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Mécanismes de croissance du pont et énergies d’activation associées

Etude expérimentale du stade initial du

1. Frittage des microsphères de CeO

1.3. Mécanismes de croissance du pont et énergies d’activation associées

Au cours de la première étape du frittage, la vitesse d’élaboration du pont entre les grains est généralement représentée par un paramètre adimensionnel (λ), qui permet notamment de comparer les modifications morphologiques qui interviennent sur des systèmes constitués de grains de tailles différentes. Ce paramètre appelé avancement relatif du frittage est défini comme le rapport entre le rayon du pont (x) et le rayon moyen des grains (r) pour des grains de tailles légèrement différentes : λ = x / r [13,16]. Lors de cette étude, le rayon du pont (x) et le rayon moyen des grains (r = (r1 + r2) / 2) ont été obtenus par traitement des images enregistrées

lors des observations in situ réalisées à différentes températures. A titre d’exemple, l’évolution du paramètre x/r au cours du traitement thermique de microsphères poly- ou monocristallines de CeO2 à 1100 °C sont présentées à la Figure 73.

Comme attendu, l’avancement du frittage semble être principalement piloté par la variation de la taille du pont pour les deux systèmes étudiés. En effet, le rayon moyen des grains ne varie que très peu au cours du traitement thermique, cette variation étant similaire pour les grains polycristallins et monocristallins. Seule la taille du pont va donc influencer l’avancement du

frittage. Quelles que soient les conditions expérimentales utilisées, le degré d’avancement du frittage apparait ainsi systématiquement plus élevé pour les grains polycristallins que pour les grains monocristallins. Ces résultats sont en bon accord avec ceux précédemment rapportés par Slamovich et Lange [14] pour le frittage des microsphères de ZrO2. Pour les grains

polycristallins, l’observation de l’évolution microstructurale des microsphères a montré que, du fait de la croissance des cristallites contenues dans chaque grain, les cristallites présentes dans la région du pont sont incapables de maintenir le système dans une configuration d’équilibre. Par conséquent, le système composé de grains polycristallins n’atteint quasiment jamais un état stable (ou d’équilibre). La cristallinité des poudres s’avère donc être un paramètre déterminant qui peut influencer le comportement des matériaux à une échelle microscopique [2,8] comme macroscopique [15], et il doit donc être pris en compte lors de l’étude du frittage des matériaux céramiques.

Figure 73 : Evolution de l’avancement du frittage (λ = x/r) durant le traitement thermique de deux grains polycristallins () et monocristallins () de CeO2 à 1100 °C. L’ajustement mathématique

de ces courbes a été réalisé à l’aide d’une loi exponentielle pour les grains polycristallins et en utilisant la loi de croissance des ponts pour les grains monocristallins.

Afin de déterminer des données cinétiques relatives aux modifications morphologiques observées lors de ces expériences, en particulier l’énergie d’activation, l’évolution de l’avancement du frittage (λ) déterminée pour les différentes températures étudiées (1050 °C – 1225 °C) a été exploitée. Pour cela, différents modèles analytiques permettant de réaliser l’ajustement mathématique de ces courbes et de déterminer des constantes cinétiques ont été utilisés. Pour les grains monocristallins, utilisés pour la simulation numérique de la première étape du frittage, une loi permettant de décrire les cinétiques d’avancement du frittage est disponible dans la littérature. La loi la plus couramment utilisée pour décrire le premier stade du frittage, appelée loi de croissance du pont (13), a été développée dans les années 1950 et a été utilisée pour réaliser l’ajustement mathématique de ces différentes courbes [13,17,18].

λ& = Xx

rY

&

= k. tr' (13)

Avec λ = x/r le paramètre d’avancement du frittage, k la constante de vitesse, t la durée du traitement thermique, n et m des exposants caractéristiques du mécanisme de diffusion

prépondérant au cours du frittage (principalement la diffusion en surface, en volume ou aux joints de grains) (Chapitre I).

Lors de cette étude, la loi cinétique de croissance du pont (1) a été pour la première fois utilisée à l’échelle microscopique pour déterminer la cinétique d’élaboration du pont entre les grains. Lors de l’utilisation de cette loi, l’ajustement mathématique des courbes représentant la variation de x/r en fonction du temps a conduit à la détermination des valeurs des constantes apparentes k’ = (k/rm)1/n, de n et de m. Ceci a permis de remonter aux valeurs des constantes

cinétiques k à chaque température par simple calcul mathématique (Tableau 7).

Tableau 7 : Valeurs des constantes de vitesse obtenues durant le frittage de grains monocristallins en utilisant la loi de croissance des ponts (~€ = z.{) et pour les grains polycristallins en utilisant une loi

exponentielle (~ = ƒq. uvw(z{) + ~q).

