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Chapitre 2: Proposition d'un modèle décisionnel de pilotage de la culture de sécurité : une approche fondée sur l’analyse

2.3. La formulation d'un modèle général de pilotage de la culture de sécurité

2.3.2. Le modèle EFSM : Un modèle de pilotage de la performance de sécurité fondé sur l’EFQM.

2.3.2.2. Les leviers de la performance organisationnelle de sécurité du modèle EFSM

Les hypothèses synthétisées dans la figure 2 ont mis en avant deux principaux facteurs déterminants de la performance individuelle de sécurité : (i) les attitudes et comportements des membres de la ligne hiérarchique et (ii) le système de gestion de la sécurité. Ci-dessous nous traduisons ces déterminants en actions de pilotage pour améliorer en continu la performance de sécurité. Nous abordons d’abord les actions liées aux attitudes et comportements des membres de la ligne hiérarchique (2.3.2.2.1) puis celles rattachables au SGS (2.3.2.2.2).

2.3.2.2.1. Les attitudes et comportements des membres de la ligne hiérarchique

Les attitudes et comportements des membres de la ligne hiérarchique sont un facteur qui fait référence à la façon dont les dirigeants développent des SGS et des

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valeurs organisationnelles relatives à la sécurité mais aussi à la façon dont ils les mettent en place par le biais de leurs attitudes et de leurs comportements. Il peut par conséquent être rattaché au critère « Leadership » de l’EFQM.

L’analyse de la littérature permet d’identifier plusieurs éléments renseignant sur la manière dont les dirigeants peuvent procéder pour assurer un leadership favorable à l’adoption de comportements propices à la sécurité par les acteurs de l’organisation. Plusieurs auteurs (dont Fernández-Muñiz , 2007 ; Zohar, 1980) affirment que la mise en place d’un SGS nécessite le soutien des dirigeants qui, doivent allouer des ressources financières pour les activités qui composent un tel système, montrant ainsi une attitude positive et un total engagement et intérêt pour la question. Dès lors le soutien des dirigeants commence par le financement du SGS. Mais, au-delà du financement du SGS, les dirigeants et les hauts cadres doivent veiller à ce que leurs relations avec les travailleurs permettent à ces derniers de parler des problèmes qu'ils vivent au travail, d'être écoutés et respectés, et surtout d'être consultés et considérés dans l'élaboration des solutions à apporter aux problèmes exprimés (Simard et al., 1999). De façon plus opérationnelle, Simard et al. (1999) traduisent explicitement ce soutien en 5 processus à travers lesquels les membres de la ligne hiérarchique peuvent influencer chaque catégorie de comportements propices à la sécurité des travailleurs. Il s’agit des processus suivants:

- Processus de légitimation du prescrit : il consiste simplement pour les dirigeants et hauts cadres de respecter eux-mêmes les règles et procédures de sécurité. La légitimation opère lorsque les travailleurs estiment qu'il n'y a pas qu'eux qui suivent des règles de santé-sécurité mais également l'employeur et ses gestionnaires, ce qui permet de sécuriser l'environnement du travail et de faciliter une exécution sécuritaire du travail.

- Processus d’encadrement souple du prescrit (règles, procédures, consignes etc.): il consiste pour les gestionnaires à demeurer ouverts aux

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pratiques de sécurité initiées par les travailleurs comme substituts ou modifications aux règles de sécurité établies.

- Processus de valorisation : il consiste pour les gestionnaires à reconnaître l'utilité des initiatives des travailleurs pour améliorer le niveau de sécurité.

- Processus de support organisationnel : il découle de la capacité du personnel hiérarchique et des organes en charge de la gestion de la sécurité à faire un suivi efficace des demandes et suggestions initiées par les travailleurs.

- Processus de support à la crédibilité et à l'efficacité des organes et des personnes en charge de la sécurité : il consiste à donner plus de crédibilité aux diverses composantes du système formel de prévention, y compris au comité de sécurité au sein duquel il favorise la concertation, le fonctionnement paritaire et un processus de décision axé sur les vrais problèmes de sécurité vécus par les travailleurs. Un tel processus repose par exemple sur le statut élevé des responsables de la sécurité.

Les auteurs susmentionnés affirment que c'est principalement par des processus de légitimation et d'encadrement souple des règles qu'une dynamique positive de relations avec les gestionnaires favorise le développement d'une forte conformité des travailleurs aux règles de santé-sécurité. De même, dans le cas des comportements de participation, les auteurs soulignent que c'est par des processus de valorisation et de support organisationnel qu'une dynamique relationnelle positive favorise le développement de la prise d'initiatives par les travailleurs. Enfin, dans le cas des comportements d'appui au comité de sécurité, c'est surtout par un processus de support à la crédibilité et à l'efficacité du comité qu'une dynamique positive de relations avec les gestionnaires favorise le renforcement de l'appui des travailleurs au comité.

