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3.2 Les données écrites

3.2.4 Limites des données issues de l’Internet

Nous synthétisons les remarques relatives aux différentes situations de

commu-nication à l’écrit dans le tableau suivant139 :

138. Nous devons préciser que nous ne savons pas dans quelle mesure les anecdotes sont re-touchées par les responsables du site qui décident ou non de les publier. Même s’il est demandé aux internautes, qui votent pour la publication des VDM, de « refuse[r] une VDM écrite en SMS ou contenant trop de fautes d’orthographe », il est également précisé dans la rubrique

Modérez les VDM que « les VDM sont toujours relues [. . . ] avant d’être publiées et qu’il [. . . ]

est par conséquent possible d’ajouter un mot manquant ou de retirer de petites fautes ». Il est également difficile de savoir dans quelle mesure les internautes sont influencés par la présenta-tion des anecdotes déjà publiées pour rédiger leurs propres VDM. Cependant, l’étude des VDM reste pertinente et intéressante du point de vue des contraintes qui pèsent sur les internautes et de la « distance » instaurée par un lectorat inconnu.

139. Une petite précision concernant les salons IRC, en théorie, il s’agit d’un salon de discus-sion dédié aux conversations instantanées et dans la majeure partie des cas, les internautes se répondent rapidement mais il peut arriver que les messages envoyés ne soient pas lus immédia-tement et que la réponse arrive en différé.

IRC Forums VDM Amitié réelle Amitié

virtuelle Joueurs Communication différée ou instantanée (quasi-) instantanée (quasi-) instantanée (quasi-)

instantanée Différée Différée

Relation entre les interactants Amis, au-delà du jeu. Rencontres plus ou moins régulières en dehors du salon et dans la vie réelle. Amis dans le cadre du jeu, ne se sont pas réellement rencontrés. Joueurs n’entrete-nant pas de relation amicale, et ne communi-quant uniquement (ou presque) en lien avec le jeu. Inconnus ou habitués, mais qui n’ont pas de relation en dehors du forum. Inconnus Présence de DD 37% 33% 33%

Table 3.8 – Récapitulatif des situations de communication à l’écrit La constitution de ce corpus soulève des problèmes de plusieurs natures qui, même si nous ne sommes pas forcément en mesure de les contourner, méritent d’être discutés. Notre objectif étant de montrer dans quelle mesure la construction du discours rapporté est influencée par la relation entre les interactants, il est nécessaire voire indispensable d’être en mesure de les placer sur un continuum. C’est ce que nous essaierons de faire (cf section 4 de ce chapitre). Mais, notre catégorisation qui est fondée sur les paramètres de P. Koch & W. Œsterreicher (2001) ne permet pas de tout situer. Comment placer par exemple une relation familiale par rapport à une relation amicale ? Toutes deux seraient placées du côté du pôle de la proximité, mais peut-on pour autant les mettre exactement sur

le même plan140?

N’importe quelle classification adoptée ne saurait être rigide lorsqu’il s’agit des relations qu’entretiennent des humains. On peut être plus ou moins proche des membres de sa famille, plus ou moins proche de ses collègues de travail. Chercher à déterminer, à qualifier ou même quantifier efficacement des degrés de proximité présente une difficulté que nous n’ignorons pas, en particulier pour ce qui concerne nos données issues de l’Internet. En effet, si nous disposons pour nos données orales de fiches métadonnées assez précises attestant des antécédents entre les interactants, nous ne disposons pas des mêmes outils pour l’analyse des

140. La question se pose concernant les effets sociolinguistiques potentiels de ces types de situation.

forums et des anecdotes VDM. Bien souvent, nous ne connaissons pas beaucoup plus que le pseudonyme des scripteurs et il est difficile de retracer des antécédents avec d’autres internautes.

