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Un autre point très présent dans la littérature est le débat entre privilégier un système individuel ou un système collectif (ATASUet SUBRAMANIAN,2012; FAVOT, 2014;MAYERS

et collab., 2013; ÖZDEMIR-AKYILDIRIM, 2015). Alors qu’un système collectif permet des

économies d’échelle et ainsi de réduire les coûts logistiques, il peut également conduire au risque d’une déresponsabilisation des producteurs, notamment dans leur effort à conce- voir pour l’environnement. Aussi, afin de prévenir ce risque, le système collectif engendrerait- il un surcoût au titre du contrôle et de la surveillance. La responsabilité individuelle consiste, quant à elle, à obliger le producteur à assumer seul ses responsabilités, lui assurant de bé- néficier directement des gains éventuels résultant de son effort de conception en faveur d’une meilleure recyclabilité. Un système collectif est créé lorsque les producteurs dé- cident de se regrouper pour gérer ensemble leur responsabilité permettant ainsi de mu- tualiser les coûts de collecte et de traitement, comme cela est le cas pour la majorité des filières en France. Alors que le système collectif permet de répondre au premier objectif de la REP, qui est de décharger les collectivités et d’augmenter la collecte et le recyclage

CHAPITRE II.4. JUSTIFICATION D’UNE APPROCHE PAR LES COMMUNS grâce à l’effet de volume, il peine à inciter à l’éco-conception. En effet, les coûts de traite- ment étant partagés, l’effort d’un producteur ne lui sera pas directement perceptible mais profitera à l’ensemble. De ce fait, les systèmes collectifs encouragent les phénomènes de « passager clandestin » dans l’effort collectif d’éco-conception. À l’inverse, les systèmes individuels assurent une forte incitation à l’éco-conception mais entraînent un surcoût de gestion important pour les producteurs et de surcroît une collecte moins efficace.

Toutefois, contrairement aux idées reçues, Esenduran (2015) montre qu’un système individuel peut permettre un meilleur taux de collecte si le bénéfice de valorisation est élevé et si l’entreprise est de petite taille. À l’inverse, un système collectif est intéressant lorsque les membres sont de grandes entreprises et que le recyclage n’a d’intérêt écono- mique qu’après massification. Tel est le cas dans la filière des DEEE du fait de la com- plexité des traitements de valorisation nécessitant de lourds investissements.

En réalité, il n’existe pas tant de contradiction entre mettre en place une organisation collective et aspirer à une responsabilité individuelle. Il suffit de distinguer la responsa- bilité financière de la responsabilité opérationnelle. En effet, la logistique d’un système peut être gérée de manière collective tout en différenciant les coûts selon les marques des produits (VAN ROSSEMet collab.,2006). L’enjeu étant alors de faire cette différenciation

de la manière la plus efficiente possible (FAVOT,2014). Toutefois, le surtri peut conduire

à un surcoût tel que la filière ne résistera pas. Tel a été le cas par exemple pour des pro- ducteurs aux Pays-Bas qui sont passés en 2003 à un système collectif (ATASU et SUBRA- MANIAN,2012;SACHS,2006). Pour éviter cet inconvénient, il convient de comparer les ré-

ductions de coûts de traitement dû à un effort d’éco-conception réalisé dans le cas d’un système financièrement individualisé, à un gain d’échelle sous un modèle totalement col- lectif (ATASUet SUBRAMANIAN,2012).

Il existe à ce jour très peu d’expériences de systèmes dont le financement est indivi- dualisé. Au Japon, une loi (la loi SHARL) impose les producteurs de certains EEE (e.g. té- lévisions, machines à laver, air-conditionné, réfrigérateurs) d’assurer la collecte de leurs propres produits et de les traiter suivant des objectifs de valorisation (ATASUet WASSEN- HOVE,2012). Afin de pouvoir atteindre ces objectifs de façon efficiente, les fabricants do-

minants se sont regroupés de manière à mutualiser l’établissement de points de collecte, de réseaux logistiques et de sites de traitement et de valorisation. Contrairement à la lo- gique en France des appels d’offres, au Japon les producteurs ont la propriété d’au moins un site de traitement, ce qui assure une remontée d’information continue entre les re- cycleurs en aval de la chaîne et les ingénieurs-conception de la marque producteur. Le producteur, ainsi directement impliqué dans l’activité de recyclage, percevra individuelle- ment les gains ou les pertes dus à la conception des produits. Un autre exemple, toujours au Japon, concerne le secteur informatique. Les produits informatiques sont ramenés par le consommateur à la poste qui se charge de les renvoyer directement à l’industriel res- ponsable de leur fin de vie. Le coût de traitement, directement calculé par le fabricant, est inclus au préalable dans le prix d’achat des produits marqués par un sigle spécifique. Ce système est très efficace mais repose sur les réalités avantageuses de l’industrie de pointe japonaise. En effet, une grande partie des constructeurs informatiques produisent en Asie de l’Est (contrairement à l’Europe qui importe pour l’essentiel) ce qui facilite la mise en œuvre de la responsabilité individuelle.

