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I. Du développement au développement soutenable

II. L’acuité des défis urbains

La ville a longtemps représenté le territoire civilisé par opposition à la campagne ; comme le rappelle Yvette Veyret lors de son intervention au Séminaire national “Villes et développements durables” (CRDP de l’académie d’Amiens, 2007), la ville symbolise la maîtrise d’une nature angoissante et dangereuse et rassure au sein de ses fortifications. Cette représentation a été complètement bouleversée au XIXème siècle, avec une image de la ville       

1 Nous pouvons d’ailleurs relever la pléthore de néologisme issue de l’ajout du préfixe “” : aménagement, efficacité, geste, responsable, société, quartier, tourisme, parc, éco-lodge, éco-conception, …

 

incarnant « des inquiétudes, des risques sociétaux, le lieu de dissolution des valeurs, le lieu du

vice, du crime, un lieu pollué, un lieu de risques » (Veyret, 2007). À présent, la caricature de

la ville est celle de l’antinature alors que celle de la campagne est l’antistress. Cette vision extrêmement simpliste oublie de mentionner les énormes progrès liés à la qualité de vie en ville, à l’image de l’espérance de vie qui y est supérieure à celle de la campagne. Toutefois l’urbanisme soutenable soulève les problèmes indéniables qui caractérisent les territoires urbains, lesquels condensent d’ailleurs bon nombre des problèmes justement ciblés par le développement soutenable.

  II.1. Une définition complexe 

Définir la ville au delà d’une simple énumération de caractères généraux et parfois trop théoriques est un exercice long et complexe. Tentons d’extraire du vaste corpus théorique une définition synthétique de la “ville”.

Ainsi que l’écrit Jacques Lévy dans le dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, la ville est un lieu de concentration des habitants ainsi que de « toutes les autres

réalités matérielles (bâti, objets mobiles) et immatérielles (information, communication, culture) » (2003, p. 988). La ville s’inscrit par ailleurs dans une logique de réseaux qui

s’alimentent des échanges (commerciaux, humains et de services), lesquels s’intensifient au fur et à mesure que les fonctions urbaines se diversifient.

Jacques Lévy ajoute que ce sont « les agencements (spatiaux) des éléments matériels et

immatériels, les configurations et la situation ainsi produits qui font, non seulement qu’on peut ou non parler de ville mais aussi qu’on peut caractériser, classer, hiérarchiser les différents types de villes. »

En somme, définir la ville se heurte à l’immense variété des exemples dans le monde ; il n’est donc pas envisageable d’en déterminer un modèle précis. Pour en résumer la substance, il s’agit d’un espace de fortes densités (du bâti, de la population, des emplois et des activités), attractif et polarisant.

La ville obsède naturellement la géographie par son omniprésence dans l’histoire des hommes et de l’espace des sociétés. À partir de la fin du XVIIIème siècle, la succession des enjeux urbains s’est accélérée et, depuis la fin des années 1970, les mutations se sont intensifiées et complexifiées.

Le début du troisième millénaire marque le franchissement du seuil de 50 % de citadins dans le monde1. Le rattrapage des pays en développement a amené la population mondiale à être pour moitié d’entre elle citadine, transformant profondément les villes dans leurs fonctions et leur taille, de plus en plus grande. L’époque contemporaine est sans conteste marquée par le fait urbain. Le phénomène urbain est « une réalité spatiale dont l’importance

au sein des sociétés mondialisées ne cesse de croître » (Lussault, 2007). Des prévisions

démographiques annoncent un taux d’urbanisation dans le monde de 80 % en 2050. De ce constat résultent plusieurs défis propres aux systèmes urbains et à leur fonctionnement complexe, où les interactions sociétales se trouvent exacerbées.

