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CHAPITRE 1 : DU NOUVEAU MANAGEMENT PUBLIC A L’APPARITION DES POLES D’ACTIVITE MEDICALE : RETOUR SUR L’EVOLUTION DU SERVICE PUBLIC HOSPITALIER

7 La volonté d’une mesure des performances avec le développement des outils de gestion

7.3 Un faible impact, mais un apport détourné des outils de gestion

L’influence majeure des outils de gestion ne réside pas dans leur capacité à piloter l’activité mais se situe au niveau des représentations des acteurs et des relations entre acteurs administratifs et médicaux par l’instauration d’un dialogue de gestion. En effet, ces outils ont très souvent un effet beaucoup plus indirect et symbolique (Bonnier, Flachère et al. 2013 ; Crémieux et al., 2013). Moisdon (2010) montre d’ailleurs que la T2A a plus de répercussions sur les représentations des acteurs que sur les modes concrets par lesquels ils s’organisent. Sur

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le moyen terme, il n’y a pas réellement d’effets sur la délégation ni sur la motivation des médecins à atteindre un résultat économique. Par contre, les auteurs constatent bien un apprentissage réciproque « à la fois sur les possibilités offertes sur les instruments et sur les

leviers d’amélioration de la performance médico économique » (Crémieux et al. 2012, p.10).

Les tableaux de bord ont modifié progressivement les représentations des médecins. Leurs activités médicales sont maintenant aussi perçues en termes de recette et de coût (Flachère, 2014). On parle même de l’émergence d’une culture gestionnaire (Moisdon, 2010). Il est alors question de phénomène d’apprentissage (Crémieux et al., 2013) notamment avec les CREA où l’on remarque une évolution des rapports entre les gestionnaires et les médecins, avec plus de proximité (Moisdon, 2010). L’introduction de nouveaux instruments de gestion permet alors aux différents acteurs de communiquer, car le tableau de bord permet la tenue de réunions pour discuter de questions médico-économiques (Bonnier, Saulpic et Zarlowski, 2013). Par ailleurs, le processus de contractualisation offre au sein des établissements un temps d’échange qui favorise la discussion (Gouffé et Cargnello-Charles, 2014). Enfin, les outils de gestion sont un support à la mise en cohérence des logiques administratives (Havard, 2015). L’outil de gestion s’apparente donc à un objet frontière. En effet, d’après Bonnier et al. (2013) l’introduction d’un tableau de bord a comme principal effet de rendre possible la tenue de réunions entre managers et médecins. Au cours desquelles des questions médico- économiques sont discutées, mais sans que le tableau de bord soit réellement mobilisé dans ces discussions (Bonnier et al. 2013).

Objet frontière

Quand on parle d’objet frontière ici, on se réfère aux travaux de Star et Griesemer (1989), qui cherchaient à rendre compte de la manière dont pouvait s’organiser l’activité collaborative entre différents groupes d’acteurs, autour d’un projet scientifique. L’objet est donc de savoir de quelle façon se structure cette collaboration, à l’interface entre différents groupes d’acteurs. Selon Star et Griesemer, un objet frontière est doté à la fois d’une identité stable : il peut circuler d’un groupe à l’autre sans perdre son identité - et d’une grande flexibilité interprétative : il peut être approprié par différents groupes d’acteurs qui l’intègrent à leurs pratiques sans qu’ils aient pour cela à remettre en cause leurs propres objectifs ni les intérêts qui sont les leurs. Dès lors le rôle des objets-frontières est de « stabiliser et servir de

médiateurs entre divers intérêts » dans le cas de changements comptables étudiés (Briers et Chua, 2001, p. 237). Dans un contexte de changement organisationnel impliquant des acteurs de mondes différents il est important d’avoir un lieu d’échange sur des questions technico- économiques. Le tableau de bord représente alors un support pour mettre des acteurs autour d’une table pour discuter des enjeux de l’établissement. Le tableau de bord, lorsqu’il est mobilisé en réunion, constitue alors un objet-frontière dont les usages à l’interface des deux groupes d’acteurs concernés sont définis de manière générique. Le tableau de bord devient essentiellement un prétexte pour organiser des échanges entre la direction et les médecins. Il sert donc plus à structurer l’ordre du jour qu’à alimenter une réflexion de gestion sur des questions précises et prédéterminées. Pour Bonnier et al. (2012) qui ont étudié la mise en place des tableaux de bord dans une clinique, la présentation des tableaux est le prétexte qui permet d’organiser les réunions entre la direction et les médecins. Avant il n’y avait pas de réunions entre les deux communautés : « le tableau de bord est essentiellement un prétexte

pour organiser des échanges entre la direction et les médecins. », « Il sert donc plus à structurer l’ordre du jour qu’à alimenter une réflexion de gestion sur des questions précises et prédéterminées. » (p.13). Ainsi l’objet ou l’instrument clé n’est pas le tableau de bord à lui