110 2.3.2.2.2. Le système de gestion de la sécurité

Le système de gestion de la sécurité a été défini comme un ensemble d’éléments humains, techniques et organisationnels en relation d’interdépendance et organisés en processus de gestion. L’analyse détaillée des éléments qui le constitue permet de constater qu’il se rattache à plusieurs facteurs de l’EFQM : « Personnel », « Leadership », « Politique et Stratégie », « Partenariats et Ressources » et « Processus ». Cependant, notre construit théorique postule que les différences individuelles de performance de sécurité sont déterminées par des facteurs personnels que sont la motivation et les connaissances des travailleurs en matière de sécurité. Le SGS est présenté comme un antécédent qui n’agit que par l’intermédiaire de ces deux déterminants. Par conséquent, le critère « Personnel » est considéré comme le principal facteur en amont puisqu’il a une influence directe sur la performance individuelle alors que les autres critères n’ont qu’une influence indirecte. Pour que les travailleurs se conforment aux procédures, répondent à la variabilité des situations de travail, puissent faire face aux imprévus et participent à l’amélioration de la sécurité, ils doivent être motivés et avoir les connaissances requises. Le critère personnel se subdivise dès lors en deux sous-critères qui évaluent respectivement : (i) la manière dont l’organisation développe les connaissances des travailleurs et (ii) la manière dont elle motive son personnel. Ces deux sous-critères sont influencés indirectement par les autres critères de l’EFQM et sont surtout influencés directement par des actions entreprises pour développer le potentiel du personnel. Nous détaillons à présent la façon dont le SGS doit être conçu afin d’influencer positivement les comportements de sécurité des acteurs de l’organisation.

- Le critère « Personnel »

Le critère personnel du modèle EFSM est destiné à analyser la mesure dans laquelle l’organisation développe les connaissances et motive son personnel. Il

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o Pour améliorer les connaissances du personnel et accroitre leur capacité à être des acteurs de la sécurité, l’organisation doit mettre en place un programme de formation adapté à sa taille et à son activité et dédié à l’ensemble de son personnel. Ces formations doivent être régulières et être actualisées en fonction des besoins identifiés, de l’analyse des risques, des incidents ou accidents occasionnés, de l’évolution de la réglementation, etc. Elle doit en outre mettre en place un système formalisé de communication interne centrée sur la sécurité (affichage, campagnes de sensibilisation, réunions sécurité, etc.). De plus, il est recommandé de développer un système de gestion des résultats indésirables (incidents, accidents, incidents évités de justesse, maladies professionnelles, non- conformités, etc.) pour favoriser l’apprentissage organisationnel à partir des défaillances passées. Ce système est également utile du fait qu’il permet en même temps d’améliorer en permanence le système grâce à l’analyse des causes des anomalies constatées. Pour soutenir l’apprentissage organisationnel et en même temps motiver le personnel le système de gestion des résultats indésirables doit intégrer de préférence les caractéristiques d’O'Leary & Chappel (1996).

o Dans l’ensemble, les éléments ci-dessus permettent de démontrer l’engagement de la direction envers la sécurité et donc de motiver le personnel à s’engager davantage dans la maîtrise des risques. Toutefois, la mise en place

d’une politique incitative36, d’une culture non punitive ou d’une culture juste en

fonction des spécificités de l’organisation est nécessaire pour développer une culture de communication et donc encourager le personnel à participer au système

36

Cette variable analyse la mesure dans laquelle l'entreprise encourage ses employés à participer aux activités relatives à leur sécurité

.

Elle comprend la fixation des objectifs et les sanctions et récompenses.

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d’information au sujet de la sécurité. D’autres variables liées au climat de travail comme le style de gestion des dirigeants, les politiques et les règlements, le système de récompense et de punition etc. (voir Brunet & Savoie, 1999) sont également à prendre en compte pour renforcer l’engagement de l’individu envers l’organisation.

- Le critère « Leadership »

C’est un des critères les plus importants du modèle EFQM. Appliqué à l’EFSM, il analyse la façon dont la haute direction s’implique personnellement dans les activités relatives à la sécurité. Au-delà du financement du SGS et des processus présentés supra, cette implication consiste par exemple à démontrer son engagement sans faille en faveur de la sécurité, ceci (i) en mettant à disposition toutes les ressources nécessaires pour les actions liées à la sécurité ; (ii) en intégrant la sécurité dans le processus de décision stratégique et dans le processus d’allocation des ressources ; (iii) en mettant en place un ou plusieurs organes en charge de la sécurité (personnes, groupes, responsables, comités, etc.) et (iv) de façon plus opérationnelle en participant par exemple aux réunions dédiées à la sécurité.

