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II. 1.3 1880-1970 : La séparation

II.4 Justification d’une approche par les communs

FIGUREII.4.1 – Dirty White Trash (with Gulls), 1998

Le déchet constitue ainsi une ressource au bénéfice d’une communauté locale qui permet de réintroduire des relations sociales dans la sphère économique (DEFALVARDet

DENIARD,2016). La notion d’économie circulaire met également en avant la valeur en-

vironnementale du déchet. En effet, par sa valorisation il est possible de préserver des ressources vierges qui resteront non exploitées.

Mais au-delà de l’objet commun de la ressource, ce qui fait commun est également l’activité collective de création autour du déchet. Cette activité se traduit par la mise en œuvre du principe de REP qui suscite l’organisation des producteurs pour répondre à une problématique commune. La politique de REP s’accompagne de la co-construction de règles de propriété, de partage de la valeur et, de manière générale, de principes de gou- vernance, à l’instar des travaux d’Ostrom (MÉROT,2014). Toutefois, c’est également une

source dynamique de création collective dont l’enjeu est la valorisation et l’innovation. Il s’agit ainsi de considérer la REP au-delà d’un simple outil économique, mais comme « technique politique » (NEUBERGet collab.,1997).

Rappelons-nous que les auteurs Dardot et Laval distinguent les biens communs du

commun (cf.I.4.7.4), le premier reposant sur un objet dont la menace peut affecter un grand nombre de gens et pris en charge par l’activité collective (tel que le climat, un pâtu- rage, l’information), le second est un principe qui « anime cette activité et qui préside en même temps à la construction de cette forme d’autogouvernement » (DARDOTet LAVAL,

2015). Ainsi, « une nouvelle socio-matérialité des déchets (une présence sociale et ma- térielle des déchets) basée sur leur potentiel de ressource est donc en train d’émerger » (HULTMANet CORVELLEC,2011[MÉROT,2014]).

Ainsi, le déchet est à la fois un «mal» commun à gérer et une ressource commune à valoriser. De plus, au-delà du commun déchet comme objet, le principe de REP est une « technique politique » suscitant une activité de commoning. Plus qu’un simple instru- ment économique, c’est un dispositif à force institutionnelle de conduite d’exploration collective. Enfin, les commoners (groupe d’individus en charge du commun) qui sont les producteurs, ne préexistent pas à l’action collective (car ils ne reconnaissent pas sponta-

CHAPITRE II.4. JUSTIFICATION D’UNE APPROCHE PAR LES COMMUNS

nément la valeur du déchet lorsque les bads prévalent sur les goods) mais sont désignés par l’État à travers l’énonciation d’un "common purpose"19.

Ainsi, la valeur contenue dans les déchets est à concevoir. Pour la saisir, un effort col- lectif de valorisation et d’innovation est nécessaire au risque de laisser le déchet orphelin tel un « inconnu commun » (à l’image de l’œuvre Dirty White Trash où un effort du regard est nécessaire pour découvrir la valeur artistique du tas de déchets). La valeur est de ce fait évolutive et se construit « chemin faisant » simultanément à l’action collective.

Par ailleurs, cette intervention de l’État sur les conduites à tenir face aux déchets, la justification autant morale qu’économique de la mise en œuvre de politiques de préven- tion, ainsi que le mode de financement particulier des filières déchets (qui se fait à travers l’éco-participation qui n’est pas une taxe à proprement parler) permettent de valider le parallèle entre les déchets et les biens tutélaires (cf.I.4.9).

Pour conclure, le déchet possède un réel caractère « ostromien » justifiant une ap- proche de l’étude du principe de REP et de la responsabilité collective par la littérature sur les communs. Toutefois, les producteurs n’étant pas des commoners naturels, l’incita- tion à la création de valeur, au partage de la valeur et à l’engagement de l’individu dans le collectif deviennent des enjeux clés non prédominants dans les principes de gouvernance des ressources naturels édictés par Ostrom.

Or, la littérature sur le principe de REP relève majoritairement d’approches instru- mentales et moins d’un régime du commun. Malgré tout, nous verrons que plus récem- ment, il a pu être observé une littérature conduisant une approche institutionnelle qu’il s’agit de compléter.

II.4.2 Littérature sur le principe de REP : deux approches

II.4.2.1 Une approche instrumentale

La majorité des auteurs ont abordé l’étude des filières REP à travers une approche instrumentale classique, dans la lignée des travaux de l’OCDE. Ils ont cherché à évaluer l’efficacité du principe en tant qu’instrument de politique publique participant à une stra- tégie de gestion environnementale. Dans cette optique, les travaux cherchent à analyser les choix de mise en œuvre des programmes de REP en étudiant des cas particuliers ou à travers des analyses comparatives. Le principe général est d’évaluer les programmes de REP en place au regard de la réalisation des objectifs fondamentaux que sont (1) le sou- lagement des collectivités par un transfert du coût de gestion des déchets aux acteurs privés, devant conduire dans un second temps à (2) une incitation à prévenir la produc- tion de déchet et à faciliter les traitements (par exemple une meilleure recyclabilité).

