• Aucun résultat trouvé

2. Mise en application des lois et règlements en valeurs mobilières

2.1 Modèle actuel de régulation des marchés de valeurs mobilières canadiens

2.1.1 Droit criminel

2.1.1.3 Enjeux

L’une des difficultés importantes relativement aux infractions de nature criminelle est de remplir le fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable de la commission de l’infraction (actus reus) ainsi que de l’intention à cet égard (mens rea). L’obtention de preuve est également difficile puisque les témoignages de personnes possédant de l’information pertinente ne peuvent être recueillis en cours d’enquête; des accusations devant être déposées et la Charte canadienne des droits et libertés276 (ci-après « Charte ») respectée par les mandataires de l’État277. Les pouvoirs de perquisition sont aussi limités278. Plus encore, les ressources policières limitées pour mener les enquêtes ainsi que l’expertise requise sont des barrières à la mise en application279. C’est donc en ces circonstances que le partage d’information entre les diverses autorités responsables impliquées est nécessaire pour accélérer les processus d’enquête afin de faire cesser les infractions plus rapidement puisque les régulateurs provinciaux ont davantage de pouvoirs en vertu de leur loi sur les valeurs mobilières que les enquêteurs au niveau criminel280. En effet, la Charte s’applique seulement lorsque le régulateur ou l’État décide que l’objectif de l’enquête est d’établir la responsabilité de l’individu en vue d’un procès pénal281, mais elle s’applique immédiatement lorsque l’objet de l’enquête est de nature criminelle282.

Un autre enjeu allégué par les détracteurs du régime provincial est le caractère international des enquêtes en ce qui concerne les émetteurs plaçant leurs titres dans diverses juridictions, la répartition des victimes de crimes financiers dans nombre de celles-ci, la fuite des suspects potentiels vers des pays ayant des lois favorables, la délocalisation de l’argent, etc.283 Par

276 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)]. 277 QUÉBEC, préc., note 115, par. 153.

278 N. LE PAN, préc., note 266.

279 Poonam PURI, « Securities Litigation and Enforcement: The Canadian Perspective », (2012) 37 BROOK. J.

INT’L L. 967, 982.

280 Pierre LORTIE, « Securities Regulation in Canada at a Crossroads », (2010) 3 SPP Research Papers 5, p. 17,

en ligne: <http://policyschool.ucalgary.ca/?q=content/securities-regulation-canada-crossroads> (consulté le 19 octobre 2014).

281 R. c. Jarvis, [2002] R.C.S. 757.

282 A. LÉTOURNEAU, préc., note 257, par. 30-33. 283 CANADA, préc., note 265, p. 271 et 293.

exemple, 14 des 17 enquêtes en cours par la GRC, en 2010, ont nécessité l’obtention d’assistance internationale pour la communication de la preuve détenue à l’étranger et pour mener des enquêtes internationales par des requêtes d’information internationales, un traité de requête d’assistance légale mutuelle, une requête de non traité soumise au groupe d’assistance international du département de la justice pour la coordination ou une coopération informelle avec les agences de police internationales284. Le défaut de coopération entre les régulateurs provinciaux, les OAR, les corps policiers et judiciaires pourrait résulter en un manque de partage de l’information provenant de l’extérieur de leur territoire pour faire leur preuve ou en une multiplication des efforts pour obtenir cette information en plus de manquer de coordination face à leurs homologues étrangers requérant de l’assistance. Cette difficulté s’est présentée notamment dans le cas d’un stratagème à la Ponzi, impliquant quatre individus arrêtés en Alberta et quatre autres situés dans diverses provinces canadiennes, pour lequel des enquêteurs de la police américaine ont requis des relevés bancaires de plusieurs pays afin de retrouver l’argent285. Il semblerait donc légitime que les complices, soient jugés selon les mêmes faits et la même preuve peu importe leur localisation. Nous pouvons également citer une fraude aux États-Unis pour laquelle des éléments de preuve ont été enlevés d’un bureau au Canada, ce qui a nécessité l’entraide juridique en matière criminelle entre les autorités de ces deux pays pour les allégations d’entrave à la justice en transmettant l’information requise286.

