• Aucun résultat trouvé

Initiatives internationales des régulateurs provinciaux

1. Harmonisation de la réglementation et coordination des processus réglementaires

1.1.3 Initiatives internationales des régulateurs provinciaux

Ayant vu les initiatives interprovinciales des ACVM pour une réglementation pancanadienne, une centralisation des dépôts des assujettis, une surveillance concertée des infrastructures de marché au Canada et le régime de passeport canadien, nous devons nous demander comment les régulateurs provinciaux interagissent dans le monde globalisé. Il faut alors confronter la réalité provinciale et pancanadienne à la montée en puissance des comités et organisations internationales, surtout depuis la crise de 2007, orientant les réformes des marchés financiers, dont le G20, l’OICV et ses sous-groupes, les organisations nord-américaines, le FMI, etc.

En particulier, le besoin d’orienter la réglementation internationalement découle de la quantité d’émetteurs inscrits auprès de plusieurs régulateurs et offrant leurs titres sur des bourses étrangères de même que de la détention de titres de sociétés canadiennes par des investisseurs étrangers faisant en sorte que les émissions des sociétés canadiennes et le marché secondaire de leurs titres ont clairement une facette interprovinciale et même internationale100. Il a même été établi que les sociétés publiques canadiennes amassent davantage de capitaux à l’extérieur

97 AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS, préc., note 19, p. 12.

98 D. JOHNSTON, K. DOYLE ROCKWELL et C. FORD, préc., note 25, p. 655 ; ; D. JOHNSTON, K. DOYLE

ROCKWELL et C. FORD, préc., note 25, par. 17.59.

99 CONSEIL PROVINCIAL-TERRITORIAL DES MINISTRES RESPONSABLES DE LA

RÉGLEMENTATION DES VALEURS MOBILIÈRES, Rapport périodique Janvier 2010 à Décembre 2010, p. 2, en ligne : <http://www.valeursmobilieres.org/2011-0509-progress-report-francais.pdf> (consulté le 16 décembre 2014).

du pays qu’à l’échelle nationale, créant ainsi un marché nord-américain101. Le financement des grandes sociétés canadiennes est alors soumis à des lois étrangères. Il n’est donc plus suffisant que la réglementation soit harmonisée au Canada seulement, car les participants transfrontaliers pourraient être confrontés à des exigences foncièrement différentes ailleurs et potentiellement impossibles à concilier. Des approches telles que d’appliquer la règle la plus exigeante ou de reconnaitre l’équivalence des règles étrangères sont alors des solutions pratiques disponibles pour répondre aux enjeux transfrontaliers croissants dans le marché global.

Il en résulte une harmonisation de la réglementation à l’échelle internationale « par l’adoption de principes généraux élaborés par des partenaires […] interagiss[a]nt par l’entremise de mécanismes de coopération sectoriels, c’est-à-dire des pratiques supranationales visant l’élaboration et l’application des systèmes réglementaires »102. Cela implique que plusieurs organisations alliant des régulateurs en valeurs mobilières provenant de diverses juridictions ont permis l’émergence d’un réseau global favorisant la mise en commun des efforts de réglementation pour effacer « la dichotomie stricte entre le droit interne et international»103 en jouxtant les principes et pratiques développés internationalement à la réglementation interne.

Considérant cette réalité globale, il appert que le paradigme de l’encadrement national a été dépassé pour faire face à la nécessité d’un encadrement favorisant les besoins transfrontaliers des marchés locaux et de leurs participants. Les opérations interprovinciales sont ainsi facilitées par les ACVM et le régime de passeport alors que les relations internationales sont du ressort de l’Autorité et de la CVMO principalement, ainsi que des régulateurs fédéraux qui concluent des ententes de coopération et de supervision avec des juridictions étrangères. Cependant, le Conseil provincial a également prévu, parmi ses objectifs, d’adresser les enjeux internationaux ainsi que d’inciter les régulateurs provinciaux à discuter pour obtenir un

101 Id., par. 461.

102 France HOULE, « La réglementation intelligente et la gouvernance publique contemporaine », dans

CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT 2011, XIXE CONFÉRENCE, Le juriste de l'État au cœur d'un droit public en mouvement, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 173-202, à la page 189.

consensus sur les questions internationales104. Pour ce faire, les ACVM constituent un forum adéquat pour déterminer les positions pancanadiennes que les régulateurs provinciaux impliqués à l’international peuvent présenter quoiqu’ils ne soient pas liés par la vision des ACVM surtout en cas de mésentente sur certains aspects. En effet, lorsqu’un consensus est établi entre les régulateurs provinciaux, le Canada parle d’une voix commune par les régulateurs provinciaux participant aux activités de réglementation internationales, mais lorsque les positions sont divergentes, les voix entendues ne sont pas représentatives des opinions des autres régulateurs représentant leurs marchés locaux105.

