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SOCIOCULTURELS

Cette partie explore comment une formation expérientielle permet de produire des savoirs sur un métier où l’identité professionnelle est souvent floue et encore en construction (chapitre 1), et comment la réflexion sur l’action et en action permet une pratique réfléchie (chapitre 2).

«Tous ces métiers ont la réputation d’exiger d’abord les mêmes dispositions éthiques et psychologiques : la disponibilité, l’engagement personnel, l’esprit d’initiative, la maturité affective, bref un subtil dosage d’intuition, de bon sens, d’expérience, toutes qualités que les formations professionnelles sont censées pouvoir parfaire et développer, mais non créer.» (Poujol, 1989, p. 155).

L’animation est perçue comme une attitude au lieu d’être d’abord une technique, c’est un état d’esprit où il faut avoir un certain tempérament, un certain nombre de qualités au service des finalités. La contradiction entre un état d’esprit et un professionnalisme se traduit par le mythe du professionnel dont le but est de devenir en surnombre, inutile pour que les intéressés deviennent eux-mêmes les animateurs de leur propre milieu.

Dès le début de la professionnalisation, Simonot (1974, p. 37) interrogeait « la contradiction interne à une activité qui se donne à la fois comme bénévole et professionnelle, comme métier et comme activité définie par un système de valeurs, en un mot à la fois comme vocation et comme technique ». Pour Augustin et Gillet, (2000, p. 13), l’afflux vers ces professions d’animation

« s’explique par un besoin de médiation, de reliance de plus en plus ressenti en raison des transformations de la société (…). Un projet d’utilité sociale et culturelle, d’engagement collectif et de sens à donner à sa vie ».

Le Nouvel Observateur15 titre en 1999 :

« L’animation : un métier en quête de statut…Les sports de loisirs et l’animation socioculturelle sont de gros réservoirs d’emploi, au moins 600 000 emplois qui attendent un véritable statut, mais qui représentent seulement 92 000 équivalents temps plein. Car il s’agit de métiers passions souvent précaires, mal rémunérés, dans lesquels il faut savoir évoluer. L’animation : des statuts différents, une multitude de diplômes, mais l’amour des jeunes comme motivation profonde et la soif d’un travail qui ait du sens».

En 2003, l’estimation du Ministère Jeunesse et Sports est de 350 000 animateurs socioculturels. Entre 1998 et 2003, les associations et les collectivités locales ont créé 35 000 emplois dans le secteur jeunesse et sports en utilisant le dispositif public des emplois aidés dits « emplois jeunes » dont la pérennisation est évaluée à cinquante pour cent.

Les qualités du métier pour être capable d’empathie sont difficilement standardisables. La personne de métier se crée une identité professionnelle autonome : elle est le spécialiste qui se distingue de l’amateur. Elle alimente sa pratique en l’explicitant, en la développant par des connaissances disciplinaires, et par l’apprentissage des processus diagnostiques quotidiens et de résolutions de problème. Elle maîtrise son savoir-faire c’est-à-dire ses habiletés, son savoir en action dans les situations concrètes. Elle a à élucider ses attitudes ou savoir-être pour mettre en accord ses discours de principes et sa pratique. Dubet définit la professionnalité à trois niveaux :

« C’est tout d’abord la structuration d’un ensemble de compétences (…). C’est ensuite la reconnaissance sociale à travers la représentation collective d’un métier, son affirmation corporatiste, les rôles attribués et les attentes de rôles, les niveaux de qualification retenus et les rémunérations allouées. C’est enfin une réflexion sur les finalités du travail concerné et le sens qu’il prend dans une conception de l’homme et des rapports sociaux, qui impliquent un débat sur l’affirmation du sujet comme acteur social confronté aux dispositifs de normalisation. » (Dubet, 1994, p. 184)

La formation professionnelle qui n’assurerait que l’entraînement des méthodes de rationalisation de l’expertise entrerait en contradiction dialectique avec l’accompagnement d’un métier d’artisan, d’un métier relationnel où le bricolage créatif permet d’entraîner une posture de compréhension

et de réflexivité. Former des professionnels de l’animation, c’est interroger leurs formes d’engagement et d’implication dans un métier d’éducation, sur les rapports entre professionnalité et militance. L’interrogation sur les significations, les questions de sens, la compréhension des situations relationnelles et sociales complexes, qui les influencent et qu’ils peuvent influencer, demandent une durée de maturation, une temporalité, une historicité qui sont à l’inverse des théories de l’apprentissage comportementaliste ou des pédagogies par objectifs évolutionnistes et chronologiques. La formation au DEFA16 intègre un aménagement du parcours d'apprendre, et il

permet la durée de l'enracinement et le temps pour construire son propre mode de maturation.

L’alternance entre pratique et théorie n’est pas la construction d’une application de modèles de pratiques à reproduire sur le terrain, mais une alternance mentale, réflexive, inductive pour tirer un enseignement de ce qui est vécu au quotidien. Le postulat de la formation est que le milieu professionnel a créé des situations d'apprentissage qui sont très enrichies dans le contexte professionnel spécifique de l'animation socioculturelle où l'organisation du travail favorise les lieux d'interactions et les échanges de compétences. La manière dont on tient son poste est évaluée sur la prise d'initiatives et de responsabilités, la recherche spontanée d'informations, l'intérêt au travail.

