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Le cas de l’ancien bassin industriel franco‐luxembourgeois  et de la haute vallée de l’Alzette

II. Le  bassin  ferrifère  franco‐luxembourgeois  entre  effondrement  et  restructuration

II.2.  Les restructurations mises en œuvre au Luxembourg

 

Parmi les régions anciennement industrialisées d’Europe de l’Ouest, il faut distinguer le cas du bassin ferrifère luxembourgeois. La taille du pays, son absence de façade littorale et la place qu’il a accordée à la sidérurgie dans son économie en ont fait un modèle particulier.

 

II.2.1. Une spécificité grand‐ducale 

Tout comme le versant français, le versant grand-ducal a été frappé par la crise ; cependant la sidérurgie luxembourgeoise a pu et a su anticiper et résister davantage. En 1960, 46,5 % de la valeur ajoutée de l’économie du Luxembourg provient du secteur secondaire, dont 31,1 % de la seule sidérurgie. Ce constat permet d’imaginer les risques que représente l’occurrence d’une crise structurelle au sein d’une économie nationale monolithique. C’est pourquoi l’État luxembourgeois s’est doté dès les années 1960 d’un programme de diversification industrielle 1 destiné à attirer d’autres secteurs (chimie, caoutchouc, transformation des métaux, etc.). Aussi, fort de l’essor de ses services financiers et de l’émergence de sa place financière européenne, il a davantage anticipé les conséquences de la crise industrielle et a très tôt joué un rôle actif, en créant notamment le Comité de coordination tripartite, institutionnalisé par la Loi du 24 décembre 1977 « autorisant le

Gouvernement à prendre les mesures destinées à stimuler la croissance économique et à maintenir le plein emploi. » Ce Comité réunit patronat, salariat et gouvernement dans le but

de « dégager des consensus sur des questions économiques et sociales importantes » (gouvernement.lu). Dans ce cadre, alors que l’ARBED demeurait le seul groupe sidérurgique au Luxembourg à la fin des années 1970, l’État, en plus d’accompagner les problèmes sociaux et d’organiser le dialogue social, a largement participé à la restructuration de la société, dont il possédait 42,9 % du capital en 1986. Cette implication se justifie aisément par le fait que l’industrie sidérurgique a plus d’un siècle de relation avec le pays et constituait un pilier de son économie au cours des « Trente Glorieuses ».

Notons par ailleurs que la configuration territoriale du Luxembourg a été également déterminante, dans la mesure où elle n’autorisait évidemment pas d’installations littorales telles que Fos et Dunkerque en France, et que les proportions internes du pays (213 fois plus petit que la France métropolitaine) permettent une meilleure implication gouvernementale       

1

Loi-cadre du 2 juin 1962 « ayant pour but d’instaurer et de coordonner des mesures en vue d’améliorer la

structure générale et l’équilibre régional de l’économie nationale et d’en stimuler l’expansion. »

dans les projets locaux, facilitée par la faible distance séparant les échelons décisionnels et la population.

L’ensemble de ces spécificités n’a certes pas empêché la crise de frapper le pays, mais avec des conséquences moins brutales et tragiques qu’en Lorraine.

II.2.2. Le net recul de l’industrie sidérurgique luxembourgeoise 

La production d’acier au Luxembourg franchit la barre des cinq millions de tonnes en 1969, avant d’atteindre son record absolu en 1974 avec 6,4 millions de tonnes d’acier, après quoi la crise sidérurgique provoque le déclin de sa production abondante et très dépendante des exportations et de la conjoncture internationale. La résistance luxembourgeoise n’a pas été vaine, néanmoins les conséquences de la crise sidérurgique peuvent se lire à travers une série d’indicateurs chiffrés manifestes : de 1953 à 1975, la moyenne annuelle du taux de croissance du PIB est de 4 %, alors qu’elle tourne autour de 2,3 % de 1975 à 1985 (monarchie.lu), décennie au cours de laquelle le secteur sidérurgique perd presque 10 000 ouvriers. Au total, le nombre d’ouvriers employés dans la sidérurgie a enregistré une chute de près de 64,3 % entre 1968 et 1990. La dernière exploitation minière du Luxembourg ferme en décembre 1981 (mine du Thillebierg à Differdange), trois ans après la fermeture de la dernière mine à ciel ouvert, les usines luxembourgeoises important dès lors uniquement du minerai étranger1.

