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PRatIqUes CUltURelles dU Passé

2. ManI-yanda, Une assOCIatIOn

tRadItIOnnelle dans le Bas-Uele et aU-delà

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Yanda est un esprit dont une association fermée tire son nom. Cette dernière était aussi connue sous la dénomination de «  Mani  », même si, à l’heure actuelle, aucun de mes informateurs en RCA ou dans le Nord-Congo n’a connaissance de cette dési-gnation. La Mani-Yanda jouit pour plusieurs raisons d’un statut spécial parmi les sociétés initiatiques ubangiennes. Tout d’abord, parce qu’à son apogée, c’était la plus répandue. Si de nos jours ce sont

sur-27.Ce texte a été publié en 2007 par le Fonds Mercator dans l’ouvrage Ubangi. Art et cultures au cœur de l’Afrique, sous la direction de Jan-Lodewijk Grootaers. L’auteur en a autorisé la reproduction. Un certain nombre d’illustrations ont été supprimées ou changées, pour des raisons de copyright, en concertation avec l’auteur.

tout les Zande, les Nzakara et les Ngbandi qui la connaissent encore, il y a environ quatre-vingts ans, cette association comptait des loges dans l’Est et le Centre du Congo, et le long du fleuve Congo, jusqu’à Boma, dans le Bas-Congo. De fait, très tôt, elle a été abondamment décrite (et décriée) dans la littérature coloniale28. Qui plus est, la Mani-Yanda est la seule association d’où tant de sculptures nous soient par-venues. Nous sommes tout à fait informés quant à leur fabrication et à leurs fonctions, grâce aux inves-tigations menées par l’agent médical belge Jozef De Loose, qui fut initié dans une loge mani congolaise en 1954 et acquit plus de 150 objets rituels (Fig. 6.2).

Comme les statues cultuelles ne pouvaient être ven-dues par leurs propriétaires, la seule solution, pour

28. Sur la Mani-Yanda au Congo belge, voir « Mani » (1948 [1917]), Six (1921), Lagae (1926 : 118-122), Burssens (1962), Dijkmans (1971), Salmon (1972  : 428-430)  ; au Soudan, voir «  Secret Societies  » (1921), Evans-Pritchard (1931  ; 1937 : 513-539), Giorgetti (1957), Santandrea (1984 : 197-211), Johnson (1991) ; en Oubangui-Chari – pour lequel il n’existe guère de littérature – voir Retel-Laurentin (1969 : 29, 62, 416), de Dampierre (1987 : 95n7 ; 1991 : 49), Grootaers (2007a).

Fig. 6.2. Jozef De Loose s’entretenant avec des officiants zande du culte Mani-Yanda, près de Bili, RDC.

(Photo © Jozef De Loose, 1955.)

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De Loose, fut de fabriquer des figurines de substitu-tion en argile (qu’il signa !). En échange de l’une de ses sculptures, il obtint plusieurs pièces des leurs29.

L’objectif principal de l’association Mani-Yanda était la dissémination parmi ses membres de sexe masculin et féminin de magie qui leur assurerait un bien-être général : santé, fertilité et succès dans toutes leurs entreprises. Ses dirigeants organisaient divers types de rencontres, réglaient des différends entre les membres et étaient consultés comme devins. L’initiation à la société Mani durait entre un et trois jours. Elle supposait le paiement à un samba (parrain ou membre offrant son patronage), l’immersion dans l’eau, un serment d’allégeance, l’ap-prentissage de la langue secrète mani, l’acceptation d’un nouveau nom et la consommation en commun de la pâte mani (composée de racines, de graines, d’huile et de sel). Les membres avaient pour coutume de s’enduire le corps, ainsi que les objets utilisés lors de la prestation de serment, lors des séances d’in-cantations ou de divinations, avec une substance magique. Dans certaines régions, la société réservait à ses membres plusieurs échelons statutaires et orga-nisait son noyau dirigeant suivant une hiérarchie.

