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Cette partie explore ce qui donne de la valeur et de l’intentionnalité pour vouloir se situer dans la société en le maîtrisant un peu, et comment augmenter sa puissance d’action. Les deux chapitres proposent de : décoder le vouloir apprendre (chapitre 7) et de pouvoir penser l’agir (chapitre 8).

Les sociologies constructivistes regardent comment les pratiques sociales font de l’autoformation permanente, comment le savoir pratique ordinaire, quotidien permet de tenir sa place au monde, comment les gens comprennent, interprètent et s’autorisent à exprimer leurs opinions et à agir. Elles reconnaissent aux profanes une compétence à la recherche-action : penser les logiques d'actions, les prises de décision, les intentions, les incertitudes, les intérêts divergents, les stratégies inventives de la vie quotidienne.

"Le "constructivisme" considère les "faits sociaux" comme une "construction" sociale continue, résultant de l'action des acteurs entre eux (de leurs interactions) ou encore de leurs "accomplissements pratiques". Ces interactions n'ont ni un résultat ni un sens totalement prévisible et prédéterminé : le "sens de la situation" résulte de la confrontation des définitions qu'en donnent les acteurs, ces définitions faisant l'objet d'un déchiffrage et d'une négociation éventuellement conflictuels. Prendre en compte ces aspects essentiels suppose qu'on accède au sens que les différents acteurs confèrent aux structures dans lesquelles ils évoluent, ce qui suppose d'"y aller y voir" et interdit une analyse fondée sur les seules données quantifiées". (J-M De Queiroz, 1995, p. 83 )

L’analyse phénoménologique postule la science des vécus, elle explicite les savoirs d’actions en tant qu’activités de transformation au quotidien. L’activité humaine est vécue, donnant lieu à expérience comme connaissance éprouvée. Les savoirs d’expériences se construisent dans la combinaison du sujet et de son activité, quand il sait tirer un enseignement de son vécu, qu’il sort transformé de cette expérience et qu’il est capable d’élaboration avec d’autres que lui-même. L’expérience peut être individuelle et intime, ne devenant sociale que lorsqu’elle est traduite en savoirs à partager. Il faut problématiser l’expérience pour la rendre apprenante, elle est un

rapport social singulier à l’agir. La construire c’est la verbaliser, la confronter aux regards croisés du groupe d’appartenance pour en dégager les composantes subjectives et objectives, les dynamiques émotionnelles et rationnelles. La conscience de l’expérience, en tant qu’intuition sensible des phénomènes, n’est pas une connaissance objective, mais une construction conscientisée dans la réflexivité de l’intersubjectivité. Les autres sont autant de miroirs réfléchissants, avec des intentions et des désirs différents qui obligent à préciser sa propre position et son argumentaire.

La reconstruction de la réalité se réalise au travers des expériences. Elle forme un système culturel de sens commun, quelquefois du «bon sens» mais aussi des constructions de «pré-jugés». Son interprétation et sa compréhension se réalisent à partir des perceptions subjectives, des représentations déjà emmagasinées. Penser demande une décentration : inviter à questionner l’habitude, interroger le pouvoir des opinions et des idées, s’entraider à travailler les représentations, pour participer à l’action sur le monde. Les représentations sociales bougent dans des pratiques sociales renouvelées qui peuvent intriguer, provoquer, et qui font se développer des capacités d’auto-analyse et la perception des intérêts en jeu. En retour, l’action est régulée par une forte réflexivité, et une maîtrise de la pensée autonome, la construction d’une identité critique par rapport aux normes instituées.

Se sentir capable de penser l’agir dépend de son historicité, de son éducation critique pour oser juger, de la valorisation de ses savoirs pour comprendre le présent et anticiper. Se sentir capable d’agir dépend de sa position d’émancipation haute ou basse dans les statuts et les rôles sociaux à jouer. La mise en marche, pour bouger mentalement et pragmatiquement, se joue dans le vouloir apprendre pour se donner de la puissance, dans le vouloir se mobiliser avec d’autres. Apprendre est un rapport au savoir pour se donner le droit de produire du sens. Le pouvoir de la connaissance est émancipateur par ses fonctions herméneutique et dialogique pour la compréhension de la réalité : prendre du recul sur son expérience, se représenter le fonctionnement, expliciter les convictions et les valeurs, partager les représentations, prendre conscience des potentiels et des freins des contextes d’action. Les savoirs académiques ne sont pas suffisants pour comprendre la réalité quotidienne, les savoirs populaires expérientiels permettent tout autant de construire et de développer les individus. Dans l’éducation formelle, les seconds n’existent pas puisqu’ils ne sont pas nommés, ils n’ont pas de valorisation sociale, l’éducation non formelle doit s’engager pour les mettre en lumière et les rendre légitimes.

Chapitre 7 – Décoder le vouloir

apprendre

Socrate et Aristote avaient fondé la relation pédagogique dialogique, pour une éducation ayant pour objectif « d’accoucher les esprits » par la confrontation dialectique. Pour Paolo Freire, le dialogue en groupe permet une action réflexive et critique pour conscientiser son rapport au monde et appréhender ce qu’il y a à changer dans cette réalité, pour s’émanciper des oppressions.

L’homme est un être social, il se construit avec la société dans laquelle il est inclus, ou plutôt elle l’aide à se construire en même temps qu’elle le contraint. Elle lui permet de se réaliser en même temps qu’elle le canalise. Postuler l’historicité du sujet social apprenant, c’est donc lui reconnaître des marges de manœuvre possibles par rapport à tous les déterminismes, la possibilité d’agir sur les conditionnements et les fatalismes qu’il subit. (infra 7.1)

La conscientisation est la capacité de traduire des mentalités de déterminisme en attitudes conscientes d’avoir été conditionnées, le pari éducatif est que les identifier peut permettre de s’en déconditionner, voire de s’émanciper. La proposition de Paolo Freire est de passer d’une simple prise de conscience de l’expérience, la rendre signifiante pour savoir qui l’on est pour exister, à une prise de conscience des conditions de cette expérience, ainsi que les processus déterminés de percevoir et de penser qui la rendent aliénée. (infra 7.2)

La socialisation est l’apprentissage des rôles à tenir et l’intériorisation des modèles par une reproduction des valeurs. Pour comprendre le sens de l’expérience, il faut repérer comment la subjectivité construit l’intériorisation des normes et des contraintes et comment la socialisation hétéronome instituée se bâtit en contrepoint d’une autodétermination instituante. Les dynamiques du lien social, institué par les mythes, les rituels et les épistémès, s’exercent dans des cohérences sociocognitives soit statiques, instituées pour contrôler tout ce qui est désordre et indétermination, soit innovantes, créant du désordre dans les représentations. (infra 7.3)

Le projet démocratique repose sur l’autonomie individuelle et sociale du citoyen en tant qu’individu critique et réflexif. La modélisation de Jean Gagnepain interroge les formes de rationalité qui nous permettent les médiations au monde. (infra 7.4)