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Selon l'adage, « pas de nullité sans texte », le non-respect de certaines formalités prévues dans le Code de procédure civile français n'entraîne pas nécessairement la nullité de l'acte, sauf si celle-ci est explicitement mentionnée par la loi de procédure contenue dans ledit Code. L'affaire qui oppose le négociant François Aschieri de Villa Guardia495 au négociant Sébastien Curti de Dogliani496, illustre ce propos.

François Aschieri est l'appelant d'une sentence rendue par le Conseil de Justice d'Oneglia du 8 avril 1817, ladite sentence le déclarant tenu à restituer à Curti, dans le délai de 22 jours, deux balles de

495 Villa Guardia est une commune de la province de Côme dans la Lombardie en Italie.

sucre de première qualité497. A défaut, elle condamne Aschieri au paiement « dell'importo del

medesimo in quella somma che verrà liquidata » et aux dépens. L'appelant interjette appel aux

motifs de nullité et de gravame, motif que nous examinerons plus tard. Les actes sont alors transmis498 au procureur Joseph Todon, qui doit alors faire ses conclusions sur les motifs d'appel invoqués par l'appelant.

En introduction de ses conclusions en date du 20 juin 1818499, le procureur rappelle que les motifs de nullité, déjà proposés devant le Conseil de Justice d'Oneglia, concernent un jugement du Tribunal de commerce de Porto Maurizio du 19 août 1808. L'appelant soutient la nullité de ce jugement, pour « contravention » aux dispositions des articles 258500 et 414501 du Code de procédure civile français. Le jugement n'aurait pas fixé le délai de commencement de l'enquête et la procédure se serait faite avec le ministère d'un avoué.

Sur la première exception de nullité soulevée par l'appelant, le procureur Todon, à la manière des magistrats de la Cour de cassation, indique devoir rechercher « lo spirito della legge », de la loi française . Il se pose ainsi la question suivante : la transgression à la loi implique-t-elle nécessairement la nullité de l'acte? Non. Un acte n'encourt pas systématiquement la nullité sous prétexte de ne pas respecter les dispositions légales mais seule la loi peut prononcer la nullité502. Elle le fait formellement précise le procureur Todon. L'article 1030 du Code de procédure civile français, dans des termes clairs et non équivoques, dispose qu' « aucun acte de procédure ne pourra être déclaré nul, si la nullité n'est pas formellement prononcée par la loi », par l'expression « sous peine de nullité » contenue dans certaines dispositions. Le juge n'est donc autorisé à déclarer la nullité que si elle est formellement énoncée par la loi. Or en l'espèce l'article 258 du Code de procédure civile ne contient pas l'expression « sous peine de nullité ». « Questo silenzio della

legge » est jugé « remarquable » par Todon, d'autant plus que l'article qui précède et qui est aussi

relatif aux délais et aux examens, contient l'expression « le tout à peine de nullité ». Il est donc évident pour le procureur Todon que, ubi voluit expressit503- ce qui est exprimé, c’est ce que la loi

497 la première de 184 Rotoli (poids) et l'autre de 193 rotoli (poids de Gênes).

498 ADAM, 6 FS 10 n° 74, La sentence du Consulat de Mer de Nice du 2 avril 1818, laquelle « manda prima ed avanti

ogni altra causa, communicarsi al Signor procuratore e generale del commercio tutti i suddetti atti per le di lui conclusioni. »

499 ADAM, 6 FS 137 n°140.

500 CPC..., op. cit., Dans le titre consacré aux enquêtes : « Si l'enquête doit être faite à une plus grande distance, le jugement fixera le délai dans lequel elle sera commencée ».

501 Ibid., L'article 414, se rapportant plus spécifiquement à la « Procédure devant les Tribunaux de commerce », dispose que « La procédure devant les tribunaux de commerce se fait sans le ministère d'avoués ».

502 SOLON (V. H.), Traité des nullités..., op. cit., p. 78 n° 330 : « [...] les nullités étant une véritable peine, sont de droit étroit, et que le juge ne peut en reconnaitre d'autres que celles que le législateur a lui-même reconnues. »

veut. Le jugement en question qui n'a pas respecté à la lettre l'article 258 n'encourt donc pas la nullité.

