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PanORaMa MUsICal de l’Uele

1. syMBOles de POUvOIR

3.2. les haRPes

Les harpes sont l’un des instruments de musique emblématiques du Nord de la République démocra-tique du Congo. Sans conteste, elles sont parmi les entités organologiques qui ont attiré le plus l’atten-tion des explorateurs européens, avec les trompes en ivoire, vu leur présence numérique massive au sein de la collection du musée. cordes (exceptionnellement six). Les cordes – tradi-tionnellement d’origine végétale ou en boyau – sont fixées à la caisse en les passant à travers le cordier en bois situé sous la peau et en les retenant grâce à des ancres en bois. La facture du cordier est déci-sive pour la qualité acoustique de la harpe : celui-ci est positionné sur la caisse, sans aucun contact avec le manche, car cela risquerait de lui transmettre des vibrations (de Dampierre 1995). La caisse est percée par deux ouïes circulaires qui, en plus de contribuer à l’amplification des basses (plus le diamètre des ouïes est grand, plus intense est la réponse sonore de l’instrument), font fonction de « passage » pour l’encordage lorsque les cordes se cassent. Enfin, les

chevilles qui traversent le manche sont également en bois dur et servent à régler la tension des cordes pour en définir leurs hauteurs.

L’extrémité supérieure du manche est parfois sculptée en forme de tête humaine, bien que les exemplaires au manche non sculpté soient eux aussi nombreux. Ces têtes anthropomorphes person-nifient et légitiment le chant du joueur. « Face aux instruments de la parole du royaume, la harpe leur porte la critique permanente », étant la « gardienne de la parole de nature contestataire » (de Dampierre 1991). Comme la parole chantée peut se révéler parfois dangereuse, la tête sculptée fait office de pro-tectrice de la tête même du harpiste et responsable de la parole qu’il profère : personne ne pourrait accuser ou condamner une tête en bois (Chemillier 2007) !

Jouées toujours par des musiciens confirmés, ordinairement des hommes (sauf quelques excep-tions, par exemple chez des groupes azande), ces harpes sont très rarement utilisées pour les danses et jamais en orchestres. Elles sont davantage employées pour accompagner le chant du même harpiste, lequel

Ill. 7.30. Harpiste azande.

(AP.0.0.31251, collection MRAC Tervuren ; photo A. Hutereau, 1913.)

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Fig . 7.31. Harpe azande.

(MO.0.0.526, collection MRAC Tervuren ; photo J. Van de Vyver,

© MRAC Tervuren.)

Fig. 7.33. Harpe azande.

(MO.1958.30.26, collection MRAC Tervuren ; photo J. Van de Vyver,

© MRAC Tervuren.)

Fig. 7.35.a. Harpe azande.

(MO.0.0.10845, collection MRAC Tervuren ; photo J. Van de Vyver,

© MRAC Tervuren.)

Fig. 7.32. Harpe mangbetu.

(MO.0.0.2606-2, collection MRAC Tervuren ; photo J. Van de Vyver,

© MRAC Tervuren.)

Fig 7.34. Harpe mangbetu.

(MO.1955.84.1, collection MRAC Tervuren ; photo J. Van de Vyver,

© MRAC Tervuren.)

Fig. 7.35.b. Détail manche à la tête sculptée.

(MO.0.0.10845, collection MRAC Tervuren ; photo J. Van de Vyver,

© MRAC Tervuren.)

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pourrait être défini comme un cantastorie, un « vrai poète-harpiste  » (ibid.), qui entretient son public de ses histoires aux thématiques diverses, parfois lyriques, parfois satiriques. La présence du public est fondamentale dans cette pratique instrumentale, confirmée par le regard de la tête toujours – sauf de rares exceptions – dirigé vers les auditeurs.

Selon la technique de jeu traditionnelle, « le musi-cien joue assis, tenant l’instrument verticalement, le fond de la caisse légèrement appuyé contre son bras et sa jambe droits ; les cordes les plus aiguës – les plus proches de son torse – sont pincées par la main droite, les plus graves par la main gauche » (Arom 1985). Toutefois, aujourd’hui les jeunes harpistes nzakara et zande tiennent l’instrument à la façon des guitaristes occidentaux, ce qui suscite le rire des har-pistes plus âgés (de Dampierre 1991). Normalement, les cordes sont pincées par couple, une par main.

Les chanteurs-harpistes les plus expérimentés sont capables de combiner la partie mélodique avec une partie de percussion, en frappant l’annulaire contre la caisse d’harmonie et en démontrant ainsi un haut degré d’interdépendance des doigts (Chemillier 2007).

Avec leurs cinq cordes, les harpes de ce territoire incarnent parfaitement le système scalaire pentato-nique anhémitopentato-nique caractéristique de la musique de l’Afrique centrale. L’accordage n’est pas fixe, toute-fois, il s’effectue toujours de la corde la plus aiguë à celle la plus grave (Arom 1985). Dans le cas d’un solo, il dépend du clavier de la voix de l’instrumentiste.

Si la harpe est jouée avec un xylophone54, celui-ci détermine l’accordage de l’ensemble (de Dampierre 1991).

Sans aucune rancune à l’égard de la documenta-tion disponible, le témoignage le plus fiable émane des objets eux-mêmes.

