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II. 4.2.1.3 L’enjeu du mécanisme de financement

II.4.2.2 Une approche institutionnelle

Nous proposons d’étudier la politique de REP comme la conception de dispositifs d’expérimentation collectifs tournés vers l’apprentissage (AGGERI, 1998). En effet, cette

politique publique s’appuie sur des formes d’action plus coopératives et plus incitatives que le traditionnel « command and control ». C’est un dispositif exploratoire et orienté vers la production d’apprentissages collectifs qui s’organise, de ce fait, comme une poli- tique d’expérimentation continue. Restreindre l’étude de dispositifs politiques aussi com- plexes aux choix stratégiques pris ex ante et à l’évaluation ex post du dispositif dans un état figé, et non pas dans sa dynamique créative, peut conduire au risque d’éclipser toute une dimension institutionnelle non quantifiable. De même, l’approche restrictive conduit à minimiser la capacité d’action et le potentiel de création. Enfin, dans un contexte d’étude

ex ante/ex post, l’évaluation des politiques de REP restent prisonnières d’une conception

individuelle de la responsabilité, stigmatisant les « passagers clandestins » et le caractère peu incitatif des mesures mises en place.

Or, le principe de REP est un processus de responsabilisation collective qui a pour but de susciter le commun par la création d’une communauté de commoners réunis autour d’un destin commun : le « common purpose ». Dans ce processus, les questions d’ac- tion collective et de responsabilité collective et celles des organismes qui incarnent ces formes de collectif, sont cruciales. Nous cherchons un ancrage théorique du point de vue des capacités d’apprentissage et à montrer les enjeux en termes de pilotage et de gouver- nance. Notre problématique est la responsabilité collective dans le domaine de l’environ- nement : quels principes, quels objectifs, quelles méthodes? Nous tentons de délimiter les domaines où elle apparaît nécessaire, d’indiquer les enjeux en terme de gouvernance et de pilotage. En effet, l’expérience montre que la responsabilité partagée est difficile à

CHAPITRE II.4. JUSTIFICATION D’UNE APPROCHE PAR LES COMMUNS construire sans la création d’un nouvel acteur (tel que les éco-organismes).

Cependant, la littérature actuelle offre peu d’approches de l’étude de la politique de REP par la gouvernance. En effet, celle-ci est généralement analysée comme issue d’une politique régalienne classique du gouvernement (HICKLE, 2014). Or, Hickle souligne le caractère hybride de cette politique, reposant à la fois sur des mesures réglementaires of- frant un cadre de vie à des instruments de marché. Cette construction hybride engendre spontanément des interactions complexes entre une gouvernance privée et publique ren- dant perméable les frontières entre ces secteurs. Hickle ouvre une autre approche en re- connaissant la multiplicité des modes de gouvernance possible distribués entre les auto- rités d’État et les acteurs privés. De ses observations de modèles de REP nord-américains, il propose quatre modes de gouvernance déléguant plus ou moins de responsabilités (fi- nancière et/ou opérationnelle) aux acteurs privés. À savoir : un régime où les producteurs doivent assumer la totalité des deux types de responsabilité; un régime où l’État garde la responsabilité opérationnelle; un régime où la responsabilité financière est partagée entre les deux secteurs et enfin un régime où les producteurs ont la responsabilité finan- cière, tout en devant respecter les prescriptions de l’État.

La filière de gestion des DEEE en France s’apparente à ce dernier mode. Ce régime mixte révèle l’importance de l’équilibre entre acteurs privés et publics. Contrairement aux évaluations classiques de performance reposant sur une analyse des choix, Hickle cherche à comprendre l’influence de l’équilibre entre acteurs privés et publics sur la réus- site d’un programme de REP. Il appelle à un affinement de sa typologie afin de mieux com- prendre le lien entre régime de gouvernance et performance d’un système, en particulier pour les régimes mixtes (i.e. les trois dernières catégories dans lesquelles les acteurs ont des rôles étendus). Les Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques, étant à la fois dangereux et source de valeur, se prêtent particulièrement à un régime hybride.

Le travail de thèse d’Anne-Sophie Mérot (2014) a étudié spécifiquement la gouver- nance de la filière DEEE. Dans sa problématique, elle aborde la REP d’un point de vue institutionnel en tant qu’ « ensemble de principes et de règles qui, parce qu’elles ont été socialement construites et acceptées, constituent une institution au sens de Jepperson » (MÉROT, 2014, p.9). Elle puise, de ce fait, son cadre théorique dans la littérature sur le

changement institutionnel et notamment sur la mise en place de nouvelles institutions dans le cadre de la gestion des ressources communes. L’auteure ne cherche pas à évaluer la REP en tant que politique publique. Elle saisit toute la difficulté d’un tel exercice du fait à la fois de l’existence d’une gestion « effective » (i.e. une gestion de fait) et d’une gestion « intentionnelle », « ayant pour ambition d’atteindre des objectifs de référence ». L’auteure préfère ainsi une évaluation de la politique de REP en tant que « stratégie de changement » et en tant que « stratégie collective » face à un environnement externe en constante évo- lution pouvant déstabiliser les « règles du jeu ». Elle ne s’intéresse pas à la « description des institutions en tant que telles, mais au travail institutionnel qui examine l’effet des acteurs dans la création, la transformation ou la destruction d’institution » (MÉROT,2014,

p.73). La dynamique de l’action collective devient alors un point d’entrée primordial fai- sant apparaître des processus de création « de nouvelles façons de jouer le jeu social de la coopération et du conflit » (CROZIERet FRIEDBERG,1977[MÉROT,2014, p.10]) ainsi que

des « innovations collectives » (AGGERI,1999).

D’autres auteurs ont également saisi la politique de REP comme une réalité institu- 118

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tionnelle, bouleversant les relations entre acteurs et créant de nouvelles interactions à multiples niveaux (BAHERSet collab.,2015;FAVOT,2014;KROEPELIEN,2000). Par exemple,

Bahers cherche à comprendre les raisons des différences entre les systèmes de gestion des DEEE à Milan et à Toulouse (2015). Pour cela, il mobilise le concept théorique des régimes sociotechniques afin d’étudier les configurations observées en tant que résultats d’inter- relations entre les diverses parties prenantes. Il conclut de l’importance des alignements d’intérêts pour un système efficace, puisque les solutions technologiques ne suffisent pas à elles seules.

Dans la même idée, Favot analyse le principe de REP comme un facteur de change- ment institutionnel (2014). L’auteure ancre sa réflexion dans le champ de la nouvelle éco- nomie institutionnelle, s’appuyant sur le concept des droits de propriété et sur la théorie de Coase sur les coûts de transaction. Selon l’auteure, la REP, en déplaçant de façon ins- titutionnelle la responsabilité de gestion des déchets des collectivités aux producteurs, a permis une réduction des coûts de transaction. Cette meilleure allocation des coûts a permis d’amorcer un processus d’internalisation des externalités qui n’était pas possible jusqu’alors, du fait de coûts de transaction trop élevés. Ce transfert de droits de propriété est, selon l’auteure, un acte crucial du principe de REP.

II.4.3 Rapprochement entre les deux littératures : les com-