L'autre motif de nullité concerne l'examen, soit l'audition des témoins, fait à Ceva504 par l'intimé Curti. Ledit examen contreviendrait aux dispositions de l'article 414505 du Code de procédure civile car l'Avoué Barberis y serait intervenu sans mandat légitime. A cet égard, précise Todon, la loi dispose certes que le procès devant le tribunal de commerce se fait sans le ministère d'avoué, mais non que sa présence, ou son intervention rendraient nuls lesdits actes. La loi a plutôt voulu dans l'objectif « della più pronta spedizione delle controversie mercantili » ne pas rendre obligatoire, indispensable la constitution d'avoué. Les parties restent toutefois libres, comme dans le cas d'espèce, pour faire cette délégation. De plus, Todon indique qu'à la lecture du procès-verbal du juge de paix de Ceva, lequel a procédé à l'examen, il apparaît clair que l'avoué Barberis intervient non en qualité d'avoué mais plutôt comme mandataire du Sieur Curti. Le juge déclare en effet que Barberis est muni « dell'opportuno mandato ».

Ainsi « dimostrato cosi brevemente senza divagare in lunghe discussioni e col solo fondamento del

testo della legge »506, les motifs de nullité proposés par l'appelant Aschieri contre le jugement du

Conseil de Justice d'Oneglia sont rejetés par le procureur Todon. L’affaire revient ensuite devant le corps entier du Consulat. La sentence du 7 août 1818507, dont le rapporteur le juge Pierre-François Mars, déclare, en conformité avec les conclusions du procureur mais sans s'y référer expressément, que le demandeur a mal appelé de la sentence du Conseil de justice d’Oneglia, confirme la sentence et renvoie à ladite juridiction pour son exécution508.

503 En entier, la maxime donne ceci : « lex ubi voluit expressit, ubi noluit tacuit. » Cet adage semble militer pour une interprétation stricte de la loi. Expression qui est utilisée dans les tribunaux du royaume de Piémont Sardaigne. Un exemple dans le Diario forense universale, vol. 16, p. 266 : « se la legge avesse voluto escludere l'institutore, lo avrebbe

fatto espressamente = quae voluit expressit =[...] »

504 Ceva est une commune italienne de la province de Coni dans le Piémont.

505 Regarder PARDESSUS, Cours de droit commercial..., op. cit., vol. 3, p. 16. Il indique que cette disposition était prise de l'article 4 de l'édit de novembre 1543. Cela ne signifie pas que l'on ne puisse pas prendre un avoué pour fondé de pouvoir privé, mais seulement que son ministère, comme officier ministériel n'est pas requis essentiellement. Il n'a pas le droit, ni contre son client, ni contre la partie adverse, à l'émolument... L'avoué est obligé de présenter un pouvoir spécial devant les juridictions consulaires.

506 Traduit en français, cela donne, « démontré ainsi brièvement et sans divaguer dans de longues discussions, sur le seul fondement des textes de loi ».

507 ADAM, 6 FS 10 n°86.

508 Dans le dispositif de cette sentence, le Consulat, d’autre part, fait droit aux nouvelles conclusions prises par l'intimé Curti, condamne l'appelant Aschieri en faveur de Curti à l'indemnisation qui sera fixée et liquidée pour le retard à restituer deux balles de sucre de première qualité au motif de l'actuel valeur amoindrie du sucre eu égard à l'époque durant laquelle Curti en fit l'imprestito à Aschieri pour s'en servir à faire la consigne à la Regie Dogane. Le Consulat renvoie les parties devant le Conseil de Justice d'Oneglia pour l'exécution de ladite sentence et pour la fixation de l'indemnité dont il a été question. Donne lieu en cas de restitution des balles de sucre tant en nature qu'à défaut en paiement, somme à fixer selon le prix courant du commerce à l'époque de la rémission faite par Curti, condamne l'appelant aux dépens et à l'amende de deux scudi.

Le juge Mars rejette les motifs de nullité au visa de l'article 1030 du Code de procédure civile français. Il précise que bien qu'au visa de l'article 258 de ce code, le Tribunal de commerce de Porto Maurizio dans sa sentence du 19 août 1808 aurait dû fixer le délai au bout duquel on devait commencer l'examen, l'omission d'une telle fixation ne peut rendre nulle la sentence en question, ni l'examen, cet article ne prononçant pas la nullité en cas d'omission. Concernant ensuite l'autre nullité déduite de l'article 414 du même code, le Consulat a aussi estimé que bien que cet article réprouve l'intervention de l'avoué devant les tribunaux de commerce, sa présence n'implique toutefois pas la nullité de l'examen suivi devant le juge commis. L'avoué Barberis n'intervient pas dans cet examen en sa qualité d'avoué mais plutôt comme mandataire de Curti, comme l'a déjà souligné le procureur Verani.

