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Méthodologie et délimitation des éléments observés : le terme et le style

Chapitre 1 Système juridique, tradition textuelle et traduction

1.4 Méthodologie et délimitation des éléments observés : le terme et le style

Comme notre corpus était constitué de textes spécialisés dont la nature même nous obligeait à puiser aussi bien dans la théorie traductologique d’inspiration sociologique que dans le droit comparé (en ce qui a trait à la terminologie et au style), il n’était pas possible, au fur et à mesure de l’avancement de notre recherche, de fonder notre analyse comparative sur une méthodologie complètement préétablie. Les difficultés particulières à la méthodologie adoptée dans la présente recherche seront expliquées en détail dans le dernier chapitre de notre thèse.

Après avoir délimité le champ d’analyse, à savoir le droit des obligations et des contrats, qui constitue la matière juridique commune aux codes constituant notre corpus, nous avons choisi de remonter aux versions originales, soit aux textes français. Les codes en arabe ayant subi des interventions, parfois officieuses, un retour aux sources était nécessaire. Nous nous sommes fondée, en ce qui concerne le code tunisien, sur la version française officielle de 190645. Pour ce qui est du texte marocain, nous avons retenu la version première de ce code, celle qui a été publiée en 1913, en langue française. Cette version constitue l’unique version officielle jusqu’à nos jours puisqu’elle a été publiée dans le Bulletin officiel. La version arabe arrêtée est celle de 1965, qui, bien qu’elle ne soit pas officielle, a le mérite, selon les avis des praticiens marocains (Gamija et Lahkim Bennani 2009, p. 9)46, d’avoir été publiée dans une revue sérieuse, soit la

Revue de la justice et du droit47.

44 Depuis une dizaine d’années, on constate l’apparition d’une sociologie juridique francophone dont le champ d’investigation

porte sur les circonstances de production, de transfert et de mutation des connaissances juridiques dans une aire géographique en particulier, notamment le monde arabe. En effet, dans cette partie du globe, il est encore possible d’observer non seulement les effets de la réception du droit civil, mais aussi les frictions qui existent entre le droit reçu et le droit existant. Nombre de sociologues juridiques et de juristes comparatistes tentent de saisir la portée et les effets du phénomène de la réception du droit civil dans des pays régis par un autre droit. Cependant, dans le traitement du phénomène de réception d’un droit étranger, la traduction est souvent traitée d’une manière subsidiaire, l’intérêt étant souvent porté aux causes, aux effets et aux modalités de la réception juridique. Il en résulte une certaine forme de marginalisation de la traduction et du traducteur. Un tel constat nous semble étonnant parce que la diffusion du nouveau droit se heurte souvent à l’obstacle de la langue, nécessitant par conséquent un recours à la traduction.

45 Cependant, à des fins de comparaison et de compréhension de la technique rédactionnelle de la codification tunisienne, nous

avons dû consulter les avant-projets du code tunisien (entre 1896 et 1899).

46 Dans la préface à l’édition 2009 du Code des obligations et des contrats marocain.

47 La Revue de la justice et du droit est une revue marocaine mensuelle publiée en arabe par le ministère de la Justice. Cette

L’étude de notre corpus nous a poussée à mettre l’accent sur deux éléments essentiels : le terme et le style. Ces deux aspects sont souvent traités de façon accessoire par les juristes comparatistes et les sociologues juridiques intéressés aux rapports entre le droit civil et le droit musulman. Or, lorsque le législateur décide de traduire en bloc un code ne présentant pas de similitudes avec la réalité juridique du pays récepteur, la traduction risque de se heurter à des difficultés terminologiques majeures, dont l’insuffisance des ressources terminologiques ou même l’inexistence de celles-ci. En traduction générale, plusieurs procédés ont été mis en place pour aider à décrire un texte traduit. Dans leur ouvrage Stylistique comparée du français et de

l’anglais, Vinay et Darbelnet divisent les procédés de traduction en deux catégories : les

