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CHAPITRE 4 : LES POLES D’ACTIVITE MEDICALE ET LE PROCESSUS DE DECISION EN QUESTION : L’ANARCHIE ORGANISEE AU SERVICE DE L’ANALYSE DE L’HOPITAL

1 Le cadre épistémologique, la constitution des connaissances

Toute recherche s’inscrit dans un cadre épistémologique puisque l’épistémologie est « l’étude

de la constitution des connaissances valables » (Piaget, 1967, P.6). En effet, pour Perret et

Seville (2007, p.13), « la reflexion épistémologique s’impose à tout chercheur soucieux

d’effectuer une recherche sérieuse car elle permet d’asseoir la validité et la légitimité d’une recherche ». Dès lors, le travail de recherche repose sur une certaine vision du monde, et

l’épistémologie permet d’orienter vers un mode de collecte de données particulier, et surtout de fixer les critères de scientificité de la recherche et la valeur scientifique des résultats (Perret et Seville, 2007). La finalité d’une recherche étant d’élaborer des connaissances, le chercheur doit se questionner sur ce qu’est la connaissance (Avenier et Gavard-Perret, 2008). Ainsi, le travail épistémologique repose sur trois questions fondamentales (Piaget, 1967, Thiétart et al., 2007) :

Qu’est-ce que la connaissance, son statut et la nature de la « réalité » ? Quel est le statut et la valeur de la connaissance produite ?

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Le design de la recherche « émerge » durant le processus de recherche, il est rarement défini avant l’intervention du chercheur (Lincoln et Guba, 1985). Ainsi, le choix épistémologique dépend en partie de l’objet de recherche lui-même : en effet, comme nous l’avons souligné dans la première partie de notre travail, l’étude des pôles nécessite une prise de distance et de questionnement, orientant alors vers une approche de type compréhensif (Volkoff, 2008). C’est pour cela que parmi les différents paradigmes épistémologiques nous nous sommes arrêtés sur celui de l’interprétativisme.

1.1 Le paradigme épistémologique interprétativiste

L’interprétativisme constitue l’un des trois grands paradigmes épistémologiques traditionnellement identifiés en sciences de l’organisation, aux côtés du positivisme et du constructivisme (Thietart et al., 2007). Pour comprendre la réalité, ce paradigme s’appuie sur les interprétations qu’en font les acteurs, la démarche de recherche étant alors contextualisée. Dans une perspective empirique limitée à l’analyse des discours des agents hospitaliers sur leurs pratiques et à l’étude d’acteurs d’une organisation particulière telle que le pôle d’activité médicale sur les processus de délégation et de prise de décision, ce choix semblait devoir s’imposer.

Il existe quatre hypothèses fondatrices du paradigme interprétativiste, qui sont quasiement identiques à celles du paradigme épistémologique constructiviste pragmatique (Nyobe, 2014). La première hypothèse postule que ce qui est considéré comme connaissable, est l’expérience vécue, ou « expérience de la vie » (Husserl, 1970). La deuxième hypothèse postule que la connaissance qu’un sujet développe d’une situation est liée, inséparablement, à la situation et au sujet qui en fait l’expérience. La troisième hypothèse postule que le pouvoir est constitutif de l’intention dans l’expérience du monde, et donc dans la construction de connaissances (Sandberg, 2005 ; Yanow, 2006). Enfin, la quatrième hypothèse est le refus de l’hypothèse d’existence d’un réel objectif indépendant de l’observateur.

Ainsi, le constructivisme partage avec l’interprétativisme une hypothèse relativiste (l’essence de l’objet de recherche ne peut être atteint) et l’idée de dépendance du sujet et de l’objet (ne pouvant être appréhendés séparément). Pourtant, le projet du paradigme constructiviste est de construire la réalité, et non de l’interpréter (Thietart et al., 2007). D’après Perret et Séville

(2008), les constructivistes partagent la démarche de compréhension, mais s’en distinguent dans la mesure où leur démarche entend participer à la construction de la réalité des acteurs. Elle ne se contente pas de donner à voir cette réalité comme le fait l’interprétativisme. Ce dernier laisse en suspens la question concernant l’existence de la réalité. Ils ne rejettent ni acceptent l’hypothèse d’une réalité en soi (Perret et Séville, 2008). Ce qui laisse au chercheur une liberté et une marge d’interprétation importante quant au contenu et à la qualité de la connaissance à générer. A la notion de réalité objective défendue par le positivisme, l’interprétavisme lui préfère celle de réalité objective intersubjective (Sandberg, 2005). Ce paradigme s’intéresse aux motivations des acteurs et à leur compréhension : au regard de notre objet de recherche, la compréhension et l’interprétation de la manière dont les acteurs pensent se saisir et agir autour des pôles d’activité médicale sont centrales, ce phénomène étant marqué par la subjectivité. Le choix de l’interprétativisme nous amène à appréhender des interprétations dans une perspective subjective et contextuelle, ne pouvant être atemporelle et universelle (Chakor, 2013). Ainsi, l’adoption d’une posture de type positiviste paraît inadéquate : ce paradigme revendique un positionnement réaliste du statut de la connaissance, soutenant l’existence d’une essence propre à l’objet de connaissace et une indépendance du sujet et de l’objet dans la nature de la « réalité », cette dernière existant « en soi » (Perret et Séville, 2007).

Pour ce qui est du statut de la connaissance, l’interprétativisme considère que l’essence de l’objet de connaissance ne peut être atteint, voire qu’il n’existe pas. Le monde social est donc fait d’interprétations issues des interactions entre acteurs, dans des contextes spécifiques. Les acteurs sont en position de choix et de créer leur environnement par leurs pensées et leurs actions, guidés par leurs finalités (Le Moigne, 1995 cité par Perret et Seville, 2007). En adoptant cette posture, nous souhaitons comprendre comment les acteurs construisent le sens qu’ils donnent à la gestion des pôles et aux processus de décision. Nous ferons donc émerger des données qui sont des interprétations de la réalité (Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999).

