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Le cas de l’ancien bassin industriel franco‐luxembourgeois  et de la haute vallée de l’Alzette

III. La mise en place d’un tissu industrialo‐urbain

 

III. La mise en place d’un tissu industrialo‐urbain 

Nous focaliserons principalement sur le nord du bassin lorrain (bassin de Briey - Longwy) et son prolongement luxembourgeois.

Par ailleurs, il convient de préciser que seront considérées dans notre propos les villes-usines comme étant, côté français, des communes initialement rurales ayant dépassé 2 000 habitants2 au moins une fois au cours du XIXème siècle ou de la première moitié du XXème siècle du fait de l’installation d’une ou plusieurs mines et/ou usines ; sera préféré pour les communes luxembourgeoises le seuil de 1 500 habitants, fixé en 1843 pour désigner les villes du Grand-Duché.

    III.1. Des forges rurales … aux territoires industrialo‐urbains 

Alors que les vieilles forges rurales du XVIIème siècle comme celles de Lasauvage au Luxembourg ou du Dorlon en Lorraine disparaissent dans la deuxième moitié du XIXème siècle, les premiers secteurs d’industrie lourde émergent dans les bassins d’Esch-sur-Alzette – Differdange, de Longwy – Villerupt et de Nancy.

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« Derrière l'État et la Ville de Luxembourg, ArcelorMittal reste le premier employeur privé » (Le Quotidien, article du 28 juin 2012).

2 En dépit de leurs défauts et de leur insuffisance, nous nous contenterons de ces critères de base pour définir la ville : 2 000 habitants agglomérés au chef-lieu.

Figure 7 : Évolution démographique de communes sidérurgiques et/ou minières  au Luxembourg et en Lorraine 

Le bassin ferrifère accueille dans un premier temps plusieurs sites miniers, de Neuves-Maisons aux portes de Nancy à Differdange au Luxembourg en passant par Bouligny en

Meuse. Avec la fermeture du site d’extraction d’Aumetz en 1881, les minières de fer fort cessent définitivement leur activité au profit des concessions de minerai oolithique. Les premières véritables installations urbaines liées à l’exploitation du minerai sédimentaire (minette) datent des années 1840 et se généraliseront dans un contexte de développement rapide d’une production qui placera la Lorraine en tête des régions productrices de minerai de fer en France dès 1869. Le schéma est comparable pour la plupart des nouvelles cités minières, qui n’étaient que de modestes villages jusqu’à l’implantation d’une ou plusieurs mines. Ainsi la forte croissance de la population de Tucquegnieux (fig. 7), qui passe de 396 habitants en 1901 à 1 124 en 19061, coïncide très nettement avec les premiers travaux de fonçage des puits effectués entre 1900 et 1910.

Souvent les sites miniers étaient directement associés aux usines métallurgiques. Par exemple, Hayange ou Moyeuvre-Grande ont toutes deux bénéficié d’importantes concessions minières, mais se sont aussi affirmées par leurs usines de transformation du minerai2 et cumulaient donc les deux activités. Ce type de configuration se retrouve de part et d’autre de la frontière, à Longwy, Villerupt, Differdange, Esch-sur-Alzette… et a donné lieu à la constitution de nombreuses villes-usines et villes industrielles comme Longwy3.

Dans l’urbanisme des villes-usines se lit l’influence directe des maîtres de forges sur l’aménagement et l’équipement urbain réalisés dès le dernier tiers du XIXème siècle. Pour accueillir les centaines d’ouvriers qu’ils employaient, les maîtres de forges ont dû faire face au déficit d’infrastructures collectives dans les communes où ils ont installé leur(s) usine(s). La question du logement était certes leur première préoccupation, mais ils ne se contentaient pas d’acheter des parcelles pour les revendre à des prix avantageux à leurs ouvriers ; ils finançaient écoles, hôpitaux, loisirs, église, etc. et tout cela dans des temps courts afin de satisfaire des croissances démographiques souvent spectaculaires par leur rapidité.

