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I.5 La création du commun et le processus de responsabilisation

I.5.1 L’activité de conception du commun : une littérature à compléter

La littérature révèle une énigme quant aux « inconnus communs » caractérisés par une absence de prise de conscience de la menace par un groupe d’acteurs en capacité réelle d’y répondre (BERTHET,2013). Dans sa thèse, Elsa Berthet souligne les points aveugles

que sont la conception du commun lui-même et les actions nécessaires à sa gestion. Elle relève que ce processus de conception soulève de nouvelles questions de gouvernance, où il s’agit d’identifier l’« inconnu commun », de conditionner le périmètre des acteurs à impliquer et de maintenir l’adhésion des acteurs à cet inconnu de manière à « ne pas re- tomber dans une situation d’impasse ». Elle souligne également le caractère dynamique des « inconnus communs ». En effet, contrairement aux ressources naturelles relative- ment statiques, le processus de conception du commun s’apparente à un processus d’ap- prentissage collectif, où de nouveaux enjeux de gouvernance apparaissent tout au long du cheminement et qui n’avaient pas été identifiés au préalable (ex. conflits d’intérêts, effets de fixation cognitifs, risque d’essoufflement de l’action collective, etc.).

Berthet rappelle que Julie Labatut a également abordé ce sujet dans sa thèse, considé- rant les races animales comme des biens communs résultant d’un processus de concep- tion et d’innovation génomique (2009). De même, Berthet souligne la thèse d’Hannachi, traitant le territoire comme un bien commun résultant d’un construit social (2011). Nous avons déjà évoqué également les travaux sur les communs numériques qui font l’objet d’une conception et qui ne préexistent pas à l’action (cf.I.4.7.1). Toutefois, l’ensemble de ces travaux ne porte pas ou peu spécifiquement sur l’activité même de conception et sur le processus engagé. Un point à relever toutefois est l’importance soulignée par ces auteurs de l’intervention d’un acteur tiers pour faire émerger, au sein du collectif (qui ne préexiste pas), une vision partagée du commun (BERTHET,2013).

Pour récapituler les différents courants d’approche, Berthet a représenté schémati- quement la littérature sur les biens communs (voir figureI.5.1).

Il faut noter que Berthet conserve la notion de bien commun et non du commun en tant que principe politique et praxis instituante. Cependant, la praxis instituante restant

CHAPITRE I.5. LA CRÉATION DU COMMUN ET LE PROCESSUS DE RESPONSABILISATION

FIGUREI.5.1 – Représentation schématique des différents courants de la littérature sur les biens

communs, selon si les biens communs et les comportements sont considérés comme donnés ou non (BERTHET,2013, p.127)

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liée à une forme de commun objet, le schéma garde son intérêt. La pratique du com-

mun émerge simultanément avec l’activité de conception du commun. Ce schéma per-

met ainsi d’identifier le manque de littérature concernant l’activité de conception du

commun et de le situer par rapport aux différentes approches.

Aussi Berthet s’est-elle attachée à proposer un cadre d’analyse pour étudier les « in- connus communs ». Elle souligne l’importance de la création d’espaces collectifs et ou- verts, permettant l’exploration de solutions générant un intérêt commun (2013). « Ainsi contrairement à Elinor Ostrom où le manque de connaissance pouvait être un des prin- cipaux freins à la mise en place d’une action collective, il s’agit ici d’utiliser la part d’in- connu pour redonner une certaine marge de manœuvre aux acteurs, de créer des espaces d’opportunité et d’aider à surmonter les situations conflictuelles ». Pour cela, elle s’ap- puie sur des méthodes de conception innovante, de résolution des conflits, de règles de déverrouillage et propose un modèle théorique de conception d’un agrosystème posant « les conditions initiales d’un processus collectif de conception, efficace et pérenne, im- pliquant les parties prenantes de l’agro-écosystème ».

Pour aller plus loin, Berthet souligne le rôle des pouvoirs publics dans le soutien des logiques d’auto-organisation résultant de processus de conception pouvant ainsi répondre aux problèmes de coûts et de faible efficacité de certains dispositifs publics, liés « à un manque de durabilité des actions mises en œuvre et à l’insuffisance des échelles aux- quelles elles sont déployées » (KLEIJN et collab., 2006 [BERTHET, 2013]). Elle considère

l’identification et l’exploration d’ « inconnus communs » comme « une méthode grâce à laquelle des acteurs pourraient initier une démarche de conception de biens communs » (BERTHETet collab.,2016).

CHAPITRE I.5. LA CRÉATION DU COMMUN ET LE PROCESSUS DE RESPONSABILISATION

Ainsi, se pose la question de savoir comment les pouvoirs publics pourraient se saisir de cette méthode de conception du commun afin de susciter l’émergence de systèmes auto-organisés tout en maintenant un certain contrôle pour traiter des pro- blématiques complexes spécifiques, telles que la problématique des déchets. Une po- litique du commun, étant le résultat d’un croisement unique entre un commun et des acteurs dans un environnement dynamique, il n’est pas possible de concevoir un dispositif public standardisé d’application générale. Il s’agit d’établir les conditions idéales pour faire émerger, de manière contrôlée, une organisation collective d’ac- teurs privés dans un objectif d’intérêt général. Pour cela, il est nécessaire de focaliser la recherche sur les conditions d’émergence, de révisabilité et de contrôle du commun et non sur des critères de décisions à standardiser. Pour cela, nous nous appuyons sur l’exemple de la problématique des déchets dans lequel nous constatons la construc- tion collective d’un commun autour de la valorisation des déchets en tant que res- sources alternatives aux matières vierges. Les travaux de Fontaine aspirent également à cette approche (2016).

I.5.2 Un processus de responsabilisation au service du com-