'autorité légitime pour ordonner les interdictions et le séquestre demandés par Gilly.

Le substitut de l'Uffizio Uberti, dans ses conclusions en date du 1er juin 1841368, rappelle que les fonds en question dont on veut le séquestre se trouvent dans cette ville de Nice. Cela autorise par conséquent le Consulat à prendre une telle mesure. Le substitut indique par ailleurs que le séquestre judiciaire est une mesure introduite par la loi pour protéger les intérêts des créanciers369 ; le juge compétent pour l'ordonner est principalement celui du lieu où se trouvent les avoirs des débiteurs. Si l'on devait procéder autrement, précise le substitut, une telle mesure, bien loin d'atteindre l'objectif de la loi, serait complétement illusoire et inefficace. Le Consulat est donc compétent pour ordonner le séquestre en question, de même que pour connaitre de la créance, dont le séquestre constitue une garantie. Comme le séquestre compte parmi les mesures vraiment conservatoires, le juge de qui il émane est naturellement appelé à juger de la cause le concernant et à statuer en contradictoire du débiteur sur la question de savoir s’il doit être ou non maintenu. D’autre part, comme l’instance qui fait suite au séquestre a été instituée par le créancier pour la condamnation de son débiteur, ladite instance dépend donc du séquestre. Par conséquent, selon « la massima

ricevuta in pratica », le créancier peut faire valoir ses droits devant le juge qui a ordonné le

séquestre. Et le débiteur doit, devant ce même juge, proposer ses défenses sur le fond, même s’il n’est pas soumis à la compétence de ce juge, que ce soit en raison de son domicile ou en raison du contrat. Le substitut Uberti indique qu'il s'agit d'une jurisprudence toujours appliquée qui ne laisse

367 AZUNI, Dizionario..., op. cit., t. IV, v° « sequestro », § 1, p. 78 : « Il sequestro è un atto esecutivo, fatto con autorità

del giudice, de' beni mobili o immobili d'un debitore, esistenti presso il medesimo, o nelle mani d'un terzo, ad effetto che il creditore, alla di cui instanza sarà seguito, possa esser sicuro di venir soddisfatto del suo avere. »

368 ADAM, 6 FS 140 n°125 (le substitut Uberti n'est pas très sérieux, le nom des parties est mal indiqué en comparaison de la sentence).

place à aucun doute. Il se réfère au jurisconsulte piémontais Della Chiesa dans ses observations370, lequel indique en substance que le débiteur est contraint de répondre au juge qui a ordonné le séquestre de ces avoirs, même s'il séjourne ailleurs. La cause ne peut être renvoyée au propre juge à cause des dépens que cela occasionnerait.

Uberti estime que cette jurisprudence doit d'autant plus s'appliquer dans les matières commerciales qu’elle est « del tutto consentanea a quella semplicità e speditezza si rinvia negli affari riguardanti

la mercatura. » Il importe en effet pour le bien du commerce que les personnes qui l'exercent

puissent non seulement trouver dans la loi les moyens propres à garantir leurs créances, mais qu'en outre elles puissent en obtenir la liquidation avec toute la célérité possible et avec l'économie des dépens. Serait donc contraire à ces principes l'exigence selon laquelle un créancier, poussé à requérir un séquestre d'une somme d'argent ou de marchandises appartenant à son débiteur, requête adressée aux magistrats du lieu où les objets se trouvent, doive ensuite exercer ses droits contre ce même débiteur devant un autre tribunal que celui qui a accordé le séquestre. Il cite ainsi le célèbre commercialiste Casaregis371, pour qui il est une maxime de jurisprudence commerciale que « le séquestre de choses ou d'argent fait dans un lieu dont l'étranger absent est propriétaire doit être jugé au lieu où le séquestre a été fait372. »

Ainsi pour Uberti, le déclinatoire du tribunal opposé par Rubatto n'a pas lieu d'être. Mais le substitut du procureur insiste. Il évoque que pour statuer sur l'actuelle controverse, un autre motif doit être pris en considération. Il s'agit en effet en l'espèce d'une contestation entre deux associés. Ainsi le domicile à prendre en compte n'est pas celui de chacun des associés mais plutôt celui de la société. Celle-ci ayant pour objet « il corso periodico di una vettura da Genova a Nizza e

viceversa », il existe de plus un bureau de l'entreprise dans cette ville de même qu'à Gênes. Par

conséquent Uberti souligne qu'il est possible d'affirmer que la société de transport a son siège principal à Nice autant qu'à Gênes. Le demandeur Gilly aurait donc seulement pu faire citer son associé devant le Consulat pour la résolution de leurs divergences.