    III.2. La configuration générale de part et d’autre de la frontière 

Dans le Pays-Haut lorrain, plusieurs villages, qu’ils aient accueilli ou non des forges proto-industrielles, deviennent des villages-usines puis des villes-usines. La plupart du temps les usines s’installent en fond de vallée, dans des sites souvent étriqués, et ont peu à peu

1 Chiffres disponibles sur le site cassini.ehess.fr

2 Les maîtres de forges de la dynastie de Wendel – présente depuis 1704 en Lorraine – ont eu ici un rôle très influent sur les implantations industrielles.

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car bien que sa croissance urbaine à l’époque des premières révolutions industrielles s’explique quasiment totalement par la présence de l’industrie sidérurgique et minière, cette ancienne ville militaire (fortifiée par Vauban) accueillait déjà 2 328 habitants en 1793.

donné lieu à une suite ininterrompue d’usines et de cités ouvrières dans les vallées de la Chiers, de la Moulaine, de la Fensch, de l’Orne … À chaque fois une famille ou une société a marqué l’histoire industrielle et urbaine des communes, comme la Société des Petit-Fils de

François de Wendel à Joeuf, où elle structura le développement de la ville en faisant

construire différents quartiers de cités ouvrières à partir de 1882, date de création de son usine, puis tout au long de la première moitié du XXème siècle. Autre exemple : l’urbanisation du village de Giraumont (à l’est de Jarny), qui s’organisait en parcelles irrégulières avec un habitat jointif au début du XIXème siècle, s’est poursuivie lors de son industrialisation par des formes urbaines très régulières typiques des cités ouvrières. De manière générale, les logements familiaux étaient dans un premier temps réalisés en bande, puis groupés par quatre ou par deux, avec la plupart du temps un jardin potager.

Côté luxembourgeois, les futures cités minières et sidérurgiques comptaient généralement plusieurs centaines d’habitants au début du XIXème siècle puis se sont, elles-aussi, profondément industrialisées et urbanisées notamment après 1870 : les usines d’Esch-Schifflange, Esch-Terre-Rouge, Rodange et Rumelange ont toutes été créées entre 1870 et 1872 alors que les aciéries de Dudelange, Differdange et Esch-Belval datent respectivement de 1884, 1896 et 1909. Chaque nouvelle implantation industrielle incitait les maîtres de forges et les directeurs de mines à lancer de vastes programmes immobiliers pour loger sur place leurs ouvriers. « La Révolution industrielle a poussé la ville hors de ses murs » écrit Christophe Sohn (2006, p. 2). Rumelange est ainsi passée de 834 habitants en 1871 à 5 296 en 1910, Pétange, de 1 290 habitants en 1871 à 5 964 en 1910, le schéma pouvant se calquer à l’ensemble des communes ayant accueilli des mines et/ou des usines. Cette explosion urbaine aura permis à certaines communes d’être promues au rang de ville : Esch-sur-Alzette en 1906 puis Differdange, Dudelange et Rumelange1 en 1907. C’est essentiellement dans la dépression orthoclinale de la cuesta du Dogger, au pied du talus et dans la plaine, que se sont considérablement développés les anciens villages devenus cités industrielles, alors que le revers a conservé un caractère majoritairement rural et très forestier, comme en témoigne la figure 4. Si la “région Sud”, initialement rurale, constitue aujourd’hui une vaste agglomération polycentrique, c’est donc très majoritairement le fait de son histoire industrielle.

Document 1 : Évolution de la mise en valeur territoriale de la commune de Differdange  Carte réalisée par Robert Wealer afin d’expliquer l’impact paysager de l’industrie dans des 

espaces traditionnellement ruraux (2010, p. 346).   

Cette présentation cartographique à presque 50 ans d’écart (1907/1954) de la commune  de  Differdange  illustre  parfaitement  son  caractère  rural  avant  que  l’industrie  sidérurgique  ne  bouleverse  complètement  à  la  fois  son  organisation  et  ses  paysages  urbains.  Dans  un  premier  temps  le  talus  de  côte  et  les  versants  de  vallée  puis  la  plaine  et  une  partie  du  plateau  sont  marqués  par  l’empreinte  des  usines  et  des  zones  d’extraction  minière,  lesquelles  s’accompagnent  d’un  espace  bâti  de  cités  minières  et  ouvrières.  « L’évolution  du  nombre  de  constructions  annuelles  durant  la  phase  d’industrialisation  a  suivi  une  courbe  à  croissance  exponentielle. Cette croissance extraordinaire incoordonnée avait évidemment un impact majeur  sur le paysage à l’intérieur de la localité. » commente R. Wealer (2010, p. 363), qui ajoute que le  bâti s’est retrouvé bloqué à l’est par l’usine sidérurgique et à l’ouest par la barrière naturelle du  relief de côte et s’est donc densifié, donnant lieu à un « enchevêtrement inextricable » du tissu  urbain.   

