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CHAPITRE 4 : LES POLES D’ACTIVITE MEDICALE ET LE PROCESSUS DE DECISION EN QUESTION : L’ANARCHIE ORGANISEE AU SERVICE DE L’ANALYSE DE L’HOPITAL

8. Les échecs se produisent en majorité pour les choix les plus importants ou les moins importants Les choix d’importance intermédiaire sont presque toujours faits, et sont

2.4 Critique et approfondissement du modèle, aller plus loin dans la conception

Si le modèle de la poubelle est devenu une référence en matière de prise de décision, il n’en reste pas moins critiqué ou du moins remis en cause sur certains de ses aspects. Par exemple, dans son article sur les universités en 1997, Christine Musselin déclare que la prise de décision est plus structurée et régulée que ce que les travaux de Cohen et alii ne le laisse penser. Elle précise également qu’une organisation peut répondre aux critères définissant une anarchie organisée sans pour autant que les processus de décision ne relèvent forcément du modèle de la poubelle. Elle suggère donc qu’il puisse exister une dissociation entre anarchie organisée et prise de décision par mise au panier. D’ailleurs, Christine Musselin rappelle que dans de nombreuses références en matière de politique publique, le modèle de la poubelle est considéré sans prise en compte du contexte organisationnel, mais seulement comme une remise en cause du modèle classique de décision : problème / décideurs / choix / solutions. Ce qui remet en question l’interdépendance des deux concepts. De plus, la confusion sur les buts et la présence simultanée d’objectifs incompatibles sont l’apanage de toutes les organisations. Il existe des instances d’arbitrage qui vont permettre d’ordonner les objectifs les uns par rapport aux autres. Ce qui va permettre de faire émerger une logique d’action dominante qui indique le sens de l’action et qui stabilise les rapports de force.

Friedberg (1993), sur la base des travaux de Musselin (1987 et 1989), adresse quatre reproches à la théorie de l’anarchie organisée et aux études qui la mobilisent :

• La nature le plus souvent exceptionnelle de la décision étudiée. Il s’agit généralement de décisions qui modifient les règles du jeu, ou correspondant à une crise. Ce qui pose la question de savoir si le garbage can model est typique des anarchies organisées ou des décisions extraordinaires (Musselin, 1997).

• L’apparente passivité des acteurs. Pour Friedberg, les participants ne sont pas de simples porteurs de solutions et de problèmes. Si les complexités d’un contexte limitent effectivement les capacités d’anticipation rationnelle des acteurs, elles ne les éliminent pas

complètement. Si Cohen, March et Olsen critiquent la tendance à surestimer la rationalité des acteurs, Musselin (1997) leur reproche à l’inverse une sous-estimation de la capacité des acteurs à réinterpréter les événements, leur trouver un sens et à les intégrer dans des logiques d’action plus stables

• Les décisions uniques étudiées le sont souvent hors de leur contexte. Tout se passe comme si on considérait que chaque décision pouvait s’étudier indépendamment de toutes les autres prises dans un contexte donné. Les décisions sont analysées à travers la chronologie des faits, mais pas dans une restitution de contexte plus large (Musselin, 1997).

• Ces études contiennent un biais en faveur de l’aléatoire et de l’incertain, et une sous estimation systématique de la structuration de la situation de décision. Enfin, ils mettent davantage l’accent sur ce qui est ambigue, et irrationnel au détriment du structuré et régulé (Friedberg, 1993 ; Musselin, 1997).

Dans ses travaux avec Friedberg, en s’intéressant justement à ces décisions routinières, Musselin avait démontré qu’il existe au sein des anarchies organisées des décisions stabilisées et régulées. Ce résultat est toutefois à nuancer puisque ces décisions, bien que régulées, d’après l’auteur, ne rentrent pas non plus dans la catégorie des décisions prévues par la théorie des choix rationnels.

