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Dans cette partie, j’étudie les significations partagées dans les analyses collectives de pratiques pour comprendre comment les animateurs perçoivent leur monde et comment ils s’y situent en tant qu’agents de socialisation. La mise en scène de la pédagogie réflexive permet d’utiliser des dispositifs de visibilité, des analyseurs construits, qui dérangent les routines invisibles ou les allants de soi dans les interprétations de leurs expériences par les acteurs.

L’étude du discours des animateurs, recueilli dans les temps d’analyses de pratiques, permet l’étude des collaborations entre les professionnels et les bénévoles associatifs et élus locaux. Les stagiaires professionnels disent les contradictions et les paradoxes auxquels ils font face.

Il s’agit de comprendre comment se produit et se maintient cette action sociale, l’articulation entre les intentions éducatives et leurs opérationnalisations par les rituels de gestion associative :

- la cohésion des mythes et des valeurs pour définir leurs visées et les alternatives, le code culturel implicite qui les gouverne, et l’utilisation de cette culture pour interpréter les évènements de leur vie quotidienne.

- l’influence des rituels d’interventions et de communication, pour normer l’organisation, les modèles de comportements, et les conflits de groupe.

- l’explicitation des épistémès pour résoudre les contraintes, les impasses.

Le chapitre 3 rend compte des moyens de l’observation pour un chercheur impliqué dans l’objet de recherche, et problématiser ce qu’il y a à régler dans les rituels de collaboration entre professionnels et bénévoles.

Le chapitre 4 rend compte de l’état des ethnométhodes pour s’engager et contracter dans la vie associative. Les difficultés relevées dans les analyses de cas caricaturent les pratiques (au sens du grossissement des traits), et permettent d’induire quels sont les visions et les missions à partager, et quels sont les épistémès et rituels qui donnent l’expertise de s’associer.

Selon le paradigme socioconstructiviste, le savoir-apprendre ensemble permet un processus de changement individuel et/ou collectif. Les interactions sociales construisent une culture qui permet la co-construction de connaissances et la co-construction de l’expérience. Les acteurs associatifs font des choix éthiques d’intervention sociale, plus ou moins intuitifs, plus ou moins explicités et rationalisés. Et ils organisent les règles de vie sociale pour réguler leurs échanges et leurs relations quotidiennes, qui n’existent que parce qu’elles sont utiles pour un usage dans la vie de tous les jours, et qui maintiennent un ordre social. Les interdépendances et les distinctions sociales sont construites de manière invisible en continue. Rendre visible ce travail d’institution invisible est la proposition sociologique de l’ethnométhodologie.

Les ethnométhodes sont les procédures apprises dans la vie courante et non dans les écoles, le savoir de sens commun qui est partagé par les membres d’un groupe et qui a valeur de connaissances. Lapassade (1991, p. 92) les définit comme :

« Des ensembles localisés de pratiques instituantes qui sont constamment sous-jacents aux échanges et aux actions. Les gens, en même temps qu’ils agissent, qu’ils communiquent, qu’ils entrent dans des interactions diverses, doivent produire et entretenir les conditions de possibilité de tels échanges ; ils doivent constamment produire le social mais ils ne le voient pas et cela ne les intéresse pas. »

Lapassade relie le courant ethno-sociologique de l’ethnométhodologie américaine au courant français des institutionnalistes et de la socioanalyse. L’interprétation du monde social se fait en fonction des besoins et des catégories d’entendement. L’indexicalité nomme la description des faits du contexte et la réflexivité nomme l’interprétation du fait, la socioanalyse l’interprète par la dialectique instituant/institué.. Les socio-anthropologies disent comment le sociologue profane lit le monde, construit le sens commun du monde social, et elles postulent l’historicité du sujet pour construire le monde malgré et/ou avec tous les déterminismes et conditionnements. Elles s’opposent à la théorie behaviouriste qui postule que l’environnement détermine les comportements, du dehors, en déclenchant des réponses à des stimulations.

L’interactionnisme symbolique fondé par Herbert Mead dans les années 30 à Chicago démontre que le sujet individué, pour advenir à la Personne, se construit dans les interactions sociales : il

les choisit en fonction de ses besoins, il donne sens au monde par son action, il attribue des significations aux situations vécues, et la société n’est que le produit de ces interactions entre les individus. Le processus social conçu par Glaser et Strauss cité par Lapassade (ibid, p.60) est que les interprétations que font les individus produisent des significations, déterminent leurs actions individuelles et maintiennent des interactions réglées. La production de sens se joue dans les interactions, dans la mesure où deux partenaires lui accordent une même signification, et partagent le même système symbolique de façon publique et intersubjective.

Les processus relationnels d’animation ou d’accompagnement sont immergés dans les liens du quotidien. Les liens de réciprocité peuvent contrebalancer les risques de liens d’assistance ou de domination toujours à surveiller. La posture d’accompagnement est de s’ajuster, être à la bonne distance, être disponible et en veille permanente pour diminuer les risques d’être les gardiens de l’ordre des choses, des notions préconçues et de passer à côté du sens intime de l’expérience de l’autre, pour ne pas faire et ne pas dire à sa place.

