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Le cas de l’ancien bassin industriel franco‐luxembourgeois  et de la haute vallée de l’Alzette

I. L’inévitable crise de l’industrie sidérurgique dans les bassins industriels  traditionnels

I.1.  Des mutations à l’échelle globale

En suivant le même principe d’emboitement des échelles, ce second chapitre vise à présenter la conjonction de causes à l’origine de la crise et de l’effondrement des territoires industrialo-urbain, avant d’en exposer les conséquences dans la haute vallée de l’Alzette.

 

I. L’inévitable crise de l’industrie sidérurgique dans les bassins industriels 

traditionnels 

  I.1. Des mutations à l’échelle globale I.1.1. Nouvelles concurrences et dilatation de la géographie des espaces de  production 

Un premier élément déterminant intervient en 1957/58 : il s’agit de la chute du coût du transport maritime, qui permet d’importer à moindre coût un minerai de fer (hématite) à forte teneur1. Or, pour des raisons fonctionnelles et économiques évidentes, l’utilisation de ce minerai plus rentable nécessite la construction de sites sidérurgiques sur les façades littorales2 (Dunkerque, Gand, IJmuiden, Brême, Tarente…), pénalisant de fait les sites intérieurs (Lorraine, Le Creusot, les Alpes, etc.).

Par ailleurs, une nouvelle concurrence se dessine à l’échelle mondiale. Dans un monde bipolaire, où le bloc communiste, également producteur d’acier, n’entrait que ponctuellement en concurrence dans ce domaine avec le bloc capitaliste, les pays occidentaux, d’ailleurs longtemps appelés pays industrialisés, jouissaient d’un véritable monopole. Cet avantage disparaît néanmoins au cours des années 1960-1970 avec l’augmentation du nombre des pays producteurs d’acier3. Des pays d’Europe du Sud (Espagne, Yougoslavie, Turquie,…), d’Asie

      

1 En provenance du Brésil, de Suède, de Mauritanie...

2Afin de baisser les coûts de production non seulement pour importer le minerai, mais également pour exporter les produits finis.

3

Longtemps, la sidérurgie a été un monopole des pays anciennement industrialisés : Europe de l’ouest (Royaume-Uni, Allemagne, France, Italie, Benelux), États-Unis, Japon. Ces pays fournissaient le monde entier, excepté le bloc communiste. La sidérurgie française exportait jusqu’à 60 % de sa production, les échanges extérieurs étaient donc largement excédentaires.

(Corée du Sud, Taïwan, Inde), le Brésil, etc. ont construit leur propre industrie sidérurgique1. Ainsi l’Espagne, qui n’avait aucune production d’acier avant les années 1950 (elle importait beaucoup d’acier français), dépasse pourtant la barre des 10 millions de tonnes d’acier par an dès les années 1970.

À cette nouvelle donne internationale s’ajoute l’impact des chocs pétroliers de 1973/742 et 1978/79 sur un secteur sidérurgique fortement consommateur d’énergie (l’énergie entre pour 60 % dans le coût de production de l’acier), mettant un terme au contexte de croissance des Trente Glorieuses.

I.1.2. Un nouvel environnement productif 

Les années 1970 ont également vu se généraliser de nouveaux modes de développement, rythmés par l’essor des nouvelles technologies, les progrès des télécommunications, la nouvelle gestion des différents stades de production et de vente, la mise en bourse des productions des grandes firmes, l’imbrication progressive des économies réelles et virtuelles, etc.

Pour les pays développés, la croissance économique basée principalement sur les activités industrielles est un paradigme qu’il a fallu rectifier à partir des années 1970 ; ce renversement a été analysé par Daniel Bell (1976) aux États-Unis et Alain Touraine (1969) en France, lesquels ont qualifié ce changement de « passage à une société post-industrielle », où les processus de l’économie immatérielle ont égalé, voire dépassé, les sphères de la production matérielle, industrielle. Les “entreprises” prennent de plus en plus le relais des “usines” : un changement de vocabulaire qui illustre la complexification induite par la tertiarisation des sociétés.