Au niveau du chemin de la connaissance scientifique, nous développerons une démarche visant à prendre en compte les intentions, les motivations, les attentes, les raisons et les croyances des acteurs (Perret et Séville, 2007). Dans le paradigme interprétativiste, la construction de connaissance vise d’abord à comprendre les significations que les différents sujets participant à une même situation donnent à cette situation. Par cette démarche

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contextualisée nous espérons mettre en lumière comment les acteurs de l’organisation interprètent et se représentent le processus de décision dans les pôles. La construction des connaissances dans le paradigme interprétativiste suppose l’identification des cadres de pensées ainsi que les manières, souvent tacites, des acteurs d’appréhender et d’interpréter les situations qu’ils vivent (Avenier et Thomas, 2012). La génération de connaissances suppose donc de comprendre le sens que les acteurs donnent à la réalité « C’est-à-dire donner des

interprétations aux comportements » ce qui « implique nécessairement de retrouver les significations locales que les acteurs en donnent, c’est-à-dire des significations situées (dans l’espace) et datées (dans le temps) » (Perret et Séville, 2008). Nous ne participerons donc pas

à la construction de la réalité des acteurs contrairement aux constructivistes. Si ces derniers partagent cette démarche de compréhension ils s’en distinguent dans la mesure où leur démarche entend participer à la construction de la réalité des acteurs, elle ne se contente pas seulement de donner à voir cette réalité, comme le fait l’interprétativisme (Perret et Séville, 2008). La finalité de notre recherche est donc d’aboutir à une représentation la plus proche possible de la façon dont les acteurs perçoivent eux-mêmes la réalité (Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999).

Les connaissances produites dans le courant interprétativiste sont généralement de nature descriptive et présentées sous forme de narration détaillée (Schwartz-Shea, 2006). Elles sont en général présentées dans des narrations offrant des « descriptions épaisses » (Geertz, 1973). Ce courant reconnaît l’existence de régularités au niveau des phénomènes étudiés mais réfute complétement l’idée d’une généralisation statistique des connaissances, contrairement au positivisme et au réalisme. Nous tentons de savoir comment le changement de configuration structurelle impacte le processus de décision à l’hôpital. Cela nécessite d’obtenir l’avis des acteurs sur les changements en cours à l’hôpital concernant cette nouvelle gouvernance. Nous ne pourrons donc témoigner de l’existence d’un lien entre configuration structurelle et décision qu’après avoir pris connaissance des représentations des acteurs concernant les pratiques managériales et décisionnelles en cours. Si la généralisation statistique (Yanow, 2006) n’est pas permise, Sandberg (2005) postule toutefois que différents sujets participant à une même situation sont capables de s’accorder sur l’attribution d’une signification à cette dite situation. Il désigne par « réalité objective intersubjective » cette signification partagée. Autrement dit, la signification consensuellement attribuée par des sujets à une situation est considérée comme la réalité objective de cette situation. La « réalité objective

intersubjective » d’une situation dépend ainsi des interprétations des expériences que les différents sujets ont de la situation.

Les postures interprétativistes s’exposent à diverses critiques, elles « peuvent être accusés

d’indifférentisme, de scepticisme, de subjectivisme » (Perret et Girod-Séville, 2002, p.319), où

tout tend à se « valoir » et où le chercheur peut être incité à se satisfaire du contingent comme doctrine (Micaleff, 1990 cité par Perret et Girod-Séville, 2002). Ainsi, certain auteurs, afin d’accroître la validité scientifique de leur démarche de recherche et se prémunir de certaines de ces critiques se sont placés dans une perspective de pragmatisme méthodologique (Gueguen, 2005). Ce pragmatisme se caractérise par la volonté du chercheur de « maximiser » la validité et la fiabilité de la recherche scientifique (Thietart et al., 2007) en fonction des contraintes empiriques, notamment le type et l’accessibilité des données. Le « pragmatisme méthodologique » (Gueguen, 2005) est donc une posture épistémologique complémentaire qui pousse ces auteurs à adopter une certaine flexibilité et une capacité d’adaptation. Ainsi, le pragmatisme méthodologique tend à adapter volontairement et sciemment les concepts et outils à la problématique de recherche et à la spécificité du terrain investigué (Gueguen, 2005). Nous ne nous inscrivons pas dans ce positionnement complémentaire mais nous en retenons l’idée d’adaptabilité au terrain, une notion qui nous a suivi tout au long de notre recherche. Par ailleurs, nous retenons également l’idée de transparence qui est défendue par ces adeptes.

Ainsi, la généralisation envisagée dans ce paradigme concerne essentiellement des processus d’interprétation, de construction de sens et de communication, en s’efforçant d’identifier les cadres de pensée et les manières de voir le monde, souvent tacites, qui façonnent le sens que les sujets donnent aux situations qu’ils vivent. Les pratiques sont abordées dans une conception phénoménologique devant permettre leur intelligibilité (Le Moigne, 2007). La généralisation et la transférabilité des résultats n’est pas au cœur de notre recherche, même si nous pourrons mettre en évidence des situations dans lesquelles les résultats pourront être étendus (Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999). Nous nous positionnerons plus sur une logique de généralisation analytique (Yin, 2003) que de généralisation des résultats. La généralisation est réalisée de manière itérative par induction et/ou par abduction, à partir de lectures attentives répétées du matériau empirique jusqu’à ce qu’une construction de sens nouvelle émerge, éventuellement à la lueur de connaissances théoriques préalables (Yanow, 2006).

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