procédés de traduction directe (littérale) et les procédés de traduction oblique (non littérale) (Vinay et Darbelnet, 1967, p. 46-55). Les premiers sont utilisés entre les langues qui partagent une certaine similitude de structure, les seconds sont utilisés surtout entre les langues différentes sur le plan structurel et conceptuel. Selon les procédés choisis, la traduction peut être sourcière ou cibliste, c’est-à-dire orientée vers le texte source ou le texte cible. Les procédés sont l’emprunt, le calque, la traduction littérale, la transposition, la modulation, l’équivalence et l’adaptation. Bien que l’ouvrage de Vinay et Darbelnet soit utilisé dans les cours de traduction générale, la réflexion sur les procédés de traduction s’articule généralement autour de la traduction littéraire. En traductologie juridique, c’est-à-dire au sein de la réflexion entourant la traduction des textes juridiques, le nombre de procédés auxquels les auteurs font appel est réduit. Le texte juridique étant par nature soumis à certaines contraintes (respect absolu du sens, interprétation limitée, entre autres), les procédés sont difficilement repérables48 lors du

processus de traduction d’un texte de cette nature. Généralement, c’est la notion d’équivalence qui est souvent invoquée pour traiter les solutions dont dispose le traducteur dans le traitement des problèmes de traduction. Harvey (2002, p. 41) donne une définition très large de l’équivalence : « une traduction possible dont l’acceptabilité est soumise à un certain nombre de variables ». Plusieurs types d’équivalence sont présentés pour traiter les divergences notionnelles partielles ou complètes qui peuvent toucher le terme. On parle par exemple d’équivalence fonctionnelle (équivalente naturelle) (ibid.), d’équivalence formelle,

48 Dans le texte marocain par exemple, la frontière entre le calque et le néologisme est très mince. Ce qui est principalement dû

d’équivalence explicative et de transposition. Harvey (2009, p. 81) traite de l’équivalence culturelle, de l’équivalence linguistique, de la traduction explicative et de la transcription (accompagnée éventuellement d’une glose). Dans les lignes qui suivent, nous allons traiter de l’équivalence fonctionnelle, de l’équivalence formelle, de la traduction explicative, de la transcription et du néologisme. Il s’agit de techniques que le traducteur utilise chaque fois qu’il se trouve devant un casse-tête terminologique. L’équivalence fonctionnelle, que Harvey renomme « équivalence culturelle » dans un article publié en 2009, désigne un concept ou une institution de la langue cible qui remplit une fonction similaire dans la langue de départ (Harvey 2001, p. 42; Sarcevic 1997, p. 236). Il s’agit d’une adaptation interculturelle (Harvey 2001, p. 42). Selon Pigeon : « Le principe même de l’équivalence fonctionnelle signifie que l’on traduit en utilisant un mot qui ne correspond pas rigoureusement au même concept juridique, mais à un concept analogue » (1982). L’intérêt de ce type d’équivalence est qu’elle est « esthétiquement satisfaisante » (ibid.) et place le récepteur sur un terrain familier. Le recours à cette technique se traduit concrètement par l’emploi de termes connus du lecteur qui permettent à ce dernier d’avoir « une compréhension minimale, ou en tout cas l’illusion de compréhension » (Harvey 2000-2001, p. 42) créant ainsi une impression d’authenticité (Harvey 2009, p. 81) chez le lecteur profane. Cette technique, sans danger dans un contexte littéraire, « est à manier avec précaution » (ibid., p.82) en traduction juridique, car elle peut mener à des incongruités (anomalies, ambiguïtés, différences dans le champ sémantique) (Harvey 2000-2001, p. 42) et « corrompre la langue par le calque servile qui ne respecte pas le génie de la structure » (Pigeon 1982). L’exemple classique donné par la majorité des auteurs qui traitent de l’équivalence fonctionnelle est la traduction du terme « hypothèque » par « mortgage » (Sarcevic 1997, Harvey 2001). La charge culturelle de ce type d’équivalence est importante. C’est une technique culturellement apaisante pour la société réceptrice d’un droit étranger. Par contre, étant foncièrement cibliste, elle ne peut échapper à l’accusation d’ethnocentrisme (Harvey 2009, p. 82). Elle peut être aussi un moyen d’affirmation d’identité culturelle49.

