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Chapitre 2: Proposition d'un modèle décisionnel de pilotage de la culture de sécurité : une approche fondée sur l’analyse

2.2. Les hypothèses et les variables du modèle

2.2.1. Le cadre théorique mobilisé

2.2.1.1.

Justification du choix du cadre théorique

De nombreuses théories sont généralement mobilisées en vue d’expliquer les comportements des individus en situation risquée, notamment la Protection Motivation Theory (Rogers, 1975, 1983; Maddux & Rogers, 1983), la Theory of Reasoned Action (Ajzen & Fishbein, 1980), la Theory of Planned Behaviour (Ajzen, 1991) ou les théories de l’acceptation du risque (Slovic, 1987 ; Starr, 1969 ; Tversky & Kahneman, 1981). Dans le domaine du fear appeals literature, d’autres modèles spécifiquement destinés à l’étude de la motivation des comportements dans le domaine de la santé ont été proposés.

Dans l’ensemble, comme l’observe Roussel (2000), ces théories permettent de répondre à la question suivante : qu’est-ce qui pousse ou qu’est-ce qui suscite la décision de l’individu de se comporter de telle ou telle façon selon le contexte, d’agir dans telle ou telle direction selon sa décision ou sous la pression exercée sur lui ? Elles ont été utilisées dans une variété de domaines notamment dans

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l’analyse et la compréhension des actions individuelles en fonction de la perception des menaces posées à l’individu lui-même (voir les études de Floyd, Prentice-Dunns & Rogers, 2000; Milne, Sheeran & Orbell, 2000; Neuwirth, Dunwoody & Griffin, 2000; Witte & Allen, 2000).

La question à laquelle elles répondent est également au centre de la préoccupation formulée dans cette thèse. Cependant, les théories suscitées n’ont servi qu’à expliquer les comportements à partir de facteurs psychologiques internes aux individus sans prendre en considération l’impact des facteurs de contexte. Elles sont dès lors de peu d’utilité dans cette étude dont l’objectif est d’identifier des leviers organisationnels, culturels et comportementaux nécessaires pour piloter la culture de sécurité. Notre cadre théorique doit pouvoir mettre en relation des actions du management et des comportements propices à la sécurité de manière à fournir une explication aux différences de performances individuelles de sécurité. En résumé, compte tenu de nos objectifs, les théories mobilisées doivent satisfaire aux critères suivants :

- permettre d’expliquer les comportements en lien avec la sécurité et en

contexte de travail.

- identifier des facteurs explicatifs se situant au-delà des forces internes et

des besoins personnels de l’individu en prenant en compte l’importance des caractéristiques de son environnement de travail.

- pouvoir mettre en relation des facteurs psychologiques, des facteurs

organisationnels et des facteurs comportementaux ayant un impact sur le niveau de sécurité.

Compte tenu de tous ces critères, la théorie de la performance de sécurité de Griffin & Neal (1997 ; 2000) nous a semblé pertinente à plusieurs égards. Tout d’abord parce qu’elle permet d’expliquer spécifiquement la performance individuelle de sécurité, mais aussi parce qu’elle mobilise à la fois des facteurs

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psychologiques (les perceptions, les attitudes, et la personnalité de l’individu) et des facteurs organisationnels à travers les dimensions du climat de sécurité. Dès lors, dans cette étude, c’est ce cadre théorique qui est privilégié. Nous restons par ailleurs, fidèles à Cooper en retenant le SGS comme principal facteur organisationnel. Or, la mise en œuvre d’un système de gestion de sécurité exige que des objectifs soient fixés dans le cadre de la définition et la mise à jour de la politique de sécurité. Par conséquent, nous ferons également appel à la théorie de la fixation des objectifs (Locke, 1968, Locke et al., 1981) qui propose d’expliquer l’effet des objectifs sur le comportement de l’individu au travail.

2.2.1.2.

La théorie de la performance de sécurité de Griffin & Neal

La théorie de la performance de sécurité de Griffin & Neal (2000) met en relation les antécédents, les déterminants et les composantes de la performance de sécurité. Elle propose un modèle fondé sur les théories de la performance au travail de Borman & Motowidlo (1993) et de Campbell et al. (1993).