- Le critère « Politique et Stratégie »

Adapté pour les besoins du modèle EFSM, ce critère analyse la mesure dans laquelle les objectifs de sécurité sont intégrés dans la politique et la stratégie générale de l’organisation. Il évalue la mesure dans laquelle l’organisation a émis une politique de sécurité, un plan de prévention et un plan d’urgence pour l’opérationnalisation de ses objectifs de sécurité. Il prend également en compte la mesure dans laquelle l’organisation a défini une stratégie d’action en cohérence avec cette politique, ceci en formulant un certain nombre d’objectifs-sécurité qu’elle souhaite atteindre assortis des moyens à mettre en œuvre pour les atteindre aux échéances à respecter. La mesure dans laquelle cette politique de sécurité de même que le plan de prévention et le plan d’urgence sont déployés, revus et mis à

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jour en fonction des besoins identifiés, de l’analyse des risques, des incidents ou accidents occasionnés, de l’évolution de la réglementation, etc.

- Le critère « Partenariats et Ressources »

Dans le modèle EFSM, ce critère analyse la mesure dans laquelle l’organisation réalise des benchmark en comparant ses actions et ses performances de sécurité avec des organisations avec qui elle collabore. Ce critère analyse également la mesure dans laquelle l’organisation intègre les attentes de ses partenaires et y répond à travers sa politique de sécurité. Il analyse la mesure dans laquelle l’organisation alloue des ressources financières et humaines à la mise en œuvre des actions d’amélioration de la sécurité.

- Le critère « Processus »

Adapté pour les besoins du modèle EFSM, ce dernier vise à opérationnaliser les actions de gestion de la sécurité à travers divers processus. Il est étroitement lié aux autres critères et en particulier au critère « Personnel ». Cependant nous traitons à la fois comme un facteur « input » destiné à influencer les variables « résultats » mais aussi comme un output puisqu’il est revu et corriger en fonction des « résultats » obtenus. Ce critère évalue le déploiement et l’efficacité de nombreux processus de gestion qui constituent le SGS, notamment, le processus de mise en place d’un système de documentation décrivant les principales activités formelles de l’entreprise (procédures, instructions, spécifications, enregistrements, etc.), le processus de conformité réglementaire, le processus d’analyse des risques, le processus de création d’une culture informée, le processus de contrôle interne de la sécurité etc. Ce critère est le principal levier opérationnel de la sécurité puisqu’un SGS ne peut être opérationnel tant qu’aucun processus n’est déployé. En fonction de sa politique de sécurité et de sa stratégie, l’organisation doit sélectionner plusieurs processus, les décliner en sous-processus et les implémenter pour assurer l’effectivité de son SGS. La qualité et les résultats

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de ces processus seront évaluer périodiquement et des mises à jour réalisées.

2.3.3. Synthèse des facteurs en « amont » et des variables « résultats »

de l’EFSM

Dans ce paragraphe nous synthétisons les enseignements des paragraphes précédents à partir de deux tableaux. Nous présentons tout d’abord les variables « résultats » et ensuite les facteurs en « amont ». Toutefois pour comprendre le poids respectif et la disposition de chacune des colonnes de ces tableaux, il faut se référer à la représentation du modèle EFQM schématisée par la figure 3.

Tableau 8 : Les variables « résultats » de sécurité du modèle EFSM Résultats pour le

personnel

Résultats pour les clients Résultats pour la collectivité Résultats organisationnels globaux - Motivation du personnel envers la sécurité - Amélioration des connaissances relatives à la sécurité ; - Meilleures réponses aux exigences des clients relatives à la sécurité; - Amélioration de la satisfaction des clients ; … - Perceptions d’une absence d’impact négatif de l’activité sur son personnel et sur la collectivité ; - Meilleures réponses

aux attentes des gouvernements, de la société civile et des populations ; - Image et réputation

positives de l’organisation auprès de l’opinion publique.

- Réduction des coûts financiers liés aux poursuites civiles et pénales ;

- Réduction des coûts des réparations des préjudices causés au personnel, à la population ou à l’environnement ; - Plus grande contribution

du personnel aux objectifs de sécurité ;

- Information à priori au sujet des points forts et des défaillances de l’organisation en matière de sécurité.

