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I. 5 2 Une hypothèse abandonnée : la réflexion 53

II.3. Lukács 90

Abstraction faite du cas de Mannheim, on notera que les trois textes fondateurs, l'Exposé de Lucerne, la lettre à Adorno écrite pour servir de

gegen die Fetischisierung beider, ihre Dogmatisierung zur zeitlosen Geltung und zur absoluten Wahrheit, richtet sich die materialistische Kritik, und zwar deshalb, weil diese Dogmatisierung gegen die ratio verstößt und falsches Denken ist."

197 Mannheim, Wissenssoziologie, op. cit. p. 454.

guide dans ce labyrinthe, et l'Exposé de Paris, version remaniée et abrégée du premier après des discussions visiblement fructueuses avec Adorno et Benjamin, portent plus que l'œuvre ultérieure la trace des sources. La référence à Lukács notamment y est explicite. En effet, dans le troisième texte évoqué, Sohn-Rethel se situe brièvement mais clairement par rapport à ce dernier. Il est d'accord avec Lukács, dit-il, pour faire le lien entre fétichisme et logique de la connaissance, mais il reproche à l'auteur de

Histoire et conscience de classe, de s'en tenir à une assimilation de la pensée

et de la fausse conscience. Une idée force de Sohn-Rethel est en effet comme on l'a vu la reconnaissance du contenu de vérité de la théorie, soutenue aussi par l'hypothèse que l'interrogation de l'homme sur lui-même, induite par la théorie, est aussi et nécessairement un instrument de son émancipation. Mais plus encore que les quelques mises au point de l'auteur lui-même, c'est la lecture de Histoire et conscience de classe qui donne une idée de l'influence de Lukács sur notre auteur.

Sohn-Rethel semble n'avoir pas eu de rapports personnels avec Lukács. Leurs chemins se seront brièvement croisés, puisque Lukács a quitté Heidelberg fin 1917 pour retourner à Budapest, Sohn-Rethel de son côté débutant ses études la même année. Cependant, tout comme pour Mannheim, on retrouve les mêmes jalons sur leur itinéraire, Sohn-Rethel comme Lukács ayant de surcroît séjourné temporairement à Berlin. Le bref texte autobiographique de Lukács, Mein Weg zu Marx199, donne un aperçu intéressant de certains points de rencontre et de divergences. Lukács, tout comme Sohn-Rethel, a lu Marx alors qu'il était encore lycéen, et a étudié tout particulièrement le premier livre du Capital. Il relève trois points qui l'ont convaincu sans réserve : la théorie de la survaleur200, l'idée de l'histoire comme histoire de luttes de classe, et l'existence même des classes. Aussi reconnut-il d'abord en Marx le sociologue et l'économiste. La théorie de la connaissance matérialiste en revanche lui paraissait alors "totalement

199 Lukács, Georg, "Mein Weg zu Marx", 1933, in Schriften zur Ideologie und Politik,

Neuwied, Luchterhand, 1967.

200 Nous traduisons ainsi la notion marxienne de "Mehrwert", nous conformant à la

traduction du Livre 1 du Capital sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre parue aux Editions Sociales en 1983 et rééditée aux PUF en 1993 qui nous sert ici d'édition de référence. Dans son introduction, J.-P. Lefebvre s'explique de ce néologisme en mettant notamment en avant le sens comptable de "plus-value" en français, là où Marx avait conscience de forger un concept nouveau s'articulant autour d'une "double série conceptuelle [...] autour de Mehrwert": Marx, Karl, Le Capital, Livre 1, Paris, PUF, 1993, p. XLIV, XLIII-XLVI.

dépassée".201 Contrairement à un Sohn-Rethel qui se considérait en rupture de classe depuis l'adolescence (rappelant à l'occasion que ses divergences avec sa famille lui valurent d'être mis à la porte) et qui en outre n'a jamais revendiqué une véritable influence néokantienne, Lukács évoque ses années d'apprentissage en disant :

La doctrine néokantienne de l'"immanence de la conscience" correspondait parfaitement à la situation et à l'idéologie de classe qui étaient les miennes à l'époque.202