Un autre forum pour les échanges entre régulateurs, soit le Groupe de travail sur les dérivés constitué par les dirigeants d’organismes de réglementation (ci-après « Heads of Agencies »), permet aux principaux régulateurs provinciaux de discuter des enjeux internationaux avec les régulateurs bancaires qui font partie d’autres organisations internationales, dont le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (ci-après « Comité de Bâle ») et le Conseil de stabilité financière.

Bien que les ACVM n’aient pas elles-mêmes de voix auprès des régulateurs internationaux, les principes développés par ceux-ci sont imbriqués dans la réglementation qu’elles créent afin de respecter les standards développés et suivre l’exemple des régulateurs européens et américains dont elles s’inspirent à des fins d’équivalence pour les participants. C’est notamment le cas pour la réglementation en matière de dérivés exigée par le G20 ainsi que les principes de l’OICV pour les infrastructures de marchés financiers106. L’important est que le Conseil provincial et les ACVM permettent au Canada de remplir ses engagements internationaux.

Parmi les organisations internationales les plus influentes sur les standards réglementaires se trouve l’OICV. Elle a pour mission de promouvoir une réglementation de qualité en valeurs mobilières pour des marchés équitables, efficaces et stables, favorisant ainsi leur croissance en

104 Protocole d’entente provincial, préc., note 80, art. 3.1 et 3.7. 105 J. MACEY, préc., note 94, p. 19.

106 BANQUE DES RÉGLEMENTS INTERNATIONAUX ET OICV, Principes pour les infrastructures de

marchés financiers, avril 2012, en ligne : <http://www.bis.org/cpmi/publ/d101_fr.pdf> (consulté le 19 décembre 2014).

permettant l’échange de connaissances et la collaboration entre les régulateurs pour fixer des normes107. Elle compte 170 membres, dont la CVMO et l’Autorité, en tant que membres ordinaires votants, ainsi que les commissions de valeurs mobilières de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, comme membres associés, et les bourses canadiennes de même que des OAR qui sont des membres affiliés108.

Parmi les autres organisations internationales auxquelles les régulateurs provinciaux participent qui influent sur l’harmonisation de la réglementation se trouve le Council of

Securities Regulators of the Americas (ci-après « COSRA »), comptant 31 membres

panaméricains, dont les quatre plus grands régulateurs provinciaux, qui visent à supprimer des barrières réglementaires non justifiées109. Il y a aussi la North American Securities

Administrators Association (ci-après « NASAA ») faisant la promotion de lois uniformes en

valeurs mobilières et fournissant un forum de discussion où tous les États américains sont représentés ainsi que les ACVM de même que les autorités mexicaines et de Porto Rico110.

Il résulte de la présence internationale des régulateurs provinciaux que la visibilité du Canada au sein des organisations internationales est indirecte, puisqu’il exerce son influence par ceux- ci. Or, ils occupent une place très importante considérant le fait que leurs représentants président de nombreux comités malgré la petite taille des marchés des capitaux canadiens. Cela fait en sorte que le Canada a plus de voix que s’il était doté d’une commission unique, car, par exemple, quatre sièges sont occupés par les régulateurs provinciaux à l’OICV, dont deux votants. Il n’y a donc pas de problème de représentation des marchés canadiens à l’international, mais bien un problème d’image, car ce n’est pas le pays qui est mis de l’avant, mais ses provinces111.

107 ACVM, préc., note 36, p. 19. 108 Id.

109 Id. 110 Id., p. 20.

111 MOUVEMENT DES CAISSES DESJARDINS, « Commentaires présentés au Groupe d’experts sur la

réglementation des valeurs mobilières au Canada », juillet 2008, p. 18, en ligne : <https://www.desjardins.com/fr/a_propos/profil/difference/memoires/comm080702.pdf> (consulté le 19 décembre 2014).