Ce manque d’informations pose d’ailleurs un problème plus large, celui des catégorisations sociolinguistiques des interactants notamment si l’on veut établir ou du moins s’intéresser à des différences homme/femme ou des différences entre catégorie d’âge par exemple. Même lorsque nous disposons d’informations parfois supplémentaires, nous n’avons aucun moyen de vérifier la véracité de celles -ci. Un internaute peut écrire ce qu’il veut, se faire passer pour qui il veut :

« Il [l’individu] peut ainsi intervenir dans un forum de discussion en se présentant comme ingénieur alors qu’il est technicien, habitant à la campagne alors qu’il réside en ville, âgé alors qu’il est adolescent, femme alors qu’il est un homme, etc. Une foule d’emprunts identi-taires est brusquement possible. L’individu peut désormais "s’essayer" à différentes formes de soi qu’il teste dans Internet avec l’intention d’expérimenter "l’effet que ça fait" » (F. Jauréguiberry, 2000, p. 137). J. Paolillo (2001) précise également, à ce propos, que les identités des internautes peuvent être falsifiées :

« oftentimes, information about participants ‘real-life’ social iden-tities can be difficult to obtain, because they use on-line monikers that obfuscate or falsify their off-line identities, and because they can change the on-line cues to their identities by using different computer accounts » (p. 181).

Devrions-nous pour autant exclure ces données de notre étude ? Nous pensons que non puisque nous ne cherchons pas à savoir si le contenu des propos rapportés est réel mais nous nous intéressons à la qualité (socio)linguistique des produc-tions des internautes. Au risque que notre corpus laisse entrevoir des limites de

comparabilité141, il nous semble opportun de travailler sur de telles données. Si

la relation entre les interactants est difficile à identifier, le cadre de la situation de communication peut, quant à lui, être établi de manière plus précise. Outre l’influence de la relation entre les interactants, nous nous intéressons à l’influence du cadre communicationnel sur la construction du discours rapporté. L’étude des forums ou des anecdotes VDM permet donc une mise en parallèle de différentes situations de communication relevant de l’écrit, dans lesquelles (en plus de la relation entre les interactants) les paramètres en jeu ne sont pas les mêmes.

141. La question de la comparabilité, épineuse et complexe, mériterait d’être longuement et âprement discutée, aussi bien pour nos données écrites que pour nos données orales. Nous ne le ferons pas ici, nous pointons simplement le fait que pour une partie de notre corpus (le pan oral), nous disposons d’informations sur les locuteurs alors que ce n’est pas le cas pour nos données écrites.

Il pourrait également nous être reproché, au vu de la catégorie que nous

sou-haitions privilégier sous l’appellation « langue des jeunes142 », que nous nous

éloignons de notre sujet. Ce pourrait être en partie vrai pour certains forums et les anecdotes VDM, mais les joueurs IRC entrent dans la catégorie des adoles-cents/jeunes adultes puisqu’ils ont entre 17 et 30 ans. Un autre argument, en faveur de notre démarche, peut également être avancé. Pour tenter de faire émer-ger des spécificités au sein d’une catégorie quelle qu’elle soit, il faut certes être en mesure de pouvoir les observer dans un contexte délimité, mais il est tout aussi nécessaire d’observer que ces « spécificités » ne se retrouvent pas dans d’autres situations. Cet argument s’applique aussi pour ce qui est de l’utilisation des don-nées issues du projet GTRC puisque ce dernier ne vise pas la même catégorie d’âge ni les mêmes locuteurs que le projet MPF. Une mise en parallèle est néanmoins intéressante pour faire émerger des constructions du discours rapporté différentes selon l’âge des locuteurs.

Notre corpus, même s’il n’apparaît pas homogène143, constitue à notre sens une

bonne illustration justement de l’hétérogénéité des situations de communication en général. Il constitue également une base de travail variée pour répondre à notre hypothèse. Nos résultats tiendront compte de ces difficultés et seront nuancés au besoin.

3.3 La classification des données sur le continuum