  II.2. De la ville à l’“urbain” 

Le brouillage du partage entre espaces ruraux et urbains est la conséquence de l’amplification de l’urbanisation, généralisée à l’échelle mondiale, au point que certains auteurs parlent de “continuum” entre le rural et l’urbain et d’hybridation pour suppléer la dichotomie classique entre “ville” et “campagne”. À l’image de l’abondante bibliographie et des néologismes parfois proposés, la ville correspond à une réalité géographique pour laquelle il faut admettre l’absence de définition et de délimitation précise.

 

  Document 3 : Simplified process of modernisation 

Source : Lynch K., 2005, p.33 (cité par Pigeon, 2007) 

  Ce modèle simplifié, proposé par Kenneth Lynch, part d’une origine où les espaces urbains  étaient  très  rares  et  peu  différents  des  espaces  ruraux.  La  période  au  cours  de  laquelle  les  différences  entre  rural  et  urbain  ont  été  les  plus  fortes  correspond  à  la  phase  d’accroissement  démographique  des  villes  de  la  transition  urbaine,  au  moment  où  s’amplifiait  le  phénomène  d’agglomération  des  villes.  Le  rapprochement  entre  les  zones  urbaines  et  rurales  illustre  l’extension des modes de vie urbains et l’avènement des aires urbaines. 

      

 

Ainsi Claude Raffestin (2007), entre autres, écrit qu’il est préférable de parler de territoires urbains plutôt que de « ville », dont l’usage est « impropre » à la qualification de ces espaces de plus en plus complexes et aux délimitations floues.

Françoise Choay, en publiant « Le règne de l’urbain et la mort de la ville » (1994), dépeint une ville traditionnelle dont les limites sont gommées par ses extensions périphériques, où vides et densités se succèdent en isolant les bâtiments, tandis que les réseaux se multiplient. L'éclatement de la ville qu’elle décrit se révèle spatialement, parfois socialement et corrobore les descriptions bien connues des phénomènes d’étalement urbain et de ségrégation socio-spatiale.

Aujourd’hui, à l’échelle urbaine, le schéma [centre + périphérie = agglomération] est mis à mal par l’éclatement des centralités et l’accroissement des mobilités centrifuges (vers les périphéries) et centripètes (vers les centres). Il en résulte un polycentrisme pour lequel il est plus évident de parler en termes d’aire urbaine. En effet, la ville s’étale et se fragmente autour de plusieurs pôles, souvent spécialisés et différenciés socialement.

Les mutations contemporaines des villes ont abouti à leur déstructuration fonctionnelle et spatiale, constat qui a mené le chercheur à se saisir de la notion d’urbanisation comme nouvelle approche : l’urbanisation est un processus, elle n’est pas le résultat – l’urbain – mais l’action qui la produit. Qu’elle s’applique ou non aux espaces déjà qualifiés d’urbains, l’urbanisation correspond à une extension ou une densification accrue du bâti, généralement à un accroissement de la population, à une concentration des activités et à une diversification des fonctions. L’urbanisation s’accompagne d’une multiplication des mobilités, des échanges, des mutations fonctionnelles et implique une réadaptation de la gestion des territoires concernés, à plusieurs échelles.

D’ailleurs, le phénomène de rurbanisation est une forme, bien que partielle, d’urbanisation, et participe pleinement de la disparition progressive de la frontière autrefois plus nette entre rural et urbain. Les villages “périurbanisés” ou “rurbanisés” voient leurs activités non-agricoles augmenter, se spécialisent dans d’autres domaines et diversifient ainsi leur tissu économique, ce qui au final correspond à une forme, certes incomplète, d’urbanisation. Tous les espaces bâtis ne sont pas des villes, or il n’existe qu’un mot pour signifier l’accroissement de l’espace bâti : l’urbanisation.

