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1. Harmonisation de la réglementation et coordination des processus réglementaires

1.2 Aspects perfectibles de la régulation

1.2.3 Limites territoriales de l’harmonisation

Comme les gouvernements provinciaux ont délégué leurs fonctions de production et d’application des normes relatives à l’encadrement des marchés financiers aux régulateurs provinciaux, ces derniers sont liés juridiquement à leur territoire puisqu’ils ont pour mission de protéger le marché et les investisseurs de celui-ci. Pourtant, les marchés étant mondiaux et les acteurs transnationaux, les régulateurs provinciaux se voient dans l’obligation de surveiller les activités et les individus ou groupes rattachés à leur territoire bien qu’ils soient mal outillés pour encadrer les participants étrangers pénétrant leur marché local. Conséquemment, « [l]a globalisation juridique est un défi à la centralité juridique de l’État, à la territorialité du droit, voire à la différenciation des systèmes juridiques »162 comme le démontrent l’harmonisation et la création d’organisations internationales. En effet, la révolution numérique, par les rapides avancées technologiques et leur propagation à l’échelle mondiale, crée un cyberespace sans frontières permettant la globalisation économique et juridique des marchés. Il en résulte que « [d]ans la globalisation juridique, les hiérarchies normatives deviennent plus complexes, la répartition des rôles entre droit international et droit interne devient moins claire, et le contenu de la distinction entre droit public et droit privé tend à se modifier »163.

Les régulateurs financiers sont donc spécialisés et fonctionnent en symbiose avec les acteurs du secteur des valeurs mobilières, formant ainsi une unité économique plutôt que politique, ce qui fragmente l’économie mondiale par spécialité164. Conséquemment, les régulateurs se rapprochent de l’idéal de la vision économique plutôt que celle politique puisque leurs règles s’harmonisent pour niveler l’espace de jeu économique165 des participants en enlevant les réglementations territoriales qui sont des blocages et en rehaussant les règles là où elles sont

162 Jean-Bernard AUBY, La globalisation, le droit et l'État, 2e éd., Paris, L.G.D.J., 2010, quatrième de

couverture.

163 Id.

164 S. SASSEN, préc., note 31, 48.

165 Francis SNYDER, « Governing Globalisation », dans Michael LIKOSKY (dir.), Transnational Legal

trop faibles pour assurer une certitude juridique ou une sécurité aux acteurs. Par contre, la régulation demeure liée, d’une certaine manière, à une vision politique universelle puisque certaines orientations réglementaires proviennent d’engagements politiques en matière économique. Il ne faut pas perdre de vue que les régulateurs provinciaux, en tant qu’entités administratives publiques, sont à cheval entre la politique et l’industrie qu’ils réglementent. Par exemple, le régulateur québécois rend des comptes au ministre des Finances qui définit sa mission, fait les nominations importantes, révise son plan d’affaires et ses résultats, etc.166

Dans ce contexte, un modèle de régulateurs plus près de l’industrie réglementée est nécessaire ainsi qu’un mode de fonctionnement calqué sur celle-ci et non sur le gouvernement. Les régulateurs provinciaux sont donc invités à consulter davantage les participants de l’industrie, et ce, tant dans l’élaboration de normes que dans leur modification. D’ailleurs, l’une des peurs des participants du milieu financier québécois quant à la création d’une commission nationale est la perte du lien de proximité avec un régulateur local au fait de leur réalité et des besoins qui ne néglige pas les plus petits joueurs. Toutefois, le rapprochement des régulateurs entre eux, par la coopération et l’harmonisation de la réglementation, ainsi qu’avec les marchés, plutôt qu’avec leur État, nuit à la responsabilisation de chacun qui est nécessaire à un système de régulation optimal selon Pan167.

En résumé, les normes spécialisées pour la régulation des marchés des capitaux, qu’elles proviennent du droit dur ou du droit mou, forment une pluralité prenant le relais du droit étatique. Or, elles sont influencées par les

«interactions normatives et institutionnelles entre niveaux national, régional et international, et entre les sphères publique et privée. Pareille gouvernance globale annonce bel et bien la fin des stratégies territoriales et conduit à la condamnation de la liaison monolithique entre ordre juridique et territoire »168.

166 Daniel MOCKLE, La gouvernance, le droit et l’État : La question du droit dans la gouvernance publique,

Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 230-234.

167 E. J. PAN, préc., note 10, 808.

168 Boris BARRAUD, « Le droit sans le territoire », (2013) 10 Jurisdoctoria, p. 59, en ligne :

Bref, la situation actuelle fait en sorte que les régulateurs doivent pouvoir agir au-delà des frontières juridiques de leur territoire. Le paradigme de la territorialité des régulateurs doit conséquemment être renversé pour faire place à des modèles de régulation provenant de l’économie et de la gestion. En ce sens, il faut que les régulateurs provinciaux embrassent une rationalité non plus d’administration publique, mais calquée sur les participants transnationaux.

Pour conclure, nous avons vu que le système actuel peut être amélioré au niveau de l’efficacité du processus de consultation interprovinciale pour élaborer la réglementation harmonisée afin de l’accélérer tout en permettant de diminuer les coûts de conformité des participants par une réduction de la duplication et de la complexité des procédures. Par ailleurs, les critiques à l’égard de l’absence de voix pour le Canada et du manque de responsabilisation au niveau international représentent des limites aux ACVM vu leur manque de pouvoirs pour lier les régulateurs provinciaux et les représenter internationalement par une délégation. Un autre enjeu associé au système de régulation décentralisé est que les régulateurs étrangers doivent dialoguer avec plusieurs régulateurs canadiens. Il n’est pas évident vers qui se tourner pour répondre à des situations nécessitant une coordination internationale169. Enfin, le recul de l’Ontario face aux initiatives pancanadiennes et le manque d’harmonisation dans certains secteurs de la réglementation, dont l’épargne collective et les dérivés, empêchent l’extension du régime de passeport. Pour faire suite aux améliorations possibles, la prochaine section présentera des alternatives pour solutionner ces enjeux en renforçant les initiatives actuelles.

1.3 Pistes de solutions à envisager pour un modèle de régulateur provincial