Les magistrats du Consulat, juge et procureur, semblent soucieux de raisonner comme les interprètes du droit français, les magistrats des cours souveraines, Cour de cassation surtout mais aussi cours d'appel. Cette jurisprudence française fait l'objet d'un grand intérêt vu les recueils qui la publient, comme ceux de Sirey ou Merlin. Dans le domaine des nullités, cette jurisprudence est créatrice509 car il revient au juge d'examiner l'esprit de la loi et la volonté du législateur quand les termes de la loi ne sont pas clairs. On sait que les juges consulaires niçois ont ces recueils à leur disposition dans leur bibliothèque ou tout du moins dans celle du Sénat510.

La nullité invoquée contre une sentence peut aussi se rapporter à l’audition des témoins. La cause opposant les appelants Stéphane et François Taggiasco, père et fils, habitant à la Colla511, à Antoine Orengo de Triora512, habitant à San Remo, intimé, en est une illustration. Le Consulat selon sentence en date du 28 janvier 1835513, Joseph Raimondi étant juge-rapporteur, rejette les motifs de nullité contre l'ordonnance du Tribunal de commerce de San Remo du 15 mai 1833 opposés par les Taggiasco, et déclare que le tribunal a bien jugé et qu’en conséquence les Taggiasco en ont mal appelé. L'ordonnance est confirmée et le Consulat renvoie la cause et les parties devant le Tribunal de commerce de San Remo pour l'exécution de l'ordonnance. Les appelants sont condamnés aux dépens, aux dommages et à une amende de deux écus. Le Consulat a jugé ainsi au vu des motifs

509 SIREY (J.-B.), Code de procédure civile annoté des dispositions et décisions ultérieures de la législation et de la

jurisprudence, Recueil général des lois et des arrêts, SIREY (J.-B.) et DE VILLENEUVE (L.-M.), Les six codes annotés de toutes les décisions et dispositions interprétatives, modificatives et applicatives jusqu'à l'année courante avec renvoi aux principaux recueils de jurisprudence, Paris, Bureau d'administration du recueil général des lois et des arrêts, 1827, p.

836, « art. 1030 » : « L'article 1030 dispose qu'il n'y a pas de nullité proposable, si elle n'est formellement pronncée par la loi. [...]. Nous devons avertir le lecteur que la jurisprudence entend et applique ces régles diversement, selon les cas et les convenances du droit. C'est principalement dans ces matières que la jurisprudence, ou sagesse du droit, est et se montre

ars aequi et boni. »

510 ADAM, 2 FS 22, Catalogue alphabétique de la bibliothèque du Sénat. (s. d.)

511 Mandement et province de San Remo

512 Triora est une petite commune italienne située dans la province d’Imperia dans la région Ligurie.

contenus dans les conclusions de l'Uffizio. En l'espèce l'auteur de ces conclusions en date du 16 août 1834514, est le substitut Hugues.

Le premier motif de nullité tient au rejet fait par le Tribunal de commerce de San Remo de l'instance des appelants pour l'audition du témoin Gioanni Carli dit Boé. Pour les appelants, le tribunal aurait ainsi violé les articles 255515, 262516 et 266517 du Code de procédure civile français. Le substitut Hugues indique que les articles mentionnés ne peuvent recevoir application dans ce cas précis et imposer au tribunal l'obligation de faire entendre Gioanni Carli. En effet, ce prétendu témoin n'a pas été cité par les appelants, et ceux-ci n'ont en aucune manière justifié ni de la prétendue impossibilité de faire signifier la citation, ni de l'absence de Gioanni Carli, et encore moins de sa résidence à Marseille. Même si les appelants invoquent avoir fait une telle instance avant l'échéance du terme de l’enquête, le Tribunal de commerce de San Remo ne pouvait y donner suite, son fondement n'étant pas justifié, et suspendre ainsi le cours d'une cause dont la nature privilégiée, rappelle le substitut, exige une expédition rapide. Il le pouvait d'autant moins note le substitut, que ladite instance a été faite après le terme de l'enquête, laquelle a déjà été prorogée au 11 mai. Aucune prorogation ultérieure ne pouvait intervenir, selon l'article 280518 du Code de procédure civile disposant à ce sujet qu'une seule prorogation pourra être accordée. De même, l'article 267, selon lequel, « si les témoins ne peuvent être entendus le même jour, le juge-commissaire remettra à jour et heure certains, et il ne sera donné nouvelle assignation ni aux témoins, ni à la partie, encore qu'elle n'ait pas comparu », est inapplicable en l'espèce. Pour le substitut Hugues, la lettre et l'esprit de cet article prouvent clairement que l'article concerne les témoins qui ont été cités uniquement, et dont la déposition n'a pu être reçue pour le seul manque de temps. Une telle continuation de l'enquête ne peut donc donner aux appelants Taggiasco le droit de présenter d'autres témoins que ceux ayant été précédemment cités. Et sur cet objet une nouvelle prorogation aurait été absolument nécessaire, mais l'article 280 prohibe à ce qu'elle soit concédée.