Et ce n'est pas la version de Marburg à laquelle il souscrivait, mais celle de l'école rhénane, avec Windelband et Rickert, Simmel et Dilthey. Il souligne l'importance de la Philosophie de l'argent et celle des travaux sur le protestantisme de Weber, qu'il considérait alors comme des "modèles" (meine Vorbilder, p. 324). Après la période de ses travaux consacrés principalement à l'esthétique et plus précisément à la littérature, on pourrait parler à bon droit d'un "retour à Marx", induit entre autres par la réflexion sur la guerre d'une part et une relecture de Hegel (et de Feuerbach) d'autre part. A cela, il faut ajouter Erwin Szabos et Rosa Luxemburg, et l'on obtient l'"effervescence idéologique"203 dans laquelle il se trouvait à l'avènement des révolutions de 1917 et de 1918. Suivit une imbrication du travail théorique et de la participation active au "mouvement ouvrier révolutionnaire", où celle-là fut sans cesse soumise à la confrontation avec celle-ci. Il caractérise cette phase par ces mots :

Cependant, cette lutte pour saisir véritablement et totalement la dialectique marxiste dura très longtemps.204

Le terme Ringen fait écho à l'une des premières phrases de ce texte, où l'approche biographique est justifiée en ces termes:

L'esquisse biographique de la relation à Marx, de la lutte intellectuelle avec le marxisme donne donc [...] une image qui présente un certain intérêt général en tant que contribution à

201 Lukács, "Mein Weg zu Marx", op. cit. p 323 : "völlig überwunden", mais non pas

"überholt", c'est-à-dire sans aucune nuance péjorative.

202 Ibid. p. 323-324 : "Die neukantische Lehre von der «Immanenz des Bewußtseins» paßte

ausgezeichnet zu meiner damaligen Klassenlage und Weltanschauung."

203 Ibid. p. 327 : " ideologischen Gärung"; Sohn-Rethel parle de "Permanenzzustand

gärender Wirrnis" dans Warenform und Denkform, op. cit., cf note 5 de la partie IV.

204 Ibid. p. 327 : "Dieses Ringen um die wirkliche und totale Erfassung der marxistischen

l'histoire sociale des intellectuels durant la période impérialiste [...].205

Le même terme revient encore à la page suivante pour caractériser le travail effectué dans ce que Lukács présente comme la troisième étape de sa relation à Marx, après de longues années d'activité au sein du mouvement ouvrier, et la lecture de Lénine. Cette troisième étape se caractérise à la fois par une compréhension plus profonde et plus juste du matérialisme dialectique et par la conviction que celle-ci n'est jamais définitive parce que :

Le matérialisme dialectique, la doctrine de Marx, exige qu'on se le réapproprie, par un travail sans cesse renouvelé, jour après jour, heure après heure, au contact de la praxis.206

A cette notion d'effort s'ajoute donc celle de mouvement incessant, et le terme de Ringen, très fort, qui suggère véritablement le corps à corps, se retrouve également sous la plume de Mannheim et décrit une attitude intellectuelle autant qu'un état d'esprit. Les résultats acquis sont arrachés de haute lutte.

Lukács, dans sa brève description de son rapport autobiographique à Marx, aboutit à la nécessité d'une imbrication permanente de la praxis et du travail théorique, ce en quoi il est très loin de Sohn-Rethel pour qui l'engagement aux côtés du prolétariat ne semble pas avoir été une nécessité vitale et concrète. Le marxisme de Sohn-Rethel est avant tout un effort spéculatif qui doit fournir, quasiment a priori, les conditions de possibilité de toute action future. Par ailleurs, l'influence que Lukács exerça sur lui passe par une œuvre de ce dernier dont on sait que son auteur lui-même la renia, un reniement sur lequel il n'allait jamais revenir, sinon pour le revendiquer encore207.

Histoire et conscience de classe eut, lors de sa parution en 1923, un

retentissement important et Sohn-Rethel n'est pas le seul à lui devoir des

205 Ibid. p. 323 : "Die biographische Skizze der Beziehung zu Marx, des geistigen Ringens

mit dem Marxismus ergibt also [...] ein Bild, das als Beitrag zur sozialen Geschichte der Intellektuellen in der imperialistischen Periode ein gewisses Allgemeininteresse hat."

