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CHAPITRE 1 : DU NOUVEAU MANAGEMENT PUBLIC A L’APPARITION DES POLES D’ACTIVITE MEDICALE : RETOUR SUR L’EVOLUTION DU SERVICE PUBLIC HOSPITALIER

4 La structure divisionnalisée : nouvel écrin de l’hôpital ?

4.6 Les limites de la SD

Mintzberg (1982) rappelle que la structure divisionnalisée pure n’est pas l’apanage du secteur privé, et il dénombre les avantages économiques de la divisionnalisation au nombre de quatre : une allocation efficace du capital, la formation des directeurs généraux, elle réduit les risques et accroît la capacité de réponse stratégique.

20 Le conglomérat est un entreprise à produits liés, qui a poursuivi son expansion dans de nouveaux marchés ou acquiert de nouvelles filiales, en étant de moins en moins focalisée sur un thème stratégique central (Mintzberg, 1982).

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Un élément de difficulté, dans la SD, est le rôle du siège. Mintzberg (1982) nous dit qu’un ensemble de forces puissantes encourage le siège à prendre une partie du pouvoir des divisions. Il a tendance à centraliser certaines décisions concernant les produits et les marchés et donc à aller à l’encontre de l’objectif même de divisionnalisation. Une tendance qui se retrouve à l’hôpital avec le renforcement du rôle du directeur d’établissement dans la loi HPST, et un penchant pour la centralisation dans un contexte financier difficile, nous y reviendrons dans l’étude de notre cas. De plus il existe dans la SD des forces qui poussent à la centralisation au niveau des divisions comme au niveau du siège, avec pour résultat la concentration de pouvoirs considérables par un nombre très réduit de personnes.

Par ailleurs, le système de contrôle des performances de la SD peut l’amener à agir de façon socialement irresponsable. Selon Mintzberg (1982), forcé de se concentrer sur les conséquences économiques de ses décisions, le directeur de division en vient à ignorer leurs conséquences sociales. Le problème selon lui provient de ce que les critères de performances utilisés sont essentiellement quantitatifs et typiquement financiers, et qu’ils deviennent pratiquement des obsessions, évacuant les buts qui ne peuvent pas être mesurés : la qualité des produits, la fierté vis-à-vis du travail, la qualité du service aux consommateurs, la protection et la beauté de l’environnement. En quelque sorte, les buts économiques chassent les buts sociaux.

Dans son travail, Mintzberg (1982) conclut qu’en général la SD pure ne fonctionne pas efficacement hors du secteur privé, malgré des tentatives dans des universités, des hôpitaux, ces organisations considérées comme un gigantesque service public monolithique et divisionnalisé. Il l’explique par le fait que le gouvernement ne peut pas se désinvestir de ces organisations. Il n’ y a donc pas de mécanisme pour le renouvellement organisationnel. Un autre problème est posé par l’interférence de la réglementation du service public en matière de recrutement et de nomination avec la notion de responsabilité de gestion. Un supérieur doit avoir une certaine latitude quant à la sélection, la mutation ou le licenciement et un certain contrôle sur ses subordonnés. Or le fonctionnariat impose des restrictions dans ces domaines (Worthy, 1959 ; Mintzberg, 1982). Mais pour Mintzberg (1982) le problème le plus sérieux reste celui de la mesure : les objectifs, en particulier les buts sociaux, que les institutions doivent intégrer au système de contrôle ne se prêtent pas forcément à la mesure. Or, cette mesure est indispensable au fonctionnement de la SD. Si rien n’empêche la création de divisions dans ces organisations publiques, en l’absence de mesure de performance réelle il

faut trouver d’autres moyens pour contrôler les divisions. Une de ces méthodes est la socialisation : la nomination de responsables qui croient aux buts sociaux en question. Nous l’avons vu, l’hôpital s’oriente de plus en plus vers une mesure de la performance, même si celle-ci essuie quelques critiques. Toutefois, l’écueil évoqué par Mintzberg a dû être pris en compte puisqu’à la tête des divisions, les pôles, ont été nommés des médecins, et non des administratifs. Ces médecins chefs de pôle sont donc, de fait, sensibles aux buts sociaux de l’hôpital, la qualité du soin, la recherche en santé, et la formation des médecins (en CHU). Cette méthode reste limitée, et la nécessité pousse à recourir à d’autres moyens, tels que la supervision directe et la standardisation du travail. Nous l’avons évoqué, l’hôpital se trouve de plus en plus confronté à la standardisation et à la protocolisation. Ces évolutions montrent bien le désir de s’orienter vers une forme de structure divisionnalisée, en essayant de contourner les contraintes de ces caractéristiques intrinsèques, qui l’éloigneraient de cette configuration. Cependant, cette standardisation va à l’encontre de l’autonomie des divisions.