49 Harvey traite du cas du Québec. Il affirme que l’équivalence fonctionnelle a permis à un peuple d’affirmer « une certaine

L’équivalence formelle, quant à elle, est une équivalence linguistique qui consiste à traduire mot à mot (Harvey 2002, p. 43). Il s’agit de termes introduits dans la langue cible, mais qui n’existaient pas dans celle-ci. Il en est ainsi de l’exemple « cour constitutionnelle » pour désigner « constitutional council » ou de « cour d’assises » traduit par « assize court » (ibid.). Sourcière, ce type d’équivalence ne manque pas d’insérer des éléments artificiels (ibid.) dans la langue cible. Elle serait aussi plus respectueuse de la culture et de la langue source, dans la mesure où « loin de gommer la différence, elle l’assume et dans certains cas l’accentue » au risque de « sentir la traduction » (Harvey 2009, p. 83). Parce qu’elle peut donner lieu à des faux amis et à des calques (Harvey 2001, p. 44), l’équivalence formelle ne devrait être utilisée que s’il n’existe pas d’équivalent fonctionnel acceptable (Sarcevic 1997, p. 259). Les emprunts fréquents à la terminologie source peuvent donner lieu à un texte que le lecteur du système juridique cible peut trouver étrange. Ceci même dans le cas où ce lecteur possède déjà des connaissances du système notionnel et terminologique déjà existant avant le transfert juridique. La traduction explicative (nommée équivalence descriptive par Dullion 2007, p. 143) consiste à expliquer des particularités culturelles par le recours à des termes génériques. Par exemple, la classification « crime », « délit » et « contravention » sera rendue par « major offence », « serious crime » et « minor offence » (Harvey 2002, p. 46). Comme elle prend souvent les allures d’une périphrase explicative (Ost 2009, p. 63), cette forme d’équivalence présente l’inconvénient de ne pas « trouver une formulation succincte et sans ambiguïté » (ibid.). Cette notion est nommée « expansion lexicale » par Glanert (2011, p.189 et s.) et « vise à faire appel à une pluralité de mots de la langue juridique cible afin de rendre avec la plus grande précision possible un concept de la langue source ». En élargissant le champ sémantique d’un concept juridique étranger, ce procédé présente l’intérêt de faire ressortir sa spécificité. La paraphrase consiste à « reformuler un mot technique de la langue juridique source à l’aide d’un ensemble de mots de la langue courante cible ». Ce procédé consiste à décrire le concept étranger, faute d’en trouver un équivalent précis dans la langue cible.

La transcription consiste à reproduire le terme d’origine et à l’accompagner éventuellement d’une glose ou explication à la première occurrence (Harvey 2009, p. 83). Harvey (2000, p. 45) en donne un exemple : « The Cours d’assises – The courts that try such serious crime as

murder, rape and robbery »50. Dans cette technique, le terme n’est pas traduit, mais il est greffé dans la langue d’arrivée. La glose ou l’explication servent à faciliter la compréhension du terme emprunté. Parfois le traducteur recourt aussi à des notes de bas de page où il explique les différences ou les ressemblances entre un terme de la langue source et celui de la langue cible51. Sur le plan textuel, s’il ne recourt pas à des notes ou à des gloses, le traducteur procède souvent au marquage du terme emprunté dans une volonté d’indiquer son origine étrangère. Ce marquage se traduit par l’emploi de guillemets, de l’italique ou de parenthèses. Ce type d’équivalence peut refléter le rôle actif (Harvey 2009, p. 84) du traducteur. Il peut également refléter un constat de non-équivalence complète ou surtout, une situation de vide terminologique où le traducteur, serré par des contraintes de temps, n’a pas le choix que de transcrire le terme vers la langue cible, en espérant qu’il soit compris au moins par le juriste. Le concept de « transcription » s’apparente dans une certaine mesure à celui d’« emprunt » présenté par Glanert (2011, p. 189 et s.). Pour cette auteure, l’emprunt consiste à insérer un terme de la langue source dans la langue cible. Il s’agit selon Glanert (p. 193) d’un renoncement à la traduction. L’emprunt excessif, en plus d’être un échec de la traduction, risque de rendre la langue cible étrangère à ses propres destinataires.