370 AB ECCLESIA (J. A.), Osservationes forenses..., vol. 1, p. 270, osserv. 201 : De sequestratione Judiciali, quae sit

ante sententiam, n°11 : « In praxi tamen non servatur, ut facto sequestro contra forensem, ille remittatur ad suum judicem propter expensas, quae fieri possunt ad persequendum debitorem alibi commorantem, immo is cogitur respondere coram judice, de cujus mandato factum fuit sequestrum. » : traduction dans l'esprit : le débiteur est contraint

de répondre au juge qui a ordonné le séquestre de ces avoirs, même s'il séjourne ailleurs. La cause ne peut être renvoyée à son propre juge à cause des dépens que cela occasionnerait.

371 PIERGIOVANNI (V.), « La "spiegazione" del Consolato del mare di Giuseppe Lorenzo Maria Casaregi », Materiali

per una storia della cultura giuridica, XXXVI, 2006, p. 15-27. PIERGIOVANNI (V.), « Dottrina, divulgazione e pratica

alle origini della scienza commercialistica : Giuseppe Lorenzo Maria Casaregi, appunti per una biografia », Materiali per

una storia della cultura giuridica, IX, 1979, p. 289-326.

372 CASAREGI (G. L. M.), Discursus legales de commercio, vol. 3, p. 60, disc. 133, n°14. « sequestrum rerum aut

pecuniae in uno loco factum cogit Dominium rei, aut pecuniae, quamvis forensem, et absentem judicium subire in loco facti sequestri.»

L'Uffizio du procureur conclue donc au rejet de l'exception d'incompétence du Consulat. La sentence du 15 juillet 1841373, dont le juge-rapporteur est Raimondi, ne suit pas les conclusions du substitut Uberti et déclare dans son dispositif que la présente cause n'est pas de sa compétence. En conséquence les parties doivent se pourvoir devant le tribunal compétent.

Le Consulat a ainsi considéré que l'acte de société du 3 juin 1838 a été conclu dans la ville de Gênes. Le sieur Rubatto, entrepreneur (qui demande l'ajustement des comptes de la société en question), impresaro et le plus intéressé, y a son domicile. Il y assure la direction de la plus grande partie du service. C'est aussi à Gênes que se trouve le siège de la société. De plus, non seulement Gilly a un intérêt assez mineur dans la société, chargé de seulement d'un tiers du service, mais il a aussi reconnu le fait que c'est à Gênes que se trouve le centre de l'entreprise, où s'accomplit le plus grand travail, et où il transmet les comptes sociaux. La société existe autant à Gênes qu'à Nice et les associés y auraient le même intérêt. Le principe général selon lequel le demandeur doit suivre il

foro du défendeur, lequel était dans le cas d'espèce, celui du domicile et celui du contrat doit donc

s'appliquer. Gilly ne pouvait faire citer l'associé Rubatto dans cette ville pour le motif allégué qu'il s'agit du lieu dans lequel il devrait recevoir sa part, puisque si cela devait advenir, pour le plus grand avantage des intéressés dès qu'il y auraient des fonds disponibles dans la caisse sociale, il ne résulte pas et il est même formellement contesté qu'une telle obligation précise ait été à la charge de Rubatto.

Enfin, les interdictions obtenues ne suffisent pas pour donner compétence au Consulat. En effet, il ne s'agit pas d'objets qui se trouveraient fortuitement là, ni de personnes de nationalité étrangère, mais du produit de l’activité d'une société exercée dans l'Etat entre des nationaux. Ladite mesure se réduit donc à un simple acte conservatoire, laquelle peut non seulement s'ordonner selon une certaine réserve, mais doit dans l'intérêt de la justice se maintenir, tandis que le tribunal compétent s'occuperait du fond.

Ainsi en matière de société, la règle spéciale est celle suivant laquelle le lieu qui attribue la compétence à la juridiction commerciale est non le domicile des associés, sauf lorsque la société est dissoute et n'a plus d'existence, mais logiquement celui de la société. La règle est aussi spéciale en matière maritime.

373 ADAM, 6 FS 16 n°1128.