Ainsi, d’après Musselin (1997), le modèle de la poubelle ne peut être ramené à un simple mix de flux ou la simple remise en cause du modèle de séquence problème / décideurs / choix / solutions. Elle ajoute qu’anarchie organisée et garbage can model ne sont pas deux notions équivalentes, et les modes de prise de décision des universités ne sont pas assimilables à ce modèle, mais correspondent à d’autres formes de modélisation. Il reste donc d’après elle beaucoup à apprendre sur les processus décisionnels dans les anarchies organisées.

En étudiant les universités, Cohen, March et Olsen abordent le concept de « Slack » ou

Surplus organisationnel. Il s’agit de la différence entre les ressources de l’organisation et

l’ensemble des demandes auxquelles elle doit répondre. Le slack est sensible à l’argent et aux ressources fournies par son environnement, ainsi qu’à la cohérence interne des demandes faites à l’organisation par ses membres (Cohen et al., 1972). Dans leurs travaux, le concept de Slack est mobilisé pour faire une typologie des établissements en fonction de leur taille et de leur richesse. Deux variables qui ont un effet sur la charge d’énergie, la structure d’accès au

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problème, la structure de la décision et la répartition de l’énergie. Une réduction du slack aurait donc une incidence sur les méthodes de décision, l’activité et la latence des problèmes ainsi que l’activité des décideurs. Un concept qui laisse entendre qu’il existe des niveaux d’anarchies organisées, et que ceux-ci peuvent évoluer. Ainsi, après plusieurs années de travaux sur les universités, pour Musselin, il semble que les universités françaises tendent vers un modèle d’anarchie plus organisée, qui répond à deux tendances. D’une part un durcissement de la technologie par le recours à des outils de suivi et de mesure des résultats, et d’autre part l’émergence progressive d’une conception plus interdépendante des différentes composantes des établissements. Une évolution notamment due à la politique de contractualisation qui s’est développée. A cette occasion, une prise de conscience de l’ampleur de l’ignorance des universités sur leurs propres structures a eu lieu, et elles se sont ainsi dotées de moyens de suivi. C’est l’introduction des modalités de contrôle de gestion, à défaut de maîtriser la technologie, il est possible de contrôler les résultats. De plus, l’élaboration d’un projet d’établissement et de fixation d’axes prioritaires a donné naissance à des comportements plus collectifs, ce qui suppose plus d’interdépendance.

Le modèle d’anarchie organisée a également été critiqué par Eisenhardt (1992) et Friedberg (1993). Ils reprochent au modèle de n’avoir été appliqué qu’à des études de cas, ce qui entacherait sa validité et pourrait limiter sa valeur à l’explication de variance résiduelle dans des observations plus scientifiques. Pour Friedberg (1993), le modèle de la poubelle ne doit pas être pris à la lettre. Son intérêt essentiel est de focaliser l’attention sur l’ambiguïté fondamentale qui caractérise les situations organisées comme tout contexte d’action. Toutefois, pour Romelaer (1994), il ne faut pas nier la valeur de l’observation et de la modélisation du réel, et on ne peut pas montrer l’absence de valeur du modèle, puisque les études de cas sont bien réelles. L’autre critique qu’ils émettent est, que le modèle ne serait applicable qu’à une classe étroite d’organisations, or, nous avons vu plus haut que l’application des critères est plus large qu’il n’y paraît, ce qui démontre le contraire.

Les autres critiques faites au modèle sont qu’il est imparfaitement opérationnalisé et spécifié, qu’il n’y a pas de prise en compte des opportunités, ni des comportements innovateurs. Des éléments qui vont être complétés dans la mobilisation du modèle dans d’autres études.

Pour Romelaer (1994), la réalité du fonctionnement des organisations n’est pas simple, les chercheurs, comme les praticiens, la comprennent mal. Selon lui, l’analyse ne progressera pas

en élaborant des modèles réducteurs, mais en allant de façon obstinée et patiente à la recherche des concepts fondamentaux dans des cas concrets, même si en chemin les vérités mises au jour paraissent dérangeantes par rapport aux idées convenues.

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