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Un contexte organisationnel particulier qui rend complexe la mise en place des pôles

CHAPITRE 1 : DU NOUVEAU MANAGEMENT PUBLIC A L’APPARITION DES POLES D’ACTIVITE MEDICALE : RETOUR SUR L’EVOLUTION DU SERVICE PUBLIC HOSPITALIER

5 Un contexte organisationnel particulier qui rend complexe la mise en place des pôles

Plusieurs logiques traversent l’hôpital, et en particulier les CHU : médicale, universitaire et gestionnaire. Il y a donc la logique médicale qui prédomine, avec la spécialisation des services, une prise en charge toujours plus pointue qui conduit à la multiplication du nombre de services. La logique universitaire qui permet la transmission du savoir, et la recherche. Et enfin, la logique gestionnaire qui répond à d’autres préoccupations : la poursuite de l’efficience qui doit passer par un regroupement qui favorise la mutualisation. Il existe donc là une antinomie frontale entre la logique médicale qui « sur-spécialise » et balkanise d’un côté et de l’autre la gestion qui prétend regrouper au maximum. En effet, en gestion l’esprit est davantage à l’économie d’échelle, le regroupement d’activités et la mutualisation des moyens (humains et matériels). Tandis qu’en médecine, au fur et à mesure que la recherche en santé avance, les activités sont de plus en plus divisées et spécialisées. Chaque médecin s’oriente sur une partie très spécifique de sa discipline. On est donc loin des logiques d’agrégations gestionnaires. La mise en place des pôles n’échappe pas à cette opposition conceptuelle. Toutefois, du fait de la sur-spécialisation médicale est apparue une obligation accrue de concertation multidisciplinaire, ce qui favorise une forme de conciliation. De plus, l’obligation de faire des recettes encourage les directeurs d’hôpitaux et les soignants à se préoccuper conjointement de ces questions économiques (Vallet, 2012).

La délégation de gestion au niveau des pôles, est un des principes forts du projet de la nouvelle gouvernance, toutefois, cette subsidiarité nécessite un capital de confiance qui n’a pas su être mis en place par les responsables (Vallet, 2012). Si, suivant la taille et les caractéristiques des établissements, ces transformations ne sont pas conduites et vécues de la même façon (Nobre et Lambert, 2012), il ressort des études un constat univoque, qui veut que la mise en place des pôles soit difficile. Ces organisations ne sont que peu, voire pas, devenues une entité de prise de décision plus déconcentrée, même si elles s’installent progressivement comme structure reconnue (Valette et al., 2015). L’une des principales difficultés qui ressort de la littérature quant à la délégation de gestion, est la résistance des directions fonctionnelles à donner aux pôles une pleine responsabilité managériale. D’après Guy Vallet, le personnel de direction est peu enclin à la délégation de gestion car, selon eux, le corps médical n’est pas en mesure de gérer, ne le souhaite pas, et n’a pas le temps ; en outre ils craignent que les médecins utilisent ce pouvoir pour servir leurs intérêts personnels (Vallet, 2012). Ainsi, peu ont compris qu’il s’agit avant tout d’un transfert de contraintes et qu’il faut parier sur l’intérêt à agir des acteurs concernés (Vallet, 2012). Par ailleurs, ces directions fonctionnelles voient leur rôle renforcé dans un contexte marqué par la pénurie de ressources financières et la mise en œuvre d’une tarification à l’activité véhiculant une vision économique des décisions médicales (Lartigau, 2009). Certains auteurs expliquent cette difficile délégation par un manque de confiance dans les pôles, et plus particulièrement, dans les médecins, à être des gestionnaires responsables de leur activité (Bérard, 2013a; Gavault et al., 2014). Par ailleurs, les médecins sont très attachés aux services, qui représentent une valeur de refuge pour eux (Bendaira, Calmes et Glardon, 2012). Le service reste l’unité de référence et est toujours très prégnant (Gavault et al, 2014). A ce titre, les établissements gagneraient à impliquer d’avantage le personnel soignant dans le découpage des pôles afin de créer un plus grand sentiment d’appartenance, et donc une implication plus forte (Bendaira, Calmes et Glardon, 2012). La délégation de gestion reste cependant, pour certains, encore vécue comme une perte de pouvoir. En effet, certains pôles rencontrent des difficultés à faire face à certains irréductibles chefs de service ou de département. Toute la difficulté du pôle est de faire travailler ensemble des acteurs qui ne s’entendent pas toujours, en leur enlevant une partie de leur leadership, ce qui rend leur réunion compliquée (Domy, 2012). Les pôles ont ainsi peu de marge de manœuvre. Une lacune qui les empêche de remplir leur rôle, notamment par manque d’information (Guicheteau et Maestre-Levèvre, 2009), par méconnaissance des choix stratégiques de l’établissement (Angelé-Halgand, 2012), par manque de compétences pour décider sur la base d’indicateurs médico-économiques et

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finalement par difficulté à comprendre ce que signifie « délégation » (Bérard, 2013a; Dos Santos et al., 2014 ; Valette et al., 2015).

L’autre grande difficulté du pôle réside dans la mise en place d’outils supposés faciliter l’incursion des logiques médicales et gestionnaires. L’incomplétude de certains outils d’un côté (Guicheteau & Maestre-Levèvre, 2009) c’est le cas des CREA, ou au contraire l’excès d’indicateurs (Gouffé & Cargnello-Charles, 2014), ou encore l’opacité de leur construction, ne permettent pas aux pôles d’exercer les responsabilités qui leur sont normalement dévolues (Valette et al., 2015). Le pôle devient alors le réceptacle d’un contrôle purement économique de ses activités (Bérard, 2013a; Vallejo et al., 2014) sans que l’on assiste au travail de re- conception des méthodes de production de soins qui est attendu (Moisdon, 2010 ; Gavault et al., 2014).

