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À partir des années 1970, la programmation d’équipements (maisons des jeunes et de la culture, centres sociaux, foyers ruraux mille-clubs) a pour effet la professionnalisation des "permanents" bénévoles. Le corps professionnel d'animateurs socioculturels est créé pour faire vivre et rentabiliser ces équipements. Et parce qu’il faut respecter les créanciers incontournables que sont ces salariés (ainsi que le fisc, et les fournisseurs), ainsi que les règles du jeu imposées par les « subventionneurs », la gestion va prendre le devant de la scène. La structuration de la relation conventionnelle salariés-employeurs aboutit en 1989 à la signature de la Convention Collective de l’Animation socioculturelle.

Après la crise économique de 1974, le travail social a une fonction de traitement ou de remédiation pour pallier les conséquences de la crise. Les associations sont sollicitées pour lutter contre le chômage à partir de 1976, où elles ont un rôle assigné d'insertion sociale et professionnelle, dans les divers programmes "d'emplois tremplins" des politiques publiques de l'emploi aidé. Les divers contrats aidés sont une forme d'aide au financement de l'emploi66, et

avec des contrats souvent précaires ou à durée déterminée, elles sont un espace de tutorat et de formation pour rendre « employables » (c’est-à-dire mobiles, flexibles, performants). Ce sont

66 TUC en 1981 Travail d’Utilité Collective, l'Emploi Jeune en 1997, Contrat d'Avenir en 2004, CAE Passerelle en

donc des professionnalisations non secrétées par la vie associative, mais des opportunités qui peuvent déstabiliser les bénévoles. Ils se désengagent parce qu’il y a transfert de la tâche sur le salarié, mais quand la sortie du dispositif d’emploi aidé n’est pas anticipée et qu’il faut licencier faute de moyens pour continuer à payer le salarié, c’est un traumatisme au sein de l’association.

Le CNRS (Tchernonog, 2007, p.85-102) comptabilise 15,6% d’associations employeurs, soit 172 000 associations qui emploient 1 902 000 salariés. Mais la structure d’embauche et d’emploi révèle 53% d’emplois stables pour 47% de petits boulots.

Trois secteurs sont les principaux employeurs, mais leur structure d’emploi est différente en fonction d’une grande disparité dans la taille de l’entreprise :

20,7% sont des structures de l’action sociale et sanitaire qui emploient 39,4% des salariés 55,6% sont des structures de la culture, du sport, et des loisirs qui emploient 27,7% des salariés 9% sont des structures de l’éducation/formation/insertion qui emploient 26,1% des salariés

Face à la complexité croissante de la gestion et de leur fonction d’employeur, le dilettantisme des responsables bénévoles leur est reproché par leurs salariés qui demandent plus de rationalisation, de conformité réglementaire, de prévision, et de cadre pour les profils de poste. L'engagement associatif devient une compétence à former et à « professionnaliser » : il est l’objet de diverses politiques publiques. En 1995, dans les départements ou les Pays, sont créées des missions d’accueil et d’information des associations (MAIA), puis en 2002 des dispositifs locaux d'accompagnement (DLA) et des Centres de Ressources et d'Information des Bénévoles (CRIB) pour auditer et former les responsables bénévoles. En 2006 la loi sur le volontariat associatif67

crée un cadre juridique sécurisé pour le bénévole68, qui devient un hybride entre volontaire

indemnisé et salarié, avec un contrat de deux ans exclusif de toute activité rémunérée. Le volontariat se rapproche du concept de « community » philanthropique pour les grandes causes caritatives, où l’acteur intervient dans la sphère publique grâce aux dispositifs.

Le bénévolat de compétences, proposé par des actifs pour une mission ponctuelle sur une cause ou un projet dans le prolongement de leurs compétences professionnelles, intervient

67 Loi n°2006-586 du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l’engagement éducatif.

principalement sur les questions administratives pour l’aide au recrutement, à la communication et au développement. Il diffuse une institutionnalisation du bénévolat en créant des fiches de postes pour recruter les bénévoles et des techniques de management pour gérer la ressource humaine bénévole. Les associations reconnues d’utilité publique sont autorisées à rémunérer certains de leurs dirigeants sans que leur caractère désintéressé soit remis en cause.

Ces professionnels du conseil diffusent une culture entrepreneuriale sur l’amélioration de la « gouvernance », sur la gestion de l’implication du personnel et sur la gestion financière. La rationalisation de l’entreprise infiltre l’organisation interne des associations : étude de faisabilité ou étude de marché, audit pour rentabiliser, affectation optimale des fonds et excédents de gestion, management des ressources humaines, démarche qualité, modes de décision basée sur la position hiérarchique et non plus sur « un homme égale une voix ».

Depuis les années 1980, il y a débat sur les activités économiques des associations et sur la question de leur rentabilité : leur participation au secteur marchand est-elle concurrence, complément ou alternative au marché ? Il y a débat sur la gestion désintéressée des bénévoles et les contradictions éventuelles du non lucratif et de l’économique, ainsi que la redéfinition de leur utilité sociale pour avoir droit à des subventions publiques.