Le néologisme consiste en la création d’un nouveau terme dans la langue cible. Il prend généralement l’une des quatre formes suivantes : l’attribution d’un nouveau sens à un mot existant de la langue courante, le changement de signification d’un terme de la langue spécialisée, l’importation d’un terme d’un autre système juridique ou la création d’un terme nouveau qui n’a jamais existé dans la langue cible. Le procédé de néologisme pose un problème dans les contextes d’élaboration des versions analysées dans notre travail. Dans la mesure où le droit traduit est importé en bloc, doit-on s’attendre au recours massif, par les traducteurs, à la création terminologique?

La catégorisation d’équivalences n’étant pas absolue, un traducteur peut souvent combiner les types d’équivalences (Sarcevic 1985, p. 131-132, Dullion 2007, p. 143), en fonction de la

50 Harvey traite à ce stade de la doctrine. Une glose n’est jamais de mise, du moins dans le corps de texte, dans un code. Elle

pourrait toutefois l’être si un code est accompagné de commentaires, ce qui n’est pas le cas de notre corpus.

51 Ainsi est la traduction de Perron du droit musulman. Notons que ce type de traduction est le produit d’une exploration

complexité du texte à traduire, d’où la difficulté de reconnaître le procédé suivi dans certaines situations. Dans un corpus comme le nôtre, les frontières sont souvent non seulement difficiles à délimiter entre les procédés de traduction reconnus en traductologie, mais elles poussent à un questionnement sur la nature même de ces procédés. En effet, ayant été établis pour les besoins de langues souvent cousines (anglais et français, entre autres), sont-ils valables lorsqu’on est en présence de deux langues complètement différentes? Par exemple, il est souvent difficile de délimiter les frontières entre le calque et la création terminologique en raison de la maîtrise dont dispose le traducteur de la langue cible. Il est également difficile dans notre contexte d’analyse de séparer un équivalent formel d’un néologisme. Pour revenir à la classification de Vinay et Darbelnet, la transposition (changement de la catégorie grammaticale) se constate dans notre corpus bien plus dans la comparaison entre les textes cibles qu’entre ceux-ci et le texte source. La modulation, quant à elle, est un procédé auquel recourt le traducteur de la version tunisienne bien plus que celui de la version marocaine. Les frontières entre les deux sont difficilement tranchées. Nous traiterons de ces tendances traductionnelles dans le dernier chapitre de ce travail.

En droit comparé, on ne parle pas d’équivalence, notion clé en traductologie, mais plutôt de correspondance. L’aspect traductionnel est traité d’une façon accessoire au sein de la problématique générale de transfert (ou de réception, selon le point de vue où l’on se place) du droit. Toutefois, les juristes comparatistes sont bien conscients qu’un terme appartient simultanément à un système linguistique et à un système juridique (Gambaro 2011, p. 7) et que cette appartenance peut poser des problèmes terminologiques et notionnels importants pour le traducteur. Dans un cas de transfert juridique, le traducteur peut se retrouver devant deux éventualités, notamment la non-existence d’équivalence ou l’existence incomplète d’un terme correspondant (Papachristos 1975, p. 76 et s.). Dans la première éventualité, le traducteur se retrouve dans une situation où la langue cible ne contient pas le terme juridique équivalent pour traduire le terme de la langue source. Dans ce cas, il n’a pas d’autre choix que de « construire

ex nihilo un terme correspondant » (ibid.). Son œuvre est toutefois artificielle dans la mesure où

la valeur sémantique correspondante fait défaut dans la société réceptrice. Il s’agit là de néologismes, une opération par laquelle le traducteur choisit de créer dans la langue cible le terme nécessaire exprimant le sens du terme étranger (Sacco 1991, p. 31). La deuxième

éventualité se présente en des termes différents. En effet, cette fois-ci, le terme correspondant existe bien dans la langue cible, mais « la valeur sémantique de celui-ci est différente » (Papachristos 1975, p. 76). Dans ce cas, la traduction est plus facile, mais incomplète dans la mesure où « la saisie de la signification exacte » (ibid.) du terme fait défaut. Le résultat de la correspondance est ce qu’on peut appeler l’« homologation »52 (Sacco 1991, p. 32). Cette

