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4.2 Discours direct et situation de communication

5.2.2 Absence de verbe introducteur et récit

L’exemple (72) nous amène à nous intéresser au rapport entre absence de verbe et cotexte, et plus particulièrement entre absence de verbe et récit :

(72)

CYR <chez mac (.) on> [<] a du maquillage résistant hein (.) putain [. . . ]

CYR ah mais ça tient mais tu es (..) tu es tu es làoui alors (..) par

contre : je vois pas trop ce que ça donne.

CYR mais bien sûr on va regarder ensemble madame.

CYR celui-là ? CYR non ! CYR celui-là ? CYR non. CYR celui-là ? CYR non ! CYR d’accord !

CYR donc vous pouvez le voir <euh (..) avec> [>] une lin-gette ça part pas mais si vous voulez vous avez le déma-quillant waterproof@s. (MPF, Jean-David2b, 3297-3358)

218. A ce propos, il est intéressant de noter que le joueur 2 qui reprend les propos écrits par le joueur 1 quelques secondes plus tôt, ne réécrit pas exactement la même chose. C’est ce qui nous permet, d’une part, de ne pas interpréter cette séquence comme un simple copié-collé et d’autre part, de souligner à nouveau que « la fidélité des propos rapportés » est à mettre en cause. Si les propos repris dans ce cadre (où le joueur 2 a sous les yeux une trace lisible de ce que le joueur 1 a écrit) ne sont pas strictement les mêmes, on peut émettre encore davantage de doutes, pour toute autre situation où les propos lus ou entendus seraient plus lointains, sur la capacité des locuteurs/scripteurs à rapporter fidèlement des propos.

219. Le terme de « nature » réfère aux types de DD (imaginés, présentés comme réels ou repris).

Ici, le locuteur n’introduit qu’une fois les propos par la formuletu es là, il relate un échange avec une cliente qui cherchait du maquillage et qui lui a demandé conseil. Nous pouvons alors nous demander dans quelle mesure les conversations rappor-tées permettent de faire l’économie de verbes introducteurs. Est-ce que cette économie est générale ou est-elle plus importante dans des situations de proxi-mité ? Il s’agit dès lors de se demander si le facteur déterminant pour l’absence de verbe introducteur est le cotexte du DD, le cadre plus général de l’échange ou le croisement de ces deux facteurs. E. Couper-Kulhen (2010) affirme que :

« In story-telling contexts, [. . . ], conversationalists regurlarly ex-ploit the natural adjacency of turns-at-talk when reporting dialogue and suppress quotative markers after the story figures have been in-troduced for the first time » (p. 87).

L’exemple précèdent (72) confirme cette tendance mais d’autres permettent de la nuancer, comme l’exemple écologique suivant :

(73)

Stéphane : Mais je croyais que c’était des neskis@s j’ai pas calculé je vois un keum@s il a une reba@s tu vois.

Stéphane : Moi mon pote direct je mets la main sur la la zeuzega@s

je j- X et le keum@s il me faitc’est la policeje faistu vous tu sais

pas lire c’est pas la police.

Stéphane : Il me fait non c’est nous la police.

Mais je fais faut le dire avant (.) vous me faites péfli@s là.

Stéphane : Il me fait ah le keum@s il était déjà comme ça hein.

Stéphane : Je fais vous allez me shooter@s ou quoi c’est

com-ment ?

Stéphane : Je fais vous savez pas lire vous aussi.

Et comme je les avais déjà vus je me suis plus chéla@s tu vois. Stéphane : <Comme je les avais déjà vus sur des> affaires (.) tu vois

je fais hé go euh vous allez me tirer dessus je fais vous savez

pas lire c’est écrit comme ça dans le dos.

Farid : Ouais ouais ouais comme tu les avais déjà ouais ouais ouais.

Stéphane : Voyez bien non (.) le gars il était déjà comme aç@s il

me fait ah ouais on a failli te mettre un coup hein. (MPF,

Roberto2c, 135-160)

Cet exemple montre que la suppression des verbes introducteurs n’est pas systé-matique dans le cadre de dialogues rapportés, puisque, bien que le locuteur ait introduit une première fois les propos du policier et les siens avec le verbe faire (il me fait, je fais), il ne se dispense pas ensuite de les réintroduire tout au long de son récit, exception faite pour une occurrence de DD (« voyez bien non »).

