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Deux enquêtes, psychosociologique en 1970 et quantitative en 1987, ont jalonné la reconnaissance de la profession en essayant de la définir.

Michel Simonot fait la première enquête auprès des stagiaires en formation dans les IUT Carrières Sociales et dans des Centres privés, sur leurs aspirations socioprofessionnelles et leurs représentations de rôles de futurs animateurs. Ce travail est réalisé à un moment de transformation de l’activité d’animation socioculturelle : le passage du bénévolat à une profession légitimée pour laquelle sont délivrées des formations spécifiques. Il distingue l’Éducateur Populaire comme statut typique du bénévole militant, volontaire et non rétribué, pour l’opposer au professionnel Animateur, même si le modèle de comportement militant subsiste de façon plus ou moins conflictuelle dans le mode d’exercice professionnel de l’animateur socioculturel. Simonot étudie toutes les déclarations d’objectifs et de principes écrits dans les dix années précédentes sur le métier, il vise à le sortir de la marginalité par un certain consensus sur son activité spécifique et sur la formation professionnelle nécessaire pour l’exercer. Sa synthèse est la suivante :

« L’animation socioculturelle est un secteur de la vie sociale dont les agents se donnent pour objectif une certaine transformation des attitudes et des rapports interindividuels et collectifs, par une action directe sur les individus, leurs attitudes, leurs relations interindividuelles et sociales. Cette action s’exerce en général par la médiation d’activités diverses à l’aide d’une pédagogie faisant appel aux méthodes non-directives ou actives. » (Simonot, 1974, p. 27)

La première enquête quantitative sur l’activité concrète des animateurs et l’étude de leurs postes est réalisée en 1987 par l’Observatoire des Programmes d’Animation, crée par le Ministère du Temps Libre, pour connaître le poids économique de ce secteur et appréhender l’évolution des qualifications. Le premier travail de l’O.P.A. a été d’identifier les employeurs qui étaient répartis dans le fichier Rome de l’INSEE, et de reclasser les professionnels dans la nouvelle nomenclature des Professions et Catégories Socioprofessionnelles (PCS) mise en place en 1982, où a été créée la catégorie des « professions intermédiaires » à la place de la catégorie des « cadres moyens ». Le décompte est alors de 100 000 emplois permanents et de 140 000 saisonniers. L’ambition de cette enquête est de rationaliser la pratique d’animation, en sachant nommer ses conditions d’exercice et d’existence, pour trancher avec les études antérieures qui n’expliquent l’animation que par des intentions idéologiques (démocratiser la culture, créer la vie…). L’enquête est réalisée dans six régions auprès d’un échantillon de 1127 professionnels.

L’enquêté dispose d’une liste de dix-sept verbes d’action et de compléments pour nommer ses actes et pour hiérarchiser les fréquences de son activité professionnelle. La typologie du contenu du travail a été construite en cinq catégories considérées comme analyseurs du cadre et de la hiérarchie de la pratique professionnelle : réalisation d’activités avec une pédagogie associée Ŕ coordonner, gérer, communiquer Ŕ élaborer et réaliser des activités Ŕ organiser des programmes d’activités Ŕ diriger, représenter, gérer. L’étude définit l’animateur professionnel comme :

« Un acteur dont le rôle consiste à négocier la réduction des incertitudes pour l’organisation qui l’emploie, avec des relais représentant le segment de l’environnement qu’elle vise et qu’elle ne peut atteindre seule ou directement. Ces relais peuvent être des individus, eux-mêmes acteurs dans d’autres organisations ou des réseaux d’acteurs pris en tant que tels. Tout cela veut dire que l’animateur est considéré comme un acteur qui sert d’interface, d’interprète entre l’organisation qui l’emploie et d’autres acteurs ou organisations, en vue de la réalisation des objectifs visés » (OPA,1987, p. 20).

La professionnalisation par la validation sociale de la qualification a progressé lentement depuis le premier diplôme d'État en 1964, le DECEP19. En instituant le DUT20 Carrières Sociales option

Animateur socioculturel en 1967, l’animation devient un projet public banalisé, et non plus seulement un projet idéologique associatif. Créé en 1970, le CAPASE21 est une promotion

sociale des bénévoles devenus permanents dans les associations d’Éducation populaire leur permettant de capitaliser leur formation continue en vingt-cinq unités de valeur. Le 6è Plan avait programmé pour 1975 l’objectif de vingt mille animateurs professionnels. Ce diplôme est remplacé en 1979 par le DEFA22 , en cinq unités de valeur et un mémoire dont la finalité est de

« théoriser sa pratique », l’ensemble de la formation continue peut durer de six à huit années. La filière professionnelle est initiée par le niveau III de la formation professionnelle (niveau DUT, BTS) donc par le niveau de technicien supérieur, de coordinateur d'animation. La filière est complétée quinze ans après par le niveau d’animateur d’activités (niveau IV Bac) reconnu en 1986 avec le BEATEP23. Encore une dizaine d’années pour créer le niveau V en 1993 avec le

BAPATT24, et en 1995 le niveau II (licence) de la filière avec le DEDPAD25 .