19. Notion introduite au paragrapheI.3.6par la citation d’Isaacs (2014) insistant sur l’importance de créer du lien entre les acteurs d’un groupe dont l’ « organisation collective ne se distingue pas au préalable natu- rellement ». Le « common purpose » se manifeste par le partage d’une même compréhension, d’un objectif commun et d’intentions collectives qui peuvent différer des intérêts pris individuellement. Ou dit autre- ment, le comprendre comme « une éthique commune » permettant de « servir de guide à l’action indi- viduelle » (NEUBERGet collab.,1997, p.10). Le terme cherche à dépasser celui d’ « objectif commun », ce dernier étant généralement réduit à la seule dimension de performance de la filière (tel que les objectifs de collecte, de recyclage, etc.).

CHAPITRE II.4. JUSTIFICATION D’UNE APPROCHE PAR LES COMMUNS Le but de ces recherches est d’identifier les facteurs clés contribuant au succès d’une filière REP. La difficulté de l’exercice est conséquente du fait de la multiplicité des choix possibles conduisant à une infinité de modèles de REP. En effet, il existe une diversité im- portante de types d’instruments permettant la mise en place d’une politique de REP qui ont été discutés par plusieurs auteurs (voir par exemple la revue de littérature de Gupt et Sahay,2015). Il existe des instruments administratifs et réglementaires (obligation de re- prise, objectifs de recyclage, standards, normes, etc.), économiques (taxes, subventions, participation financière, etc.) et informatifs (rapports, labels, consultation, etc.).

Les États peuvent aussi vouloir privilégier des approches plus ou moins contraignantes. Alors qu’en Europe le principe de REP repose sur l’obligation réglementaire de parti- cipation des acteurs privés, aux États-Unis les approches volontaires ont été pour un temps privilégiées (NASHet BOSSO,2013). Dans “Extended Producer Responsibility in the

United States Full Speed Ahead?", les auteurs Nash et Bosso montrent que plus récem-

ment, certains États américains ont décidé de renforcer leur réglementation, constatant un manque d’efficacité des programmes volontaires. En réalité, le manque de volonta- risme des industriels pour gérer les déchets auxquels ils sont liés amène à penser que pour qu’un système de REP soit efficace, celui-ci doit être accompagné d’un modèle de reprise obligatoire (QUINNet SINCLAIR,2006).

Entre les choix d’instruments et d’approches, la complexité des systèmes est évidente. Atasu et Van Wassenhove (2012) soulignent ainsi la multiplicité des configurations pos- sibles. Selon ces auteurs, la mise en place d’un dispositif repose sur la considération de huit dimensions : les instruments de politique publique, le plan de gestion, la respon- sabilité financière et opérationnelle, la répartition des coûts, les objectifs et dispositif de redevance, les canaux de collecte, les incitations à l’éco-conception; auxquelles s’ajoutent quatre autres selon les réponses potentielles des producteurs : la conception des produits et du réseau, le bouclage des flux, les technologies et les business models. Ces choix de mise en œuvre et d’action des producteurs auront alors un impact sur six types de parties prenantes : les producteurs, les opérateurs logistiques, les collectivités, les consomma- teurs, les recycleurs et l’environnement. Cette analyse permet de souligner, qu’au-delà des choix multiples de mise en œuvre, le nombre important de parties prenantes concer- nées par une politique de REP contribue également à accroître la complexité des sys- tèmes. Certains auteurs ont ainsi cherché à étudier l’impact d’un grand nombre de parties prenantes aux tendances conflictuelles dans un contexte donné (économique, géogra- phique, etc.) sur la mise en place d’une politique de REP (GUIet collab.,2013).

Pour aborder cette étude à multiple facteurs, certains articles traitent d’un type de flux en particulier, tel que la filière batterie dans laquelle l’application de la REP paraît simple en principe mais d’une grande complexité en pratique (LEE, 2008); ou encore la filière

emballages au Canada, où les auteurs se posent la question d’une application volontaire ou obligatoire de la responsabilité (QUINN et SINCLAIR, 2006); ou encore d’un produit

en particulier, tel que l’imprimante, en montrant par une approche cycle de vie qu’un système de recyclage basé sur des objectifs de volumes n’est pas le plus incitatif à l’éco- conception (MAYERSet collab.,2005).

D’autres chercheurs, afin d’évaluer l’efficacité des systèmes, se prêtent à diverses com- paraisons entre systèmes de pays différents : par exemple entre les États-Unis et le Ca- nada (HICKLE, 2013) où Hickle compare le modèle individuel américain au modèle col-

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lectif canadien; entre pays européens (PALEARI, 2015) révélant la grande hétérogénéité des transpositions de la Directive européenne sur les DEEE; entre des pays européens et la Chine (REAGAN,2015;SALHOFERet collab.,2016), ce dernier faisant apparaître un système

de collecte majoritairement informel par rapport à la logistique formalisée européenne; entre des pays développés et des pays en voie de développement dont les systèmes in- formels peuvent être néfastes pour le développement d’une filière structurée (GUPT et

SAHAY,2015).

Les modèles existants étant multiples, il existe ainsi un foisonnement d’articles cher- chant à les analyser et les comparer. Cependant, la plupart de ces études se limitent à traiter des questions isolées (par exemple le débat entre un système individuel ou collec- tif), ou donnent une analyse sans approche analytique claire (KALIMOet collab.,2015).

Pour remédier à ce manque d’organisation certains auteurs proposent des modèles afin de faciliter les discussions (KALIMOet collab.,2015,2012).