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4.2 Discours direct et situation de communication

4.2.3 Discours rapporté et types textuels

4.2.4.1 Distinction et répartition

Nous nous intéresserons maintenant à deux « types » de discours direct205parce

que les disparités observées dans nos données semblent devoir être soulignées. En effet, lors du dépouillement de notre corpus, nous avons pu constater que la

proportion des discours cités présentés comme fictifs206 et celle des discours cités

présentés comme réels était différente d’une situation de communication à l’autre en fonction des objectifs et des enjeux de l’interaction.

Avant de présenter en détail nos résultats, nous devons revenir succinctement sur cette distinction entre discours directs fictifs et discours directs présentés comme réels. Nous avons vu précédemment (chapitre 1) que le discours rapporté peut-être approximatif ou même totalement imaginé (et présenté comme tel). Lorsqu’il est présenté comme réel, il n’est de toute façon pas possible de vérifier la véracité des propos rapportés, ce qui n’est pas ce qui nous intéresse ici. Si nous ne pouvons pas distinguer un discours direct « authentique » de celui qui ne l’est pas, nous pouvons en revanche nous intéresser à la part de discours cités présentés par le locuteur L comme réels (incluant les DD approximatifs) et ceux qui sont présentés explicitement comme fictifs. Nous avons relevé différents marqueurs de cette explicitation : l’emploi du conditionnel ou du futur (41), la négation (42), l’emploi de certaines locutions ou formulations qui indiquent que les propos n’ont

effectivement pas été prononcés207 (43) et (44), mais aussi parfois le contexte

205. M.-A. Mochet (1989) a constaté de « fortes variations dans l’usage de la citation » en situation d’entretien non-directif (p. 126). En adoptant une démarche similaire à la nôtre, elle s’est intéressée à la nature de la citation et à sa répartition. Là où nous distinguons deux types de discours : réels et fictifs, elle en distingue trois : le discours tenu (DT) « présenté comme ayant été prononcé », le discours potentiel (DP) « évoqué, possible, imaginé, qui vient s’inscrire comme discours prêté à un autre ou aux autres ». Les DT et les DP correspondent à ce que nous distinguons sous les termes de discours directs présentés comme réels et comme fictifs. En revanche, la troisième catégorie ne relève pas, selon nous, du même ordre : « la citation d’un discours de la pensée [. . . ], présenté comme un commentaire fait à soi-même » (p. 130). Nous avons intégré ce type de citations dans la catégorie des autocitations qui peuvent être présentées comme réelles : « je me suis dit est-ce que c’est à cause de ça qu’ils sont devenus méchants» (MPF, Nacer1, 639) ou fictives : « Si je serais chez moi [je me dirais]ah ouais mais c’est nul ça mais ouais des trucs comme ça» (MPF, Anais1, 1722).

206. Les DD fictifs entreraient dans la catégorie invention mise en avant par D. Vincent & S. Dubois (1997) pour qui « le discours inventé n’a pas d’ancrage dans le passé ni dans le présent ; le contexte de communication est précis mais fictif » (p. 61).

207. Nous incluons également dans les discours fictifs, les formules pronominales du typese

dire,se demander lorsqu’elles ne sont pas à la 1ère personne du singulier ou du pluriel. Si nous

pouvons accepter que le discours cité « corresponde » (plus ou moins) à ce qu’a pu se dire le locuteur L et puisse être considéré comme réel, il nous paraît plus délicat de considérer un discours cité introduit par un verbe pronominal à la 3ème personne du singulier ou du pluriel, comme réel. En effet, l’énoncé suivant, la locutrice interprète ce qu’a pu se dire le locuteur l : <Ils ont mais> (.) mais ils ont eu des trucs avant dans leur vie et qu’il a choqué et qui s’est ditvas-y moi je vais me venger je vais faire ça je vais faire ça je vais faire ça(MPF, Anais1).

(45) :

(41) si j’fait rien, bientot ce sera "fait moi un rapport toute les

heures des positions ennemies avec nombre de soldats et cou-leur du slip"(IRC, Joueur 15, conversation 29)

(42) c’était un demi groupe, y avait 22 éléves : PAS UN qui m’a dit

"attetntion m’sieur, vous etes en traind e vos tromper il reste 1/2 heure" (IRC, Joueur 15, conversation 36)

(43) mais si t’attends que je vienne et te dise : "salut x, ca va ?

tu sais aujourd’hui nous faisons ca ca et ca. Puis ca blabla"

(IRC, Joueur 7, conversation 16)

(44) il a dû se dire (.) je vais lui envoyer un mess(age) (MPF,

Jean-David2b, 1415-1417).

(45) Stephane : Après euh il me dit vous savez qu’on peut vous

enlever le permisben je faisbien sûr vous avez tous les droits je je connais vos droits Monsieur.

Stephane : Et après.

Stephane : Bon que ça se reproduise pas.

Farid : Tu lui dis ouais peut-être que les jeunes ils voulaient

me faire un quetru@shein tu sais pas. (MPF, Roberto2c, 41-46)

Nous voyons avec ces différents exemples que le locuteur L dispose de plusieurs moyens linguistiques pour signaler que les propos cités n’ont pas été réellement prononcés. Cependant, le recours au discours direct fictif n’est pas pertinent dans

toutes les situations de communication. En effet, dans les anecdotes du site Vie

de merde, les internautes doivent nécessairement laisser penser que les propos rapportés sont réels. « Le site contient des petites anecdotes du quotidien qui

pourraient nous arriver à tous » (Foire aux questions du site VDM). L’objectif

des internautes est donc, nous le rappelons, de proposer une courte histoire assez insolite mais crédible pour, d’une part, être publiée sur le site et d’autre part, être validée par les autres internautes. Afin que les internautes confirment que le scripteur a bien une « Vie de merde », il faut que les faits relatés soient pré-sentés comme véritables. Le résultat de notre relevé confirme cette interprétation puisque la quasi-totalité des occurrences de DD sont présentées comme ayant été effectivement prononcées :

Cette interprétation peut être faussée, et n’a pas par ailleurs pas été effectivement prononcée ainsi (du moins n’est-ce pas présenté de cette façon par la locutrice qui essaie d’imaginer ce qui peut se passer dans la tête d’un assassin). Nous avons ainsi décidé de considérer les DD introduits par un verbe pronominal à la 3ème personne comme des DD fictifs.

