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Chapitre I : Etat de l’art

3. Etude expérimentale du stade initial du frittage

3.2. Application à l’étude du stade initial du frittage

Lors de la mise en contact et du frittage de deux particules, plusieurs mécanismes simultanés ou consécutifs ont été mis en évidence expérimentalement par différents auteurs, qui dans certains cas ont pu déterminer les grandeurs cinétiques associées. Au cours de ces études, les différentes techniques expérimentales détaillées précédemment ont été mises en œuvre et

certaines des lois cinétiques décrivant le frittage utilisées.

La tomographie à rayons X a été notamment mise en œuvre pour l’observation de l’élaboration des ponts entre les grains, en utilisant des systèmes plus complexes que ceux généralement modélisés. Cette étape est en effet suivie en enregistrant des images au cours des premières minutes du traitement thermique d’un compact cru [107]. C’est dans cette configuration que différents auteurs ont pu suivre l’élaboration des ponts entre les grains au sein du volume d’un compact [108,109]. Nothe et al. [100] et Grupp et al. [110], par exemple, ont utilisé la microtomographie (µCT) à rayons X pour démontrer et comprendre l’influence de la rotation des particules sur la densification d’un compact. Pour cela, ces auteurs ont utilisé une poudre constituée de sphères de cuivre d’environ 100 µm (placées dans un creuset en alumine de 2,5 mm de diamètre) et ont réalisé des traitements thermiques entre 600°C et 1100°C. Les positions

des particules et leur nombre de coordination ont ensuite été déterminés. L’ensemble des

informations collectées a permis de mettre en évidence la rotation des particules ainsi que la formation et la rupture de contacts durant le frittage. Les auteurs de cette étude ont montré que la rotation des particules se fait dans les régions de faible densité locale où ces particules vont avoir un plus grand degré de liberté [111].

Des informations supplémentaires pouvant être utilisées afin d’améliorer les descriptions théoriques du frittage ont donc pu être obtenues à partir de ces expériences [112]. Cependant, le suivi du stade initial du frittage dans un compact reste éloigné des systèmes modèles qui décrivent simplement l’évolution de deux grains en contact, donc sans apport extérieur de

matière. Pour cela, d’autres techniques d’imagerie permettant de suivre l’évolution d’échantillons de tailles submicrométriques ont été utilisées pour observer la formation d’un pont entre deux microsphères en contact [113].

La microscopie optique a été la première technique d’imagerie mise en œuvre pour réaliser l’étude expérimentale du stade initial du frittage, en utilisant deux microsphères en contact. Elle a donc permis de réaliser les premières observations in situ de la formation du pont entre deux grains sphériques et d’obtenir par traitement d’images des résultats quantitatifs permettant d’expliquer les phénomènes observés [114]. Kuroiwa, lors d’une étude réalisée avec deux billes de glace d’environ 100 µm de diamètre a observé l’élaboration du pont et déterminé à partir des données obtenues par traitement d’images la cinétique de croissance du pont et l’énergie

d’activation associée (Ea =125 kJ.mol-1) pour des températures inférieures à 0 °C. En utilisant

ensuite la loi de croissance du pont (x/r) ≈ t1/n, il a également identifié la diffusion en volume

comme mécanisme de diffusion prépondérant lors du frittage de ces sphères [115,116] (Figure 17).

Figure 17 : (A) Observation par microscopie optique de la formation d’un pont entre deux sphères de glace à T= – 5°C pendant (a) : t=0 min, (b) : t=33 min, (c) : t=64 min. (B) Détermination par la loi de croissance

du pont (x/r) ≈ t1/n d’une valeur de n ≈ 4 représentative de la diffusion en volume [115].

Cependant, la microscopie optique, du fait de sa profondeur de champ limitée et des faibles grandissements accessibles, rend certaines expériences (avec des grains de taille inférieure au µm) complexes, voire impossibles [113]. Aussi, d’autres techniques de microscopie telles que les microscopies électroniques à balayage et en transmission ont été utilisées pour réaliser des

études similaires.

Les premières observations du stade initial du frittage par microscopie électronique à balayage ont été réalisées de manière ex situ en observant la formation des ponts entre des grains à la surface d’un compact [117,118]. Le développement, dès les années 70, de platines chauffantes porte-échantillons associées aux microscopes a ensuite permis de réaliser des observations in

situ du frittage [119,120].

Par exemple, Hermann et al. [72] ont pu vérifier lors d’expériences menées ex situ par MEB, la validité des modèles de joints de grains, en suivant le comportement de billes monocristallines de cuivre frittées sur une plaque monocristalline de cuivre. Des sphères de cuivre d’environ 100

µm de diamètre ont été dispersées sur un support en cuivre de 3 mm d’épaisseur avant que l’ensemble ne soit traité thermiquement à 1060°C pour des durées allant de 2 à 2000 heures. La formation d’un pont entre les sphères de cuivre et le support a pu être observée. En couplant ces observations à de la diffraction des rayons X, ils ont pu confirmer que la formation des joints de grains est basée sur le réarrangement périodique d’unités structurales. La minimisation de l’énergie interfaciale se fait suite à la réorientation des sphères par rapport au support selon certaines directions préférentielles [72,121].

