• Aucun résultat trouvé

I.5 La création du commun et le processus de responsabilisation

I.5.2 Un processus de responsabilisation au service du commun

I.5.2.4 Le rôle des intermédiaires dans la cohésion

Cependant, dans des cas de fortes concurrences et de grande incertitude, la confiance, indispensable, risque de ne pas survivre. L’innovation collective en est un bon exemple. Le facteur de confiance entre acteurs industriels, qui se seraient regroupés pour conce- voir ensemble de nouvelles solutions, est menacé par l’opportunisme de certains, enclins à quitter le groupe pour se lancer dans une course au brevet et à l’avantage concurren- tiel. La confiance initiale doit alors s’accompagner d’une force de cohésion encouragée et surveillée par un acteur tiers (COHENDETet collab., 2010). La cohésion peut paraître

naturelle en cas de reconnaissance spontanée des acteurs à un même mouvement, mais en réalité elle l’est beaucoup moins lorsqu’il s’agit de susciter la création identitaire d’un groupe.

Pour faciliter une cohésion solide, la littérature souligne l’importance du rôle des in- termédiaires dans la stabilisation de communautés de connaissance (COHENDETet col-

lab., 2010) ou pour faire émerger une vision partagée (HANNACHI, 2011;LABATUT,2009

CHAPITRE I.5. LA CRÉATION DU COMMUN ET LE PROCESSUS DE RESPONSABILISATION

[BERTHET, 2013]). Également, on retrouve le thème du rôle des intermédiaires dans les processus d’innovation collective en tant qu’acteur architecte de l’exploration collective (AGOGUÉ et collab., 2013) ou en tant que chef d’orchestre facilitant la circulation des

connaissances et des ressources, ou en tant qu’animateur en incitant et surveillant l’im- plication des acteurs. Au-delà d’un facteur de cohésion, l’intervention de ces acteurs tiers à pour intérêt de réduire l’inertie organisationnelle ainsi que les incertitudes, et d’éviter les verrouillages dans une logique dominante sous-optimale (LEROUX et collab.,2014). En revenant à la littérature sur la gouvernance transnationale (cf.I.2.1), on peut d’autant plus légitimer la place particulière des intermédiaires dans le cas de commun co-construit entre État et régulés. En effet, est apparu dans cette littérature le rôle « d’intermédiaires de régulation » («regulatory intermediaries») qui, aux côtés de l’État, ont un pouvoir d’in- fluence sur le comportement des acteurs régulés (ABBOTTet collab.,2015). En s’imiscant

entre les gouvernants et les gouvernés, ces intermédiaires de régulation rendent la régu- lation indirecte.

I.5.2.5 Les « méta-organisations », des formes d’intermédiaires dans le

domaine de l’environnement

Pour rappel, en Europe, de tels intermédiaires ont été créés afin de traiter certaines problématiques environnementales complexes. Ce sont des « méta-organisations » (AHRNE

et BRUNSSON,2008) désignées par l’État devant agir au nom de leurs actionnaires. Elles

sont constituées de l’ensemble des entreprises désignées comme responsables face aux dommages environnementaux : les éco-organismes tels que Eco-emballage et Eco-systèmes. Ce qui distingue principalement les « méta-organisations » des organisations classiques est le statut de leurs membres qui sont eux-mêmes des organisations et non des indivi- dus. Cette différence conduit au paradoxe des "méta-organisations" : "structurellement faibles" (DUMEZ,2008), étant "dotées de moins de ressources que leurs adhérents et de-

vant fonctionner par consensus" (ACQUIER,2016, p.62), et en même temps efficaces dans

leur domaine en raison de la souplesse des règles internes (ACQUIER,2016;DUMEZ,2008).

Il existe une variété de types de « méta-organisations » (BERKOWITZet DUMEZ,2015)

aux statuts différents, telles que les associations, fédérations, etc. Les « méta-organisations » traditionnelles servent de « voix commune » en représentant leurs membres auprès des instances de régulation (BERKOWITZet DUMEZ,2015). Les acteurs s’y regroupent volon-

tairement afin d’ « agir en commun » et de mieux maîtriser leur environnement (DUMEZ,

2008). Contrairement à cela, les « méta-organisations » issues de la problématique des déchets sont fortement encadrées par les pouvoirs publics et les acteurs sont le plus sou- vent contraints d’y adhérer. Aussi les rapports sont-ils relativement différents entre les membres à l’intérieur de l’organisme, et entre la « méta-organisation » et l’État.

Se pose alors la question de la création et du développement de cette nouvelle forme de « méta-organisation ». Or, la littérature s’est principalement attachée à étudier l’évolu- tion statistique et les positionnements respectifs des « méta-organisations » (BERKOWITZ

et collab., 2016). En revanche, le processus de développement d’une nouvelle « méta- organisation » reste peu étudié (ACQUIER, 2016, p.62). Notamment, lorsque la « méta-

organisation » résulte d’un processus de responsabilisation par l’État et devient un in- termédiaire opérant au sein d’une forme de co-régulation.