Figure 4.2.12 – Répartition du DD réel et fictif dans les anecdotes VDM Nous employons ici le terme de « DD pseudo-fictif » parce qu’il nous semble que dans le cadre des anecdotes VDM, il s’agit d’un emploi particulier. Pour expliciter

nos propos, nous prendrons appui sur deux des trois occurrences relevées208 :

(46) Aujourd’hui, j’écoute distraitement l’énième logorrhée plaintive et médisante d’une collègue à propos de je ne sais quoi. Au moment de

sortir mon"Oh bah dis donc" compatissant habituel, je l’ai troqué

pour un "Rho mais ta gueule" plus naturel mais dit sur le même

ton. VDM (VDM, Anonyme)

(47) Aujourd’hui, la baguette de la seule boulangerie ouverte est

mau-vaise. Au lieu de“pas trop cuite”, j’ai demandé"pas trop

dégueu-lasse”. VDM (VDM, pas-bon)

Dans les exemples (46) et (47), les internautes indiquent, certes, qu’ils n’ont pas dit les propos dans la situation exposée, mais également que ce sont des propos

qu’ils disent dans d’autres circonstances. L’emploi de l’adjectif habituel et de la

locution au lieu de le signalent. La distinction avec le discours direct fictif peut

paraître subtile mais il nous semble que ce qui se joue ici est différent. Notamment, le fait de rappeler ce qui est dit ou peut être dit dans le même contexte, parti-cipe à souligner l’insolite de l’anecdote. De plus, ce genre d’occurrences, comme nous l’avons évoqué, ne signale pas un discours complètement imaginaire mais signale simplement un discours rapporté qui n’est pas à inscrire dans la mise en scène évoquée. Notre distinction entre « pseudo-fictif » et « fictif » repose sur ce point, un discours fictif est lui imaginé de toutes pièces. Pour étayer cette der-nière remarque, prenons deux exemples présentant cette fois des discours cités explicitement fictifs :

208. Le troisième exemple a déjà été cité plus haut, nous le rappelons ici : (31) Aujourd’hui, mon fils part 3 semaines chez son papa. Je lui fais plein de câlins et devant sa mine triste, je lui demande ce qui ne va pas. Pensant entendre :"Tu vas me manquer", j’ai eu un :"J’ai envie de faire caca", nettement moins émouvant. (VDM, perfectmum). Seule la première occurrence de DD est pseudo-fictive.

(48) Moi je l’ai jamais ditje pars au bled@s (MPF, Anna13, 415) (49) Mais si c’est un rebeu@s je vais me dire aussi je vais venir je vais direc’est bien fait pour ta gueule qu’est-ce que tu <travailles pour eux> ? (MPF, Nacer3, 1256)

En (48), l’adverbejamais indique que le locuteur n’a pas effectivement prononcé

les propos cités. En (49), la formulealler+vinf, indiquant une action à venir mais

qui n’a pas eu lieu, signale que les propos cités pourraient être dits mais qu’ils ne l’ont pas encore été.

Si nous nous intéressons à présent aux autres situations de communication, nous pouvons observer une répartition presque similaire dans les forums :

Figure 4.2.13 – Répartition du DD réel et fictif dans les forums

Ici encore, la répartition des occurrences relevant des deux types de DD n’est pas surprenante. En effet, dans le cadre des forums, il est principalement question de partager une expérience, de demander des conseils. Il est donc nécessaire que les faits relatés aussi bien que les propos rapportés soient présentés comme réels, tout comme dans les anecdotes VDM.

Dans les conversations du salon IRC, la part de DD fictifs est un peu plus importante :

Figure 4.2.14 – Répartition du DD réel et fictif dans les données IRC Nous pouvons émettre une hypothèse quant à cette différence observée entre

les forums (96% de DD réels) et les données IRC (79% de DD réels). L’objectif de l’interaction pourrait ainsi favoriser, ou au contraire restreindre, le recours au discours direct fictif. La proximité ou la distance entre les interactants ne semble pas être le seul paramètre en jeu puisque, si nous détaillons la répartition des DD fictifs dans les données IRC, nous constatons que le plus fort taux de DD fictifs est relevé dans les conversations entre joueurs :

Figure 4.2.15 – Répartition détaillée du DD réels et fictifs dans les données IRC L’opposition oral/écrit ne semble pas non plus pertinente pour rendre compte de ces résultats puisque nous n’avons présenté jusqu’à présent que les données écrites parmi lesquelles nous relevons déjà des disparités. Au sein des données orales, le pourcentage le plus élevé de DD fictifs a été relevé dans la catégorie intermédiaire des entretiens dits de proximité :

Figure 4.2.16 – Pourcentages de DD réels dans les interactions orales

Figure 4.2.17 – Pourcentages de DD fictifs dans les interactions orales Si, ni la proximité/distance entre les interactants, ni l’opposition oral/écrit,

ne constituent des pistes de réflexion valides quant à la présence vs l’absence de

DD fictif, il apparaît nécessaire de s’intéresser à l’usage qui en est fait par les locuteurs/scripteurs : dans quelle(s) circonstance(s) et dans quel(s) but(s) est-il employé ?