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Le cas de l’ancien bassin industriel franco‐luxembourgeois  et de la haute vallée de l’Alzette

I. L’inévitable crise de l’industrie sidérurgique dans les bassins industriels  traditionnels

I.2.  La crise des bassins industriels traditionnels

I.2.1. La crise des vieux bassins industriels d’Europe de l’Ouest 

L’ensemble de ces mutations à l’échelle mondiale, à commencer par la crise du minerai puis la concurrence des nouveaux pays producteurs d’acier, a mené à des crises économiques dans les vieilles régions industrielles des pays producteurs traditionnels.

Alors que la production mondiale d’acier doublait entre 1974 et 2010, la fin de l’hégémonie des pays producteurs traditionnels européens (tableau 2) et mondiaux (États-Unis, Japon) se révélait à travers la diminution de leur production, mais surtout l’augmentation du nombre de pays producteurs.

  France  Luxembourg  Rép. Féd. Allemande  Belgique  Pays‐Bas 

1974  27  6,4  53  16,3  5,8 

1982  18,4  3,5  36  9,9  4,3 

Tableau 2 : La chute de la production d’acier (en millions de tonnes) en Europe du Nord‐Ouest 

Ces baisses de production ne bouleversent pas complètement le classement mondial des pays producteurs d’acier (le Japon et les États-Unis demeurent en tête jusqu’en 19931) mais illustrent, entre autres, l’émergence de nouveaux pays concurrents. Ainsi prend fin l’âge d’or de la sidérurgie française, développé dans un contexte de reconstruction et des « Trente Glorieuses » : le maximum est atteint en 1974 avec 27 millions de tonnes d’acier produites.

      

La France, qui était le 5ème pays producteur d’acier perd trois places au cours des années 1980 pour se situer au 8ème rang mondial en 1989, dépassée par le Brésil, l’Italie et la Corée du Sud.

Toutefois, il faut bien constater que cette rétrogradation des pays producteurs traditionnels se matérialise spécifiquement dans leurs vieux bassins industriels, car ces pays se modernisent, s’adaptent au nouveau contexte productif et connaîtront globalement une reprise après la crise des années 1970. La France repasse d’ailleurs au-dessus des 20 millions de tonnes d’acier à la fin des années 1990.

Ce sont en effet les vieux bassins industriels qui ont d’abord et principalement souffert de la concurrence énergétique et de leurs contraintes d’accessibilité, lesquels ont fortement impacté la répartition spatiale des industries, à l’instar du choix de la littoralisation de la sidérurgie à partir des années 1960. Beaucoup d’anciennes régions industrielles intérieures se retrouvent en situation d’enclavement et perdent leur rentabilité par rapport aux sites accessibles aux navires de charge (cargos).

Ainsi dans le dernier quart du XXème siècle, les vieilles régions industrielles d’Europe ont été confrontées à une désindustrialisation massive. Les grands groupes sidérurgiques historiques ont dû composer avec un nouvel environnement productif, commercial, de nouveaux outils et modes de gestion, provoquant des restructurations parfois douloureuses sur les plans économique et humain.

Par le biais d’interventions politiques volontaristes, les vieilles régions industrielles ont parfois pu résister à la crise économique mais, progressivement, à partir des années 1980, les mesures coercitives et incitatives n’ont plus toujours suffi face aux logiques concurrentielles mondiales. En réaction à cette situation, les pouvoirs publics locaux, avec le soutien indispensable des États, ont cherché de nouveaux investisseurs et de nouveaux outils susceptibles de développer de nouveaux secteurs d’activité afin de pallier le déclin économique et les pertes d’emplois, à l’image de l’initiative transnationale inédite du Pôle Européen de Développement (PED).

I.2.2. Le cas du bassin sidérurgique transfrontalier de Longwy 

 

En réaction à leur déclin, les vieilles régions industrielles d’Europe de l’Ouest ont rivalisé pour attirer notamment des firmes de haute technologie ou des constructeurs automobiles. Les investisseurs américains mais surtout asiatiques étaient particulièrement courus. Plusieurs exemples peuvent être cités : LG au Pays de Galles, Samsung et Nissan dans le Nord-Est anglais, etc. C’est cette même dynamique qui était recherchée par la création du

Pôle Européen de Développement dans le bassin sidérurgique de Longwy, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest du secteur de Villerupt Esch-sur-Alzette.

À l’instar des vieux bassins industriels intérieurs, la crise sidérurgique a lourdement frappé la conurbation industrielle tri-nationale de Longwy Mont-Saint-Martin (France), Athus (Belgique) et Rodange (Luxembourg), sur les plans économiques et sociaux, constat à partir duquel une déclaration commune intergouvernementale entre la France, la Belgique et le Luxembourg a été signée le 19 juillet 1985 afin de mettre en place une reconversion au-delà des frontières nationales et sur la base de problèmes communs. Ainsi naissait le Pôle Européen de Développement, qualifié en 1987 de « laboratoire de la construction

européenne » par le président de la Commission Européenne de l’époque, Jacques Delors.

L’objectif du programme décennal d’action commun était de créer 8 000 emplois directs dans un rayon de 20 km autour du point de recoupement des frontières belge, luxembourgeoise et française (point triple) : le versant belge devait retrouver 1 500 emplois, le versant luxembourgeois 1 000 emplois et le versant français, qui a enregistré une perte d’environ 20 000 emplois dans la sidérurgie sur la période allant de 1975 à 1992, 5 500 emplois.