En ce qui concerne les poursuites, le chevauchement entre les juridictions fédérales et provinciales cause parfois des dédoublements de procédures, car « [l]e droit criminel et le droit pénal réglementaire peuvent […] englober des champs de compétence identiques ou, à tout le moins, servir les mêmes fins »287. Ainsi, un recours criminel ou pénal ou les deux peuvent être exercés puisqu’il y a un double aspect288. Dans ce cas, les infractions pénales et criminelles

284 Id., p. 270-273.

285 Id., p. 273 ; R v. Bailey, 2014 ABPC 103 (CanLII)

286 Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle, L.R.C. (1985), ch. 30 (4e suppl.) ; Ontario (Attorney

General) v. Black, 2007 ONCA 165 (CanLII).

287 Anne-Marie BOISVERT, Hélène DUMONT et Alexandre STYLIOS, « En marge de l’affaire Lacroix-

Norbourg: les enjeux substantifs et punitifs suscités par le double aspect, réglementaire et criminel, de certains comportements frauduleux dans le domaine des valeurs mobilières », (2009) 50 C. de D. 469, 486.

distinctes doivent être soupesées en vertu de la doctrine du double péril289, puisque nul ne peut être puni deux fois pour la même infraction290, et de l’autorité de la chose jugée. Il faut également considérer si l’un des deux recours serait suffisant pour couvrir les actes reprochés afin de remplir l’objectif de punition et de dissuasion recherché sans aggraver la sévérité de la peine totale291. L’enjeu est que la multiplicité d’infractions alléguées et de poursuites intentées devant diverses juridictions pourrait être jugée abusive, ce qui entraînerait un arrêt des procédures pour éviter le cumul des condamnations pour les mêmes faits292. La professeure Puri propose donc de réserver les poursuites criminelles pour les cas les plus graves puisque les causes sont très complexes et nécessitent conséquemment d’y allouer beaucoup de ressources, surtout lorsque la partie accusée a les moyens d’égaler les ressources du gouvernement293. Or, pour bénéficier de ressources suffisantes et pour s’assurer de coordonner les recours si plusieurs sont entamés, la coopération entre les acteurs fédéraux et provinciaux est nécessaire.

Enfin, puisque l’application du Code criminel est faible au Canada quant aux enquêtes, poursuites, décisions et condamnations, son utilisation pour assurer l’intégrité des marchés financiers demeure limitée pour l’instant294. Ainsi, ce sont plutôt les actions entreprises par les régulateurs provinciaux et les OAR qui assurent la répression des infractions295. Le gouvernement fédéral ne peut alors justifier le besoin d’un régulateur national par les lacunes de la mise en application en matière criminelle, puisqu’il en est responsable, mais il doit utiliser sa compétence en la matière afin d’améliorer la qualité des poursuites contre les crimes financiers en collaborant pour mieux coordonner les chevauchements.

289 R. c. Kienapple, [1975] 1 R.C.S. 729. 290 R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541.

291 A.-M.BOISVERT, H. DUMONT et A. STYLIOS, préc., note 287, 509, 510, 515 et 516. 292 Id., 509 et 510.

293 Poonam PURI, « Enforcement Effectiveness in the Canadian Capital Markets », Capital Markets Institute,

décembre 2005, p. 10, en ligne:

<http://www.investorvoice.ca/Research/Puri_Enforcement_Effectiveness_01Dec05.pdf> (consulté le 17 octobre 2014).

294 FMI, préc., note 28, p. 6 ; M. JÉRÔME-FORGET, préc., note 192, p. 10.

295 Ana CARJAVAL et Jennifer ELLIOTT, « The Challenge of Enforcement in Securities Markets: Mission

Impossible? », IMF Working Paper 09/168, 1 août 2009, p. 22, en ligne:

<https://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2009/wp09168.pdf> (consulté le 19 octobre 2014) ; Anita ANAND, « Securities law needs more enforcement, not more laws », (2008) 27 The Lawyers Weekly 43.