La méthode de préparation des échantillons consistant à disperser des grains à la surface d’un support a également été utilisée lors de l’étude du frittage menée par Slamovich et Lange [73]. En effet, la dispersion de grains sur un support qui évolue peu en température assure à la fois

l’obtention de différents arrangements de grains et une moindre réactivité entre le support et les

grains dispersés à sa surface [122]. Slamovich etLange [73] ont également utilisé le MEB ex situ pour observer l’évolution morphologique de sphères de ZrO2 d’environ 1,7 µm de diamètre

dispersées à la surface d’un mince support en saphir poli. Cette étude a permis de mettre en évidence l’influence de certains paramètres, tels que la cristallinité des grains, sur l’avancement du frittage [73,123]. Pour cela, l’évolution entre 1200°C et 1400°C de deux systèmes de cristallinité différente a été suivie ex situ par MEB (Figure 18) :

¾ Un premier système constitué de grains monocristallins, représentatif des systèmes utilisés lors de la modélisation du premier stade du frittage.

¾ Un second système constitué de grains polycristallins, représentatif de l’état cristallin des grains généralement utilisés lors de l’élaboration de matériaux céramiques.

Figure 18 : Observation MEB de l’évolution de sphères d’oxyde de zirconium polycristallines et monocristallines d’environ 1,7 µm après un traitement thermique à 1400°C réalisé ex situ pendant

(A,B) : t=0,3 h, (C,D) : t= 4h, (E,F) : t=12 h [73].

Il ressort de ces observations que l’évolution du système constitué de grains polycristallins est plus rapide que celle du système constitué de grains monocristallins, dans les mêmes conditions

de traitement thermique. En effet, après environ 5h à 1400°C, la taille du pont entre les grains monocristallins atteint une valeur d’équilibre tandis que celle mesurée entre les grains polycristallins continue à croitre de manière significative. L’interprétation de ces résultats a montré que la valeur d’équilibre est atteinte lorsque l’énergie nécessaire à la croissance du pont devient supérieure à celle nécessaire à la diminution de l’énergie du système. La croissance du pont entre des grains monocristallins demande donc plus d’énergie qu’entre des grains polycristallins, car l’élaboration du pont se fait par formation de plusieurs contacts entre cristallites pour les grains polycristallins [73].

Les auteurs expliquent cette différence par le fait que le frittage entre deux particules en contact s’arrête lorsque l’énergie libre du système, combinant la diminution de la surface et

l’augmentation de la taille du pont, est minimisée. Les grains monocristallins en contact

atteignent donc un état d’équilibre métastable, caractérisé par une faible énergie libre, et ceci de manière plus rapide que ce qui est observé avec des grains polycristallins. En effet, lors du frittage des grains polycristallins, cet équilibre métastable qui coïncide avec l’achèvement de la croissance du pont entre les grains n’est pas atteint [73,123,124].

La microscopie électronique en transmission a également été utilisée pour réaliser des observations in situ et ex situ de cette étape du frittage, en utilisant pour cela des systèmes similaires à ceux généralement modélisés [125,126,127]. Cette technique a permis, entre autres, de visualiser directement le comportement des cristallites (domaines cohérents de quelques nanomètres) au cours d’un traitement thermique, et ainsi d’apporter de nouveaux outils de compréhension des phénomènes observés durant le frittage.

Rankin et Sheldon [126] ont, par exemple, réalisé une étude in situ par MET du frittage de deux nanoparticules. En s’assurant que la paire de billes étudiées n’était pas fortement contrainte par la grille de support MET, ils ont pu obtenir des données expérimentales par exploitation des images enregistrées durant l’expérience. Cette étude a permis d’observer la rotation des nanoparticules au cours du frittage et de démontrer que le moteur de cette rotation peut être la minimisation de l’énergie associée au contact entre les deux particules. Cette minimisation d’énergie conduit à une réorientation des nanoparticules qui vont s’aligner selon certaines orientations cristallographiques préférentielles. Ce mécanisme a également été observé lors du frittage de deux nanosphères monocristallines d’argent d’environ 40 nm à 400 °C [127] (Figure 19).

Figure 19 : Observation in situ par MET de la formation du pont entre deux grains en contact lors du frittage de nanosphères d’Ag d’environ 40nm à T = 400°C [127].

