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I.1 Limites des théories classiques de la régulation

I.1.1 Limites des mesures régaliennes face à l’incertitude

La régulation par l’action « command and control » est un type de gouvernance hié- rarchique. C’est une forme de régulation où des ensembles de règles et de lois sont établis par les autorités pour prescrire ou prohiber (GLASBERGEN,1998). En tant que garant de

l’intérêt général, l’État est l’acteur légitime pour mettre en place des règles contraignant les activités polluantes afin d’assurer la protection de l’environnement et des personnes.

En matière de politique environnementale, la régulation de type « command and con- trol » consiste à interdire des substances, produits ou actions polluants ou à risque, d’im- poser des standards de qualité et des objectifs, tout en menaçant le non consentement par des sanctions. C’est une politique qui se veut efficace lorsqu’un danger est avéré, dont la source est identifiée et lorsqu’une solution alternative est connue. Par exemple l’inter- diction d’usage de l’amiante (Décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996) ou le protocole de Montréal pour l’interdiction des CFC (Décret n° 89-112 du 21 février 1989 portant pu- blication du Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone). S’applique alors le principe de prévention qui consiste à prévenir à la source les causes de pollutions en obligeant la prise en compte de l’environnement. Ce principe repose sur une étude d’impact menant à une évaluation du bilan coûts-avantages. La me- sure de prévention sera donc exigée si cela reste «à un coût économiquement acceptable» (Loi Barnier, 95-101 art. L 110-1-II).

Cependant, dans la pratique, le bilan coûts-avantages n’est pas toujours aisément dé- terminable. En particulier, lorsque le risque n’est pas nettement identifié dans toute son ampleur et sa complexité. Un exemple est la difficulté de réglementer l’incitation à l’al- longement de la durée de vie des appareils électriques et électroniques par la réparation.

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Il s’agit de comparer les coûts engendrés par une telle mesure aux avantages perçus. À priori, la réparation paraît plus intéressante du point de vue environnemental qu’un re- cours systématique au recyclage. Cependant, réparer un appareil très ancien et très éner- givore n’est pas forcément plus vertueux que de considérer son recyclage et l’achat d’un appareil neuf plus économe en énergie. Ainsi, de multiples paramètres sont à prendre en compte rendant complexe l’évaluation du bilan coûts-avantages.

De la même manière, afin de pouvoir fixer des standards et des objectifs «justes» en- core faut-il pouvoir évaluer les risques et les conséquences. Or, souvent l’État n’a pas les connaissances suffisantes pour une évaluation juste et précise. La politique environne- mentale européenne repose ainsi également sur le principe de précaution (Article 191 du Titre 20 du traité de Lisbonne, en vigueur depuis le 1erdécembre 2009) qui consiste

à interdire toutes substances ou activités en cas d’incertitude scientifique sur les risques potentiels qui peuvent se révéler irréversibles et d’une gravité importante. Ce principe "exige une intensification des processus de recherche et d’acquisition de connaissances" (BOURGet PAPAUX,2008) afin d’identifier la source de la pollution, d’en évaluer les risques

et d’émettre des mesures de prévention. Le principe de précaution "œuvre à la recon- naissance des problèmes plus qu’à leur donner des solutions" (NEUBERGet collab.,1997,

p.101). Cependant, cela peut aussi avoir pour contre-effet de restreindre l’innovation. Un exemple est le statut juridique du déchet qui entraîne des dispositions strictes concernant sa manipulation limitant ainsi sa réutilisation et donc sa valorisation et transformation en ressource. L’ordonnance n°2010-1579 du 17 décembre 2010, au sein du Code de l’en- vironnement, définit la notion de sous-produit et introduit la possibilité pour un déchet de sortir du statut de déchet et de redevenir un produit s’il répond à un certain nombres de critères fixés. De fait, le principe de précaution doit garder un caractère provisoire ren- dant les mesures prises révisables (BOURGet PAPAUX,2008).

Ainsi, alors que la prévention renvoie au risque prévisible, calculable par la loi des grands nombres, la précaution avance une présomption de risque traduisant «la recon- naissance de l’incapacité fréquente de la connaissance scientifique» (NEUBERGet collab.,

1997, p.110). De ce fait, dans les situations où une évaluation coûts-avantages est pos- sible, des mesures préventives seront appliquées mettant en place des normes, objectifs et standards. En cas d’incertitude scientifique d’un risque potentiellement dangereux, le principe de précaution sera préféré prônant des mesures réglementaires strictes et arbi- traires. Le plus souvent il s’agira d’interdictions.

Cependant, on l’a vu, le calcul coûts-avantages n’est pas toujours aisé en particulier dans le cas de pollutions diffuses où l’État se trouve dans l’incapacité de faire une éva- luation juste due à un manque de connaissance. D’autant plus que les coûts dépendent fortement des technologies qui peuvent évoluer rapidement ou qui n’existent pas encore. Quant aux avantages, cela suppose que l’État ait déjà une idée des alternatives existantes et à promouvoir pour remédier à la source de la pollution. Or, dans de nombreux cas la solution n’est pas évidente, elle peut être erronée ou difficile à concevoir. Ainsi, une me- sure peut conduire à des effets rebonds ou des effets autres non anticipés. C’est ce qui a été observé dans les années 80 quand les coûts d’élimination ont augmenté et que les industriels n’avaient pas encore d’alternatives matures. Ces situations ont conduit à une augmentation des exportations illégales de déchets dangereux vers le tiers monde (ex. l’affaire du Cargo «Zanoobia» en 1988), à des déversements clandestins en pleine mer ou encore à des dépôts sauvages.