L’idée d’un contrôle de gestion mettant en avant les pôles excédentaires ou déficitaires peut avoir tendance à diviser au sein d’une institution. Bendaira, Calmes et Glardon (2012) préconisent alors de la pédagogie, qui se ferait au travers des directeurs et via la contractualisation interne. Ce contrat signé entre le directeur d’établissement et le chef de pôle, engage les deux parties sur un certain nombre d’objectifs à atteindre, et des moyens pour y parvenir. Issu d’une discussion entre les deux entités, ce contrat permet de mieux rendre compte de l’activité d’un pôle que les notions d’excédents, qui ne correspondent pas toujours à l’activité médicale. En effet, certains pôles étant prestataires de services pour d’autres pôles, ils sont parfois déficitaires par nature, ne dégageant pas d’activité rémunératrice, mais participant à l’activité d’autres pôles. Une participation qui n’est pas comptabilisée dans leur bilan comptable.

Le découpage des pôles a par ailleurs posé la question de la taille des pôles, de la notion de pôle prestataire et des impacts budgétaires de ces découpages. Ainsi, certains médecins ont craint la constitution de pôles structurellement déficitaires. Une situation qui, sur l’appui des tableaux de bord laisserait à penser qu’il s’agit d’une mauvaise gestion, qui pourrait alors entraîner une diminution budgétaire. Par ailleurs, la plupart des établissements ont procédé à des redécoupages à cause de l’absence de taille critique de certains pôles, ou encore car le nombre de pôles était trop élevé. De plus, les établissements doivent constamment réviser leur

projet stratégique pour tenir compte des évolutions de l’Etat, des besoins de santé de la population, des technologies de prise en charge, de la démographie et des modalités de calcul financier (Bendaira, Calmes et Glardon, 2012).

Certains pôles peinent à exister sur le terrain. Quelques uns ont été créés officiellement mais avec peu d’effets, peut-être une forme de résistance de la part des acteurs craignant que cette nouvelle idée ne dure pas. Une meilleure perception des atouts des pôles pour les professionnels aiderait à leur bon fonctionnement. Certains agents continuent d’ignorer jusqu’à l’existence même des pôles ou du moins leur modalité de gouvernance. De plus, l’organisation globale des soins, de formation et de recherche pousse à poursuivre la construction de stratégies de développement au sein des services, ce qui limite le développement des pôles, qui doivent prouver leur légitimité. Le rapport Fourcade de 2011 montre d’ailleurs que la majorité des établissements de santé n’ont pas de contrats de pôle. Ce qui remet en question la place de la délégation de gestion, qui s’en retrouve souvent réduite, voire inexistante. De ce point de vue, le pôle n’a pas révolutionné le fonctionnement des établissements publics de santé, contrairement aux attentes (Domy, 2012).

Pour exister, le pôle doit reposer sur un lien, réel et démontré, entre le résultat financier du pôle et son action. Il doit, par ailleurs, questionner son attractivité à l’égard des compétences professionnelles médicales et non médicales, dans un contexte démographique tendu, son attractivité à l’égard des patients, de leurs familles, des médecins de ville, son aptitude à équilibrer ses missions de soins, d’enseignement et de recherche pour ceux qui ont une vocation hospitalo-universitaire (Penaud, 2008).

Pour Penaud (2008), certains pôles qu’il qualifie de « pôles-PME », se heurtent à la difficulté d’un pilotage par les résultats. Il explique que les responsables de pôle ne disposent pas de la maîtrise des tarifs, la possibilité d’un fort développement d’activité reste en partie théorique et les capacités réelles d’hospitalisation butent sur la limite physique d’accueil de l’hôpital. Il est, par ailleurs, contraint par le territoire dans lequel il se situe, potentiellement concurrentiel, et l’accroissement des moyens disponibles par augmentation d’activité ne vaut que si les dépenses engagées sont inférieures aux recettes. Quand il y a activité, c’est l’établissement qui est rémunéré et non pas le pôle directement. Par une série d’actions internes cette

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rémunération est réattribuée à chaque pôle, tout comme les dépenses indirectes sont ventilées en fonction de clés de répartition purement internes. Ainsi, en fonction des critères internes et des clés de répartition, un même pôle peut avoir un résultat excédentaire ou déficitaire. Dès lors, pour Penaud (2008) le compte de résultat par pôle ne peut être qu’un outil de discussion et non un outil de pilotage en tant que tel. Il doit être manipulé avec prudence. Le pilotage en mode pôle-PME pose la question de la maîtrise de la chaîne d’ensemble de la prise en charge des patients. La gestion par compte de résultats peut conduire à une balkanisation nouvelle de l’établissement. Le choix d’activités dites plus rentables, avec l’achat de prestations médico- techniques, entraîne un problème de cohérence entre la situation économique de l’établissement et celle du pôle. Ce qui pose la question du sens de la délégation de gestion dans un établissement en déficit (Penaud, 2008). De plus, le niveau de connaissance et d’appropriation de la nouvelle gouvernance par le personnel soignant est mince, ce qui se traduit par une faible association du personnel aux décisions (Channet et al., 2009). En résumé, les injonctions tutélaires ne s’implémentent pas facilement dans une institution où les pouvoirs sont partagés.

6 Un grand travail de redéfinition des rôles imposé par une nouvelle organisation

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