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4.2 Discours direct et situation de communication

4.2.3 Discours rapporté et types textuels

4.2.4.3 DD fictifs et locuteurs cités

Il nous paraît intéressant à présent de faire un parallèle entre les DD fictifs et les locuteurs cités dans ce cadre. Il s’agit de se demander si le recours au DD fictif favorise une mise en scène de soi ou au contraire des autres. Nous avons donc croisé les occurrences de DD fictifs avec les occurrences d’autocitation et nous avons obtenu la répartition générale suivante dans nos deux corpus :

Figure 4.2.18 – Répartition de l’autocitation dans les DD fictifs

Ce graphique nous apprend que, d’une manière générale, nos locuteurs privilé-gient la citation d’autrui pour évoquer un DD fictif plutôt que la mise en scène de soi. Dans de nombreux exemples, le DD fictif correspond à ce qu’a pu sup-posément se dire un interlocuteur, ou ce qu’il aurait dû dire dans une situation donnée :

(57) Farid : Tu lui disouais peut-être que les jeunes ils voulaient

me faire un quetru@shein tu sais pas.

Stéphane : Non mais c’était eux les nejeus@s c’était eux les nejeus@s en <vrai>.

Farid : <Ah> ouais.

Farid : Tu lui dispeut-être que c’est oit@s hein tu voulais me faire un quetru@stu vois. (MPF, Roberto2c, 46-52)

Dans cet exemple, le locuteur suggère à deux reprises à son interlocuteur ce qu’il aurait pu rétorquer aux policiers qui ont arrêté sa voiture pour qu’ils le laissent partir. Avec ces répliques fictives, l’interlocuteur participe à la construction du récit.

L’anecdote VDM suivante209 illustre le cas où une internaute se met en scène

elle-même en ayant recours à un DD pseudo-fictif. Lasse de l’attitude d’une col-lègue de travail, l’internaute commence par exposer ce qu’elle lui dit habituelle-ment lorsque celle-ci se plaint. L’internaute évoque ensuite ce qu’elle a rétorqué, en décalage, avec ce qu’elle aurait dû dire en pareille circonstance :

(46) Aujourd’hui, j’écoute distraitement l’énième logorrhée plaintive et médisante d’une collègue à propos de je ne sais quoi. Au moment de sortir mon "Oh bah dis donc" compatissant habituel, je l’ai troqué pour un "Rho mais ta gueule" plus naturel mais dit sur le même ton. VDM (VDM, Anonyme)

Il apparaît que les fins que sert le DD sont multiples. Participant à construire l’image que l’on veut donner de soi à nos interlocuteurs (par l’autocitation et la citation d’autrui), le DD est aussi fortement corrélé à la présence de récits dans les interactions. Cette dernière étant elle-même influencée par la relation entre les interactants, puisqu’elle augmente au fur et à mesure que nous approchons du pôle de la proximité. Le DD n’est pas convoqué dans toutes les circonstances et certaines thématiques semblent restreindre son emploi (automobile par exemple, et plus généralement lorsqu’il est question de propos techniques). Le recours au DD présenté comme fictif diffère également selon les enjeux de l’interaction (il est quasiment absent des anecdotes VDM). Nous devons dès lors nous demander si les « fins » évoquées, les fonctions du DD, influencent la façon dont les locuteurs le construisent : ont-ils recours à davantage d’indices pour signaler des DD fictifs ? Les DD intégrés dans des récits permettent-ils l’économie de certains indices, et si oui, lesquels ? Ce sera l’objet du chapitre suivant.

Analyse et interprétation des indices

du DD

Dans ce cinquième chapitre210, nous étudierons l’ensemble des indices du DD211

pour établir des moyennes et déterminer les situations dans lesquelles ces moyennes sont les plus élevées. Nous croiserons ces résultats avec ceux que nous avons éta-blis dans le chapitre précédent afin de déterminer dans quelle mesure le contexte ou le cotexte du DD influence sa construction.

Nous faisons l’hypothèse que dans une situation de proximité communicative, le locuteur pourra faire l’économie de certains éléments (verbes introducteurs par exemple) jouant un rôle dans la mise en scène, et/ou pourra jouer sur l’implicite (particules d’amorce/d’extension). Au contraire, dans une situation de distance communicative, le locuteur devra être plus explicite et pourrait surmarquer le discours cité. Les locuteurs choisissent-ils volontairement de faire l’économie de certains indices d’introduction du DR dans les situations de proximité ?