En définitive, nous pouvons reprendre la conclusion de Patrick Pigeon (2007, p. 9), qui dévoile toute la complexité de la théorisation d’une telle notion en écrivant « L’urbanisation

  II.3. Les défis de l’“urbain” 

La complexité croissante des peuplements humains trouve son paroxysme dans les villes. L’intensité exponentielle avec laquelle le phénomène urbain s’est développé au cours du XXème siècle a provoqué un certain nombre de tensions. La fragmentation du tissu urbain, la surconsommation d’espaces périphériques, le gaspillage de certaines ressources rares (eau, énergies), la recrudescence de certaines nuisances (bruit, pollution de l’air), les déséquilibres économiques et sociaux… sont autant de défis exacerbés par la progression de l’“urbain”, devenu un « terrain d’application privilégié du développement durable » (DGUHC, 1998, p. 8).

Cette poussée continue de l’urbanisation, bien qu’il lui soit reproché de ne pas être soutenable, se poursuit malgré tout et fait émerger quantité de théories et concepts d’aménagement et de gestion nouveaux, qu’ils s’appliquent à de petites initiatives locales ou à des projets de grande ampleur.

L’urbanisation est un processus qui modifie la structure et le fonctionnement d’un système mais aussi son environnement. Ainsi que le théorise Patrick Pigeon (2007), affirmer que l’urbanisation pose des problèmes ne signifie pas qu’elle est néfaste et regrettable, il faut entendre “problèmes” dans le sens où elle nécessite, par son caractère problématique, une réadaptation constante. Un problème n’est pas nécessairement un danger, un risque ; c’est une difficulté à laquelle on cherche une solution adaptée et qui évolue avec la vie des territoires. Les évolutions porteuses de problèmes (les fortes densités et l’accroissement des flux notamment) se superposent aux situations préexistantes, aux héritages, et les modifient partiellement. Certains problèmes liés à l’urbanisation se sont révélés être des contraintes plutôt que des limites. Or, l’état de contrainte peut être source de création, ce qui justifie l’importance de ne pas négliger les raisonnements a posteriori au profit des seules anticipations théoriques qui ne peuvent tenir compte des évolutions créatrices.

Comme l’analyse Patrick Pigeon (2007), l’intensification de l’urbanisation impose des contraintes inhérentes au processus mais n’empêche pas pour autant sa progression. Les seuils démographiques critiques ont pu être dépassés, grâce aux innovations modernes et contemporaines ; il n’en demeure pas moins qu’elle représente un challenge à relever, par l’intermédiaire d’une nouvelle action politique d’aménagement du territoire. De ce fait, l’intensification de l’urbanisation est un facteur d’innovation et d’évolution des outils d’aménagement, malgré un travail d’expertise corrélé au contexte économique et à son

 

acceptation politique. Les innovations sont certes sollicitées par les mutations urbaines, mais elles dépendent aussi des choix politiques et culturels des sociétés urbaines1.

Conclusion du II. 

Comme le rappellent S. Descat, E. Monin et D. Siret (2006), le développement soutenable a été saisi par les politiques urbaines pour relayer les seuls objectifs de croissance et de progrès qui ont de tout temps conditionné l’évolution des villes. Le passage de la ville à l’urbain oblige les sociétés à concevoir de nouvelles manières de penser le développement et la gestion de leurs espaces urbains. C’est notamment parce que la ville est devenue l’“urbain” que la réflexion sur un urbanisme soutenable s’est faite indispensable. Le mouvement démographique vers l’urbain requiert plus qu’un suivi statistique, il conduit les sociétés à développer de nouvelles politiques sociales, de logements, économiques, culturelles, d’aménagement … et implique une amélioration de la qualité de vie urbaine, dans son acception la plus large, en proposant un développement urbain plus soutenable, qui dépasse les seules logiques de court terme.

  La volonté croissante de mieux gérer la production, la répartition et la préservation, parfois résumés en trois “É” : écologie – équité – économie, s’est mêlée à la complexification du système urbain à partir du tournant des Trente Glorieuses. L’application du développement soutenable aux territoires urbains a longuement muri, avant de s’imposer en plusieurs grandes étapes.

 

 

III. Les grandes étapes de la construction du concept de développement 

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