Pour conclure, la meilleure méthode qui puisse être utilisée par le gouvernement et les institutions qui veulent utiliser la SD selon Mintzberg (1982) est de nommer des responsables qui croient aux buts poursuivis, puis de mettre en place un mécanisme d’examen périodique de leur performance personnelle. Les médecins chefs de pôle correspondent donc bien à ce précepte. Pour ce qui est du mécanisme d’examen, on peut penser que la contractualisation interne remplit cette fonction, à titre collectif. Ce contrat d’objectifs et de moyens engage le pôle dans une poursuite d’actions, liée à la stratégie de l’établissement, avec un certain nombre d’indicateurs de résultats, qui permettront de mesurer la performance atteinte par le pôle. On retrouve donc en partie les critères énoncés par Mintzberg (1982). Il n’y a en effet pas à proprement parler de mécanismes d’évaluation personnelle directe, mais on peut penser que le contrat de pôle rempli en partie cette fonction. Par ailleurs, en tant que responsable, le contrat de pôle engage le médecin chef pôle à porter le bilan de l’activité de son pôle, ce qui est une forme de mesure de sa performance, dans sa capacité à mener à bien la stratégie du pôle.

Finalement, Mintzberg (1982) déclare que la SD pourrait n’être justifiée que sous ses formes intermédiaires, et que sa forme pure ne serait qu’un idéal type qui doit être rapproché mais jamais atteint. A ce titre, il semble que l’hôpital tente de se rapprocher de cet idéal, sans pouvoir l’atteindre, en partie de part sa qualité d’organisation de service public. Tout se passe

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comme si l’hôpital était dans une forme hybride de configuration structurelle, entre bureaucratie professionnelle et structure divisionnalisée.

Résumé CHAPITRE 3

Mintzberg propose en 1982 une classification des organisations en cinq configurations structurelles majeures. A cette époque ses travaux l’amènent à considérer que l’hôpital est une bureaucratie professionnelle. Le centre opérationnel, à savoir, le corps médical, est au cœur de l’organisation et le mécanisme de coordination principale est la standardisation des qualifications. Ce modèle fait sens et correspond assez bien à la réalité de l’hôpital à cette période. Toutefois, certains auteurs ont critiqué ce modèle, notamment sur la place trop faible accordée au personnel soignant dans cette représentation.

Or, nous avons vu dans le premier chapitre que depuis les années 1990 de nombreuses réformes, inspirées du NMP, sont venues impacter l’hôpital et modifier tant sa structure que son organisation. Il paraissait donc légitime de remettre en question un modèle de représentation datant d’une époque n’ayant pas connu toutes ces modifications.

Il apparaît désormais, que par sa division en pôles d’activité médicale, l’hôpital s’est éloigné peu à peu de configuration de bureaucratie professionnelle stricte pour se rapprocher d’une structure divisionnalisée. D’ailleurs, dès le début des pôles, certains auteurs avaient identifié les prémices de ces changements. Ce n’est pourtant pas une évidence pour tous puisqu’encore aujourd’hui de nombreux auteurs, identifiés par Valette et al. (2015), travaillant également sur la question de nouvelle gouvernance, continuent de considérer l’hôpital comme une bureaucratie professionnelle, sans remettre en question tout ou partie de cette représentation.

Il semble à présent que l’intention des pouvoirs publics dans la création des pôles a été de faire évoluer l’hôpital d’une structure rigide, la bureaucratie professionnelle, sous l’égide du pouvoir du centre opérationnel, à une structure divisionnalisée, avec pour objectif que cette configuration structurelle réponde à l’impératif d’efficience médico-économique. L’idée est donc que le changement de configuration structurelle doit aboutir à un changement du processus décisionnel, pour que celui-ci soit plus performant.