Le PED avait avant tout l’ambition de remplacer l’industrie par l’industrie ; il a mis en œuvre des moyens importants et une gouvernance inédite pour y parvenir, avec des financements nationaux et européens, ces derniers représentant 50 % des financements (en FEDER notamment).

Cette ambition s’est matérialisée par plusieurs mesures réparties sur les trois pays : - la réalisation d’un Parc International d’Activité (PIA) sur 500 ha de friches sidérurgiques à cheval sur les trois dyades1 ;

- la mise en place de différents services communs et structures d’accueil pour les entreprises ;

      

1 Néologisme proposé par Michel Foucher (1991) pour désigner « un tronçon de frontière commun à deux

États ».

- des aides financières et des avantages fiscaux, des fonds de développement de projets transfrontaliers de création ou d’extension d’entreprises ;

- le renforcement de la formation locale, avec notamment la création d’un Collège Européen de Technologie en 1991 ;

- un assouplissement du régime douanier autour du point triple ;

- des importantes opérations de désenclavement (plan routier du bassin sidérurgique), particulièrement le raccordement du versant français aux autoroutes belges et luxembourgeoises par la réalisation de grandes infrastructures routières (contournement de Longwy à 2x2 voies, viaduc de la Chiers achevé en 1987, « collectrice sud » (E29) du Luxembourg ouverte en juin 1994, etc.) ;

Au total, d’importants moyens ont donc été déployés, de manière à proposer des conditions d’accueil favorables, ce qui a effectivement permis d’attirer de nouvelles entreprises. Un livret édité en décembre 1992 décrit un projet dont « la dynamique est

lancée », qui « a pris aujourd’hui sa vitesse de croisière et impulse totalement un nouvel élan à la région » grâce à 86 entreprises qui ont choisi le PED en s’établissant sur le PIA ou sur

une zone transitoire. Parmi les entreprises les plus importantes et emblématiques de ce renouveau se trouvent Ferrero, JVC ou encore Daewoo.

Toutefois il s’agissait avant tout de créer une dynamique de réindustrialisation, ce qui a ralenti le développement du secteur tertiaire. Au final, la diversification industrielle n’a pas suffi à redynamiser définitivement le tissu économique et le PED n’a pas suffisamment redressé le bilan économique et humain du bassin de Longwy.

Les versants belges et luxembourgeois ont atteint, voire dépassé, leurs objectifs, mais ce ne fut pas le cas du secteur lorrain, qui comptait 3 319 emplois en 1998 sur les 5 500 prévus. Aujourd’hui, suite notamment aux fermetures des unités JVC, Panasonic puis Daewoo-Orion au début des années 2000, la population française constate l’échec partiel de la reconversion initialement annoncée. En effet, bon nombre des investisseurs n’ont souvent laissé que le souvenir d’entreprises opportunistes “chasseurs de primes”, ayant bénéficié d’énormes subventions des pouvoirs publics avant de fermer leurs sites dès lors que leurs avantages prenaient fin1. Lors de débats au Parlement européen à Strasbourg le 13/02/2003, la Commission « regrette le désengagement de la société Daewoo-Orion d’une région qui

continue à subir les conséquences socio-économiques des restructurations industrielles. »

      

1

Les trois sites implantés par Daewoo en Lorraine ferment successivement en 2002 et 2003, laissant plus de 1.200 salariés au chômage. Le groupe quitte la France en devant plusieurs millions d’euros de taxes à l’Etat. L’usine JVC de Longwy ferme en 1996, huit ans après son ouverture et après le versement total de plus de 30 millions de francs de subventions publiques.

À travers cet exemple se mesure donc la difficulté pour les bassins industriels traditionnels de résister à la crise qui les frappe, même au prix de mesures exceptionnelles. Le bilan mitigé du PED aura le mérite de mettre en exergue l’importance d’une diversification au-delà du secteur industriel, aspect sur lequel nous reviendrons dans la seconde partie (chap. 3).

Conclusion du I. 

La rupture se situe véritablement dans les années 1970, marquées par les impacts économiques des chocs pétroliers de 1973/74 et 1979. Mais c’est une somme de bouleversements économiques, techniques, politiques qui a modifié le rapport de l’industrie au temps et à l’espace. Les avantages qui primaient autrefois n’ont plus la même valeur et les entreprises industrielles connaissent une redistribution aux échelles nationales et mondiales. « La mobilité l’emporte sur la concentration dans l’espace de l’appareil de production et sur

la proximité des matières premières » (Leboutte, 1997, p. 548). Ainsi les enjeux logistiques

ont fortement impacté la répartition spatiale des industries, à l’image du choix de la littoralisation de la sidérurgie. À l’échelle mondiale, la mise en concurrence issue de la globalisation de l’économie, les progrès technologiques et l’entrée dans l’ère du numérique ont bouleversé les systèmes de production traditionnels. Les grands groupes industriels se sont adaptés à ce nouveau contexte qui a débouché sur d’incontournables restructurations, la plupart du temps au détriment des vieux bassins industriels.

 

 

II.  Le  bassin  ferrifère  franco‐luxembourgeois  entre  effondrement  et 

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