Le professionnel doit repérer et comprendre et ce qui détermine les intentions et finalités dans ses choix de s’investir et de s’engager dans la relation aux autres. Il élucide ses conditionnements, ce qui le met en position défensive (défendre le peu qu'il a) ou en position offensive (accepter l'altération comme ressource). L'équilibre entre ses postures innovantes et créatives et ses fragilités et ses freins balance entre sa curiosité et ses fatalismes, ainsi que son rapport aux hiérarchies, celles qu'il subit et celles qu'il impose. Cela touche aussi à sa peur ou sa quête de pouvoir, l'ouverture ou la pauvreté de ses réseaux de coopération, son autocensure ou l’autorisation qu’il se donne à la critique sociale. Une réflexion critique sur les arguments et le tri des informations, une lucidité sur les interdits intériorisés ou les inhibitions qui modèlent les réponses, une attitude rationnelle pour juger les conflits y compris dans l’acceptation d’une autorité externe pour résoudre les différends, lui permettent un renforcement de sa prise de responsabilités et sa légitimité dans les décisions collectives.

Chapitre 3 – Observation des pratiques

professionnelles

Dans la dynamique des groupes de stagiaires, le formateur est en partie dans la tribu, et en partie externe, étranger à la tribu. Il n’a pas la même pratique et il n’a pas le même statut. La formation expérientielle permet au formateur d’écouter comment les professionnels définissent leur métier, comment ils organisent leurs stratégies et leurs interventions, et quels discours ils tiennent sur leurs contextes et leurs partenaires (collègues, bénévoles, populations, associations, administrations). Cette écoute permet d’ajuster la formation aux évolutions de l’environnement et aux demandes et besoins des stagiaires.

Cette écoute se réalise dans les échanges oraux d’analyse de pratiques, mais aussi dans l’accompagnement des quatre écrits réflexifs que doivent réaliser les stagiaires au cours de leur formation : un rapport de stage, le montage d’un projet de technique d’animation, l’approfondissement d’une réflexion personnelle sur une thématique professionnelle, le mémoire professionnel sur une expérience d’animation d’un an. Ils doivent expliciter par écrit l’expérience vécue et problématiser l’action, donner le sens éducatif de leurs interventions. Ils sont évalués sur la créativité du va-et-vient entre la situation vécue et la réflexion, et sur leurs capacités à décrire et démontrer, argumenter pour convaincre, et faire adhérer à leur positionnement. Chaque écrit permet une pause identitaire, un bilan de compétences pour expliciter ses acquis, ses convictions mais aussi ses contraintes.

En tant que chercheure, je suis donc en participation complète en ayant une appartenance préalable à la situation étudiée, et la difficulté est d’apposer le nouveau rôle complémentaire et superposé de chercheur au rôle statutaire et permanent d’acteur auquel je ne renonce pas le temps de la recherche. Le savoir à produire est une distanciation des us et coutumes et des codes établis dans la reproduction des conduites de stages qui ont construit mon identité professionnelle. Il me faut assumer la part d’implication dans la vie du groupe (en tant que membre effectif du groupe je vis les valeurs du groupe) et être vigilante sur la part de recul nécessaire pour saisir les points de vue hétérogènes. La posture d’écoute sensible du formateur permet la compréhension de l’intérieur, une compréhension émique ou endogène, celle que l'on porte sur son propre

monde, sur sa propre culture. Cette compréhension reste souvent au niveau de l'implicite. Il n’y a pas posture d’étrangeté à la culture de l’autre, mais un grand risque de transferts, ou l’introduction de ses valeurs dans la situation étudiée. Je prends le risque d’être critiquable sur ma propre distance culturelle par rapport au sujet abordé, assumer le fait d’être partial et partiel ou plutôt conscientiser cette subjectivité et en comprendre la symbolique, en interaction avec celles des autres acteurs.

La démarche de chercheur est d'appréhender de façon explicite la manière dont les acteurs se perçoivent, se comprennent, le mode de faire et de penser de l’autre. Il faut mettre en place un dispositif pour une approche exogène ou étique, pour introduire une distanciation par rapport à la culture initiale, voire sortir du système pour comprendre le système. Et cela même si l’implication du chercheur ne s’annule pas et ne se met pas de côté, et donc infère l’observation. Ce sont les deux compréhensions émique et étique qu’il faut croiser de façon lucide : un espace réflexif pour renforcer le praticien et un dispositif d’observation objective de collecte de données pour le chercheur. La participation observante doit objectiver ce qui se passe, reconnaître l'expression des émotions, des ressentiments dans le discours des acteurs sur leurs activités et opinions. L’observation participante offre des grilles de lecture en extériorité pour comparer et classer les discours, les savoirs d’action et en définir les significations.

En sociologie qualitative, le profane et le pragmatique sont reconnus compétents en ce qui concerne la description de leur monde : la réalité sociale est définie par les acteurs sociaux eux- mêmes. L’heuristique de l’expérience est de découvrir ce qui est caché dans la pratique, comment est appréhendé le monde.

Mais pour rendre scientifique l’approche empirique des savoirs d’action, il faut les interpréter et les traduire par un travail herméneutique. Il s’agit d’accéder aux significations accordées par les membres aux évènements sociaux, pour comprendre le monde.

Cette recherche est un choix strictement personnel. Elle n’est en rien une commande de l’institution employeur, et donc le chercheur ne peut être soupçonné d’être source d’informations pour l’autorité et de contrôle. Elle n’est pas non plus un cadre d’observation expérimentale du cobaye. Dans le dispositif de travail d’observation, il n’y a pas de rituel de la négociation d’entrée autre que le rituel institué de présentation du formateur. Un statut est déjà acquis dans la situation, et celui de chercheur est annexe, accessoire ou clandestin.

La recherche est retransmise au fur et à mesure aux acteurs de la formation, et la construction de leur point de vue réactif est un savoir partagé sur leur identité professionnelle.