Les dirigeants locaux, bandakpa, ou mbe-yanda (propriétaire de Yanda) et les loges dans le Bas-Uele avaient un chef suprême. De Loose a décrit ce yengbe que l’on transportait dans ses voyages : dans chaque village qu’il visitait, il recevait de nombreux cadeaux qu’il redistribuait dans le suivant – tout cela évoque le comportement des chefs royaux zande du passé (Burssens 1962  : 68)30. Le chef suprême remettait aussi des objets de culte, étiquetés yanda, aux loges locales. Quels étaient les principaux objets rituels de la Mani-Yanda ?

Les Zande du district du Bas-Uele étaient sans nul doute les sculpteurs et les modeleurs les plus prolifiques. Ils fabriquaient toutes sortes d’articles en bois ou en cire d’abeille, regroupés sous le terme générique de kore (Fig.  6.3). Du côté des objets

29.Information de Jozef De Loose, Bruges (Belgique), 3 août 2005. Dès son retour en Belgique, De Loose a généreusement remis toutes ses données de terrain et ses photographies à Burssens, qui en a fait un usage substantiel dans sa publication (1962) – voir De Loose (2005 : 119).

30.En RCA, le bandakpa-supérieur était appelé bamari ou bamali (information de B. G., Biro [RCA], 30 avril 2004, et U. R., Banangui [RCA], 2 mai 2004).

figuratifs, ils distinguaient entre six grandes catégo-ries, quatre en bois d’arbres sacrés – nazeze et kudu (anthropomorphes  ; Fig.  6.4, 6.5 et 6.6, et 6.12), kuru et yanguzu (zoomorphes ; Fig. 6.7 et 6.8) – et deux en argile de rivière – ngia (Fig. 6.9) et wuliyoyo (Burssens 1962 : 99)31. La fonction d’une statue était indépendante de sa forme ou de son matériau. Les responsables de la société Mani-Yanda conservaient les statues sur une plateforme sous une hutte réser-vée à cet effet, dans la forêt, et pouvaient en posséder jusqu’à une dizaine. Elles étaient nourries et frot-tées avec de la poudre de kadouk (mbagu) ou de la pâte de Mani, et recevaient des colliers de perles, des anneaux ou des pièces de monnaie en gage de reconnaissance des services rendus. Un ensemble de dix-huit statues et dix-sept bâtons rituels (nambata) a été découvert en 1930 par des pères de l’ordre des Croisiers hollandais dans une seule hutte mani, sur une petite île fluviale, loin du monde habité. Selon l’un des découvreurs de cette hutte, la plupart de ces objets représentent des étapes du cycle de vie de la femme, depuis l’enfance (Fig. 6.5) jusqu’à la femme ménopausée, via l’adolescente, la femme enceinte et la mère. Cette interprétation très inhabituelle des sculptures yanda a pu constituer une particularité locale (Dijkmans 1971)32.

Tous les objets yanda montrés dans ces pages, ou presque, viennent de ce district du Bas-Uele, où ils furent collectés pour l’essentiel par des mission-naires dans les années 1920 et 1930, par De Loose en 1952-1956, et en 1953-1957 par Boris Adé, un docteur en médecine basé à Bondo, à qui De Loose avait fait découvrir les sculptures mani. De Loose avait aussi acquis un collier en bois (ngorowo) avec des perles bleues, appartenant à un chef de loge, ainsi que quelques masques portés lors des danses mani33. Les Zande n’ont pas de tradition du masque. De la majorité des spécimens présents dans les collec-tions occidentales, on sait de manière certaine ou avec un fort degré de probabilité qu’ils ont fait leur apparition dans les cérémonies de l’association Mani

31.Il n’existe pas de preuve de l’existence de ces catégories dans les autres régions zande.

32.La plupart des objets de cet ensemble sont reproduits dans Burssens (1962 : ill. 210, 213, 216-220, 232-237, 239, 279, 336, 352-353).

33.Voir illustrations dans Grootaers (2007a : 87-88).