Ces systèmes individuels au Japon sont ainsi rendus possibles grâce à une présence 114

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effective des producteurs sur le territoire et à leur implication directe dans l’activité de recyclage. En Europe, par absence des grands producteurs électroniques, il est nécessaire de penser des voies différentes pour un système plus ou moins individualisé.

Pour différencier les déchets par marque après une collecte en mélange, il existe des méthodes de tri sophistiquées mais coûteuses basées sur la radio-identification RFID (de l’anglais radio frequency identification). Certains auteurs ont évalué l’efficacité de cette technologie sur le tri automatique des déchets par produit ou par marque (O’CONNELL

et collab., 2013). Les résultats ont montré que la méthode était efficace pour trier des flux relativement homogènes (tel que l’électroménager blanc). En revanche, pour des flux complexes, tels que les petits appareils ménagers en mélange, les taux d’identification étaient plus faibles. En outre, ces résultats restent limités, car tirés d’expériences de labo- ratoire sous conditions très favorables.

Certains réfléchissent à revoir la méthode de calcul des contributions de façon à inté- grer, dès l’amont, une modulation selon l’effort de conception. Cela nécessiterait d’aligner les contributions des producteurs aux coûts réels de traitement de leurs produits, grâce à un surtri des flux de déchets après la collecte. Cette approche ne signifie pas forcément que les coûts de traitement, à un instant donné, soient le reflet exact des contributions perçues. En effet, les contributions sont alors calculées par rapport aux produits mis sur le marché, et non, par rapport aux déchets collectés : il faut comprendre qu’il existe un temps d’usage entre la vente du produit neuf et sa fin de vie. La modulation est un réel enjeu à ce qu’ « elle transforme une éco-contribution calculée a posteriori — sur la base du calcul de coût de gestion des déchets — à un calcul anticipé a priori » (MÉROT,2014,

p.104). De ce fait, il est fort probable d’avoir un surplus ou une insuffisance de finance- ment de la filière.

Dans Implementing Individual Producer Responsibility for Waste Electrical and Elec-

tronic Equipment through Improved Financing, Mayers et al. (2013) ont cherché à ré- soudre ce problème. Ils ont proposé une méthode de calcul collective des contributions en intégrant une variable individuelle fonction du coût futur estimé de gestion par tonne de déchet collecté. En cas de surplus, une accumulation des fonds est possible permettant de subvenir aux périodes déficitaires. Leur modèle a montré un réel intérêt sur le cas des écrans. Cependant, leur modèle reste limité aux filières où un unique organisme collectif de producteurs existe.

En réalité, différencier les contributions des producteurs engagés dans un système collectif n’est pas nouveau. Cela est pratiqué dans certaines filières emballages par exemple, notamment en France (depuis le décret n° 98-638 du 20 juillet 1998 concernant la concep- tion des emballages) et en Allemagne (dans le cadre du système « point vert »). La diffé- renciation des contributions repose alors sur le type de matériaux utilisés et le volume. Ces mécanismes de financement individualisé ont conduit les producteurs d’emballages à optimiser le choix des matériaux, à limiter le nombre de composants et à réduire le poids des emballages. Cependant, trouver des critères pertinents et des taux de modulation justes dans le cas de flux de déchets plus complexes, tels que les DEEE, relève d’un chal- lenge bien plus difficile (LINDHQVISTet LIFSET,2003;SACHS,2006)20. En France, le Gre-

20. En réalité, la problématique de l’incitation individuelle dans le cadre d’une politique de REP s’est posée dès les premiers travaux traitant de déchets autres que les emballages. En effet, c’est notamment Erik Rydén, collègue de Thomas Lindhqvist, qui dans sa thèse a révélé les déficiences du principe de REP dans

CHAPITRE II.4. JUSTIFICATION D’UNE APPROCHE PAR LES COMMUNS nelle de l’environnement a donné un élan particulier à l’extension du mécanisme de mo- dulation. Ainsi, depuis 2010, il est spécifié dans le cahier des charges des éco-organismes en France que les « contributions financières [. . . ] sont modulées en fonction de critères environnementaux » (Article L541-10 §IX du code de l’environnement). Nous verrons que la filière DEEE est très innovante en la matière puisque les acteurs de la filière ont lancé, dès 2008, une première phase d’un dispositif de modulation basé sur un principe de « bonus-malus », qui a par la suite évolué pour être étendu et renforcé.