Enfin, la réglementation harmonisée entre des juridictions permet d’accorder une reconnaissance mutuelle de l’équivalence des règles étrangères afin de faciliter les procédures réglementaires des participants transfrontaliers. Par exemple, la Norme canadienne 71-101

Régime d’information multinational112 pour les opérations sur valeurs à l’extérieur du territoire permet aux émetteurs canadiens et américains qui répondent aux critères d’information continue d’émettre des titres dans la juridiction où ils n’ont pas leur siège, car le prospectus visé par leur régulateur principal est accepté par l’autre avec quelques divulgations additionnelles spécifiques113. Par la suite, les documents d’information continue sont seulement déposés auprès de leur régulateur principal, ce qui les assujettit à un seul corpus réglementaire. Cette reconnaissance mutuelle démontre l’avantage de l’harmonisation internationale permettant aux participants d’accéder à davantage de capitaux pour se financer sans qu’il n’en coûte beaucoup plus, et cela de manière plus rapide vu la diminution du nombre d’approbations requises.

Pour résumer notre présentation des initiatives d’harmonisation des régulateurs provinciaux pour diminuer l’impact de leur multiplicité sur la profusion de règles différentes s’imposant aux participants transfrontaliers, nous avons vu que certains jouent un rôle actif au sein d’organismes internationaux tels que la NASAA, le COSRA et l’OICV représentant respectivement des régulateurs en valeurs mobilières nord-américains, panaméricains et internationaux. L’importance de la participation des régulateurs provinciaux aux initiatives internationales provient notamment de la quantité de transactions transfrontalières, des inscriptions de participants dans plusieurs provinces et des émissions de titres de sociétés canadiennes sur des bourses étrangères.

Nous pouvons en conclure que « [p]our les ACVM, la collaboration entre organismes de réglementation se concrétise tant à l’échelle nationale qu’internationale »114, car bien qu’une harmonisation internationale soit souhaitée, « [l]a manière de réglementer le commerce des

112 RLRQ, c. V-1.1, r. 36 (ci-après « Norme canadienne 71-101 »).

113 D. JOHNSTON et K. DOYLE ROCKWELL, préc., note 27, p. 574 ; D. JOHNSTON, K. DOYLE

ROCKWELL et C. FORD, préc., note 25, par. 20.48.

114 ACVM, Collaboration entre organismes de réglementation, en ligne : <http://www.autorites-valeurs-

valeurs mobilières dans les différentes provinces canadiennes (comme ailleurs dans le monde), adopte une perspective locale »115. Il en est de même pour son application116. Alors, comme nous l’avons vu, les régulateurs provinciaux ayant une voix à l’international tentent de défendre des positions harmonisées convenues au sein des ACVM117 en plus de discuter des positions pancanadiennes des régulateurs en valeurs mobilières avec les agences fédérales par les Heads of Agencies. La présence internationale de régulateurs provinciaux et fédéraux offre donc une bonne représentation pour le Canada. Cette harmonisation de la réglementation à l’international prouve notre hypothèse de changement de paradigme vers un modèle supranational, car le secteur des valeurs mobilières ne peut plus être réglementé efficacement sans considérer le « très haut degré d’interdépendance normative entre les États et les unités des États fédérés qui a eu pour résultat une augmentation de la portée et des formes de la réglementation et de l’administration transgouvernementale »118 dans le cadre de la globalisation des marchés. De plus, l’harmonisation interprovinciale comme internationale permet des ententes de reconnaissance mutuelle favorisant un marché sans frontières, mais bien encadré par les régulateurs principaux et des ententes de partage d’information.

Les initiatives des ACVM pour l’harmonisation de l’encadrement des valeurs mobilières au Canada sont alors nécessaires dans une perspective visant à faciliter les relations avec les assujettis transfrontaliers et les régulateurs étrangers. En effet, les ACVM ont établi des pratiques communes aux régulateurs provinciaux pour améliorer l’efficacité des procédures réglementaires dans une perspective interprovinciale. Ainsi, les ACVM simplifient l’encadrement provincial par l’harmonisation et le respect des principes développés internationalement pour répondre aux enjeux actuels en les adaptant aux particularités locales pour les petits joueurs, ce qui permet l’innovation et l’expérimentation en plus de faciliter la participation internationale des régulateurs provinciaux.

Bien que leurs avantages soient notables, les ACVM ne font pas l’unanimité comme solution

115 QUÉBEC, Mémoire de l'intervenant procureur général du Québec, S.C.C No 33718, 2010, 26 mai 2010, par.

59.

116 Id., par. 10v).

117 AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS, préc., note 19, p. 18. 118 F. HOULE, préc., note 102, à la page 189.

pancanadienne. Nous verrons donc maintenant les aspects perfectibles afin d’envisager des solutions pour améliorer le régime actuel.