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II - Droits et privilèges

B) L'homme dans sa vie personnelle

Il s'agit de s'interroger sur l'origine géographique, familiale et sociale des magistrats.

La plupart des magistrats du Consulat de Mer de Nice ont une origine locale, c'est-à-dire de Nice, ou plus largement du Comté de Nice284. Sur les 24 magistrats ayant exercé leurs fonctions au sein du Consulat de Mer de Nice durant notre période, seuls trois d'entre eux sont étrangers au Comté de Nice : Pierre Fascio, originaire du Piémont (Asti), Jacques-Antoine Melissano de Borgomaro en Ligurie, et Joseph-Maximilien Rocci lui-aussi de Turin. Ainsi comme le remarque le président du Sénat de Nice Peyretti di Condove en 1825 lors du recrutement d'un juge légal surnuméraire : « [...] per una straordinaria combinazione di circostanze nel 1817 il posto di giudice legale fisso

nel Magistrato sia stato conferito al Signor senatore Fascio, il quale è piemontese, nell'antico ordine di cose pero si è costantemente praticato di nominare ad un tale posto un dei senatori

283 ASTO, Corte, Materie economiche, materie di commercio, Magistrato del Consolato, mazzo 2-7 i).

284 DECOURT HOLLENDER (B.), « Le volontariat...», art. cit., p. 475. Elle fait la même remarque quant au recrutement des volontaires au sein des Sénats du royaume de Piémont-Sardaigne.

nizzardi [...]285. » Ce recrutement local présente des avantages : favoriser l'entrée en carrière des jeunes avocats originaires de la province et l'intégration de niçois au fonctionnement d'une institution à caractère local, mais aussi, à une échelle plus grande celle de l'entité politique des Etats de Savoie. Cela permet également une bonne connaissance de la part du candidat local des usages locaux et des moeurs de la région, savoir particulièrement utile en matière commerciale. Le candidat qui n'est pas originaire de Nice ou du Comté de Nice, doit alors, on peut le supposer, présenter de grande qualités. C'est le cas de Melissano. Ainsi lors de sa nomination au poste de juge légal surnuméraire, dans la relazione présentée à l'acceptation de S.M. le 12 mars 1833, le secrétaire d'Etat parle de lui en ces termes : « [...] persone dotata di molta dottrina, ed esattezza nel

disimpegno delle sue incumbenze [...]286. » Et quelques mois plus tard, dans une note confidentielle du régent Spitalieri de Cessole quant à la succession au poste d'Avocat fiscal général du Sénat de Nice, il écrit à son propos : « Il senatore Melissano, nato in piccolo paese sui confini del principato

di Oneglia col genovesato, estraneo cosi al contado di Nizza, ed alle comunità principali della giurisdizione e dolto imparziale, laborioso ed irreprensibile nella sua condotta287. »

Les origines familiales et professionnelles peuvent également servir la cause de celui qui se destine à la carrière de la magistrature. Jean-Stéphane Reghezza, fils du sénateur Joseph Reghezza, qui sera substitut du procureur général du commerce au Consulat en 1838 souhaite être admis en qualité de volontaire auprès de l'Avocat Fiscal général du Sénat de Nice en 1833. Voilà ce que celui-ci indique à son propos: « [...] pare che possa prendersi in considerazione la circostanza che il padre

del ricorrente è membro di questo reale senato, essendo cosi ben giusta che abbiasi talvolta anche riguardo alla dignità del padre, allorchè trattasi di accordare favore ai figli se questi se ne mostrano d'altronde degni, imitandone le virtù e seguendone gli esempi [...]288. » Elzeardo Gachet,

juge surnuméraire à partir de mai 1838, est le neveu du sénateur Claude Passerin d'Entrèves, Avocat fiscal général du Sénat de Nice. De même, Casimir Verani fait suite à son père dans la fonction de procureur général du commerce. Alors qu'il ne souhaitait pas exercer la fonction de procureur général du commerce au sein du Consulat de Mer de Nice, préférant demeurer au Sénat, le Secrétaire d'Etat aux affaires internes rappelle que « [...] sia finalmente perché l'avvocato Verani

è degnissimo di succedere nel posto di procuratore generale del commercio che or son due anni era occupato dal suo padre [...]. Le lien familial se vérifie également dans la charge de consul. Il

en est ainsi avec les Bonifassi. Pour remplacer le père décédé à la charge de consul en avril 1817, le

285 ASTO, Corte, Materie economiche, materie di commercio, Magistrato del Consolato, mazzo 3-1 r). lettre du 19 novembre 1825 adressée au premier secrétaire d'état aux affaires internes quant à la confirmation de Cimiez au poste de juge surnuméraire biennal.