CHAPITRE I.5. LA CRÉATION DU COMMUN ET LE PROCESSUS DE RESPONSABILISATION d’une telle forme de « méta-organisation », et que, en tant qu’intermédiaire, celle-ci joue un rôle clé dans la dynamique institutionnelle du commun.

Ainsi, plus largement, les communs (de toutes sortes, qu’ils soient classiques ou plus complexes) se caractérisent par « une culture de liens de coopération, de confiance, de réciprocité », et d’engagement participatif de chacun à « la négociation et au maintien de règles vernaculaires orientées par le souci de durabilité et légitimes parce que pertinentes pour ce collectif » ((WESTON et BOLLIER,2013) [(GUTWITHet STENGERS, 2016)]). S’y ajoute, dans les situations où le commun est inconnu et où

le collectif ne préexiste pas, la présence d’intermédiaires dans l’amorce du mouve- ment, dans sa coordination et sa soutenabilité, ainsi que dans sa surveillance et son contrôle.

Conclusion de la partie 1

Pour récapituler, la littérature sur les communs manque aujourd’hui à préciser l’acti- vité même de conception du commun. Cette approche permet en effet d’étudier des cas d’ « inconnus communs ». D’autre part, la plupart des études existantes restent appliquées à soutenir des formes de communs citoyens, et ignorent le rôle des acteurs économiques et leur capacité potentielle dans la recherche de solutions alternatives pouvant contribuer à l’amorce d’un réel changement des comportements. Aussi dans cette thèse s’agit-il d’étu- dier l’institution du commun comme forme originale d’intervention des pouvoirs publics à travers la responsabilisation des acteurs économiques.

Dans les cadres classiques, la régulation repose sur une action régalienne ou sur des mécanismes de type marché. La responsabilisation collective des régulés est une voie al- ternative intéressante mais qui pose des questions dans sa mise en œuvre. La littérature sur la gouvernance des ressources communes offre à voir des systèmes en dehors de l’État et du marché, qui ont une certaine efficacité propre. Des communautés se responsabi- lisent pour fixer collectivement un ensemble de règles et revendiquer un droit d’usage. Il s’agit de puiser dans cette littérature afin d’éclairer la question de la mise en oeuvre de la responsabilité collective entre acteurs du marché. Cependant, dans l’approche tra- ditionnelle des communs, le commun naît de manière spontanée et revendiquée, et en dehors des sphères politique et économique. Ainsi, susciter le commun à l’interstice de ces sphères ouvre la voie à un modèle de régulation alternatif, dont il convient d’étudier les pratiques pour en identifier les principes et les modalités d’exercice.

Pour comprendre une telle pratique, il s’agit alors de sortir de l’ensemble de ces cadres classiques et d’employer de nouvelles lunettes analytiques. Cette thèse propose ainsi l’ana- lyse d’une forme nouvelle de commun, institutionnalisée de manière originale, à travers un processus de responsabilisation engageant une co-régulation entre acteurs régulés et régulateurs. Est ainsi identifié un nouveau cadre théorique qui s’articule autour des trois objets que sont : la logique de responsabilisation, la co-régulation et la production de

communs. De ce fait, à travers la logique de responsabilisation comme « technique poli-

tique » de gouvernement, il s’agit de ramener le commun au cœur de l’action publique. Ce commun s’est formé autour de la problématique des déchets, particulièrement in- téressante étant donné sa complexité et sa dynamique instable et incertaine. Avant de donner des principes de la co-régulation issus des analyses empiriques, à l’instar des prin- cipes de gouvernance des ressouces communes d’Ostrom, la partie suivante va chercher à justifier l’approche du principe de responsabilité des déchets par une analyse du com-

mun. Pour cela, nous allons partir d’un historique de la problématique des déchets qui

mettra en évidence les changements successifs de la perception de valeur du déchet et de son potentiel de valeur qui ont donné naissance à ces formes d’auto-organisations.

Deuxième partie

Chapitre II.1

Histoire du déchet : évolution de la

problématisation et de la mise en

politique du déchet

Entrée en matière

Le fait de jeter un objet que l’on ne considère plus utile et de produire, en consé- quence, du déchet est un comportement de la société moderne, apparu à la moitié du vingtième siècle. Avant l’emploi courant du terme « déchet », il était d’usage de par- ler de boues ou d’immondices pour désigner les rejets des individus. Le terme d’eaux usées était également absent dans la ville du XVIIIèmesiècle. Mise à part le fait que la

société d’antan était bien plus économe, une autre raison du peu de déchets maté- riels était que la plupart des matières, qui composent les produits d’aujourd’hui, ne sont apparues qu’au 19ème-20èmesiècle, au moment de la révolution industrielle et de

l’exode rural. C’est bien l’évolution des modes de production et le développement des villes conduisant au changement de comportement de la société qui a créé de nou- veaux types de déchets : les déchets urbains.

Ainsi, les déchets sont des traceurs de l’histoire en ce sens où ils reflètent l’évo- lution des modes de vie des sociétés. L’homme est sa propre histoire (BELK,1988). À

travers un historique retraçant l’émergence du déchet dans la société et l’évolution de ses modes de gestion, nous verrons comment progressivement la politique déchet est devenu un enjeu stratégique relevant d’une activité du commun.