Cet exemplaire azande (Fig. 7.31 : MO.0.0.526) présente un long manche surmonté par une tête féminine finement sculptée, à la coiffure

volumi-54.L’organico traditionnel zande par excellence est composé par un xylophone portatif aux dix lames et un duo de harpes accordées entre elles. Le xylophone, à accordage fixe, fait office d’instrument directeur, car il conditionne l’accordage des deux harpes, lesquelles sont accordées l’une sur l’octave aiguë du clavier du xylophone, l’autre sur l’octave grave (de Dampierre 1991).

neuse typiquement zande recueillie à la nuque. Le visage est lisse, ovale, bien défini. Les yeux sont des petites fentes épatées, hachurées par des tirets très fins. La bouche et le nez sont délicatement sculptés.

La couleur du bois du visage est légèrement plus claire que celle de la coiffure. Les chevilles sont fusi-formes et montrent une grande tête polyédrique. La caisse de résonance est violonée et percée par deux larges ouïes. La section d’attache des cordes est de dimensions plutôt réduites par rapport à la longueur entière du cordier, ce qui est un indice de bonne qualité acoustique55. Le dos de la caisse présente une couture multiple, toutefois régulière et symétrique56. Les têtes sculptées mangbetu diffèrent des têtes azande, comme cette petite harpe (Fig.  7.32  :  MO.0.0.2606-2) mangbetu peut bien le démontrer.

Contrairement à la sculpture des harpes azande, toujours sobre mais très variée, les exemplaires mangbetu sont plus exubérants et immédiatement reconnaissables, en raison de la forme typique des crânes, allongée. La tête de cet exemplaire est légère-ment décentrée, les yeux en grains de café, les lèvres charnues et le menton pointu. Le visage est incisé par de petites scarifications latérales, sur les joues, et une longue frontale qui coupe la tête en deux. Les oreilles sont percées, et l’une porte une boucle d’oreille en perles blanches. Les chevilles sont particulières, car sculptées en boutons de fleur. La caisse de résonance est ovale, au cuir clair et percée par deux ouïes très petites. Le long du dos, la couture est unique.

Malgré le nombre important d’exemplaires mangbetu au sein de la collection, cet instrument n’appartient pas proprement à leur univers musical, mais il a plutôt été introduit par d’autres groupes consécutivement à des contacts (Demolin 1992).

Cette grande harpe azande (Fig.  7.33  : MO.1958.30.26) représente un cas particulièrement intéressant, en raison du haut degré de cohérence stylistique entre les différentes composantes de l’ins-trument. La tête du manche, les chevilles et le cuir de

55.Les meilleures harpes ont une section d’attache inférieure au quart du cordier (de Dampierre 1995).

56.Il est extrêmement intéressant d’observer la couture du dos de la caisse, car celle-ci est souvent révélatrice de la bonne ou mauvaise facture d’un instrument. En effet, les meilleurs exemplaires présentent une couture centrale unique et la plus discrète possible (de Dampierre 1995).

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la caisse sont de la même couleur foncée. Le visage de la tête, anguleux et polyédrique – le menton en forme de trapèze, la bouche hexagonale –, rappelle la structure de la caisse de résonance à double losange, également anguleuse. Pour en revenir à la tête, le visage est plutôt stylisé, les yeux sont de simples tirets et les oreilles des demi-cercles percés. Enfin, la coiffure est conique, rayée horizontalement dans la section inférieure et facettée au sommet. Vu le grand diamètre des ouïes dans la caisse, cet exemplaire possédait sans doute une voix plutôt puissante, et, on pourrait le supposer, un timbre sombre.

Les deux instruments suivants, mangbetu (Fig.  7.34  : MO.1955.84.1) et azande (Fig.  7.35.a  : MO.0.0.10845), ont clairement un trait commun, soit la position anormale de la tête sculptée. Il s’agit de cas très rares, car, comme précédemment affirmé, le visage de la tête est normalement dirigé vers le public, tandis que dans ces deux harpes, dans la première il est tourné latéralement à 90° et dans la deuxième il est tourné vers le harpiste (Ill. 7.30).

Même si la littérature met en garde sur le style hybride de ces exemplaires, jugés comme produits

probables d’influences occidentales et donc pas vraiment représentatifs (de Dampierre 1995), rien n’empêche d’apprécier leur caractère unique.

La présence d’une tête sculptée n’est pas du tout un élément obligatoire pour les harpes de l’Uele. Ce bel objet nzakara (Fig. 7.36 : MO.0.0.3634) en est la confirmation. Sa particularité réside dans la forme octogonale du manche, lequel est petit et mince. Par contre, les chevilles sont démesurément longues par rapport aux dimensions du manche et de la caisse de résonance, cette dernière revêtue par de la peau de reptile.

Certains manches mangbetu –  mais jamais azande  – reproduisent un corps entier, comme celui de la harpe de la Fig. 7.37  (MO.0.0.2606-8).

Toutefois, il ne s’agit pas de véritables instruments de musique, étant plutôt des objets d’exportation dont la facture a été influencée par la présence des explo-rateurs européens. La structure du manche ne rend pas du tout aisé le jeu, encore moins l’accordage ou l’encordage. En outre, il n’y a aucune marque d’usure, ce qui confirme la fonction non musicale de l’objet.

Fig. 7.36. Harpe nzakara.

(MO.0.0.3634, collection MRAC Tervuren ; photo J.-M. Vandyck, ,

© MRAC Tervuren.)

Fig. 7.37 : Harpe mangbetu.

(MO.0.0.2606-8, collection MRAC Tervuren ; photo J. Van de Vyver,

© MRAC Tervuren.)

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