E. Couper-Kulhen(2010) précise bien que c’est régulièrement le cas et non sys-tématiquement, mais il nous semble important d’insister sur le fait que si cette affirmation peut s’appliquer dans le cadre de certains dialogues rapportés, elle

n’est pas représentative220 des résultats de nos analyses. En effet, en croisant les

occurrences intégrées dans des récits avec les occurrences ne contenant pas de verbes introducteurs, nous constatons que l’absence de verbe (corpus oral et écrit confondus) ne représente que 18,2 % des occurrences. Si nous décomposons ce chiffre, l’absence de verbe dans le cadre de récits représente dans les conversa-tions IRC 41,6 % ; dans les différents entretiens et enregistrements écologiques, elle représente 15,6 %. Si nous décomposons une nouvelle fois ces deux résultats, un fait intéressant apparaît :

Figure 5.2.4 – Pourcentages d’absence de verbe dans le cadre de récits pour chaque situation

Nous constatons que les pourcentages d’absence de verbe les plus élevés dans les récits pour les différentes conversations (en face-à-face et par écrans interposés) sont relevés dans les enregistrements écologiques et dans les conversations IRC de la catégorie « amitié réelle » (les deux situations que nous avons placées au plus près du pôle de la proximité sur notre continuum). Ces résultats amènent à penser que l’absence de verbe introducteur ne dépend pas seulement du cotexte du DD mais également du contexte de l’interaction en cours. La proximité entre les interactants semblerait influencer l’emploi ou l’omission de verbes introducteurs.

220. Nous soulignons que les DD intégrés dans des récits ne font pas nécessairement partie d’un dialogue entier et que nous avons pris en compte ces occurrences « isolées » dans nos calculs.

L’absence de verbe introducteur amène à s’interroger sur le « statut » du DD : peut-on considérer qu’il s’agit de discours directs libres (désormais DDL) « qui s’interprète[nt] comme tel[s] dans [leur] contexte » (D. Maingueneau, 1994) ? H.-L. Andersen (2000), qui s’est beaucoup intéressée au DR en français parlé, définit le DDL comme un discours direct qui « n’est pas accompagné d’un verbe de citation » (p. 150). L. Rosier (2008) complète cette « définition » pour des DDL relevés à l’écrit, puisqu’elle fait mention des signes typographiques :

« Il ne contient ni verbe ou locution introductifs, ni marqueurs

typographiques221. Il présente des personnes de l’interlocution et des

verbes conjugués au temps du discours (présent, passé composé, futur) qui rompent avec l’espace énonciatif qui l’encadre (temps du passé, troisième personne) » (p. 92).

Plusieurs de nos exemples remplissent les conditions énoncées par L. Rosier (2008) :

(74) ils sont restés que dans leur délirenon nous on va bicrave@s

c’est tout on s’en bat les couilles des Blancs on a pas besoin d’eux eux ils voient comme ça la vie. (MPF, Wajih5, 3023)

(75) Les gens ils étaient pas bien ils me regardaient ça comme@s oh

les Noirs oh délinquant(.) tu vois. (MPF, Marion1, 210)

(76) Si je serais chez moi ah ouais mais c’est nul ça mais ouais

des trucs comme ça. (MPF, Anais1)

Ces exemples ont tous en commun de ne pas être explicitement introduits par un verbe de parole : ils sont « libre[s] syntaxiquement » (L. Rosier, 1998, p. 362). Ils contiennent un verbe mais ce dernier n’implique pas une prise de parole (être chez soi, regarder). H.-L. Andersen les nomme « verbe[s] de situation ». Ils permettent de décrire

« la situation dans laquelle se trouve l’auteur de la citation ; souvent il s’agit d’un verbe d’action ou de mouvement qui sera donc suivi par un autre verbe d’action ; celle de s’exprimer directement » (2000, p.151).

Nous constatons également une rupture temporelle et/ou énonciative en (74) et (76) : passé composé > présent/ ils > nous – conditionnel > présent. Nous soulignons que les exemples cités sont des occurrences isolées qui ne font pas partie d’une conversation rapportée.

Cette dernière remarque est importante parce que nous pensons que les DD qui ne sont pas introduits par un verbe introducteur, dans le cadre plus large de

221. Il est « libre typographiquement (absence des deux points, ouvrez les guillemets) » (L. Rosier, 1998, p. 362). Ce critère ne peut s’appliquer qu’à des données écrites.

conversations rapportées, ne doivent pas être considérés comme des DDL. Nous avons montré que l’omission de verbe introducteur pour les DD intégrés dans des récits peut intervenir après que les propos rapportés ont été introduits une première fois. Autrement dit, la rupture énonciative et temporelle a déjà eu lieu en amont, et nous excluons ce que H.-L. Andersen (2000) considère comme « une référence à un verbe de citation précédent » (p. 151) en tant qu’introducteur de DDL.

5.2.3 Absence/présence de verbes introducteurs et DD