La pratique d'autoformation veut conférer à l'apprenant adulte pouvoir et responsabilité sur sa formation. Elle recourt aux ressources propres des sujets dans le développement de leurs compétences, en termes de motivation, implication, mobilisation, responsabilisation. L’apprenant est le sujet de sa démarche de formation et non pas un consommateur, ou l’objet d'un dispositif de transmission. Il lui faut trouver sa place en ayant conscience de son affectivité, en ayant droit à sa subjectivité, aussi bien qu’en apprenant à objectiver et à réfléchir sa pratique professionnelle en tant que processus de transformation des réalités quotidiennes. Le sujet est tout autant dans les savoirs endogènes, vécus, expérientiels, les micros moments qui apprennent beaucoup de choses qu’on ne s'autorise pas à nommer, les savoirs de la vie quotidienne, les intuitions et les non-dits, que dans les savoirs exogènes, déductifs, qui disent ce qui est visible, en lumière, objectivable et vérifiable.

La visée de la formation est l’apprentissage à identifier ce que l'on sait et sait faire. L'expérience simplement vécue et non encore réfléchie laisse toute une série de compétences dans le flou, l'implicite et le non conscientisé. L'apprentissage doit s’étayer sur les évènements ancrés dans

16 D.E.F.A. : Le Diplôme d’État aux Fonctions d’Animation créé en 1979 est remplacé en 2007 par le DEJEPS -

Diplôme d’État Jeunesse Education Populaire Sport- et le DESJEPS -Diplôme d’État Supérieur-. Le DEFA continue d’exister jusqu’en 2015.

l'histoire de celui qui apprend, et faire profit de son expérience. Il doit tenir compte de ce que la personne en formation sait déjà, d’une part pour ne pas l’infantiliser, et d’autre part pour moduler et personnaliser sa formation, lui donner le temps pour comprendre, intégrer, accueillir le changement. L’acte de formation est une mise en forme et en mots d'un vécu premier pour construire une expérience plus élaborée. L’hypothèse est qu’apprendre, c’est potentialiser ses conduites, en respectant le contexte propre du sujet. Pour l’apprenant, l’analyse de sa pratique participe au développement de ses compétences, parce qu'elles deviennent transférables à d'autres situations.

La réflexion dans l’action permet de construire une démarche praxéologique qui étaye les représentations des systèmes d’animation pratiqués par les stagiaires. Le repérage et la réflexion sur l’enchaînement des micros évènements vont créer sens par la confrontation des points de vue empiriques et théoriques. La formation est praxéologique parce qu’elle passe de la perception du réel à une compréhension des enjeux, pour que les faits prennent sens, et parce qu’elle passe, comme l’explique Kolb17 d'une compréhension à une transformation, pour que l'action se réalise

en connaissance de cause, et en conscience de ses référents axiologiques.

L’écoute active des groupes et des situations implique fortement l’acteur professionnel. Les demandes de formation portent sur la réassurance des raisons et des convictions de faire ce métier, face à la fatigue et au sentiment d’impuissance, au quotidien routinier d’une logistique et d’une bureaucratie administrative assez prégnante, qui peut faire perdre le sens éducatif du travail. Le manque de compréhension de situations trop complexes, dont on ne comprend pas les enjeux, provoque un ressentiment très fort contre tous les « autres qui empêchent de faire », les collègues, les employeurs bénévoles, les élus locaux.

Chapitre 1 – Fragilité identitaire du

champ professionnel

Certains professionnels vivent comme une chance, une aventure le fait que les statuts, les rôles, et les fonctions soient peu stabilisés, pour pouvoir encore les imaginer. D’autres vivent le fait d’avoir à créer leur propre place comme une instabilité et un manque de reconnaissance. Le degré de satisfaction des salariés d’association et de collectivités locales est fort quand il y a sentiment d’utilité sociale, engagement dans le sens donné au travail, une autonomie, une liberté d’initiative et un cadre relationnel source de grande motivation. Mais il y a la fatigue de l’acteur avec un sentiment de «burn out»18 quand il n’adhère pas au système de valeurs de l’organisation.

Les rapports sont trop affectifs, ou il y a trop d’exigence sur le temps de travail mal respecté, ou il est difficile de trouver la juste mesure entre l’efficacité et le mode participatif, entre ce qui peut être discuté et ce qui ne peut l’être pour passer à l’action. (infra 1.1)

Il y a à créer une dialectique entre métier du sujet et profession standardisée et hiérarchisée pour que l’animation soit créative, porteuse de transformation, participe de la fondation du lien social, éminemment vivant, donc instable, donc parfois chaotique, donc à recréer ou à enrichir continuellement. Le bricolage et les systèmes D permettent l’innovation et la créativité, en puisant dans des méthodologies multisectorielles et des analyses pluridisciplinaires. (infra 1.2) Le champ d’intervention est à la croisée du culturel, de l’éducatif, du politique et du social, et il n’y a pas vraiment de reconnaissance à part entière dans aucun des secteurs d’intervention. La crédibilité est fluctuante parce qu’il n’y a pas d’inscription dans un secteur spécialisé. La polyvalence est fragilité et complexité, mais elle est aussi une force, une richesse par la variété des champs d’intervention, des fonctions assurées, par le manque de frontières. (infra 1.3)

L’Éducation populaire revendique un projet éducatif de développement de l’esprit critique pour être citoyen, la capacité de raisonner et de décider, et l’apprentissage de la démocratie au quotidien. Elle est définie comme éducation émancipatrice, en étant armé intellectuellement pour faire face à la pauvreté et à la misère, accéder à l’instruction et à la culture pour maîtriser son avenir, pour conscientiser les exploitations, pour démocratiser la société et s’émanciper collectivement en proposant l’éducation de tous par tous. (infra 1.4).