opération consiste en la « nécessité de réduire la catégorie, utilisée dans le système étudié, à des éléments ayant leurs correspondants dans le système qui s’exprime dans la langue de la traduction » (ibid.). Une troisième éventualité, évoquée par Sacco (1991, p. 31) existe. Le traducteur se trouve devant une situation où il est obligé de ne pas traduire (intraduisibilité). C’est le cas des termes très sociologiquement marqués comme charî’a, kolkhoze, executor, entre autres (ibid.). En effet, « un système emploie parfois des termes et des notions qui n’ont pas d’équivalents dans un autre pays et ne correspondent à aucun concept connu des juristes de ce pays ni à aucune terminologie existant dans leur langue » (Gambaro, 2011, p. 7). Cette intraduisibilité peut même être la source d’une prise de position du traducteur comparatiste qui refusera de traduire (Ost 2009, p. 63). Ce qui lui donne un pouvoir décisionnel assez important. Au-delà des questions terminologiques, la traduction d’un code civiliste pose un problème supplémentaire : la traduction du style53. Si le traitement terminologique est théoriquement

possible grâce à des instruments bien établis (procédés de la traduction) dans l’espace traductologique, le traitement du style se pose en des termes différents. Présentant des traits qui lui sont propres (formulations figées, généralisation), le style civiliste semble être un concept qui n’a pas de définition encore arrêtée ni de caractéristiques bien claires. Dans un espace où l’on donne souvent la préférence au fond par rapport à la forme, cette situation ne relève pas de l’anormal. Lors de la célébration du centenaire du Code civil du Bas-Canada, René David

52 Le concept d’homologation a un équivalent traductologique, plus spécifiquement en terrain sociologique. Il s’agit du concept

d’homologie auquel Gouanvic (2007, p. 69) fait appel « pour dégager les déterminations productrices » de la relation de transformation qui s’opère durant une entreprise de traduction. Concept bourdieusien, l’homologie « peut être décrite comme une ressemblance dans la différence. Parler d’homologie entre le champ politique et le champ littéraire, c’est affirmer l’existence de traits structurellement équivalents – ce qui ne veut pas dire identiques – dans des ensembles différents ». Pour cet auteur, « la traduction serait éthiquement une construction d’homologies fondées sur la signifiance concomitante des textes source et cible » (ibid., p. 46-47).

53 Comme il « existe non pas un seul, mais une pluralité de styles juridiques » (Cornu 2007, p. 61), nous portons notre intention,

dans la présente recherche, uniquement sur le style législatif, c’est-à-dire le style de la loi civiliste. Nous faisant ainsi une distinction entre le style législatif et ce qui est généralement appelé le style juridique.

affirmait qu’« un code civil, c’est un style » (Baudouin 2005, p. 624)54. Paul-André Crépeau

définit le style comme « une certaine manière de concevoir, d’exprimer, d’appliquer la règle de droit et qui transcende les politiques législatives mouvantes selon les époques de l’histoire d’un peuple » (1978, p. xxix; cité dans Auger 2003, p. 50). Dans son questionnement sur le style civiliste, Auger (2003, p. 5055) affirme qu’un esprit juridique serait bien tenté de préférer le fond

à la forme. Pourtant, ajoute-t-il, « il suffit de quelques secondes de réflexion pour constater que ce qui caractérise le droit civil, si caractère il y a, ne peut pas être dans le message que véhicule la règle » (ibid.). Étroitement lié à la « démarche de l’esprit juridique » (Cornu 2007, p. 61) et différent de la langue courante, le style civiliste serait donc une manière précise de formuler un énoncé juridique dans le respect d’une certaine esthétique, une façon même de concevoir la règle de droit (Auger 2003, p. 57). Dans un article datant de 1972, Taber opère une distinction entre ce qu’il nomme la structure profonde ou sémantique et la structure superficielle ou formelle dont le style fait partie (Taber 1972, p. 57). Il affirme que le style est l’ensemble des choix qu’un auteur exerce entre les différents moyens formels (choix de structures, de tournures et de termes) possibles pour représenter une structure sémantique (ibid., p. 56). Si les auteurs s’entendent sur le fait que le style civiliste a des « caractères distinctifs » (Auger 2003, p. 51) et qu’il constitue « la marque principale du droit civil » (Cornu 2004, p. 1017), il reste à trouver la manière dont on peut identifier ces caractères. Autrement dit, comment peut-on observer et ensuite décrire le