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Fig. 6.3. De gauche à droite : Objet rituel kore du culte Mani-Yanda, Zande ; village Bagi, RDC. Collecté par Jozef De Loose, vers 1952-1956. Bois. Hauteur 13 cm. De forme phallique, cet objet est un ngbapita, « bouche du pénis non-circoncis » en zande. (EO.1964.56.1, collection MRAC Tervuren ; photo J.-M. Vandijck, © MRAC Tervuren.) ; Paire de bâtons kore du culte Mani-Yanda, Zande ; près de Bili, RDC. Collecté par Jozef De Loose, vers 1952-1956. Bois et métal.

Hauteur 49,5 cm. Ces bâtons, appelés nambata, sont symbolique-ment sexués et vont toujours par paires. (EO.1965.42.13, collection MRAC Tervuren ; photo J.-M. Vandijck, © MRAC Tervuren.)

Fig. 6.4. Figurine nazeze du culte Mani-Yanda, Zande ; village de Bangoi, RDC. Collectée par Jozef De

Loose, 1952-1956.

(EO.1965.42.3, collection MRAC ; photo J.-M. Vandijck, © MRAC

Tervuren.)

Fig. 6.5. Figurine nazeze du culte Mani-Yan-da, Zande ; entre Zemio et Ango, RDC. Col-lectée par les Croisiers en 1930. Bois. Hauteur 20 cm. (1954.96.4, collection MRAC Tervuren ;

photo J.-M. Vandijck, © MRAC Tervuren.)

Fig. 6.6. Figurine nazeze du culte Mani-Yanda, Zande, RDC. Collectée avant 1940. Bois, métal, perles et cauris.

Hauteur 32 cm. Cette statue attire le re-gard, non seulement à cause de sa taille,

mais plus encore du fait de sa posture dynamique. (EO.1961.18.1, collection MRAC Tervuren ; photo R. Asselberghs,

© MRAC Tervuren.)

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93 Fig. 6.7. Figurine kuru du culte Mani-Yanda, Zande ; village

Ban-goi, RDC. Collectée par Jozef De Loose, vers 1952-1956. Bois. Lon-gueur 20 cm. C’est le seul spécimen de ce type dont l’existence soit connue. Il a été fabriqué par un dirigeant de Mani-Yanda à Rafaï ou aux alentours (RCA) et fut ensuite rapporté en RDC. (EO.01965.42.11,

collection MRAC Tervuren ; photo © J.-M. Vandijck, MRAC Tervuren.)

Fig. 6.8. Figurine yanguzu du culte Mani-Yanda, Zande ; village de Teligba, RDC. Collectée par Jozef De Loose, vers 1952-1956

(col-lection Jozef De Loose, Bruges ; photo © Vincent Everarts.)

Fig. 6.9. Figurine ngia du culte Mani-Yanda, Zande ; village Telig-ba, RDC. Collecté par Jozef De Loose, 1956. Argile et métal. Hauteur 16 cm. La forme de cette figurine zoomorphe en argile met l’accent sur la tête, où les grands yeux sont creusés par les empreintes de doigts de l’artisan. (EO.01965.42.7, collection MRAC Tervuren ; photo

J.-M. Vandijck, © MRAC Tervuren.)

Fig. 6.10. Masque zande ; près de Titule, RDC.

Collecté par Armand Hutereau, vers 1911-1913. Bois, os et fibre végétale, hauteur 28 cm.

Hutereau notait que ce masque servait à « effrayer les enfants », mais sans doute fut-il porté dans le cadre du culte Mani-Yanda. Ses

fausses dents sont en os.

(EO.0.0.12561, collection MRAC Tervuren ; photo © J.-M. Vandijck, MRAC Tervuren.)

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(Fig. 6.10) (Lagae 1926 : 100, Burssens 1960, 1993 : 222-224, Schildkrout & Keim, éd. 1990 : 240).