5.1 L’ensemble des indices de DD dans le corpus

Il convient en premier lieu de rappeler les indices que nous avons pris en compte, afin de faciliter la lecture des différents graphiques présentés. Les indices com-muns à l’écrit et à l’oral sont les verbes introducteurs, les explicitations, les par-ticules d’amorce et d’extension. Pour l’écrit, nous avons également tenu compte de la ponctuation et pour l’oral, des pauses. Le graphique suivant présente les

210. Une précision concernant la conception de ce chapitre : il contiendra très peu de références bibliographiques, dans la mesure où il a plutôt pour objet la présentation et le commentaire de nombreux graphiques. Les notions abordées ici ont été présentées dans la partie I, où a été établi le cadre théorique de notre recherche. De plus, il n’y a pas eu, à notre connaissance, d’étude ayant sur ce point adopté une démarche similaire à la nôtre.

211. A l’exception des particules d’amorce et d’extension auxquelles nous consacrerons le cha-pitre suivant pour en proposer une analyse plus fine. Les moyennes générales que nous présen-terons tiendront tout de même compte de la présence/absence de ces particules.

moyennes212 des indices du discours direct à l’écrit :

Figure 5.1.1 – Moyenne des indices de DD dans le corpus écrit

Au sein de notre corpus écrit (compte tenu du cadre dans lequel se situe le discours cité), notre hypothèse se confirme : plus nous approchons du pôle de la distance, plus nous relevons d’indices. Nous voyons que la moyenne des indices la plus élevée a été relevée dans les anecdotes VDM (situées à l’extrémité du continuum sur le pôle de la distance) et que cette moyenne diminue au fur et à mesure que nous approchons du pôle de la proximité. Si nous nous contentons de ces moyennes, nos résultats sont positifs et notre hypothèse est confirmée. Ce-pendant, si nous regardons en détail la répartition des moyennes dans les données IRC et les forums, nous observons quelques disparités qui méritent que l’on s’y attarde.

212. Nous avons calculé ces moyennes en additionnant tous les indices présents dans une si-tuation de communication donnée. Nous avons ensuite divisé le nombre obtenu par le nombre d’occurrences relevées pour cette situation. Puis, nous avons renouvelé l’opération pour chaque enquête, chaque post et chaque anecdote. Les « sous-moyennes » obtenues ont ensuite été divi-sées par le nombre total d’enquêtes, de posts ou d’anecdotes pour obtenir une moyenne générale par type de situation. Par exemple, pour les VDM, nous avons relevé 635 indices dans 177 aned-cotes analysées contenant du DD : 635/177 = 3,6.

Figure 5.1.2 – Moyenne des indices de DD dans les données IRC

Nous constatons ainsi que si la moyenne des indices est plus élevée dans la catégorie « joueurs », conformément à ce que nous attendions, en revanche, la moyenne relevée dans la catégorie « amitié réelle » est plus élevée que dans la catégorie « amitié virtuelle », ce qui pourrait ébranler notre hypothèse, bien que la différence entre les deux moyennes soit minime (0,04). Dans les forums, plus nous nous approchons du pôle de la proximité, plus les moyennes des indices

relevées diminuent. Le forum Plus belle la vie fait cependant exception puisque

la moyenne des indices est plus élevée et correspond aux moyennes relevées dans les forums relevant d’une certaine distance :

Figure 5.1.3 – Moyenne des indices de DD dans les forums

Il y a donc un certain flottement. Flottement que l’on observe également dans les données orales pour lesquelles les moyennes observées ne vont pas decrescendo :

Figure 5.1.4 – Moyenne des indices de DD dans le corpus oral

Devons-nous pour autant conclure qu’il est faut remettre en cause notre hy-pothèse ? Nous ne le pensons pas et nous allons apporter quelques éléments de réponse quant à ces résultats mitigés. Premièrement, il s’agit de moyennes, ces dernières tendent donc à uniformiser des pratiques qui, dans les faits, ne le sont pas. Nous pouvons observer de grandes disparités de construction du DD au sein d’une même catégorie mais aussi chez un même locuteur, ce que les exemples suivants permettent d’illustrer :

(59) L’année dernière quand je suis rentré je me suis dit (.)qu’est-ce

que je fais là ? (MPF, Anaïs2, 132)

(60) Et euh je sais pas je veux du cocadonne-moi du coca wesh@s

un truc dans le genre. (MPF, Anaïs3, 246)

(61) Ils ont- (.) tu sais ils ont pris ma daronne@s tout ça après ils lui

ont parlé tout ça ils lui ont dit ouais (.) faut dire à son f- faut

dire à votre fils tout ça (.) qui qu’il do- qu’il donne le n- qu’il donne le nom de ses potes sinon si- c’est vous qui allez tout payer tout ça. (MPF, Wajih3, 756-760)

(62) Elle est venue me voir ma mère elle me disait (.) dis tout ça.

