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Le cas de l’ancien bassin industriel franco‐luxembourgeois  et de la haute vallée de l’Alzette

III. Les  conséquences  sur  les  territoires  industrialo‐urbains :  le  cas  de  la  haute vallée de l’Alzette

III.2.  De lourds impacts économiques et humains

Les impacts économiques, sociaux, démographiques et financiers de la crise industrielle constituent une somme de conséquences qui s’entre-alimentent en accentuant la spirale du déclin des territoires industrialo-urbains. Ces impacts sont très marqués du côté français et beaucoup plus discrets du côté luxembourgeois, qui constitue une exception parmi les bassins industriels traditionnels.

      

1 à l’exception de petites installations industrielles telles que les ateliers de la SOVIMAT (atelier de mécanique de précision installé durant quelques années dans les anciens locaux des ateliers centraux de Micheville).

III.2.1. Des conséquences sociales 

En corollaire à l’effondrement du secteur industriel, il y a tout d’abord les conséquences sociales. Globalement, suite à la crise des bassins industriels traditionnels européens, ces derniers ont enregistré un taux de chômage dépassant nettement les moyennes nationales et européennes (Leboutte, 1997, p. 528). Dès la deuxième moitié des années 1970, les chiffres sont éloquents, à l’image des emplois industriels perdus en Lorraine entre les années 1950 et 2007.

Du côté français de la haute vallée de l’Alzette, les milliers d’emplois autrefois occupés dans la sidérurgie disparaissent avec la fermeture totale des usines. À Villerupt, le taux de chômage passe de 3 % en 1975 à 12,6 % en 1982, ce qui représente une variation (+ 9,6 points) plus importante que celle de la Meurthe-et-Moselle (+ 6,6), de la Lorraine (+ 6,6) et de la France (+ 4,9). Cette forte hausse du taux de chômage n’illustre pas seulement les fermetures d’usines, mais également le problème de la formation des ouvriers, peu qualifiés pour se reconvertir dans d’autres secteurs d’activités, notamment tertiaires. Encore faut-il noter que ce taux aurait été plus élevé sans la forte augmentation des emplois féminins.

Par contre, grâce aux restructurations de son secteur sidérurgique, le versant luxembourgeois a préservé une partie de ses emplois ; ainsi, le nombre d’ouvriers occupés à l’usine de Belval franchit la barre des 7 000 en 1973 puis chute à 6 000 dès l’année suivante, avant de diminuer plus progressivement, à un rythme moyen de 150 ouvriers par an jusqu’en 2008 où il atteint 936 ouvriers1. Il faut par ailleurs préciser que la modernisation et l’automatisation des installations ont également joué un rôle sur la diminution du nombre des ouvriers.

III.2.2. Un déclin démographique 

Les circonstances économiques et sociales ont eu deux conséquences démographiques : une diminution et un vieillissement2 de la population, du fait du départ massif de la population active, ce qui transparaît au regard du solde migratoire des communes (fig. 22 p. 263). Cette situation n’est pas surprenante au vu de l’écrasante majorité d’emplois autrefois occupés dans le secteur industriel et de la formation par et pour les usines (centres d’apprentissage) de la grande majorité des “jeunes”. Le constat d’une proportion de population jeune largement inférieure à la moyenne européenne est récurrent dans les bassins industriels en crise. En       

1 D’après Knebeler, Scuto, 2010, p. 395.

Lorraine, c’est non seulement le cas dans la haute vallée de l’Alzette, mais aussi dans la vallée de l’Orne, les arrondissements de Briey, de Thionville-Ouest, la ville de Longwy…

Figure 13 : Évolution par commune et cumulée des populations de Rédange, Russange, Thil,  Audun le‐Tiche et Villerupt entre 1968 et 1999 (Del Biondo d’après INSEE.fr)  

Entre 1968 et 1999, les cinq communes du versant français de la haute vallée de l’Alzette  perdent 8 592 habitants, soit 31,6 % de la population totale ; Thil voit sa population diminuer de  43 %  (redevenant  un  village  à  partir  du  recensement  de  1982),  Villerupt  de  34,6 %,  Audun‐le‐ Tiche de 25,3 %, Rédange de 23 % et Russange de 8,1 %. 

D’un point de vue démographique, la différence avec le versant luxembourgeois est très nette, mais elle ne s’explique pas uniquement par le maintien d’une activité sidérurgique ; il faut y ajouter, entre autres, la tertiarisation réussie de l’économie luxembourgeoise et la petite superficie du pays.