seul, mais l’ensemble qu’il forme avec la réunion, nouveau lieu d’échange entre la direction et les médecins (Vallejo et al., 2015). Il revêt le rôle d’artefact permettant de légitimer ces réunions (Bonnier, Saulpic et Zarlowski, 2013). Le suivi de l’activité (tarification) et la mesure de la performance (recettes et dépenses) sont effectivement réalisés, et sont l’occasion de discussions. Ainsi, les outils de contrôle de gestion n’ont pas permis une décentralisation des décisions mais ils ont contribué néanmoins à modifier les relations entre acteurs. Les travaux montrent que les pôles et les outils de gestion ont permis de développer une communication entre les équipes médicales, soignantes et administratives qui n’existait pas auparavant (Vallejo et al., 2015b). Dès lors, « les tableaux de bord ont les caractéristiques

d’un objet frontière au sens de Star et Griesemer (1989), ils conservent une grande flexibilité interprétative. Ils facilitent ainsi la coopération dans un contexte où aucune des parties prenantes ne domine les autres. Ils ont été élaborés à la demande de la direction mais modifiés selon les demandes des médecins. Ils sont peu contraignants car ils ne comportent pas d’objectifs chiffrés, mais seulement une référence à l’année précédente. Les données sont agrégées et ne permettent pas de rentrer dans le détail de l’analyse des praticiens. De la sorte, ils sont acceptés par les médecins qui les trouvent intéressants et participent aux réunions. Le rôle des tableaux de bord est donc principalement informatif. » (Vallejo et al.,

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Il faut donc considérer les instruments comme pouvant avoir des apports variés ne se limitant pas à l’amélioration de la performance. Par exemple, le PMSI est finalement davantage un outil de reporting auprès de la tutelle qu’un véritable outil de régulation externe ou de pilotage interne (Flachère, 2015). Il est vrai que ces instruments de gestion peuvent être utilisés de manière très différente selon les contextes. Une particularité qui amène à penser l’importance d’adopter une approche organisationnelle et contextualisée, pour étudier l’introduction de ces nouveaux instruments à l’hôpital (Georgescu et Naro, 2012). Ainsi, les CREA peuvent être utilisés comme support à des incitations monétaires ou non, selon des modalités très variées. Ils peuvent être produits selon des temporalités tout aussi variées et analysés dans des réunions impliquant les pôles (Bérard et Steyer, 2013; Bonnier, Flachère et al. 2013; Flachère, 2014). Par ailleurs, la façon dont les charges indirectes sont allouées aux pôles est différente selon les contextes et est plus ou moins transparente (Valette et al., 2015). Pour Bérard et Steyer (2013), l’intérêt de l’instrumentalisation n’est pas à rechercher dans son impact fonctionnel direct, mais dans sa capacité à permettre aux acteurs de gérer l’ambiguïté. On observe donc ici une certaine forme d’appropriation des outils qui va à l’encontre de la littérature internationale qui a plutôt mis en avant des cas de résistance à la fin des années 1990 (Jacobs, 1995; Jones & Dewing, 1997; Doolin, 1999; Lowe & Doolin, 1999). En partant du principe énoncé par Giraud et al. (2011), selon lequel pour être appropriés les instruments doivent être transformés par les acteurs concernés, ce constat n’est plus si étonnant (Giraud et al., 2011). Valette et al. (2015) relativisent toutefois cette appropriation, qui ne leur semble pas maîtrisée. Selon eux, les cas relatés mettent plutôt en évidence une absence de réflexion sur les objectifs des instruments par les acteurs qui les mettent en œuvre localement. Ils rappellent que s’approprier les outils ne signifie pas uniquement les transformer pour les adapter au contexte local. Il s’agit aussi de respecter « l’intention » que les outils sont supposés servir.

Ainsi, les recherches empiriques indiquent bien que la prise en compte du contexte est essentielle, puisque les instruments sont transformés localement et que les effets sont très variés. Un constat qui va à l’encontre de l’idée développée par le gouvernement, qui a fait le choix d’une diffusion à grande échelle d’instruments standard dans l’ensemble des établissements. Un processus véhiculant l’idée que ces instruments sont des vecteurs de conformation des pratiques, dont l’effet sur la performance est univoque, et qu’il n’est pas

nécessaire de prendre en compte les caractéristiques du contexte, ni d’expliquer les mécanismes de cette supposée performance (Valette et al., 2015).