Or, les industries traditionnelles des Régions Anciennement Industrialisées (R.A.I.) apparaissent rapidement comme inadaptées à ce nouveau contexte, étant donné qu’elles fonctionnaient selon un système économique et social moins concurrentiel et un environnement économique plus verrouillé, plus rigide. Les installations sont peu adaptées aux nouvelles exigences de l’industrie et sont difficiles à moderniser. La main-d’œuvre spécialisée est donc peu flexible et par ailleurs souvent peu mobile. « Ainsi en une quinzaine

d’années, ce sont tout à la fois les répartitions territoriales, les structures internes des firmes

      

1

Entre 1974 et 2010 le taux de croissance annuel moyen de la production d’acier du Brésil est de 4,2 %, celui de l’Inde est de 6,5 % et celui de la Chine de 9,3 %.

2 Le renchérissement du coût de l’énergie fait suite à l’alliance des pays producteurs de pétrole au Moyen-Orient et multiplie par quatre le prix du pétrole.

et leur comportement dans l’espace, l’organisation des espaces industriels… bref, l’ensemble de la géographie industrielle, qui a été plus ou moins bouleversé » (Fischer, Malézieux, 1999,

p. 49). Externalisation, sous-traitance, filialisation… ont provoqué l’éclatement spatial des sociétés industrielles1 et la mise en place du Marché Commun dans le cadre de la Communauté Économique Européenne (CEE). Cette nouvelle situation a conduit à d’inévitables mutations de l’industrie européenne, dont l’espace de production s’est dilaté souvent au détriment des vieux bassins industriels.

 

I.1.3. Des nouveaux rapports villes / industries : entre désindustrialisation et  tertiarisation 

La relation intime traditionnelle entre l’architecture urbaine et la fonctionnalité industrielle s’est fissurée au rythme des mutations économiques de la seconde moitié du XXème siècle. Alors même que certaines villes sans véritable passé industriel, en France et dans le monde, ont connu un développement industriel conséquent, les vieux bassins industriels ont décliné face à l’éclatement territorial des processus de production autrefois regroupés sur des mêmes sites et à l’émergence de nouveaux pôles technologiques et de complexes industriels modernes.

En parallèle à ces mutations économiques et techniques et au développement de l’urbanisation, la ville est pénétrée par les nouvelles technologies et les progrès liés aux branches tertiaires2. De nouvelles politiques de zonage sont encouragées avec la séparation spatiale des fonctions ; les activités industrielles privilégient la proximité des grandes infrastructures de transport (échangeurs autoroutiers, voies fluviales et maritimes, fret ferroviaire et/ou aérien), et des grands foyers de consommation, mais se déplacent aussi pour des raisons de sécurité ou de principe de précaution (sites Seveso). Les processus de désindustrialisation et de tertiarisation des villes ont donné lieu à une modification de la structure urbaine, de son organisation, de son fonctionnement. Bernadette Mérenne-Schoumaker (2002) situe autour de 1950 l’inversion du rapport ville – industrie, avec une tendance globale à la désindustrialisation des espaces urbains centraux.

Les contraintes logistiques et foncières, qui s’expriment en termes d’accès et de coûts, sont autant de raisons qui, associées à certaines incompatibilités de cohabitation, expliquent le

      

1

L’internationalisation de l’économie industrielle française a surtout débuté dans la seconde moitié des années 1960, avec les débuts de l’importation du minerai de fer et du charbon.

2 De nombreux auteurs ont théorisé la tertiarisation de la ville pour caractériser le déclin (relatif ou absolu) du secteur manufacturier et la montée, en opposition, du secteur tertiaire.

déclin des espaces industriels de certaines villes et le processus général d’exurbanisation des activités industrielles.

En outre, la dilatation et l’étalement des espaces urbanisés se sont amplifiés depuis les années 1960, avec les nouveaux modes de vie consécutifs à l’explosion des mobilités ; cette situation renforce le manque d’attractivité des cités-ouvrières, souvent vétustes, avec un solde migratoire déficitaire. Les employés y deviennent parfois plus nombreux que les ouvriers et les nouveaux actifs préfèrent généralement s’établir dans les zones périphériques, périurbaines, voire rurales.

L’ensemble de ces évolutions a révélé l’incompatibilité du système urbain de la ville tertiaire avec celui des territoires industrialo-urbains anciens, handicapés par une configuration particulièrement inadaptée.

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