19 DECEP : Diplôme d’État de Conseiller en Education Populaire 20 DUT : Diplôme Universitaire de Technologie

21 CAPASE : Certificat d’Aptitude à la Promotion des Activités Socio-Éducatives 22 DEFA : Diplôme d’État relatif aux Fonctions d’Animation

23 BEATEP : Brevet d’État d’animateur technicien de l’éducation populaire et de la jeunesse 24 BAPATT : Brevet d’Aptitude Professionnelle d’Assistant Animateur Technicien

La notion de profession désigne un accès du salarié à un statut déterminé de manière précise, étendu au plus grand nombre d’aspects possibles de la vie au travail et garanti avec plus ou moins de force par la loi. En vingt ans, depuis la signature de la Convention Collective de l’Animation en 1988, le système social professionnel a été fortement structuré. Mais presque quarante ans après le début de l’organisation de la profession, l’expertise spécifique du professionnel n’est pas tout à fait repérée et lisible. L’autorisation juridique corporative liée à un diplôme n’existe pas puisque les animateurs ne sont pas obligés de posséder une certification pour exercer l’animation, et certaines embauches se font plutôt par cooptation et sur des qualités personnelles. Les appels d’offre d’emploi mélangent encore souvent les titres pour exercer : ils demandent tout autant les brevets de volontaires non professionnels26 qui autorisent à encadrer

des accueils de mineurs (Bafa-Bafd) que les diplômes professionnels.

La Commission Nationale Paritaire de l’Animation, entre 2000 et 2006, a travaillé les référentiels métiers pour les catégoriser : c’est-à-dire nommer, situer, évaluer, établir des correspondances entre d’une part les fonctions à remplir, les tâches à accomplir, les postes à occuper et d’autre part les profils de qualifications, de compétences, et les titres des personnes susceptibles de les occuper. La réforme des diplômes a créé une filière commune de l’animation sportive et socioculturelle en répertoriant les taxonomies de capacités pour chaque niveau de la formation professionnelle. Le niveau IV de la formation professionnelle est tenu par un Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education Populaire et des Sports en 2001 (BPJEPS). Le niveau III est tenu par un Diplôme d’État de la Jeunesse, de l’Education Populaire et des Sports (DEJEPS) et le niveau II est tenu par un Diplôme d’État Supérieur de la Jeunesse, de l’Education Populaire et des Sports (DESJEPS) en 2007.

Les diplômes de l'animation socioculturelle ont plus de quarante ans : ils étaient des validations d'acquis d'expérience avant l'heure, et ils sont aujourd'hui normalisés en diplôme scolaire, avec des référentiels de capacités opérationnalisées et standardisées. Un référentiel professionnel se doit d’être bien balisé, spécialisé et scientifique, grâce à l’application des savoirs transmis et appris. Mais identifier une profession uniquement par les tâches standardisées des acteurs, la réduire aux actes utilisés visibles, assurer la reproduction professionnelle par le référentiel de compétences risque de l’enfermer dans une rationalité mécaniste. Le registre des communications dans les interactions avec les différents partenaires (publics, élus, collègues) peut être ritualisé et bureaucratisé, alors que les rôles sont encore relativement peu calés et à

inventer, en particulier entre professionnels et bénévoles (qu’ils soient des élus associatifs ou des élus de la collectivité locale).

La pertinence du métier relationnel est liée à la richesse diagnostique de l’acteur, les mobilisations qui fondent petit à petit la compétence d’agir, les savoirs transformés par l’action dans des cas de pratique toujours mouvante et la capacité d’inférence à partir des situations concrètes. La mise en pratique pertinente, à la fois artisanale et professionnelle, exige un jugement intuitif, une habileté et une sagesse pour résoudre les problèmes, et une sensibilité aux phénomènes instables et particuliers. Le métier est une dynamique, un processus dans lequel l'être tout entier est impliqué, et où les activités sont modifiées par l’évaluation des essais et erreurs dans la pratique individuelle. La maîtrise des gestes et la capacité de décision sont le signe de l'autonomie des gens de métier. La signature du style est la marge prise par rapport aux standards et aux référentiels, la qualité de la distance à la tâche, et l’affranchissement des contraintes pour les transformer en ressources éventuelles. Le métier est du côté de l’œuvre, de la vocation, de la profession en tant que passion de vie. On professe parce que l’on est habité par un projet fort et que l’on a envie de le partager : être autant utopiste que réaliste, apprendre à bricoler avec les moyens du bord, pour être inventif, créatif.