(MPF, Wajih3, 762)

Nous voyons avec le premier exemple que deux indices de DD sont présents, un verbe introducteur et une pause (2). Dans l’exemple suivant, le calcul des indices est négatif (-1), il n’y a pas de verbe introducteur et le locuteur emploie une particule d’extension à laquelle, pour rappel, nous avons assigné une valeur négative puisque son interprétation repose sur de l’implicite. Au sein d’une même catégorie, les indices relevés diffèrent, et chez un même locuteur également, comme en témoignent les deux autres exemples présentés. En (61), le nombre d’indices relevés est de 0 alors qu’il est de 2 dans l’exemple (62). Plus largement, notamment pour les données orales, les écarts entre les moyennes relevées sont parfois très importants. Pour les entretiens traditionnels, les moyennes se situent entre 0,2

et 1,4. Pour les entretiens de proximité, elles se situent entre -0,44 et 0,82. Pour les données écologiques, les écarts observés sont moins importants. Les moyennes se situent entre 0,35 et 0,7. Pour plus de clarté, le graphique suivant résume ces chiffres et indique les écarts entre les valeurs minimales et maximales relevées pour chaque situation :

Figure 5.1.5 – Ecart des moyennes des indices de DD relevés

Dans les entretiens traditionnels, la moyenne négative de -0,44 impacte sur la moyenne générale. Cette moyenne a été calculée pour l’enquête Emmanuelle2, où

le locuteur utilise notamment très souvent la particule d’extensionet tout. Sur les

neuf occurrences de discours direct relevées, la particule d’extension et tout est

présente six fois et plus de cinquante fois sur l’ensemble de l’enregistrement213 :

(63) Et après la nuit euh il m’appelle il me ditnon t’inquiète Medhi

tu es mon pote et tout tu es comme mon frère et tout nous je sais pourquoi aussi j’ai fait des erreurs je t’ai tapé je t’ai insulté et tout.(MPF, Emmanuelle2, 505)

L’emploi récurrent de la particule et tout pourrait s’entendre comme un tic

lan-gagier du locuteur.

Deuxièmement, nous observons ce flottement dans les catégories que nous nom-merons « intermédiaires ». Dans nos données orales, certains entretiens de proxi-mité se situent à la limite de l’écologique, notamment ceux réalisés par Wajih. Nous ne les avons pas classés comme tels parce que bien qu’ils tendent vers

la conversation libre214, ces échanges ont eu lieu dans le cadre d’une d’interview

213. Dans l’enquête Wajih4, la particule d’extensionet toutest aussi très présente, particuliè-rement chez Walid. Sur les 64 occurrences que compte l’enregistparticuliè-rement, 59 sont produites par Walid, comme l’illustre l’exemple suivant qui en contient 3 : « Même sa mère elle a vu et tout dès qu’il est sortiet tout il avait des bleus et tout». Le deuxième informateur, Hakim n’en produit qu’une seule (les quatre autres sont produites par l’enquêteur). En revanche, Hakim emploie davantage la locutionet tout ça(à dix reprises). Ces particules d’extension varient donc fortement d’un locuteur à l’autre.

avec un enquêteur (même s’il n’était pas perçu comme tel par les informateurs).A contrario, nous avons classé dans la catégorie « écologique » l’enregistrement d’un rendez-vous de travail (MPF, Roberto4d), parce que de fait, il a été réalisé sans la présence de l’enquêteur et n’a pas été provoqué pour les besoins de l’enquête (c’est une interaction qui se serait produite quoi qu’il en soit). Aussi décontracté qu’il soit, le rendez-vous de travail reste formel, avec des objectif sérieux. Il nous semble donc, au rebours de notre classification, que les enquêtes de Wajih sont plus informelles que cette enquête par exemple. Cependant, notre répartition des enregistrements dans les catégories « entretiens » et « écologiques » repose sur un

certain nombre de paramètres215 que chacun de ces enregistrements remplissent.

Nous voulions simplement souligner que ces catégories « intermédiaires » peuvent être à l’origine de certaines disparités observées.