206 Ibid. p. 328 : "Der dialektische Materialismus , die Lehre von Marx, muß täglich,

stündlich neu an der Hand der Praxis erarbeitet, angeeignet werden." C'est Lukács qui

souligne.

207 Cf. la préface de 1967 à Geschichte und Klassenbewußtsein, Neuwied und Berlin,

impulsions intellectuellement décisives. L'ouvrage, un recueil de textes écrits en diverses occasions, fut soumis à de vives critiques de la part des marxistes dogmatiques et des socialistes et exerça une profonde influence sur le marxisme critique occidental.208 Lucien Goldmann en parle comme d'un "événement capital dans l'évolution de la pensée marxiste".209 Herbert Schnädelbach le range parmi les trois ouvrages qui ont déterminé la pensée philosophique du XXème siècle, aux côtés du Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein (paru deux ans auparavant) et de Sein und Zeit de Heidegger (paru trois ans plus tard)210. Pour ce qui est des répercussions dans l'entourage immédiat de Sohn-Rethel, on notera que Karl Mannheim et Alfred Weber ont assuré conjointement un séminaire sur Histoire et

conscience de classe en février 1929.211 Lukács lui-même met son ouvrage en rapport avec les travaux de Korsch et de Gramsci parus au même moment, tournant autour de la même problématique, "celle de la nécessité historique".212

Mais ce n'est pas précisément ce thème qui est au centre de l'intérêt de Sohn-Rethel, lequel enchaîne sur les questions de la marchandise et de la réification. Sachant que cet ensemble de textes représente l'aboutissement de toute une période, il est clair qu'on y retrouve les influences évoquées des penseurs qui ont également nourri Sohn-Rethel et avec lesquels Lukács entre, du moins partiellement, en dialogue. Ainsi, Michael Grauer, dans une communication au colloque parisien de 1985 sur Lukács et Bloch, intitulée "La conquête de la vie, regards sur le monde désenchanté", attire l'attention sur tout ce que Histoire et conscience de classe doit à Max Weber, désignant ce texte comme "le reflet le plus net" de la rencontre entre Weber et Lukács. Il y voit une prolongation marxiste du thème de désenchantement élaboré par Weber. Et Lukács s'inscrit bien explicitement dans la lignée des "historiens lucides du capitalisme moderne"213, Simmel et Weber, dont il

208 Cf. Reijen, Willem van; Schmidd Noerr, Gunzelin, (ed.) Grand Hotel Abgrund Eine

Photobiographie der Frankfurter Schule , Hamburg, Junius Verlag, 1988, p. 143.

209 Goldmann, Lucien, Lukács et Heidegger, Paris, Denoël, Gonthier, 1973. 210 Schnädelbach, op. cit. p. 13.

211 On trouve des notes prises par un étudiant de Mannheim, Heinrich Taut, Berlin, dans

Georg Lukács, Karl Mannheim und der Sonntagskreis, op. cit., p. 298-303.

212 "Lukács on his life and work", New left review, N°68, juillet-août 1971, p. 51, cité par

Kiadó, Corvina, György Lukács, Sa vie en images et en documents, Budapest, Eva Fekete et Eva Karádi, 1980, p. 130.

213 Réification et Utopie, Ernst Bloch et György Lukács, Un siècle après, Actes du Colloque,

était familier. Dans la préface mentionnée de 1967, il rappelle d'ailleurs combien son travail doit aux problématiques de l'époque.

Pour ce qui est de Sohn-Rethel, on pourrait reconstituer son dialogue avec Lukács quasiment ligne à ligne, essentiellement dans les chapitres intitulés "Qu'est-ce que le marxisme orthodoxe" et bien sûr "La réification et la conscience du prolétariat". Nous nous contenterons ici de relever certains points particulièrement marquants, à commencer par la question des sciences de la nature.