Si l’aide de l’État luxembourgeois a permis à l’ARBED de s’affirmer comme l’un des premiers groupes sidérurgiques en Europe2, elle n’a pas évité le net recul de l’importance de l’industrie sidérurgique au sein de l’économie grand-ducale. Certes, seule l’usine de Terre-Rouge ferme définitivement en 1977, mais la plupart des usines sont partiellement démantelées (suppression des installations de concassage, d’agglomération, etc.). À partir de 1986, celle de Dudelange ne conserve qu’un laminoir à froid3. Quant au site de Rodange, ses hauts-fourneaux sont arrêtés en 1978, suivis de l’aciérie en 1980, ne laissant que des activités de laminage.

L’évolution majeure a consisté à passer de la filière fonte à la filière électrique4, procédé de transformation entièrement adopté par les usines d’Esch-Schifflange (1994), Differdange       

1 Le maximum d’approvisionnement en minerai étranger coïncide avec celui de la production d’acier en 1974.

2 L’ARBED a pu adopter un programme indispensable de restructuration et de diversification (amélioration de ses procédés de fabrication, introduction de l’électronique, augmentation du nombre de brevets déposés) et obtenir en dix ans une augmentation de près de 50 % de sa productivité.

3 jusqu’à sa fermeture en 2005.

(1995) et Belval (1996), dont les hauts-fourneaux B et C, les deux derniers du pays encore en fonction, sont respectivement arrêtés en 1995 et 1997. Ainsi les sites de production luxembourgeois ont-ils globalement évolué sous la forme de minimills1.

Conclusion du II. 

Des deux côtés de la frontière, l’activité minière disparaît complètement, ce qui ne sera pas le cas de la sidérurgie après la crise structurelle et conjoncturelle qui l’a frappée. En effet, malgré les chiffres (tableau 4) qui indiquent un repli conséquent de la production d’acier depuis 1975 alors que la production mondiale connaît un taux de croissance annuel moyen de 2 % depuis cette même année, plusieurs usines ont pu être maintenues. Le tableau 4 illustre parfaitement la rupture nette dans la production d’acier en 1975 à la suite du premier choc pétrolier.

Côté luxembourgeois, les restructurations ont permis, à l’exception de Terre-Rouge, le maintien, certes diminuées, de toutes les usines. Après l’extinction du dernier haut-fourneau en 1997, la “région Sud” compte plusieurs sites de production à froid (laminage) et trois aciéries électriques modernes : celles d’Esch-Schifflange (fermée en 2013), de Differdange et d’Esch-Belval. L’ARBED, unique société sidérurgique implantée au Luxembourg, fusionne en 2001 avec Usinor et Aceralia pour former Arcelor, laquelle est rachetée en 2006 par le groupe indien Mittal, devenant dès lors ArcelorMittal, actuel premier groupe sidérurgique mondial dont le siège, ce qui n’est pas anodin, se situe dans la capitale grand-ducale.

Côté lorrain, à quelques exceptions près2, seules les usines reliées à la Moselle canalisée, entre Thionville et Neuves-Maisons, ont pu être maintenues en activité. Quelques nouvelles créations d’usines ont par ailleurs été recensées. Ainsi le bassin lorrain a été marqué par un profond, mais pas total, mouvement de désindustrialisation.

De part et d’autre de la frontière, les pertes d’emplois sont importantes (tableau 3). Elles ne s’expliquent pas uniquement par les fermetures, mais également par les réductions d’activités et la modernisation des installations, et n’ont pu être compensées que partiellement grâce à l’implantation de firmes étrangères et la diversification des activités industrielles… avec plus de succès côté luxembourgeois.

      

1

Petites usines de fabrication de produits en acier à partir de fours électriques, par opposition aux usines intégrées ou semi-intégrées. Certaines sont même créées de toutes pièces, à l’image de l’usine de fabrication d’Aciers Plats au Carbone à Dudelange installée en 1981 sous le nom de Galvanange.

De cette « désindustrialisation des tissus agglomérés » (Mérenne-Schoumaker, 2011, p. 105) ont jailli d’importantes difficultés économiques, sociales et spatiales que nous analyserons à travers le cas de la conurbation industrielle de la haute vallée de l’Alzette.

III.  Les  conséquences  sur  les  territoires  industrialo‐urbains :  le  cas  de  la 

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