Les membres mani du district du Haut-Uele, à l’est de la Mani mentionnée précédemment, semblent avoir été bien moins productifs. Le mis-sionnaire dominicain Constant Lagae, qui a travaillé de nombreuses années dans ce district, mentionnait l’existence de couples de figures yanda : uza ou bali-kenge pour le mâle et namani pour la femelle (Lagae 1926 : 120). Pourtant, il est frappant que les domini-cains n’aient pas collecté une seule sculpture yanda dans la région de leur mission. Lagae a écrit aussi au sujet d’une perle bleue utilisée dans l’associa-tion comme médecine de vengeance. Normalement dénommée manguru, cette perle était connue dans la langue secrète mani sous le nom de (ma)nzingira.

Quelques années plus tôt, au cours de sa mission ethnographique dans le Nord du Congo, de 1911 à 1913, Armand Hutereau acquérait un ensemble de colliers composés de sifflets utilisés comme amu-lettes (Fig. 6.11a et b). Ils appartenaient à une loge mani des Sere (Basiri), un peuple partiellement

« zandéisé » du district du Haut-Uele.

L’indigence des objets mani se révèle encore plus marquante au Sud-Soudan, où les missionnaires italiens comboniens étaient actifs. Parmi eux, on trouve un certain Filiberto Giorgetti, qui écrivit sur les figures mâles bamani et femelles namani consul-tées par des membres de l’association Mani. Mais, à ma connaissance, aucun couple de cette sorte n’a jamais été collecté chez les Zande du Soudan. Le mystère s’épaissit encore avec la déclaration explicite d’Edward Evans-Pritchard, qui a mené des travaux de terrain dans la région entre 1926 et 1930, et fut partiellement initié, selon laquelle les sculptures étaient absentes de la Mani soudanaise. En réaction à cette affirmation, Giorgetti affirma que les infor-mateurs d’Evans-Pritchard n’osaient pas partager tous leurs secrets, car ils le considéraient comme un espion du gouvernement colonial (Evans-Pritchard 1931  : 107, 132, 146  ; Giorgetti 1957  : 10, 21-22).

L’anthropologue britannique mentionnait pourtant bien des sifflets magiques mani, des bakazunga, des banzingini et des zelengbondo, devant lesquels on prêtait serment et prononçait des incantations, et les perles bleues nzingira, attachées à certains sifflets ou portées comme insigne de membre. Il semble qu’il n’ait rapporté avec lui aucun de ces objets.

Un certain nombre de sculptures mani sont connues pour provenir de la région zande de l’ancien Oubangui-Chari (l’actuelle République centrafri-caine, ou RCA). Elles comprennent des objets acquis dans le district du Bas-Uele congolais, après avoir voyagé jusque-là dans un contexte d’échanges rituels et de mobilité de l’activité. Très peu de spécimens ont été rapportés directement de la colonie française elle-même. Le docteur Victor Labernadie a pu col-lecter une dizaine de ces sculptures mani dans les années 1930. Parmi ces dernières, on trouve la plu-part des catégories identifiées par De Loose, mais on ne sait pas si les objets étaient véritablement fabri-qués par les Zande de RCA ou s’ils provenaient du Congo belge. Pourtant, il y a encore une quinzaine d’années, les informateurs zande se souvenaient que la Mani-Yanda était très répandue dans l’Est de la RCA, même après l’indépendance (1960), et que l’on y maniait des statuettes, parfois par paires34.

Dans les années 1950, le principal objet de culte mani des Nzakara, voisins occidentaux des Zande et apparentés à eux, apparaît comme suit : « Yanda est représenté chez les Nzakara par une pièce en bois sculptée dans un cylindre ; l’une des extrémités est évidée, c’est la bouche ; le “corps” est allongé sur deux bâtons fourchus » (Retel-Laurentin 1969 : 416). Là encore, aucun objet yanda fabriqué par les Nzakara n’a, semble-t-il, été collecté ou photographié.