L’ambition de professionnaliser les métiers consiste à rationaliser leur productivité en améliorant la spécialisation de l’activité. Dans sa recherche sur la dynamique des professions, Strauss (2002, p. 67) critique la conception fonctionnaliste qui considère la profession comme homogène autour d’un noyau central de normes et de codes à intégrer. Au contraire, il met l’accent sur les changements et sur les conflits d’intérêts des divers « segments » ou groupements à l’intérieur de la profession, sur les clivages qui accompagnent la division du travail. Strauss inventorie les objets de conflits : le sens d’une mission pour délimiter les spécialisations, l’organisation du travail et des tâches prioritaires, les relations aux clients et entre collègues, la position occupée et les identités organisées dans l’esprit de corps, les intérêts divergents, l’unité apparente de façade, le maniement des codes de déontologie pour être porte-parole dans les relations publiques. Ces conflits d’intérêts font « processus quotidien de négociation et processus d’évaluation périodique » (ibid, p. 108), parce que l’ordre social est un ordre négocié, une action concertée continuellement reconstituée, où tout changement demande une réévaluation, une renégociation. Le professionnel spécialisé se définit par le répertoire considérable de connaissances qu’il déclare posséder et la méthode de production du savoir ou de son application dont il prétend avoir la maîtrise. Son expertise est la capacité de diagnostic et de pronostic pour une décision à

faire prendre : il intervient à propos ou dans un conflit quand il y a une divergence d’intérêts ou de l’indécision, et il constate et apprécie les faits, au nom de son intime conviction avant de donner une recommandation. Mais cette spécialisation peut avoir des effets négatifs quand il y a impérialisme du « supposé sachant », quand les méthodes comportementalistes définissent les « bonnes » attitudes, ou quand la compréhension des situations ne peut plus être appréhendée de façon dialectique par l’ensemble des acteurs qui partagent leurs savoirs et leurs points de vue. La division fonctionnelle des savoirs devient trop souvent une division sociale hiérarchique et une prise de pouvoir du spécialiste. Le risque est réel dans l’animation de voir les bénévoles ne devenir que « les petites mains » d’exécution du professionnel qui maîtrise le projet et la logistique.

Schön (1994) analyse le concept de profession né dans les années 1960 avec l’ère de la rationalité technologique postindustrielle. Le succès spectaculaire de l’ingénierie supplante l’artisanat, comme la médecine avait supplanté la sorcellerie : les pratiques techniques sont basées sur la science appliquée, et les connaissances pratiques font figure d’anomalies gênantes. Le technicien expert professionnel est bien informé, et il a un savoir hors du commun qui lui donne un mandat social pour être autonome dans l'exercice de sa profession, puisqu'il a l’expertise pour la résolution de problèmes complexes. Les professionnels font l’objet depuis les années quatre-vingt de critique radicale, quand ils sont perçus comme « des véhicules de présomption d’un savoir social légitime en vue d’un contrôle social » (ibid, p. 340), des instruments utilisés par une élite dirigeante pour exercer un contrôle sur les non possédants. La méfiance naît de la mise en dépendance, leurs échecs sont blâmés et leur jugement est remis en cause par scepticisme sur le mythe de l’expertise particulière, la masse de données à assimiler qui s’accumulent de manière exponentielle les obligerait à une adaptabilité quasi infaisable. Afficher que le professionnel est le spécialiste dans son domaine, qu’il a un savoir particulier et rigoureux, que sa maîtrise lui permet d’appliquer des principes généraux à chaque situation, donne à l’expertise un pouvoir exorbitant pour faire évoluer la société. L’obligation de résultat, pour définir et résoudre les problèmes, peut se réaliser en sacrifiant la compréhension de la cause, en rejetant toute nouvelle information comme information dangereuse, en éludant un vrai diagnostic. La technocratie est le pouvoir de domination du savoir spécialisé qui ne tient pas compte des conséquences, alors que les problèmes de société devraient être résolus par le politique, même si lui-même est souvent dévalorisé par une bureaucratie croissante. Pour Schön,

le praticien doit être réflexif pour corriger l’excès de savoir et l’excès de pouvoir, pour questionner les certitudes, les reproductions, les fatalismes.

Le métier d'éducation est encore affiché provisoirement dans le titre des nouveaux diplômes en tant que technicien de l'Éducation populaire, de la jeunesse et des sports. Mais les centres de formation qui sont habilités peuvent interpréter le contenu des unités de formation et des référentiels d’activités, définis dans la réglementation de la certification : ils peuvent choisir d'élaborer une formation professionnelle soit d'éducateur et d'animateur de la collectivité, soit de logisticien et de gestionnaire. Et il faudrait analyser de façon longitudinale comment la division hiérarchique des niveaux impacte la division sociale du travail, et comment la fonctionnalité technique dans les niveaux de responsabilité, de délégation de pouvoir et d’autonomie renforce la bureaucratie.