Température (°C)

Grains monocristallins Grains polycristallins k' = (k/rm)1/n k ln(k) k' = 1/k k ln(k) 1050 0,170 ± 0,002 2×10 4 ± 3×102 10,0 ± 0.1 -63 ± 4 0,016 ± 0,001 -4,1 ± 0,3 1100 0,220 ± 0,007 2×10 5 ± 5×103 12,0 ± 0,4 -28 ± 2 0,035 ± 0,002 -3,3 ± 0,2 1150 0,290 ± 0,005 6×10 5 ± 1×104 13,3 ± 0,2 - - - 1200 0,360 ± 0,007 3×10 6 ± 6×104 14,9 ± 0,3 -14 ± 2 0,070 ± 0,008 -2,6 ± 0,3 1225 - - - -7 ± 1 0,15 ±0,02 -1,8 ± 0,2

Les valeurs de k déterminées à chacune des températures de traitement thermique ont ensuite été rapportées dans un diagramme d’Arrhenius de manière à déterminer les valeurs d’énergies d’activation correspondant aux mécanismes mis en jeu lors du stade initial du frittage de CeO2.

Pour les microsphères monocristallines, l’énergie d’activation déterminée en utilisant la loi de croissance du pont est d’environ 516 ± 27 kJ.mol-1(Figure 74-a). Cette valeur est comparable à

celles rapportées dans la littérature pour le frittage d’un compact de CeO2, pour lequel la

densification et la croissance granulaire au cours du frittage se font essentiellement par diffusion de matière. Toutefois, la valeur déterminée dans ce cas est clairement située dans la limite haute des énergies d’activation rapportées par différents auteurs pour le frittage de CeO2 et

déterminées dans diverses conditions expérimentales [19,20]. Par exemple, de Florio et al. [21]

ont déterminé une valeur d’énergie d’activation d’environ 325 kJ.mol-1 lors du frittage de CeO2

tandis que Chen et al. [22] atteignent environ 580 kJ.mol-1 pour le même oxyde. Cette disparité pourrait s’expliquer par l’influence de différents paramètres tels que le rapport O/Ce ou l’atmosphère de traitement thermique.

Figure 74 : Diagrammes d’Arrhenius établis à partir des données issues du frittage des microsphères de CeO2 entre 1050 °C et 1225 °C. (a) grains monocristallins () et (b) grains polycristallins ().

Pour les grains polycristallins, les données expérimentales ont été déterminées en utilisant une loi exponentielle simple pour l’ajustement mathématique des courbes (Figure 73-a). En effet, la loi cinétique de croissance du pont (1) utilisée précédemment a été développée en se basant sur l’hypothèse de l’utilisation de grains monocristallins lors du frittage [4]. De ce fait, cette loi ne peut pas être appliquée aux systèmes polycristallins. Pour ces derniers, il n’existe actuellement dans la littérature aucun modèle permettant de décrire les cinétiques de frittage. Par conséquent, une loi exponentielle, correspondant à une cinétique de premier ordre (14), a été utilisée pour la détermination des données cinétiques relatives au frittage de ces systèmes. Comme précédemment, les valeurs de k déterminées à partir de cette loi sont présentées dans le Tableau 7.

λ = a". exp(kt) + λ" (14)

Avec λ = x/r le paramètre d’avancement du frittage, λ0 l’avancement du frittage à t = 0, k la

constante de vitesse, t la durée du traitement thermique et a0 le facteur pré-exponentiel.

Une énergie d’activation de 186 ± 31 kJ.mol-1 a été déterminée en traçant le diagramme

d’Arrhenius à partir des valeurs de constantes de vitesses déterminées dans le cas des grains polycristallins (Figure 74-b). Cette valeur est largement inférieure à celle déterminée lors du frittage de grains monocristallins, indiquant ainsi que les mécanismes entrainant l’élaboration du pont, ou de manière plus générale les modifications morphologiques observées, sont probablement différents pour les deux systèmes étudiés. Une fois encore, ces résultats mettent en évidence l’influence de la polycristallinité des grains sur l’évolution des échantillons frittés. Par ailleurs, l’énergie d’activation obtenue est également beaucoup plus faible que les valeurs généralement rapportées dans la littérature pour le frittage de compacts de CeO2. L’élaboration

du pont entre les grains polycristallins ne se fait pas par un mécanisme de diffusion pur mais plus probablement par la combinaison de différents mécanismes qui interviennent simultanément. Au début du traitement thermique, plusieurs cristallites de tailles nanométriques sont présentes dans la région de contact entre les deux microsphères : à ce stade, la formation initiale du pont entre les grains se fait probablement par simple réorientation des plans cristallins

microsphères. Ce mécanisme de réorientation des plans cristallins, également connu sous le nom d’ « Oriented Attachment » (OA) [23,24], conduit à la formation d’un pont constitué de plusieurs cristallites dans la région de contact entre les microsphères. Dans le cas des nanoparticules de CeO2, il est associé à des valeurs d’énergies d’activation comprise entre 52 ±

4 kJ.mol-1[25] et de 95 ± 15 kJ.mol-1[1].