Il semblerait donc que la quasi-totalité de l’art Mani-Yanda à notre disposition soit originaire d’un segment très limité de la région, où l’association a été jadis florissante. Plusieurs facteurs pourraient expliquer la chose, sans s’exclure nécessairement les uns les autres. Il est possible que dans beaucoup d’endroits, les sculptures n’aient été ni montrées, ni remises aux Européens, parce que la société avait été interdite par les administrations coloniales. Il n’est pas non plus impossible que les sociétés Mani aient été moins constantes et homogènes que ne le laisse supposer l’emploi du même terme sur un vaste territoire. Des circonstances sociales et politiques variables ont pu conduire à des fluctuations locales

34.Notes de terrain non publiées, préfecture du Haut-Mbornou (RCA), 1991-1992. Je n’ai jamais vu de figure yanda sur le terrain, ce qui peut être dû au fait qu’en RCA, l’entrée dans toute association fermée est considérée comme un délit criminel.

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dans leur structure et leur prééminence. En outre, dans sa région, De Loose relevait l’existence d’une Mani officielle, hiérarchiquement structurée à côté de loges indépendantes créées par des individus en dehors du courant dominant (Burssens 1962 : 58-59).

Enfin, il est permis de douter que l’association ait eu une origine unique. On peut imaginer que, selon les sources régionales, les influences et les échanges, des objets de culte aient été plus ou moins importants.

Si l’on aborde la question de l’origine, il faut se résoudre à la quasi-impossibilité de reconstituer l’histoire des associations initiatiques au xixe siècle.

On a débattu sur la question de savoir si la société Mani-Yanda doit être comprise comme une réaction à des changements extérieurs ou comme un déve-loppement interne à la culture. Il est maintenant admis que l’association existait antérieurement à l’arrivée des Européens35. Les sociétés Mani n’étaient pas tant anticoloniales que dirigées contre les auto-rités vungara36, dont certaines exploitaient leurs sujets ou les vendaient à des marchands d’esclaves arabes. Pourtant, même si la Mani a été exportée vers d’autres peuples par les porteurs et les émigrants zande congolais, il est peu vraisemblable qu’elle ait eu son origine chez ces derniers. Si tous les premiers auteurs s’accordent là-dessus, leurs informateurs se tournaient dans plusieurs directions différentes  :

35.Voir Grootaers (2007b : 233-235) pour un résumé de la discussion.

36.Les Vungara sont un clan royal d’origine zande, qui régnait à l’ouest de Rafaï. Ils ont absorbé des populations étrangères en les « zandéisant » (Grootaers [éd.] 2007 : 33-35).

les Zande du Soudan désignaient comme sources possibles les peuples barambo et mangbetu, qui vivent l’un et l’autre plus au sud-ouest par rapport à eux, au Congo  ; les Zande congolais du district du Haut-Uele déclaraient que la Mani était venue de l’ouest de la ville de Bondo, c’est-à-dire du pays nzakara ou ngbandi ; dans le district du Bas-Uele, les gens soutenaient que cette association avait été introduite par le nord, notamment par le peuple banda-gobu (Andriessen 1925  : 14  ; Lagae 1926  : 118-120 ; Burssens 1962 : 54 ; Evans-Pritchard 1971 : 112) 37. C’est ici, en RCA, que nous entamerons notre recherche de nouveaux indices.

Une spécialiste des Nzakara de RCA, Anne Retel-Laurentin, a appris que Yanda était un esprit de la forêt des Banda-Langba, capable de prendre posses-sion des êtres qui, ensuite, se livreraient à des danses et seraient en mesure de prononcer des prophéties.

Ce culte avait été introduit chez les Nzakara par des captifs banda, sans qu’ils l’aient jamais pleinement intégré. Les princes bandia38 le considéraient même comme une forme de sorcellerie (Retel-Laurentin 1969 : 29, 33 ; 1979 : 150). C’est à peu près à la même époque que De Loose découvrit, auprès des Zande

37.L’existence d’un culte du serpent dans certaines loges Mani pourrait suggérer un lien avec les Ngbandi, et leur culte du reptile (Lagae 1926 : 119 ; Burssens 1962 : 194-195).