En plus des informations qualitatives sur l’évolution globale de l’échantillon, ces observations ont permis de déterminer des données quantitatives relatives à l’évolution des systèmes étudiés, en utilisant des outils de traitement d’images. Dans le cadre de cette étude, l’évolution des rayons des grains par détection des contours de chaque grain et l’évolution de la taille du pont au niveau de l’intersection formée par les contours des grains ont pu être déterminées en utilisant Matlab et Digital Micrograph (Figure 20) [127].

Figure 20 : Détermination de paramètres d’intérêt lors du frittage de deux nanoparticules d’Ag in situ par MET à 400°C avec Matlab et Digital Micrograph : (a) rayon du grain, (b) taille du pont [127].

De plus, la rotation des domaines cohérents (ou cristallites) les uns par rapport aux autres induit la formation très rapide d’un pont entre deux nanoparticules qui sont alors parfaitement orientées [128,129](Figure 21).

Figure 21 : Schéma de la croissance des particules au cours d’un traitement thermique par réorientation des plans cristallins (OA) [128].

Ce mécanisme, baptisé «Oriented Attachement» (OA), diffère de celui de diffusion qui se fait par déplacement de matière (atomes) vers le joint de grains au cours du traitement thermique. Il intervient généralement lorsque la taille des monocristaux est de l’ordre de quelques nanomètres et a été observé lors de diverses études menées à partir de nanoparticules. De plus,

c’est un mécanisme faiblement énergétique, qui peut intervenir à de basses températures de

traitement thermique (parfois inférieures à 500°C) [126,127]. Par exemple, Scardi et al. [130] ont déterminé que lors du frittage de nanoparticules de CeO2, l’énergie d’activation nécessaire à ce

L’évolution du matériau lors du premier stade du frittage est décrite par des équations relativement simples qui permettent de relier les grandeurs physiques aux mécanismes mis en jeu [4,16]. Sur la base des différents mécanismes proposés, de nombreux modèles numériques ont été développés pour décrire l’évolution de la morphologie du matériau, en considérant parmi les données d’entrée des paramètres tels que la taille des grains, température, mécanisme de diffusion … [25,42]. Toutefois, lors du développement de ces modèles, des hypothèses sur la géométrie des grains, l’état de cristallinité ou le nombre d’atomes décrivant le système ont dû être réalisées. Aussi, les résultats obtenus ne permettent pas toujours de déterminer des grandeurs physiques décrivant directement le comportement d’un matériau donné.

Des études expérimentales ont donc été menées, en utilisant différentes techniques d’imagerie parfois couplées à d’autres outils d’analyses, afin de visualiser et de comprendre les modifications qui interviennent au cours de la première étape du frittage [73,127]. Parmi ces techniques, la microscopie électronique à balayage et la microscopie électronique en transmission, grâce à leur pouvoir séparateur, ont permis d’étudier à différentes échelles (micrométrique et nanométrique) l’évolution de systèmes similaires à ceux modélisés (deux sphères en contact). Cependant, dans la majorité des cas, ces études ont été réalisées à partir de particules monocristallines différentes de celles généralement utilisées lors de l’élaboration des matériaux céramiques. Il n’existe donc, à l’heure actuelle, pas d’études expérimentales qui mettent en œuvre ces méthodes d’analyse pour une observation directe de cette étape du frittage à partir de grains d’oxydes de lanthanides ou d’actinides, notamment

du fait de leur température de frittage élevée et de la difficulté que représente le contrôle de

la morphologie de ces oxydes [130,131]. Ces éléments étant largement utilisés dans le domaine industriel, la maitrise et la compréhension de leur comportement au cours des différentes étapes du frittage est cependant nécessaire [132,133]. Il apparait donc essentiel de développer, des procédures expérimentales permettant de visualiser et de quantifier les modifications morphologiques qui interviennent durant le stade initial du frittage de ces oxydes.

Dans le cadre de cette thèse, les microscopies électroniques seront donc utilisées à la fois comme outils de caractérisation et d’investigation pour le suivi in situ et ex situ du frittage d’oxydes de lanthanide et d’actinide. Dans un premier temps, des objets de morphologie sphérique seront synthétisés et caractérisés afin d’étudier des systèmes similaires à ceux

modélisés. Puis, le suivi des modifications morphologiques des échantillons au cours du

frittage sera réalisé par MEBE-HT. Enfin, les grandeurs caractéristiques de la première étape du frittage de ces matériaux seront déterminées par traitement d’images. Cette démarche expérimentale permettra ainsi de déterminer des grandeurs physiques caractéristiques du premier stade du frittage des matériaux étudiés (CeO2, ThO2 et UO2) et de comprendre les

Références

1 D. Bernache-Assolant and J.P. Bonnet, Frittage : aspect physico-chimiques – Partie 1 : frittage en phase solide, Techniques de l’ingénieur, AF 6 620,1–19 (2005).