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En réalité, le droit à l’environnement est en constante construction. Une politique ex-

ante n’est pas adaptée à des problématiques de long terme (JÄNICKEet JACOB,2005). C’est

pourquoi de nombreux textes de loi reposent sur des faits de jurisprudence. En effet, l’État ne pouvant pas tout anticiper, de nombreux scandales environnementaux ont conduit à l’introduction de mesures de prévention ex post. Nous pouvons citer l’exemple de l’affaire Seveso (1983) conduisant à l’introduction juridique des sites ICPE (Loi n°76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement). Ou encore l’exemple du naufrage du navire Erika en décembre 1999 faisant apparaître pour la première fois l’idée d’un préjudice objectif écologique qui s’oppose aux préjudices sub- jectifs patrimoniaux et extra-patrimoniaux. Cette notion a été reconnue par la cour d’ap- pel de Paris au terme du procès du naufrage Erika le mardi 30 mars 2010. La consécration jurisprudentielle du concept de réparation du préjudice écologique offre ainsi un statut juridique à la nature, lui permettant d’être défendue (notion fixée par l’article 4 de la loi sur la biodiversité du 8 août 2016).

Autre que la difficulté de faire les bons arbitrages, il s’agit également de s’assurer que les acteurs soient en capacité de se tourner vers des alternatives existantes ou conce- vables. Faute de quoi, la mesure envisagée risque de détruire des activités. Le marché n’étant pas homogène, certains acteurs économiques seront mieux préparés que d’autres pour adopter les mesures de dépollution. La mesure réglementaire stricte peut alors in- duire une mauvaise répartition des efforts de protection (BUREAUet MOUGEOT,2004). Les

plus faibles seront éliminés du marché.

Enfin, une régulation de type « command and control » s’appuie sur la dissuasion à travers la menace de sanction. Or, afin d’être réellement dissuasive, la sanction doit être supérieure à l’avantage économique individuelle d’une non conformité à la règle. Cela implique de nouveau la nécessité de pouvoir évaluer précisément le risque et le coût de l’alternative. Si le coût du passage à l’alternative est supérieur à la sanction, la dissuasion n’aura pas d’effet. Un exemple d’actualité est la mesure imposant, en cas de pic de pol- lution, la circulation alternée dans certaines agglomérations concentrées. Les quelques exemples de mise en œuvre à Paris en 2016 ont montré que l’amende de 22€ (équivalent au prix de quelques heures de parking à Paris) ne semblait pas dissuader les chauffeurs qui n’avaient pas trouvé d’autres solutions : selon les chiffres d’Airparif lors du pic de pol- lution en décembre 2016, la mesure n’a permis qu’une baisse entre -5 à -10% des émis- sions dues au trafic routier.

Enfin, une fois des sanctions graduées établies, encore faut-il qu’elles soient réelle- ment appliquées. Or, en situation de pollution diffuse4 impliquant un grand nombre d’acteurs, un contrôle étendu est très coûteux. L’État n’a ni le temps, ni les moyens de mettre systématiquement les menaces de sanction à exécution, ce qui décrédibilise la mesure répressive.

Par ailleurs, la régulation hiérarchique a ce risque d’être conçue par l’intervention d’une technocratie d’experts sans la prise en compte réelle des intérêts et connaissances des acteurs locaux, alors même qu’ils sont les sujets effectivement impliqués dans les

4. Du point de vue de la réglementation, on entend par "pollution diffuse" [...] toute pollution dont l’ori- gine ne peut être localisée en un point précis mais procède d’une multitude de points non dénombrables et répartis sur une surface importante (Dictionnaire Environnement,nc).

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changements préconisés. Ce risque de manque d’intégration des divers intérêts peut en- traîner celui d’insatisfaction, de conflits et de comportements opportunistes basés sur des intérêts individuels (BUREAUet MOUGEOT,2004). En fait, l’incertitude de la problé-

matique appelle à un mécanisme décisionnel qui diffère des principes de décisions tradi- tionnelles aux « choix tranchants » qui sont pris à « un moment unique », par « un décideur individuel » et « clôturée par l’autorité scientifique ou politique ». À l’inverse, les décisions en incertitude reposent sur un principe d’ « enchaînements de rendez-vous » constituant une « activité itérative » « engageant un réseau d’acteurs diversifiés selon les responsa- bilités » et « réversible », c’est-à-dire « restant ouverte à de nouvelles informations ou à de nouvelles formulations de l’enjeu » (CALLON et collab., 2001). Dans cette optique, il s’agit de mettre en place une régulation s’inspirant de la théorie des entreprises de la connaissance («knowledge-based firm») qui stimule l’innovation - «innovative-inducing

regulation» - en soutenant les processus d’apprentissage collectif (BLEISCHWITZ et col- lab.,2004).

I.1.2 Limites des mécanismes de marché face au besoin d’en-