Si le néokantisme demeurait sous l'emprise de l'épistémologie kantienne, et si d'autres, on l'a vu avec Mannheim, tentaient encore d'émanciper la philosophie de l'empire méthodologique des sciences de la nature, s'opposant aux positivismes marxistes et scientistes, Lukács en revanche confronte matérialisme dialectique et méthode scientifique. Il maintient certes leur séparation radicale, mettant en garde contre l'erreur de Engels qui voulut appliquer le premier à la nature, une attitude qu'il allait du reste qualifier par la suite d'erreur grave, regrettant justement d'avoir évacué la nature et réduit le marxisme à une sociologie.214 Cependant, il montre que les caractéristiques des sciences naturelles, calcul et rationalité, correspondent à l'esssence même du capitalisme. Rappelant que les sciences "réduisent" (reduzieren) les phénomènes au quantitatif et au calculable, il précise que

cela fait partie de l'essence du capitalisme que de produire les phénomènes sur ce mode.215

Marx nous donne un exemple du pouvoir d'abstraction du capital dans son analyse du travail, mais, poursuit-il, le

caractère fétichiste des formes économiques, la réification de toutes les relations humaines, l'extension croissante d'une division du travail décomposant le procès de production sur le mode rationnel abstrait, sans se soucier des possibilités et aptitudes humaines des producteurs directs, etc. transforment les phénomènes de la société et en même temps leur aperception.216

214 Cf. préface de 1967 à Geschichte und Klassenbewußtsein, op. cit. p. 18-19.

215 Geschichte und Klassenbewußtsein, op. cit. p.176 : "daß es zum Wesen des Kapitalismus

gehört, die Erscheinungen in dieser Weise zu produzieren." C'est moi qui souligne.

216 Ibid. p. 177 : "Der fetischistische Charakter der Wirtschaftsformen, die Verdinglichung

A cette dissolution induite par le capitalisme, Lukács oppose la fonction totalisatrice de la dialectique.

Cette analyse, qui n'est pas sans rapport avec la pensée de Max Weber, montre combien la rationalité scientifique et la rationalité bourgeoise coïncident. Cette rationalité, au service de l'idéologie bourgeoise, modèle la société capitaliste, son apparente universalité servant à faire croire à l'universalité du capitalisme lui-même217. Sohn-Rethel ne voudra pas, quant à lui, se contenter de décrire les coïncidences, à travers la recherche des origines, il prétendra au contraire mettre en évidence des liens de nécessité structurelle.

La réponse à Lukács de Sohn-Rethel s'organise autour des deux premières parties du chapitre "La réification et la conscience du prolétariat", autour de la forme-marchandise et des antinomies de la philosophie bourgeoise. L'un comme l'autre, à la suite de Marx, font de la marchandise une catégorie centrale de la société capitaliste. Mais alors que Lukács suivra Marx dans l'identification du travail au cœur de la forme marchandise, Sohn-Rethel déplacera le problème vers l'échange. Cependant, ils poursuivent tous deux un objectif similaire : comprendre le caractère fétiche de la marchandise doit servir de clé pour la résolution des problèmes de l'idéologie capitaliste et, au-delà, permettre d'abolir le système même. Dans un premier temps, Lukács veut voir jusqu'où la marchandise imprègne la société, traquer cette forme et ses fétichismes dans tous les recoins du système, c'est-à-dire montrer :

dans quelle mesure les échanges marchands constituent la forme dominante du métabolisme [de la] société.218

Aussi creuse-t-il véritablement la marchandise et son rôle dans la société bourgeoise. Son analyse de la réification, de l'emprise de l'objet sur le social, est un tour d'horizon de cette société bourgeoise où sont relevées les empreintes caractéristiques de la marchandise puisque :

Produktionsprozeß abstrakt-rationell zerlegenden, um die menschlichen Möglichkeiten und Fähigkeiten der unmittelbaren Produzenten unbekümmerten Arbeitsteilung usw. verwandeln die Phänomene der Gesellschaft und zugleich mit ihnen ihre Aperzeption."

217 Ibid. p. 182.

218 Ibid. p. 258 : "wieweit der Warenverkehr die herrschende Form des Stoffwechsels [der]

Elle [la relation marchande; F.W.] impose sa structure à toute la conscience de l'homme.219