 

Figure 14 : Évolution des populations  communales du versant luxembourgeois 

(Del Biondo d’après les chiffres du Statec  et de la mairie de Sanem) 

Suite à la crise industrielle, la population eschoise enregistre une baisse de 1974 à 1987, passant de 28 061 à 24 419 habitants1 (-13 %), avant de reprendre un rythme de croissance continu et de repasser au-dessus des 28 000 habitants en 2003. Les populations de Schifflange et de Belvaux/Soleuvre restent plus ou moins constantes (Belvaux/Soleuvre ne perdent que 4,8 % de leur population entre 1975 à 1988 et Schifflange gagne même quelques centaines d’habitants). Ce constat illustre tout à la fois l’exception luxembourgeoise face à la crise sidérurgique, mais aussi la place capitale qu’occupait l’industrie à Esch-sur-Alzette, donnant lieu malgré tout à une période de déclin démographique assez nette pour cette commune.

III.2.3.  La  dégradation  du  tissu  économique  et  la  fin  du  paternalisme  industriel 

Les territoires industrialo-urbains, et tout particulièrement les villes-usines, étaient en situation de mono-industrie. Mines et usines fournissaient de très nombreux emplois directs et indirects puisqu’elles faisaient aussi travailler des sous-traitants. Les fermetures ont donc eu des conséquences dévastatrices pour l’ensemble du tissu économique, sachant qu’elles se sont également révélées dans le démembrement du tissu commercial, de services, d’équipements de santé, culturels, sportifs, ludiques… qui était souvent mis à disposition par les sociétés industrielles et dont pouvaient bénéficier les habitants. Si l’on prend l’exemple de Villerupt, dès lors que les usines étaient définitivement fermées, c’est la municipalité qui est devenue le premier employeur de la commune.

      

Par ailleurs, le déclin démographique des communes s’ajoute à cette perte de vitalité économique et explique aussi les nombreuses fermetures de toute une gamme de commerces et de services publics ou privés, allant des écoles aux coopératives en passant par les cinémas, les cafés1, etc.

Avec la crise, qui prend toute son ampleur au milieu des années 1970, le système paternaliste prend fin, ce qui atteint gravement le tissu économique, commercial, artisanal et de services. Dans le meilleur des cas, commerces et services sont cédés à la municipalité, à des associations2 ou à des intérêts privés. Il faut toutefois préciser que, dès les années 1960, ce sont les communes qui relaient déjà de plus en plus le paternalisme des sociétés industrielles mais elles doivent faire face ensuite à des difficultés financières liées à la crise.

 

III.2.4. Les difficultés financières des communes 

Les communes industrialo-urbaines bénéficiaient de revenus importants du fait de la présence des activités minières et sidérurgiques. Par conséquent, l’effondrement de leur système productif a provoqué une chute des recettes communales. Mais si les anciens territoires industrialo-urbains correspondent très souvent à des communes démunies, ce n’est pas uniquement du fait de la diminution des recettes de la taxe professionnelle.

Lors de leur fermeture, les grandes entreprises cèdent généralement les équipements sportifs et de loisirs aux communes et se désengagent des activités “sociales”. Ainsi les communes voient leur patrimoine bâti s’agrandir et doivent désormais assurer l’entretien de ces équipements, ainsi que celui de la voirie et des cités ouvrières, dont certaines sont parfois très vétustes. C’est par exemple le cas de Villerupt, dont les recettes communales ont d’abord été lourdement amputées à partir de la fermeture de l’usine d’Aubrives, sachant que dans le même temps, la ville a dû prendre en charge plusieurs équipements et services auparavant fournis par les sociétés industrielles.

Pour certaines communes minières, il faut également gérer les risques d’effondrements miniers (évoqués plus loin), ce qui peut conduire à l’abandon de cités, voire à la fermeture de rues entières, impliquant des problèmes et des coûts de relogement, de remise en état de la voirie, de diminution de la superficie constructible… Tous ces éléments représentent des

      

1

Il y avait plus de 50 cafés à Villerupt dès avant la Première Guerre mondiale.

2 Par exemple, la clinique des Peupliers à Villerupt est reprise par l’association hospitalière du bassin de Longwy lors de la fermeture des hauts-fourneaux et de l’aciérie de Micheville.

dépenses de fonctionnement supplémentaires qui surviennent au moment où leurs recettes communales diminuent.

Enfin, des communes ont également vu diminuer leur Dotation Globale de Fonctionnement (DGF), subvention attribuée à toutes les communes1 par l’État et en partie déterminée par le nombre d’habitants.

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