Il est possible d’accorder différentes finalités aux instruments de gestion. Il est en général question d’évaluation et d’apprentissage. Sachant cela, il est important de penser l’articulation entre la mise en œuvre des instruments et leurs finalités (Valette et al., 2015). Ainsi, Moisdon (2012) explique le peu de changements à l’hôpital par le fait que les outils sont conçus avec une finalité d’évaluation et d’incitation. Le but caché étant d’éviter au régulateur de se mêler de l’organisation. Ce n’est donc en aucun cas un guide pour les acteurs dans la reconfiguration de leur organisation. Pour d’autres auteurs les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des instruments sont liées à l’inadéquation entre le design et les usages qui en sont faits (Crémieux et al., 2013). Il ressort le besoin d’une réflexion autour des objectifs des instruments et de leur apport au-delà de la conformation (Valette et al., 2015). Ils devraient conduire à penser la diffusion, comme des expérimentations dans une logique d’apprentissage et non comme l’application d’un outil standard (Moisdon, 2008). Il en va de même concernant les contrats de pôles ils seront d’autant plus efficaces si la contractualisation se fait sur des projets plutôt que sur des objectifs de résultat (Kauffmann, 2008). Au sein du pôle, la mise en œuvre des instruments est problématique en raison d’incohérences dans les choix de regroupement de services (Margarit & Peyret, 2008). La mesure de la performance est rendue difficile par la multiplicité des parties prenantes (Montalan & Vincent, 2011) ou par la complexité de l’organisation (Arthus et al. 2009; Nobre & Haouet, 2011). Enfin, le cloisonnement soignant / médecin peut être préjudiciable à la mise en œuvre de certains instruments (Dumas et al. 2012).

Les CREA sont utilisés de manières très différentes selon les contextes, tantôt comme support à des incitations monétaires ou non. Ils sont produits trimestriellement, semestriellement ou annuellement, et sont analysés lors de réunions impliquant tous les pôles ou un seul (Bérard, 2011 ; Bérard et Steyer, 2013 ; Crémieux et al., 2014). De même le calcul des charges indirectes et le prix de transfert sont calculés de marnière différente selon les contextes (Bérard et Steyer, 2013).

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D’après Bonnier et al. (2014), les acteurs utiliseraient les outils de gestion parce que c’est ce qu’il convient de faire, en dépit de leur utilité avérée ou non, ce que March et Olsen (1976, 2004) ont appelé la logique de conformité. Selon eux, cette logique régit l’activité des personnels soignants à l’hôpital, et s’oppose à la logique conséquentialiste de la sphère gestionnaire. Ainsi, les dispositifs de gestion sont mis en œuvre parce qu’ils sont perçus par les personnels soignants comme naturels, attendus, légitimes et conformes à leurs valeurs et normes personnelles et professionnelles.

La diversité des pratiques associées aux outils conduit à des modifications dans la façon d’envisager la diffusion d’instruments, du point de vue du management des politiques publiques. Les nouveaux outils gagneraient à être déployés dans une démarche d’expérimentation, avec des boucles d’apprentissage (Moisdon, 2010 ; Bonnier et al., 2014).

L’implantation d’instruments de comptabilité ou de contrôle de gestion suggère une absence d’impact sur les modes de fonctionnement des hôpitaux dans la mesure où les médecins seraient résistants à la logique économique (Flachère, 2015). En effet, dans sa thèse, Flachère (2015) rappelle que de nombreuses études démontrent l’opposition forte entre la logique comptable et la culture médicale (Bourn et Ezzamel, 1986 ; Preston, Cooper et Coombs, 1992 ; Laughlin, Broadbent et Shearn, 1992 ; Doolin, 1999). Ces études analysent l’implantation des instruments de contrôle de gestion comme un découplage entre le cœur opérationnel de l’organisation et les structures administratives formelles. Ces instruments sont utilisés comme des mécanismes de légitimation auprès de l’environnement extérieur. La comptabilité est un symbole de rationalité qui permet d’apparaître conforme (Covaleski et al., 1993). La plupart de ces études mettent en évidence une utilisation purement stratégique des instruments de contrôle. Certains médecins auraient une attitude conformiste afin de protéger le reste du corps médical (Jacobs, 1995 ; Doolin, 2001). D’autres acteurs s’emparent de ces instruments afin de retrouver une position de pouvoir dans l’hôpital, dans un objectif de légitimation (Llewelyn, 2001 ; Aidemark, 2001 ; Kurunmäki et al., 2003). D’autres recherches ont mis en avant l’impact des indicateurs et outils financiers sur les valeurs et les représentations des acteurs (Chua et Preston, 1994; Kurunmäki, 1999 ; Kurunmaki et al., 2003 ; Abernethy et Vagnoni, 2004). On note en effet une évolution des discours des médecins qui incorporent le langage de la comptabilité.

Finalement, l’introduction d’instruments de contrôle n’a pas produit les résultats attendus (Flachère, 2015). Les instruments de gestion implantés n’impactent que modestement les pratiques et les modes d’organisation (Moisdon, 2010 ; Bérard, 2011 ; Crémieux, Saulpic et Zarlowski, 2013 ; Bonnier, Saulpic et Zarlowski, 2013). Toutefois, de nouveaux rôles hybrides sont apparus, et au-delà des facteurs macro-sociaux (Denis et al., 2015), les instruments de gestion jouent un rôle moteur dans l’adoption de tels rôles (Valette et Burellier, 2014) en agissant sur les valeurs et les représentations des acteurs. La question est donc de savoir à quoi vont aboutir ces apprentissages réciproques. Les différents acteurs des trois mondes de l’hôpital (médical, administratif et soignant) ont pris l’habitude de se réunir et de dialoguer, pour autant, l’objectif de décentralisation de certaines décisions n’est pas atteint ce qui génère beaucoup de critiques chez les médecins.

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