286 ASTO, Corte, Materie economiche, materie di commercio, Magistrato del Consolato, mazzo 4-5 e).

287 ASTO, materie giuridiche, per categorie, senato di Nizza. mazzo 3, fasc. 22.

288 ASTO, materie giuridiche, per categorie, senato di Nizza, mazzo 3, fasc. 23. Lettre de l'Avocat fiscal général au ministre du 24 octobre 1833. Egalement utilisé par DECOURT HOLLENDER (B.), « Le volontariat...», art. cit., p. 480.

régent De Giacobi propose trois noms mais donne clairement sa préférence au fils du défunt : « [...]

rilevando essere il Bonifacio figlio primogenito del defunto console Luigi Bonifacio, che aveva per il suo lungo e fedele servizio in questo Consolato ben meritato delle Regie Grazie »289. De même, lors de son renouvellement comme second consul à la fin de l'année 1822, le régent Spitalieri de Cessole indique : « [...] per i servizi prestati da lui, non meno che dal di lui genitore, stato per

molti anni console presso il detto Magistrato [...]290. »

L'origine professionnelle des ascendants est un élément qui témoigne d'un certain niveau social. Et comme au sein des Sénats du royaume de Piémont-Sardaigne291, ce critère de recrutement retrouve une importance primordiale à partir de 1815 au sein du Consulat de Mer de Nice. D'ailleurs, certains membres du Consulat sont aussi sénateurs. Sont alors ainsi favorisés « les candidats issus des familles les plus en vue socialement : noblesse locale et bourgeoisie enrichie en quête de notabilité se partagent les charges292 ». La noblesse locale est en effet assez bien représentée puisque de 1814 à 1843. On trouve au sein du Consulat, par ordre d'arrivée et toutes fonctions confondues, Joseph Ignace Giacobi de Sainte Félécité, Ilarion Spitalieri de Cessole, Aigulfe Arnaud de Chateauneuf, Ignace Milon, Honoré Garin di Cocconato, Benoit Andreis di Cimella, Louis Guiglia et Charles-Henri Torrini de Fogassières293, soit à peu près un tiers de la composition totale de la juridiction commerciale niçoise durant notre période. Excepté Louis Guiglia qui a été annobli à la Restauration294, cette noblesse, plutôt récente, trouve principalement son origine au XVIIIe siècle. Il s'agit de ce qu'on appelle la « noblesse 1722 »295, une noblesse de service façonnée dans le cadre de la politique de la rénovation et de la promotion nobiliaire menée par Victor-Amédée II. A la Restauration, le souverain privilégie encore un recrutement parmi le patriciat local, ce qui lui assure ainsi un certain soutien politique296. A côté de cette noblesse locale, le recrutement laisse aussi place à une certaine « bourgeoisie » du comté de Nice, comme Casimir Verani originaire de Sospel et Joseph Raimondi de la Turbie. Ce dernier est le fils du notaire de la commune de la Turbie et futur substitut du procureur général du commerce. Voilà ce que précise le sénateur Passerin d'Entrêves à son propos dans une recommandation du 19 mai 1825, pour être admis comme volontaire à l'Uffizio de l'Avocat fiscal général auprès du Sénat de Nice: « [...]

289 ASTO, materie economiche, materie di commercio, magistrato del consolato categorie 1, mazzo 2-5 e).

290 ASTO, materie economiche, materie di commercio, magistrato del consolato categorie 1, mazzo 2-8 g).

291 DECOURT HOLLENDER (B.), « Aspects de la magistrature sénatoriale du royaume de Piémont-Sardaigne au XIXe siècle (1814-1860) », RSDI, à paraître, p. xxx

292 Ibid., p. 5.

293 Voir notices biographiques en annexe.

294 TOMBACCINI (S.), La vie de la noblesse niçoise sous la Restauration 1814-1860, Nice, Turin, 2010, p. 35.

295 GENTA (E.), Senato e Senatori di Piemonte nel secolo XVIII, Turin, Deputazione subalpina di storia patria, 1983, pp. 87-115.

296 Sur la politique nobiliaire de la Maison de Savoie au XIXe siècle : BOTTIN (M.), « La noblesse niçoise au XIXe

appartiene ad un famiglia delle più riguardevoli di quel luogo, e vantaggiosamente conosciuta sotto il rapporto della sua moralità ed attaccamento al governo di S.M.[...] »297.

Les hommes du Consulat, dont certains ont été diplomés durant la période française et dont d'autres ont même occupé des postes dans l'administration française, demeurent les officiers d'un magistrat suprême de la Maison de Savoie et semblent ainsi être attachés à leur souverain. Certes la fonction est prenante et parfois ingrate, mais le souverain fait en sorte de récompenser ces hommes, à la hauteur de leur engagement dans la fonction, parfois exercée gratuitement, mais aussi selon des critères plus subjectifs relatifs à leur statut social. Juridiction commerciale et maritime souveraine, le Consulat de Mer de Nice est aussi une juridiction au service du Prince, dont la tâche principale demeure celle de répondre au besoin d'une justice commerciale ressenti par les autres acteurs de l'institution, les hommes mais aussi les femmes du commerce.