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4.2 Discours direct et situation de communication

5.2.3 Absence/présence de verbes introducteurs et DD fictifs/réels183

Nous pouvons également nous demander si le caractère ouvertement fictif du DD a une incidence sur la présence ou l’omission de verbes introducteurs. Nous pourrions penser que la présentation d’un DD comme fictif passe notamment

par le temps du verbe introducteur (conditionnel, futur) ou par sa négation (ne

pas dire) principalement. Le taux de présence de verbes introducteurs devrait, selon cette hypothèse, être plus important dans un contexte de DD fictif que dans un contexte de DD réel. Les graphiques suivants explicitent la répartition de l’absence/présence des verbes introducteurs dans les DD fictifs et réels :

Figure 5.2.5 – Absence/présence de verbes introducteurs dans les DD fictifs (données orales)

Contrairement à ce que nous avons supposé, nous constatons que l’absence de verbe introducteur est un peu plus importante dans les DD fictifs. Cependant, si nous détaillons ces résultats, un fait intéressant peut être souligné. En effet, la proportion d’absence de verbes dans les données orales augmente au fur et à mesure que nous approchons du pôle de la proximité :

Table 5.1 – Absence de verbe introducteur dans les DD fictifs à l’oral Si à première vue, la corrélation entre absence de verbe et DD fictif n’est pas évidente, il semble qu’elle apparaisse pertinente si l’on croise ces résultats avec la situation de communication, puisque le taux le plus élevé d’absence de verbe (34%) est relevé dans les données écologiques. Ceci pourrait signifier que dans des situations relevant de la proximité, les locuteurs ont recours à d’autres moyens que le verbe introducteur pour « montrer » que le DD est fictif, et qu’ils s’appuieraient davantage sur le contexte et des implicites pour le signaler. Si nous regardons de plus près les occurrences de DD fictifs non introduites par un verbe dans les enregistrements écologiques (16/47), nous pouvons proposer une explication quant à cette absence de verbe. Concernant une bonne moitié des occurrences, il s’agit de la simulation d’une interaction, non d’une occurrence isolée, avec plusieurs tours de parole que les locuteurs ne réintroduisent pas et parfois même n’introduisent pas du tout à l’aide d’un verbe introducteur :

(77)

Abderamane : Je comprends pas ce qu’elle veut.

Tidjane : Elle veut juste avoir un visu sur ce qui se passe. Elle veut juste pas se contenter de de euhm.

Abderamane : Non mais t’inquiète il gère. Il est tout seul mais il gère.

Non <oui c’est j’ai (.) j’ai compris>.

Tidjane : <Tu vois c’est juste avoir x bon le maquillage comment

ça se passe>.

Et ça comment ça se passe ?

x ça ah ouais d’accord il gère comme ça x.

Avoir euh. [. . . ]

Un détail de comment ça va se passer c-. (MPF, Roberto4d, 678-698) Dans cet exemple, Tidjane imagine ce que la locutrice Aline se dit pour expli-quer à Abderamane ce qu’elle attend en tant que manager. Ici, le DD n’est pas présenté explicitement comme fictif (ni comme réel d’ailleurs), mais le contexte permet de l’interpréter comme tel. Il s’agit ici d’un rendez-vous de travail entre un chanteur et son éventuel futur manager. Dans ce cadre, et dans l’éventua-lité où Aline et Abderamane travailleraient ensemble, Aline aimerait avoir une vue d’ensemble des différents intervenants susceptibles de participer au tournage

d’un clip par exemple, et sur leur façon de travailler (notamment s’ils ont be-soin d’autres personnes ou s’ils travaillent seuls). C’est ce que cherche à expliciter Tidjane en mettant en scène les interrogations (supposées) d’Aline. Ces propos ne sont pas introduits par un verbe introducteur, pas plus que les deux occur-rences qui suivent. Nous pouvons faire l’hypothèse qu’il n’est pas nécessaire à Tidjane de mettre davantage en scène le DD puisqu’il sera correctement restitué par Abderamane.