Concernant les données IRC, la frontière est également mince entre les catégo-ries « amitié réelle » et « amitié virtuelle » et ne tient qu’au fait que les joueurs n’échangent pas uniquement derrière leur écran d’ordinateur. Cependant, cette distinction reste pertinente notamment si l’on se réfère à ce que nous avons vu précédemment sur les sujets abordés par les différentes catégories de joueurs. La moyenne générale de la catégorie « amitié virtuelle » est également influencée par une occurrence de discours direct particulière, qui ne contient aucun intro-ducteur et qui ne peut être interprétée comme telle que compte tenu du contexte linguistique et d’une référence culturelle :

(64)

(22 :15 :52) X :ola (22 :15 :54) X ::)

(22 :16 :08) X :excellent the big bang theory hein ? (22 :16 :23) X :la saison trois est cool d’ailleurs [. . . ]

(22 :27 :10) XX :mais oui j’adore la série ! (22 :27 :32) X :j’ai tout vu *_*

(22 :27 :35) X :chaque saison

(22 :28 :07) X :y a un excellant episode au début de la saison 3 :)

(22 :28 :47) XX :lequel ? (22 :28 :53) X :surprise ! [. . . ]

(22 :29 :13) X :celui sur warcraft

(22 :29 :23) XX :c’est pas dans la 3 :p

avantages (celui de pouvoir regrouper des éléments considérés comme de même nature, de pouvoir établir des comparaisons. . . ) et des limites (lorsque les catégories ne sauraient être étanches : où s’arrêtent et où commencent les frontières des unes et des autres ?).

(22 :29 :28) X :I AM THE SWORD MASTER !

(22 :29 :33) XX :quand il se fait hacker son compte ? (22 :29 :39) X :nan

(22 :29 :43) XX :zut

(22 :29 :53) X :quand ils jouent tous à wow dans le salon (IRC, Joueur 14, conversation 3)

Dans cet exemple, la séquence « I AM THE SWORD MASTER ! » est interprétée comme du discours direct, d’une part, parce qu’elle est en anglais contrairement au reste de la discussion, et d’autre part, parce qu’il s’agit d’un passage culte d’un

épisode de la sérieThe big bang theory dont parlent les deux joueurs. Il s’agit d’un

discours direct libre216 qui n’est introduit ni par un verbe ni par des signes de

ponctuation, et pour lequel nous n’avons aucune précision quant à la source de la citation. Nous observons la même chose, toujours dans les données IRC, dans une conversation où le discours direct est marqué cette fois principalement par des guillemets (et une majuscule à l’initiale) :

(65)

(22 :47 :10) XX :tu comprendras que ce genre de trucs, ca incite pas vraiment à te faire confiance :D

(22 :47 :17) X :là je mule comme un con, en plus je me restreint à 1 seul perso et ca commence à bien me gaver

(22 :47 :29) X :ah.

(22 :47 :33) XX :bah oui, moi aussi ca me soule en ce moment (22 :47 :39) X :bah alors oublie ce que je t’ai montré ^^

(22 :48 :16) X :tu captes mon pb mec ? un petit peu un besoin de me sentir intégré quoi.

(22 :48 :34) X :"I wanna be a part of it, New yourk new york !" (IRC, Joueur 16, conversation 4)

Le joueur ne précise pas ici la source de ces propos, ne les introduit pas (avec un verbe) bien qu’il les mette entre guillemets parce qu’il s’agit de paroles très connues d’une chanson de Franck Sinatra : « New York, New York ». Là encore, un arrière-plan culturel est nécessaire pour comprendre la référence convoquée.

Troisièmement, concernant plus spécifiquement la moyenne élevée des indices

de DD dans le forum Plus belle la vie, nous avons relevé un certain nombre

d’occurrences de discours direct à l’intérieur du sujet « Relevez et commentez les plus belles répliques, les PBR ». Si dans la plupart des cas, les internautes omettent le verbe introducteur et se contentent de préciser quel personnage parle (parfois à qui), en revanche, ils surmarquent ensuite le discours direct comme dans les exemples suivants :

(66) Gwenda :"dis lui qu’il fasse un selfie, pour le chirurgien quand il lui refera la gueule, comme ça il aura un modèle !"(Forum Plus belle la vie, ReQuiEM Evil)

(67) BLANCHE à Coralie : "Je ne suis pas une midinette. (Forum

Plus belle la vie, klingsor)

(68) MIRTA : "Tu as vu que je pouvais aller très loin pour t’aider

[. . . ] et après on dira que je suis coincée . " (Forum Plus belle la vie,

Dianelice)

Nous voyons avec ces exemples que trois indices sont employés pour marquer le DD : les deux points, les guillemets et la typographie (italiques ou majuscule à l’initiale du discours cité).

5.2 Les verbes introducteurs