Celle-ci réduit tout aux objets et aux rapports de possession et Lukács en veut pour exemple la définition du mariage proposée par Kant.220 La description de la rationalité qui s'empare de tous les domaines de l'existence, car domination de la marchandise signifie règne de l'objet, du calcul, de la légalité, de l'abstraction, rejoint les thèmes réthéliens et comme chez lui, trouve sa limite et son révélateur dans la crise, où resurgit la contingence. On songe à Sohn-Rethel en lisant sous la plume de Lukács que "le destin de tous les membres de la société est mû par des lois unitaires"221, à son concept de Zwangszusammenhang, autant qu'à sa quête de l'unité dans l'exposé de Lucerne. On pourrait accumuler les parallèles, les concepts communs, les divergences plus ou moins décisives, (Lukács voit dans le taylorisme le comble de l'aliénation par la division du travail, alors que Sohn-Rethel a eu un temps l'idée de fonder des espoirs dans cette évolution, Sohn-Rethel interprète la marchandise avant tout dans l'optique de l'échange comme un facteur d'unité, alors que Lukács en relève aussi la force d'atomisation de la société). L'essentiel cependant est dans cette analyse conjointe de la réification des rapports sociaux et d'une rationalité inséparable des sciences de la nature et singulièrement des mathématiques. A partir de là, Lukács s'interroge également sur les "formes de la pensée" bourgeoises – définies comme "les formes dans lesquelles [la classe bourgeoise] est obligée de penser le monde conformément à son être

219 Ibid. p. 275 : "Sie [die Warenbeziehung ] drückt dem ganzen Bewußtsein des Menschen

ihre Struktur auf."

220 Ibid. p. 276, Lukács citant Kant : "La communauté sexuelle est l'usage réciproque que

fait un être humain des organes sexuels et des biens d'un autre [...] le mariage [...] l'union de deux personnes de sexe différent pour la possession réciproque et à vie de leurs caractéristiques sexuelles" (Geschlechtsgemeinschaft ist der wechselseitige Gebrauch, den ein Mensch von eines anderen Geschlechtsorganen und Vermögen macht [...] die Ehe [...] die Verbindung zweier Personen verschiedenen Geschlechts zum lebenswierigen wechselseitigen Besitz ihrer Geschlechtseigenschaften." Metaphysik der Sitten, 1. Teil, § 24). Lukács parle de la "franchise naïve et cynique des grands penseurs" ("mit der naiv- zynischen Offenheit großer Denker") pour qualifier cette définition qui illustre en effet parfaitement sa thèse de l'imprégnation de la société bourgeoise par la rationalité et la forme-marchandise par celui qui apparaît bien ici comme le penseur du capitalisme. cf.

Geistige und körperliche Arbeit, 1973, p.31.

221 Ibid. p. 266 : "das Schicksal aller Glieder der Gesellschaft von einheitlichen Gesetzen

social"222 – et sur leur éloignement de leur substrat matériel. La philosophie peut-elle assumer une fonction de synthèse ? C'est la question qui lui suggère le programme suivant :

Ceci ne serait possible que si la philosophie, par un questionnement orienté de façon radicalement différente, en étant tournée vers la totalité concrète matérielle de ce qui est connaissable, de ce qui est à connaître, faisait tomber les barrières de ce formalisme égaré dans l'isolement. Pour cela, il faudrait percer à jour les fondements, la genèse et la nécessité de ce formalisme.223

Pour Lukács, cela n'est pas réalisable pour un sujet situé dans la société bourgeoise. C'est néanmoins bien ce défi-là que relève Sohn-Rethel, sans esquiver le problème du lieu théorique, au point qu'on a l'impression d'être en présence de la formulation même de son projet.

Lukács suit l'évolution de cette pensée bourgeoise, sa ligne directrice étant constituée par les antinomies qu'elle s'efforce vainement de résoudre. Il débute bien évidemment par la Grèce, s'attardant à sa parenté avec la philosophie bourgeoise - elle connaît la réification – et à ce qui l'en distingue - cette réification n'a pas encore envahi tout le tissu social –. Partant de la théorie de la connaissance kantienne, il s'interroge sur la pertinence de la méthode mathématique et sur son succès. Son objectif est de montrer comment les problèmes que se pose la philosophie touchent l'être que pourtant elle évacue. Il s'arrête à l'étape décisive qu'est le Moyen Age, précise que la rationalité ici déterminante est celle qui a la prétention d'être catégorie universelle. Il retrace les difficultés de la philosophie à surmonter le problème du système, montre comment elle bute sur l'antinomie de la forme et du contenu et explique par là la fascination du modèle