Lors de l’étude réalisée avec une microsphère de CeO2 isolée, le mécanisme d’ « Oriented

Attachment » a été identifié comme un des mécanismes pilotant la croissance des cristallites au sein de la microsphère. Lors de cette précédente étude, il a été démontré que ce mécanisme, associé à une énergie d’activation d’environ 95 ± 15 kJ.mol-1, intervient au début du traitement thermique lorsque les cristallites ont un degré de liberté élevé au sein de la microsphère. Dans le cas des systèmes à deux grains, l’OA est donc également prépondérant au début du traitement thermique, lorsque les microsphères sont peu denses et que la mobilité des cristallites est possible.

Après la formation initiale du pont, les grains polycristallins sont encore constitués de plusieurs cristallites. En effet, le mécanisme de réarrangement mécanique conduit seulement à une croissance modérée des cristallites qui conservent globalement une taille nanométrique, même si cette croissance est également accompagnée par la densification progressive des microsphères. Cette densification entraine ainsi une diminution du degré de liberté des cristallites du fait de l’élimination de la porosité présente au sein des microsphères, ce qui diminue fortement leur capacité à se réorienter dans une même direction. En effet, le mécanisme d’OA ne peut intervenir que lorsque les cristallites sont de tailles nanométriques et qu’elles ont un degré de liberté important au sein du grain. Lorsque les cristallites font quelques nanomètres et que les microsphères sont plus denses, la croissance n’est plus entrainée par un réarrangement mécanique, mais plus probablement contrôlée par un mécanisme de diffusion. La croissance du pont s’opère alors par diffusion de matière d’une cristallite à une autre dans la région du pont, en favorisant l’élimination des petites cristallites au profit des plus grosses, comme lors de la croissance des grains au sein d’un compact.

En effet, comme indiqué précédemment, l’énergie d’activation rapportée dans la littérature pour un mécanisme de diffusion lors du frittage de CeO2 est comprise entre 300 kJ.mol-1[21,26] et

600 kJ.mol-1[22,27]. Celle déterminée lors du frittage de deux microsphères polycristallines (186 ± 31 kJ.mol-1) étant comprise entre les valeurs rapportées pour l’ « Oriented Attachment » et la

diffusion de matière, ces deux mécanismes interviennent probablement de manière simultanée lors du traitement thermique des microsphères. Une combinaison similaire de mécanismes a été précédemment mise en évidence lors de l’étude de l’évolution microstructurale d’une microsphère isolée de CeO2 et ThO2 [1], caractérisée par la croissance des cristallites contenues

au sein des microsphères isolées (Chapitre IV). Lors de cette étude [1], l’utilisation d’une loi en double exponentielle (λ = λ0 – a01.exp(k1.t) – a02.exp(k2.t)) avait permis de différentier ces deux

mécanismes, en déterminant une énergie d’activation associée à chacun d’eux. Dans le cas présent, l’utilisation d’une loi similaire n’a pas permis d’ajuster précisément les courbes d’avancement du frittage (x/r) et ainsi de différencier de manière plus précise ces deux mécanismes. Par conséquent, ces mécanismes interviennent certainement de manière plus complexe lors du frittage de deux microsphères : il est en effet possible que le réarrangement

mécanique intervienne dans une partie de l’échantillon où les cristallites sont encore nanométriques tandis que la diffusion intervient simultanément dans une autre zone de l’échantillon composée de cristallites de taille plus importante.

Pour les grains monocristallins, une valeur d’énergie d’activation significativement plus élevée a été déterminée (516 ± 27 kJ.mol-1). Dans ce cas, le mécanisme d’ « Oriented Attachment » (OA) ne peut pas intervenir. L’élaboration puis la croissance du pont entre les grains s’opèrent essentiellement par diffusion de matière entre les deux microsphères. La différence entre les énergies d’activation déterminées pour les grains polycristallins et les monocristallins, respectivement voisines de 200 kJ.mol-1 et 500 kJ.mol-1, permet d’expliquer, au moins partiellement, les différences entre les valeurs rapportées dans la littérature. La cristallinité des poudres de départ, ainsi que leur microstructure (taille des cristallites, porosité, etc..), influence donc de manière significative les valeurs d’énergie d’activation déterminées par ces différents auteurs.