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Le  parc  Eiffel  Energie  dans  le  bassin  de  Pompey :  les  clés  d’un  redéveloppement économique réussi

territoires industrialo‐urbains ?

I. La revitalisation du tissu économique

I.4.  Le  parc  Eiffel  Energie  dans  le  bassin  de  Pompey :  les  clés  d’un  redéveloppement économique réussi

Le cas du bassin de Pompey, au nord de l’agglomération nancéienne, est un exemple de stratégie de revitalisation économique réussie. Situé dans le sud du bassin ferrifère lorrain, l’espace industrialo-urbain du bassin de Pompey a connu une fermeture totale de ses installations sidérurgiques et minières ; l’usine, qui employait encore près de 3 000 personnes a été définitivement arrêtée en septembre 1986. Pourtant, l’espace naguère utilisé par la sidérurgie est aujourd’hui occupé par un parc d’activités performant et ambitieux, le parc

Eiffel Energie, qui accueille plus de 120 entreprises et emploie autour de 4 000 personnes,

d’où l’intérêt de s’attarder sur cet exemple.

Dans un premier temps, le site de Pompey (associé à celui de Neuves-Maisons) a été défini par l’État français comme un “pôle de conversion”, expression datant de 1984 et utilisé par le gouvernement Mauroy pour désigner quatorze, puis quinze espaces frappés par la crise industrielle dans les secteurs de la construction navale, des charbonnages et de la sidérurgie.

 

Les pôles de conversion avaient pour objectif d’aider à la réindustrialisation des sites. La plupart échouèrent, créant certes quelques emplois mais ne parvenant guère à supprimer le chômage élevé. Pourquoi le cas de Pompey s’est-il alors démarqué et imposé comme un modèle de reconversion économique ?

  I.4.1. L’engagement fort des pouvoirs publics 

L’engagement de l’État, bien qu’indispensable, n’a pas été le seul atout pour les acteurs locaux, qui ont su mettre en valeur leur site et profiter efficacement de sa situation avantageuse. L’ancien préfet et ancien ministre Jacques Chérèque, qui fut un acteur de poids, un “entrepreneur de cause”1, dans le processus de redéveloppement économique du site, rappelle dans un article d’octobre 19922 l’importance de la concertation des acteurs dès 1983 : - le regroupement de 11 communes dans le Syndicat Intercommunal de Développement

Economique et Social du bassin de Pompey (SIDES) ;

- la création d’une mission locale puis d’une pépinière d'entreprises ;

- le rôle essentiel de l’EPML (devenu EPFL en 2001) en participant au financement et en assurant la maîtrise d’ouvrage de la Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) de Pompey-Frouard ;

- l’intervention de sociétés d’aménagement (SOciété LORraine d'Economie Mixte d'aménagement urbain) et de commercialisation, …

Au milieu des années 1990, les communes ont formalisé leurs réflexions menées à différentes échelles en se regroupant en une communauté de communes (du Bassin de Pompey) et en un Pays (du Val de Lorraine) ; cette démarche intégrée, indispensable, se justifie d’autant plus que les sites de l’industrie lourde s’étalaient la plupart du temps sur plusieurs communes, ce qui est largement le cas ici vu que les activités sidérurgiques et minières s’étiraient essentiellement en fond de vallée, le long de la Moselle et de la Meurthe.

      

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Un “entrepreneur de cause” est un responsable ayant la capacité de se faire écouter et d’exprimer une prise de position avec force, à l’instar de Raymond Mondon, ancien maire de Metz et surtout ancien ministre des transports, ce qui lui permis notamment de négocier le tracé de l’autoroute A4 reliant Paris à Strasbourg. J. Chérèque, issu du monde syndical de la CFDT et ancien employé des forges et aciéries de Pompey, fut désigné “préfet délégué pour le redéploiement industriel” en 1984 puis ministre délégué à l’aménagement du territoire et à la reconversion industrielle à partir de 1988, date à laquelle il devint également conseiller général du canton de Pompey. Sa présence a largement favorisé l’ampleur de l’implication financière de l’Etat et a permis l’avancement de certains dossiers comme celui de l’entreprise finlandaise Raflatac. 