Nous pouvons observer le même fonctionnement avec l’exemple (50) déjà cité dont nous ne reproduisons qu’un extrait :

(50‘)

Arnaud : <Tu imagines>.

Tu imagines le même business mais entre deux pays faut que tu prennes ton passeport pour aller au chiotte à chaque fois.

[. . . ]

Arnaud : <Il y a un douanier> tiens bah monsieur (rire).

Sophia : (rire) <dans les toilettes> (rire).

Jean :<Monsieur vous repartez plus léger là ça va pas tout>.

[. . . ] (GTRC, Repas 3, 475-481)

Nous voyons ici également que les propos rapportés fictifs ne sont pas introduits par un verbe introducteur, mais le caractère fictif du DD repose, d’une part, sur l’insolite de la situation (il est question d’un douanier dans des toilettes), et

d’autre part, sur le verbe imaginer (tu imagines). Le cadre étant assez

explicite-ment posé, il n’est pas non plus nécessaire aux locuteurs de multiplier les indices pour introduire le DD.

Ces deux exemples tendent à montrer qu’il n’y a pas toujours de verbe intro-ducteur lorsque la restitution de la mise en scène repose soit sur des implicites (77) soit sur l’emploi d’autres indices en amont (50’). Ainsi, la relation entre les interactants et leur relative connaissance mutuelle permettraient au rapporteur de faire l’économie de certains indices comme les verbes introducteurs, pour signaler des DD fictifs.

Pour étayer ce point de vue, nous pouvons nous intéresser à d’autres occur-rences de DD fictifs relevées dans les entretiens dits traditionnels ou de proxi-mité. Nous constatons ainsi que les DD fictifs, qui ne sont pas introduits par un verbe, suivent (plus ou moins immédiatement), de manière quasi-systématique, une autre occurrence de DD qui, elle, est introduite par un verbe :

(78)

Samir : Ah franchement moi je lui dirais ça hein jeeh c’est bien fait

Samir : En plus si si c’est un rebeu c’est-à-dire attends il travaille pour les Français contre nous ah mais non eux c’est les plus <haïs hein>. Nacer : <Mais même>.

Mais attends mais il travaille pas contre vous quoi quand même hein. Samir : Oui mais nous dans cette logique c’est ça (.) il y en a il tu en as <la grande>.

Nacer : <Mais quand même il faut il> faut il faut un ordre dans un dans un pays <quoi>.

Samir : <C’est> vrai qu’il faut un ordre mais généralement euh at-tends un rebeu@s qui course d’autres rebeus@s et des blacks@s pour nous c’est un vendu.

Samir :Qu’est-ce que tu courses tes frères ?

Nacer : Bah.

Samir :Tu devrais courser les blancs non ( ?) (petit rire)

pour-quoi tu nous courses nous ? (MPF, Nacer 3, 1259-1273) (79)

Ibrahima : Regarde moi j’ai des cousins dans le quatre vingts ils ont

de l’argent je vais aller les voir ouais allez venez donnez-moi un

peu d’argent je vais monter des manèges.

Ibrahima : Ils vont direeh va te faire enculer@s qu’est-ce qu’on

s’en bat les couilles@s des manèges.

Amir : <Mais pas les manè>ges ça.

Ibrahima : <Nous c’est ça>.

Nous c’est ça nous c’est rapide dès qu’on va prendre ça eh l’argent va venir tout de suite. (MPF, Wajih5, 1579-1584)

Nous voyons ici que les deux occurrences de DD qui ne sont pas introduites par un verbe font suite à une première occurrence de DD qui, elle, a été préalablement introduite au moyen d’un verbe au conditionnel (78) ou au futur proche (79). L’absence de verbe pour introduire du DD fictif dans le cadre des entretiens serait donc corrélée à la présence antérieure d’un verbe introducteur. Il apparaît ainsi que les locuteurs précisent explicitement la nature fictive du DD par le biais du verbe introducteur avant de s’en passer pour les autres occurrences qui sont intégrées à la même mise en scène. Ils s’appuieraient ainsi moins sur des implicites ou sur le contexte que ce n’est le cas pour les occurrences de DD fictifs des enregistrements écologiques.