514 ADAM, 6 FS 140 n°44.

515 CPC..., op. cit., « Le jugement qui ordonnera la preuve contiendra, 1° les faits à prouver ; 2° la nomination du juge devant qui l'enquête sera faite. Si les témoins sont trop éloignés, il pourra être ordonné que l'enquête sera faite devant un juge commis par un tribunal désigné à cet effet ».

516 Ibid., « Les témoins seront entendus séparément, tant en présence qu'en l'absence des parties. Chaque témoin, avant d'être entendu, déclarera ses noms, profession, âge et demeure, s'il est parent ou allié de l'une des parties, à quel degré, s'il est serviteur ou domestique de l'une d'elles ; il fera serment de dire vérité : le tout à peine de nullité ».

517 Ibidem., « Si le témoin justifie qu'il est dans l'impossibilité de se présenter au jour indiqué, le juge-commissaire lui accordera un délai suffisant, qui néanmoins ne pourra excéder celui fixé pour l'enquête, ou se transportera pour recevoir la déposition. Si le témoin est éloigné, le juge-commissaire renverra devant le président du tribunal du lieu, qui entendra le témoin ou commettra un juge ; le greffier de ce tribunal fera parvenir de suite la minute du procès-verbal au greffe du tribunal où le procès est pendant, sauf à lui de prendre exécutoire pour les frais contre la partie à la requête de qui le témoin aura été entendu ».

518 Ibidem., « La prorogation sera demandée sur le procès-verbal du juge-commissaire, et ordonnée sur le référé qu'il en fera à l'audience, au jour indiqué par son procès-verbal, sans sommation ni avenir, si les parties ou leurs avoués ont été présents : il ne sera accordé qu'une seule prorogation, à peine de nullité ».

Les appelants Taggiasco invoquent encore qu'aux termes de l'article 256 du Code de procédure civile, l'enquête ne peut avoir commencé à l'égard de Gioanni Carli. Le substitut fait remarquer à juste titre que la fixation des termes de l'examen est relative aux parties mais non aux témoins que les parties entendent présenter, et cela vaut pour tous les témoins de chacune des parties. Donc, les appelants Taggiasco doivent s'imputer à eux-mêmes la faute de ne pas avoir profité du terme utile pour faire citer Gioanni Carli, ou pour justifier son absence ou sa résidence actuelle. L'article 256519

n'établit rien de contraire et loin de pouvoir être utile à l'intention des appelants, il prouverait plutôt qu'ils n'ont pas profité du terme fixé pour la contre-enquête d’Orengo, car la preuve du demandeur et la preuve contraire doivent être commencées et terminées dans les délais fixés par le Code. Pour le substitut Hugues, cela prouve que le législateur n'a pas voulu que le demandeur puisse, pour présenter des témoins, profiter du terme concédé au défendeur pour la preuve contraire, d'où la limitation d'une telle faculté, pour chacune des parties, à un terme fixé pour chacune d'entre elles. Le dernier motif de nullité selon lequel l'enquête aurait été continuée, comme la contre-enquête, par des juges différents apparaît tout aussi mal fondé car, toutes les dépositions des témoins présentés par les appelants et par Orengo, ont été reçues par le président et par le secrétaire du tribunal. Ces dépositions ont donc toutes été reçues par le même juge. De plus, aucune disposition du Code de procédure civile ne prescrit, sous peine de nullité, que lors des audiences au cours desquelles des témoins viennent à être entendus, les mêmes juges doivent constamment siéger.

L'Uffizio du procureur général du commerce, par la voix de son substitut Hugues, conclue donc au rejet des motifs de nullité opposés par les appelants de l'ordonnance rendue le 15 mai 1833.