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Transition

Au cours des dernières années, nous l’avons vu dans le chapitre 2, de nombreux travaux de recherche en gestion se sont intéressés aux transformations organisationnelles à l’hôpital induites par la volonté de développer le « médico-économique ». Valette et al. (2015) dressent le bilan de ces travaux et nous démontrent que ce sujet a été étudié par les chercheurs en gestion avec trois perspectives principales : le design organisationnel avec en particulier la création des pôles ; les instruments de gestion ensuite, destinés à suivre, contrôler et piloter la performance des hôpitaux ; et enfin les acteurs qui mettent en œuvre les réformes et dont la situation et les activités sont touchées par ces dernières. De ce bilan il ressort que les travaux s’intéressant au design de l’organisation traitent essentiellement de la délégation de responsabilités managériales au pôle, de son appropriation, et plus marginalement du trio de pôle. Ceux centrés sur les individus s’intéressent pour certains exclusivement aux médecins, prioritairement en leur qualité de chefs de pôle, d’autres aux cadres, en moindre nombre à une population mixte, et enfin peu sont centrés sur le personnel de direction. Notons que le personnel soignant non cadre et les médecins non chefs de pôle sont peu présents dans la littérature. Il ressort que finalement peu de recherches se sont réellement intéressées au fonctionnement de la délégation au sein du pôle. Aucune étude n’a observé le pôle à travers le prisme de la prise de décision, qui rassemble tous les acteurs gravitant autour de cette nouvelle gouvernance. Or, nous venons de voir que l’enjeu qui se cache derrière la création des pôles, et la modification de la configuration structurelle de l’hôpital est bien de faire évoluer le processus de décision. Il nous paraît indispensable de nous pencher sur cette question, le pôle devant être un organe de décision, il est important de comprendre les enjeux de ce processus, et ainsi enrichir le champ de la nouvelle gouvernance à l’hôpital. Valette et

al. (2015) démontrent à juste titre que pour compléter ce manque, sur le médico-économique

à l’hôpital, il faudrait observer comment les capacités de décision sont modifiées pour permettre de prendre en compte des informations économiques et médicales, aboutissant à des solutions nouvelles. C’est ce que nous nous proposons de faire, comprendre comment les capacités de décision sont modifiées par le changement structurel. Si les recherches centrées sur l’organisation soulignent bien la difficile mise en pratique de la délégation de gestion, la régulation n’est pas restituée. Il est alors difficile d’identifier ce que les pôles transforment ou pas dans la gouvernance d’ensemble, un manque que nous allons tenter de combler en

analysant le processus décisionnel dans lequel le pôle est impliqué. Ce manque dans la littérature Valette et al., (2015) l’expliquent de plusieurs façons :

• Un sujet récent qu’il est nécessaire de comprendre avant d’analyser • Une réforme qui affecte peu les pratiques

• Une organisation « hypocrite » (Brunsson, 1992) développant beaucoup d’énergie pour mettre en œuvre les nouveaux dispositifs formels mais en protégeant ses pratiques établies avec tout autant d’énergie

• La nécessité d’une autre façon de faire de la recherche par une observation plus fine des pratiques qu’elle ne l’est en général faite (Pépin et Moisdon, 2010).

Les recherches dans les établissements hospitaliers rendent compte d’une grande variété dans les pratiques. Pour Valette et al. (2015), les établissements tâtonnent, essaient, font des choix en fonction de leurs contraintes ou de leurs priorités. Cette notion de tâtonnement, et de fonctionnement par essai-erreur n’est pas sans rappeler le mode de prise de décision décrit par le concept d’anarchie organisée (Cohen, March et Olsen, 1972), où les acteurs découvrent leurs préférences au fur et à mesure.

Finalement un certain nombre de thèmes autour de la nouvelle gouvernance n’ont pas encore été étudiés, et ne se retrouvent donc pas dans la littérature sur le sujet (Valette et al., 2015) : • La coordination du travail, la gestion de la transversalité (enjeu médico-économique

important à l’origine de la création des pôles)

• Le processus de conduite de projets médicaux (comment ils intègrent les dimensions économiques et les nouvelles relations)

• L’implantation du lean management (améliorer les processus en optimisant les ressources et la gestion de la qualité des prises en charge)21

• L’innovation médicale, ou dans le soin, en lien avec les enjeux médico-économiques

Notre recherche contribue à permettre d’alimenter les connaissances autour de la nouvelle gouvernance et de la gestion de la transversalité, ainsi que de la conduite des projets

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médicaux, et de la place du pôle dans ces questions là. Dumez (2010) rappelle qu’une bonne recherche qualitative repose sur la qualité du problème posé. Ce problème est construit comme une tension entre un état du savoir et du non-savoir et la mise en place d’un cadre théorique qui s’expose à la critique. La mise en tension avec le cadre théorique exige alors une liberté dans le choix et la construction d’un cadre analytique approprié pour résoudre la tension. Il faut donc mobiliser des cadres théoriques producteurs de sens. A ce titre Valette et

al., (2015) s’interrogent sur des phénomènes de « modes théoriques » qui peuvent être un

frein à la production de connaissances. Dans cet esprit, nous avons voulu nous éloigner des modes d’observations habituels de l’organisation hospitalière pour comprendre le processus de décision qui y est en jeu. Notre choix, que nous allons expliciter dans le chapitre suivant, s’est porté sur l’anarchie organisée de Cohen, March et Olsen (1972).

CHAPITRE 4 : LES POLES D’ACTIVITE MEDICALE ET LE PROCESSUS DE DECISION EN QUESTION : L’ANARCHIE ORGANISEE AU SERVICE DE

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