38.« Les Bandia ont constitué un clan ngbandi qui, à la fin du xviiie siècle, a remplacé les chefs des Nzakara et les Zande de l’ouest […] Ils se sont assimilés en adoptant la langue locale (nzakara ou zande) et, à l’ouest, ils ont aussi adopté les ancêtres nzakara » (Grootaers [éd.] 2007 : 33-35).

Fig. 6.11a et b. Deux colliers-amulettes portés dans le culte Mani-Yanda, Sere ; district du Bas-Uele, RDC.

Collectés par Armand Hutereau, vers 1911-1913. Bois, fruits et fibre végétale. Longueur de l’élément le plus long : 15 cm.

Certaines de ces baguettes sont des sifflets creux, d’autres des bâtons pleins.

(MO.0.0.13558 4/1 et 4/2, collection MRAC Tervuren ; photo J.-M. Vandijck, © MRAC Tervuren.)

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du Congo, que la Mani provenait de la colonie française, au nord de la rivière Mbomu. En fait, plu-sieurs figurines cultuelles qu’il recueillit avaient été fabriquées autour de la ville de Rafaï, en RCA – un foyer de l’association, habité par les peuples zande, nzakara et banda – avant leur transmission à leurs propriétaires congolais (par ex. Fig.  6.7). Vergiat mentionnait brièvement des « esprits yanda » dont le mauvais sort pouvait provoquer un œdème, mais on ne comprend guère s’il parlait des Banda, des Manza ou des deux (Vergiat 1937 : 192). Soixante-dix ans plus tard, un informateur zande du Nord-Congo m’a suggéré que Yanda était pour les Zande ce que Ngakola était pour les Banda39. Les deux sociétés initiatiques semblent avoir partagé plusieurs traits communs.

« Le bada est une hutte en paille dans laquelle les fétiches en bois sont conservés et où, pour chaque consultation, l’adepte doit offrir un peu de nourriture aux [sculptures yanda] par l’intermé-diaire du maître de la loge. [...] Les officiants, après avoir mangé ce qui a été préparé pour [Yanda], consultent l’oracle kadangba afin d’apporter une réponse au consultant40. »

Dans le passage qui précède, le mot « Ngakola » a été remplacé par «  Yanda  ». La description cor-respond parfaitement à la société Mani-Yanda, y compris la consultation de l’oracle kadangba. Cet oracle à frottement, parfois en forme de lézard, est typique des Banda et de leurs associations, mais il est aussi utilisé par des groupes voisins et il s’est frayé un chemin jusque chez la Mani41. Evans-Pritchard fut le premier à mentionner le lien entre les deux : au Sud-Soudan, l’association se nommait Mani, et l’un des objets cultuels était un oracle à frottement, le yanda (Evans-Pritchard 1931  : 127, 132). Plus tard, Burssens dressait un parallèle morphologique entre l’oracle kadangba et certaines sculptures Mani-Yanda  : leur forme d’ensemble correspond, et la

39.Information de H. R., Mobaye (RDC), 1er décembre 2005.

À comparer avec ce que notait le missionnaire hollandais Cees Zaal à Bangassou (RCA) : « Yanda est la version Nzakara du Ngakola des Banda » (Zaal 1955 : chapitre VI, n.p.).

40.Eboué (1931  : 9), qui écrit au sujet de l’association Ngakola parmi les Banda de l’Oubangui-Chari.

41.Sur l’oracle kadangba, voir Daigre (1931-1932  : 693), Vergiat (n. d. : 508-510), Retel-Laurentin (1969 : 36-37).

petite poignée cylindrique du couvercle de l’oracle ressemble au nombril de la figurine (Fig.  6.12 et 6.13) (Burssens 1962 : 149-150)42.

Le lien entre les sociétés Mani et Ngakola est d’au-tant plus suggéré par les termes désignant les grades

Le lien entre les sociétés Mani et Ngakola est d’au-tant plus suggéré par les termes désignant les grades