Les subventions d’État se raréfient et doivent être compensées par la vente des produits pour survivre. La demande et la consommation d’offres de service social et de loisir sont en forte augmentation. Les associations se trouvent concurrencées sur leur propre terrain par la commercialisation des services à la personne, le tourisme social, les activités de loisir, les modes de garde. Il y a une porosité avec le secteur marchand dans les procédures d'appel d'offres de prestations de services. Le ralentissement de la productivité donne moins de moyens à l’État, aux collectivités locales, à la sécurité sociale pour financer le développement de l’éducation, de la santé, du secteur social. Les prélèvements obligatoires (45% du Produit Intérieur Brut) ont atteint un seuil politique, l’opinion publique n’est pas prête à augmenter les impôts et les charges sociales. La collecte des financements privés pour la vie associative est alors encouragée : titres associatifs, appel au mécénat, les livrets d’épargne de partage ou placements solidaires, l’épargne salariale collectée par l’association France active, la collecte marketing de fonds par les grandes associations caritatives ou humanitaires.

En 1984, la loi relative à la prévention et au règlement amiables des difficultés en entreprise, s’applique aux associations en difficulté en les dénommant « personnes morales de droit privé non commerçantes ayant une activité économique ». Il y a suspicion de concurrence déloyale des

structures ayant le statut juridique associatif mais avec une activité plus économique qu’éducative. Pour contrôler les entreprises qui prennent le statut associatif par facilité, de nouvelles formes de structures juridiques sont inventées : SEM-société d’économie mixte avec une municipalité ; SOS-société anonyme à objet sportif ; GIP-groupement d’intérêt public. Les instructions fiscales pour les associations à partir de 2000 délimitent ce qui fait l’activité commerciale accessoire et imposable pour la distinguer de l’activité éducative.

La résistance à l’économie marchande de la concurrence, de la compétitivité, de la rentabilité fait débat dans les fédérations associatives. L’obligation de gagner le marché des prestations de service, de développer la consommation des produits de loisir, de répondre à l’appel d’offres en collant uniquement à la commande, occulte les questions de choix et de projet éducatif.

Les associations qui se positionnent dans l’économie sociale (ou solidaire ou tiers secteur) vont proposer une alternative entre l’assistance de l’État et les exigences productivistes du marché. Elles inventent les entreprises d’insertion, les associations intermédiaires, les régies de quartier, les systèmes d’échange local pour proposer une alternative aux populations exclues du travail. Il y a des besoins et des demandes considérables dans des services du tertiaire relationnel : en éducation, santé, travail social, culture, protection de l’environnement. Ils n’offrent pas un gain de productivité important tant qu’ils ne sont pas standardisés et informatisés (exemple de l’enseignement à distance). Mais l'économie marchande récupère ces services collectifs quand ils deviennent solvables pour en faire un produit de consommation individualisé : la récupération des déchets, l'aide à la personne dépendante, la garde d'enfants…. Le secteur associatif doit continuellement se renouveler. L’État-providence se défausse aussi sur les associations pour fournir les services sociaux élémentaires (exemple Les Restos du cœur) sur le mode des « charities » anglo-saxonnes.

Depuis la Charte de l'Économie Sociale écrite en 1979, le secteur de la coopération a redéfini le sens à donner à l'économie : elle est solidaire et durable quand elle gère les échanges de la vie quotidienne, y compris les échanges non monétaires comme les échanges de savoirs, quand la cohésion sociale produit de la valeur. Il s’est organisé en fondant en 1986 des Groupements Régionaux de la Coopération, des Mutuelles et des Associations (GRCMA) transformés à partir de 1993 en Chambres Régionales de l'Economie Sociale (CRES), et instaure en 2003 un Conseil des Entreprises et Groupement de l'Economie Sociale (CEGES). Il a une représentation au Conseil économique et social et dans les CESR -Conseil économique et social régional- en tant

qu'agent économique et social. La Délégation Interministérielle à l'Innovation Sociale et à l'Economie Sociale, créée en 1981, a participé à cette structuration69.

L’association devient objet de la sociologie économique. Jean-Louis Laville (1994, p.16) revendique une économie solidaire pour les services de proximité, avec une double inscription dans les sphères publique et économique, une économie du « quatrième secteur » qui mixe : des fonds publics avec des paiements par les particuliers, et le travail rémunéré des professionnels avec la participation non rémunérée des bénévoles, dont témoignent par exemple les crèches parentales. L’État démultiplie l’efficacité de ses moyens limités en aidant financièrement ceux qui veulent bien prendre des initiatives dans les services. L'État et les collectivités locales offrent une partie des biens et des services collectifs, et les structures de l'économie sociale prennent en charge des besoins collectifs mal satisfaits. Laville prône une conception différente du progrès où le rôle de l’économie n’est plus l’augmentation des richesses et des services, mais la valorisation de la sphère qu’il nomme « autoproduction domestique ». L’organisation sociale qui permet à chacun d’avoir sa place dans la société et à pouvoir y être actif est un progrès.