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Aujourd’hui, le parc d’activités Eiffel Énergie s’étend sur 140 ha, de Custines à Champigneulles, en passant par Pompey, Frouard et Bouxières-aux-Dames. Le partenariat des différents acteurs publics et privés (élus locaux, associations, chefs d’entreprises…) a permis la réalisation d’actions cohérentes. Cependant, les coûts1 n’auraient pu être assumés par les seules communes, sans les importantes participations financières de l’État et de la CEE, ainsi que dans une moindre mesure de la région et du département, afin de viabiliser, de moderniser et de raccorder2 les nouveaux espaces d’activités à l’axe métropolitain formé par Metz et Nancy, avant de pouvoir commercialiser les terrains à de nouvelles entreprises.

  I.4.2. Une diversification ambitieuse et judicieusement menée 

Le parc Eiffel Énergie réunit aujourd’hui plus de 120 entreprises et emploie près

de 4 000 personnes dans les domaines de la haute technologie, de l’industrie, de la

logistique et du tertiaire3. Il réunit des entreprises « leaders et internationales comme

Novasep, Délipapier, 3E international, Converteam motors, MS Technique … »

(eiffel-energie.com).

Il ne suffit pas d’un engagement fort des pouvoirs publics pour qu’une reconversion économique soit un succès. Dans le cas de Pompey, une démarche intelligente et des atouts habilement valorisés expliquent la présence d’une zone d’activités modernes sur les anciens espaces de l’industrie lourde. Après le “nettoyage” des friches pendant une période de cinq ou six ans (Renard-Grandmontagne, 2004, p. 340), de nouvelles entreprises ont peu à peu été accueillies sur ces espaces traités et réaménagés.

Plusieurs raisons expliquent la capacité à attirer de nouvelles entreprises et donc le succès de ce nouveau parc d’activités. En premier lieu, le bassin de Pompey a pu et a su tirer parti d’un avantage déterminant : sa proximité de l’agglomération de Nancy, véritable pôle tertiaire supérieur (avec son offre universitaire, culturelle, récréative…) et sa position à un secteur clé entre Nancy et Metz dans l’espace métropolitain formé par le sillon lorrain et structuré par l’autoroute A31 et la Moselle canalisée.

      

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L’aménagement de l’ensemble des zones d’activités du site de Pompey-Frouard représente près de 40 millions d’euros.

2 grâce à un échangeur routier et trois ponts permettant d’enjamber la Meurthe, la Moselle et la voie ferrée.

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Au-delà de cet atout initial, les acteurs territoriaux ont su créer un environnement attractif :

- les infrastructures logistiques déjà présentes (liaisons autoroutière, fluviale, ferroviaire) ont été adaptées, modernisées et organisées notamment autour d’une plate-forme multimodale performante ;

- au fur et à mesure que les premières sociétés se sont installées, de nombreux services aux entreprises ont été mis à leur disposition (services mutualisés : restauration inter-entreprise, médecine du travail, structures d’accueil pour enfants, service postal dédié aux entreprises surveillance des sites, gestion des déchets …) et constituent aujourd’hui un ensemble d’éléments attractifs pour les entreprises souhaitant s’y installer ;

- une pépinière d’entreprises a été mise en place, de même que des centres de formation ; - la communication n’est pas négligée, elle implique tous les acteurs du site et bénéficie du

prestige et de la fierté suscités par le choix du nom “Eiffel”1 dans la dénomination du site ; - des aménagements paysagers, comme la plantation de 112 000 arbustes (ibid., p. 335) et

des objectifs de qualité environnementale auxquels souscrivent les entreprises, illustrent l’ambition de soigner le cadre de vie et l’image de marque du parc d’activités, ouvert au public, avec des promenades et pistes cyclables aménagées. A cela s’ajoute l’ambition paysagère et architecturale venant de certaines initiatives privées, comme pour l’usine Raflatac (photo 16).