Le constat est le même des deux côtés de la frontière : l’essor de l’industrie sidérurgique a donné naissance à des espaces bâtis agglomérés de telle sorte qu’ils forment souvent une conurbation où « les anciens centres villageois ne se retrouvent que difficilement » (Wealer,

2010, p. 61). Les villes industrielles et les villes-usines1 qui résultent de cette industrialisation massive et rapide se composent de plusieurs générations de cités ouvrières, sans toutefois délaisser commerces et services. Leur accroissement démographique et leur urbanisation se sont globalement poursuivis, en dehors des deux guerres mondiales, jusqu’à l’apogée des systèmes de production lorrain et luxembourgeois dans les années 1960/70.

Les extensions urbaines ont gardé leur allure géométrique mais ont formé un habitat pavillonnaire desserré apparu dès l’entre-deux-guerres mais largement développé à partir des années 1950 et installé sur les bordures du plateau, tranchant avec le paysage des cités ouvrières en fond de vallée ou accrochées à leurs versants. Principalement du côté lorrain, le développement urbain, limité par les voies ferrées, les mines, les usines et par la topographie (reliefs de côte ou versants des vallées encaissées), s’est ainsi la plupart du temps déporté sur le plateau. Après le rail au XIXème siècle, les nouveaux transports, avec l’automobile en tête, stimulent le développement des périphéries et l’échelle spatiale des villes s’élargit à nouveau2.

Conclusion du III. 

Au final, les installations lourdes de l’industrie sidérurgique et le tissu urbain qu’elles ont engendré se sont essentiellement concentrés le long de la Côte du Dogger au Luxembourg et dans les vallées encaissées qui découpent le Pays-Haut, avec en premier lieu celles de l’Orne, de la Fensch et de la Chiers, sans oublier la vallée de la Moselle, mais le plateau lui-même était ponctué de « kystes industriels somme toute assez réduits en superficie, et

largement enveloppés de campagnes » (Humbert, 1996, p. 46) formés par les cités minières

qui accompagnaient les carreaux de mine comme à Tucquegnieux ou à Aumetz.

Esch-sur-Alzette, Differdange, Dudelange, Ottange, Gorcy, Longwy-Bas, Herserange, Mont-Saint-Martin, Réhon, Villerupt, etc. sont autant de toponymes que l’on associe inévitablement à l’industrie sidérurgique et minière et même si tous ne se résument pas à cette seule histoire urbano-industrielle, cette dernière aura “marqué au fer” la configuration de leur territoire.

Les processus de construction des territoires industrialo-urbains s’achèveront à l’apogée de la sidérurgie, dans les années 1960, avec de nouvelles formes urbaines, des corrections, des

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Simon Edelblutte (2009, p. 143) précise que « la charnière des XIXème et XXème siècles est [...] la plus propice au développement des villes-usines, dans le cadre d’un paternalisme renforcé pour contrer un syndicalisme de plus en plus revendicatif », ce qui se vérifie aisément au regard des courbes de la fig. 7, Joeuf en est un exemple

flagrant en passant de 245 habitants en 1866 à 5 304 en 1901.

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Par exemple, l’effet Sollac correspond à la construction de nouvelles cités dans la basse vallée de la Fensch et plus largement l’agglomération thionvilloise. Une ville Sollac, Saint-Nicolas-en-Forêt, a même été construite et reconnue comme commune de 1958 à 1971.

extensions, puis viendra le temps du déclin, de l’effondrement.

Après avoir retracé les grandes lignes de l’extraordinaire poussée industrialo-urbaine de ce bassin industriel transfrontalier, voyons ce qu’il en est plus précisément du territoire transfrontalier de la haute vallée de l’Alzette.

IV.  La  formation  d’une  conurbation  industrielle  dans  la  haute 

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