Si à présent, nous nous concentrons sur les données écrites, observe-t-on les mêmes tendances ? Les pourcentages de présence et d’absence de verbe introduc-teur dans les DD fictifs et les DD réels sont sensiblement les mêmes :

Figure 5.2.6 – Absence/présence de verbes introducteurs dans les DD fictifs (données écrites)

La première remarque que soulève ce graphique concerne le pourcentage un peu plus élevé d’absence de verbe dans les données IRC que dans les données orales. Nous ne nous attarderons pas sur ce point puisque nous l’avons abordé précédemment en traitant de la répartition générale des verbes introducteurs dans les corpus et de la possibilité de pallier cette absence avec des indices graphiques (ce qui était valable pour l’ensemble des occurrences l’est également pour les occurrences de DD fictifs).

Comme pour les données orales, l’opposition DD fictif/DD réel ne semble pas être un facteur pertinent pour expliquer la présence ou l’absence de verbes intro-ducteurs. Cependant, les pourcentages généraux présentés ne rendent pas compte des disparités observées notamment dans les données IRC. En effet, le pourcen-tage d’absence de verbe le plus élevé est relevé dans les données de la catégorie amitié réelle (catégorie la plus proche du pôle de la proximité) :

Table 5.2 – Absence de verbe introducteur dans les DD fictifs dans les données IRC

Nous présentons ci-dessous un exemple pour illustrer l’absence de verbe dans

les données IRC222qui n’empêche pas d’interpréter le DD fictif comme tel,

notam-222. Il est à noter que le chiffre de 16,6% n’est pas vraiment représentatif et est à relativiser. Le DD fictif sans verbe introducteur ne représente en fait qu’une seule occurrence sur les six

ment grâce au contenu de la conversation et aux indices graphiques (guillemets et majuscules) :

(80)

(11 :42 :46) X : faudra me faire un km venant de toi avec un titre explicite pour les clics ambiance de fete et recrutement massif

(11 :43 :06) XXX :ok

(11 :43 :17) XXX :ambiance de fête, déjà tt les jours à l’auberge

(11 :43 :39) XXX :recrutement massif, c’est plus ponctuel, mais si ça te gène pas qu’on passe par ce biais je peux sms ;)

(11 :43 :42) X :ouaip ca je m’en doutais ;) (11 :43 :51) X :ah ben ouais, sms c cool

(11 :43 :59) XXX :nickel :)

(11 :44 :13) XXX :et niveau tunes, bah pareil : si tu need du pognon tu me sms :p

(11 :44 :16) X :"VIT VIEN SU IRC BATAR FO CLIKER

(11 :44 :31) X :ok merci (IRC, Joueur 2, conversation 1)

Le joueur X demande au joueur XXX de lui envoyer des mails ou des messages explicites concernant le jeu et il donne alors un exemple de ce qu’il pourrait lui envoyer (sur un ton humoristique) : "VIT VIEN SU IRC BATAR FO CLIKER.

L’opposition oral/écrit concernant la présence ou l’absence de verbe introdui-sant du DD fictif n’apparaît pas entièrement pertinente, puisque l’on observe des disparités dans les productions relevant des deux ordres. Cependant, le paramètre proximité/distance semble influencer le recours/omission du verbe introducteur, puisque nous avons relevé les taux d’absence les plus hauts dans les deux situa-tions que nous avons placées le plus à droite sur le pôle de la proximité (cf partie I, chapitre 3).

5.3 Les indices du DD prosodiques et

typographiques

Nous nous intéresserons, dans cette section, aux indices propres à l’oral et à l’écrit, afin de montrer que dans les situations relevant du même ordre (graphique ou phonique), nous observons des différences dans les emplois de ces indices.

DD fictifs relevés dans la catégorie « amitié virtuelle ». Nous nous concentrerons donc sur les résultats des deux autres catégories.