Hormis les cités ouvrières, certains ouvrages d’art et le nom “Eiffel”, le parc

Eiffel Energie n’a pas gardé d’éléments de son passé sidérurgique. Est-ce le choix de

tourner complètement la page de l’industrie lourde ? Ou bien le résultat d’une réaction “à chaud” ? Toujours est-il que cela n’a pas nui à sa réussite, basée sur une démarche multiscalaire, transversale, ayant permis l’introduction d’entreprises innovantes et diversifiées, en proposant un environnement économique attractif par la valorisation de sa situation, par ses équipements (services, formation, recherche), par le travail sur le cadre de vie et par la création de partenariats efficaces entre le public et le privé. Les communes industrielles se sont concertées dès 1983, avant l’arrêt total de la sidérurgie. Le dialogue entre les acteurs locaux et l’État a été favorisé par la présence d’un entrepreneur de cause influent, Jacques Chérèque. Il s’agit d’un exemple qui illustre

      

1 C’est la société des Forges et Laminoirs Dupont et Fould à Pompey, qui a fourni les 8 000 tonnes de fer puddlé pour la construction de la tour Eiffel.

parfaitement l’importance des concertations, du soutien financier des États et de l’Europe et des partenariats pouvant être menés entre les acteurs publics et privés.

  Photo 16 : L’architecture “futuriste” de l’usine Raflatac  (Humbert, Renard‐Grandmontagne, 2002)    L’usine d'autocollant finlandaise Raflatac s’est installée en 1989 sur la zone industrielle de  Pompey. Le groupe a dépensé près de cinq millions de francs supplémentaires (sur un total de  95 millions) pour réaliser un bâtiment ambitieux par son architecture en forme d’avion (Renard‐ Grandmontagne, 2004, p. 32). Ce type d’initiative permet de donner un sentiment de fierté aux  salariés,  aux  habitants  du  bassin  et  d’attirer  d’autres  entreprises  souhaitant  bénéficier  de  ce  rayonnement. 

Conclusion du I. 

La volonté fréquente de réindustrialiser en trouvant des moyens d’attirer de nouvelles activités industrielles, grâce à des aides publiques conséquentes, a permis à certains territoires d’apporter des solutions partielles à l’urgence sociale qu’ils connaissaient ; néanmoins la précipitation n’a généralement pas produit de bons résultats.

La modernisation des infrastructures existantes, étape certes indispensable à la revitalisation de l’économie, ne suffit pas aux besoins des nouvelles entreprises, qui réclament un environnement économique exigeant. Le renouveau économique et l’environnement urbain doivent s’entre-alimenter, par la création d’un environnement favorable à l’installation de

 

nouvelles entreprises diversifiées, complémentaires, intégrant des nouvelles technologies et profitant d’installations à la fois fonctionnelles et d’un cadre de vie plus harmonieux.

L’objectif final consiste à susciter un rayonnement et un attachement par la valorisation de l’environnement économique et urbain, de manière à produire une dynamique vertueuse plutôt que d’espérer un investisseur “magique” qui règlera tout une fois implanté. « Beaucoup

croient qu’il suffit de constituer des milieux effervescents pour que le reste suive : l’innovation se développera dans ses diverses dimensions et produira une richesse qui sera captée localement et qui permettra de faire tourner la machine urbaine. Ce raisonnement devient d’autant plus un dogme qu’il existe suffisamment d’éléments factuels pour le conforter. Deux conditions interdépendantes permettraient d’y parvenir : attirer la population innovante (chercheurs, créateurs, etc.) et créer une ambiance d’innovation. »

(Bourdin, 2010, p. 51-52).

Quelle que soit la réponse à la crise, il faut retenir le caractère indispensable des aides publiques dans les processus de recomposition urbaine, et particulièrement de revitalisation économique. Les États et l’Europe ont occupé une place essentielle pour maintenir ou inciter l’installation d’entreprises (industrielles ou non) dans les anciens espaces industrialo-urbains, mais une grosse enveloppe budgétaire ne suffit pas à résoudre les problèmes économiques et sociaux et n’exempte pas les acteurs locaux de penser de manière globale. Dans certains cas, la solution de la réindustrialisation a pu être un succès ; ainsi, dans l’ancien bassin sidérurgique de Pompey, un nouveau tissu industriel diversifié a remplacé la monoactivité des aciéries, mais cette nouvelle industrie s’est accompagnée d’autres éléments : tertiaires, logistiques, paysagers… Plus fréquemment, ce type de reconversion s’est révélé insuffisant, par exemple dans le bassin de Longwy, où le remplacement de l’industrie sidérurgique par une autre industrie, certes accompagnée par une puissance publique nationale et européenne, n’a pas eu l’effet escompté.

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