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Tableau 9 : Les facteurs en amont de la performance de sécurité du modèle EFSM

Leadership Personnel Politique et Stratégie Partenariats et

ressources

Processus

- Allocation de ressources humaines et financières nécessaires pour le SGS ; - Implication personnelle dans la

sécurité ;

- Intégration de la sécurité dans la prise de décisions stratégiques ;

- Comportements et attitudes de légitimation et d’encadrement souple du prescrit ;

- Comportements et attitudes de valorisation, de support organisationnel et de support à la crédibilité et à l'efficacité des organes et des personnes en charge de la sécurité. - Formations ; - Communication - Gestion des résultats indésirables ; - Politique incitative - Climat de travail - Culture juste - Formulation d’une politique de sécurité ; - Formulation d’objectifs de sécurité périodiques et mesurables;

- Intégration des objectifs de sécurité dans la politique

générale de

l’organisation ;

- Définition d’une stratégie d’action en cohérence avec cette politique - Adoption d’un plan de

prévention et d’un plan d’urgence ;

- Déploiement, revue et mise à jour de la politique de sécurité.

- Benchmarking : comparaison des actions et performances de sécurité avec des organisations

partenaires ;

- Collecte et intégration des attentes des partenaires dans la politique de sécurité ; - Allocation de

ressources financières et humaines à la mise en œuvre des actions d’amélioration de la sécurité.

- Processus de mise en place d’un système de documentation ;

- Processus de conformité réglementaire ;

- Processus d’analyse des risques

- Processus de création d’une culture informée ;

- Processus de contrôle interne de la sécurité ; - Etc.

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Les différentes sections de ce chapitre ont contribué à présenter le processus de construction d’un modèle décisionnel d’analyse de la culture de sécurité. Ce modèle est qualifié de décisionnel en référence à la typologie de Le Moigne (1987) et est conçu en vue de permettre le pilotage de la performance de sécurité. cet objectif principal a été décliné en quatre sous-objectifs : (i) permettre aux gestionnaires de s’informer sur le climat organisationnel de sécurité et sur les niveaux de performance de sécurité de leur organisation ainsi que celui des différents groupes qui y cohabitent, (ii) leur fournir des mesures permettant de comparer leur culture de sécurité à celles d’entités différentes quels que soient leurs secteurs d’activités et leurs problématiques de sécurité, (iii) fournir une explication aux différences de performances de sécurité individuelles ou de groupe et (iv) fournir des leviers organisationnels, psychologiques et comportementaux nécessaires pour piloter la performance de sécurité. Son originalité repose dans sa capacité à mettre en relation différentes dimensions de la culture de sécurité suivant une analyse de cause à effet.

Pour satisfaire ces objectifs nous partons du postulat formulé par Cooper faisant état de l’interaction entre les comportements en vigueur dans l’organisation, les éléments du SGS et des facteurs psychologiques internes aux individus. Nous en déduisons qu’il est possible de modifier la culture de sécurité d’une organisation, en particulier les comportements propices à la sécurité, à partir d’actions délibérées du management. La construction du modèle sert dès lors à identifier ces actions. Pour ce faire il a été nécessaire de sélectionner des théories dédiées à l’explication des comportements de l’individu au travail afin d’en extraire des facteurs explicatifs. Nous avons par conséquent emprunter aux théories psychologiques de la motivation au travail et notamment à la littérature sur le climat psychologique de sécurité (Griffin & Neal, 2000, Neal et al., 2000 ; Neal & Griffin, 2006) pour identifier les antécédents des comportements propices à la

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sécurité. L’analyse de ces facteurs a abouti à la formulation des hypothèses et à la construction d’un modèle théorique.

Puis, afin de rendre opérationnel ce modèle théorique, nous avons réalisé une adaptation du modèle d’excellence EFQM en le recentrant sur la gestion de la performance individuelle de sécurité. Le modèle construit identifie des leviers organisationnels et culturels liés au leadership, à la gestion du personnel, à la politique et la stratégie, aux partenariats et ressources et au processus qui peuvent être managés pour obtenir de meilleurs résultats en matière de sécurité.

Le chapitre a donc le mérite de fournir des pistes d’action à la fois pour gérer et pour évaluer le niveau de culture de sécurité dans une organisation. Il constitue une première réponse théorique au sujet de la façon de gérer la sécurité en vue d’obtenir une plus grande motivation du personnel et une meilleure connaissance de leur part des risques et des mesures de sécurité. Le chapitre 3 détaille le protocole d’expérimentation du modèle dans plusieurs contextes organisationnels.

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