Griffin & Neal font une distinction entre les composantes de la performance individuelle de sécurité, ses déterminants et ses antécédents. Les composantes de la performance représentent les principales dimensions des comportements des groupes de travail impliqués dans un travail donné. Le modèle intègre les deux dimensions de la performance de la sécurité présentées au chapitre précédent. Les déterminants de la performance de sécurité représentent les facteurs directement responsables des différences individuelles dans la conformité et la participation (Neal et al., 2000). Pour Griffin & Neal, ces déterminants sont les connaissances et la motivation. Les antécédents de la performance comprennent quant à eux des facteurs au niveau individuel comme la capacité, l'expérience et la personnalité, ainsi que des facteurs organisationnels ou de groupe, tels que le leadership, les normes du groupe, et le climat. Le climat de travail général et le climat de sécurité en particulier sont, par conséquent classés comme des antécédents de la

75 performance de sécurité.

Le modèle établit que le climat de sécurité et la personnalité de l’individu sont des antécédents qui influencent directement les déterminants que sont la motivation et les connaissances des travailleurs en matière de sécurité. Ces derniers, en retour influencent directement la performance individuelle de sécurité. Neal et al. (2000) ajoutent que les connaissances et la motivation ont des effets différents sur les différentes composantes de la performance. Selon eux, les connaissances et les compétences en matière de sécurité devraient avoir une relation plus forte avec la conformité qu’avec la participation. Les auteurs susmentionnés soutiennent leurs hypothèses en arguant qu’un individu doit comprendre comment exécuter un travail de manière sécurisée et avoir les compétences requises pour être en mesure de le faire. Les connaissances et les compétences sont donc la condition nécessaire pour se conformer aux procédures de sécurité. De même, la motivation aurait une relation plus forte avec la participation qu’avec la conformité, puisque les activités participatives sont souvent volontaires, alors que la conformité est généralement obligatoire. Les connaissances et les compétences en matière de sécurité sont donc susceptibles d’être moins importantes pour les activités de participation qui, elles, dépendent davantage de la motivation de l’acteur.

En vue d’expliquer le processus qui active, oriente, dynamise et maintient le comportement des individus dans le sens de la réalisation des objectifs de sécurité, Neal & Griffin (2006) convoquent un certain nombre de mécanismes

théoriques issues de la théorie de l’expectation24

de valence (Vroom, 1964) et la théorie de l’échange social (Blau, 1964).

La théorie de l'expectation de valence repose sur un principe de base qui trouve son origine dans les travaux de Tolman (1932) et de Lewin (1936). Suivant ce

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L'expectation est la probabilité perçue par l'individu qu'une action de sa part engendre une conséquence ou lui permette d’atteindre un niveau d'objectif donné.

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principe, le comportement est déterminé par la valeur subjective des buts que l’individu poursuit et par les attentes de l’individu de voir son comportement produire les résultats recherchés. L’individu au travail essaie de maximiser l'affect positif et de minimiser l'affect négatif en adoptant des comportements visant à l'obtention de résultats associés à la plus grande valeur ou utilité globale positive perçue (Kanfer, 1990). Cette théorie prédit en conséquence que les employés seront motivés à se conformer aux procédures de sécurité et à participer à des activités de sécurité s’ils croient que ces comportements vont conduire à des résultats positifs.

La théorie de l’expectation de valence rejoint dès lors celle de la fixation des objectifs (Goal Setting Theory) qui, se préoccupe de comprendre comment la fixation des objectifs peut avoir un impact sur le comportement des individus au travail. Développée par Locke (1968), elle pose comme postulat de départ que les individus se comportent de façon rationnelle et consciente et ont en outre des buts qu'ils essaient consciemment d'atteindre. Pour ses auteurs, les objectifs seraient déterminés par des processus cognitifs et des réactions affectives et seraient les antécédents qui influenceraient le plus fortement le comportement. Locke et al. (1981) concluent que la fixation des objectifs dans une organisation améliore la performance des employés lorsque : (i) ces employés considèrent qu’ils ont les capacités nécessaires pour atteindre ces objectifs ; (ii) un feed-back est mis en place ; (iii) des récompenses sont données lorsqu'un objectif est atteint ; (iv) l'encadrement de l'organisation soutient les objectifs de ses subordonnés et collabore aux programmes de fixation des objectifs ; (iv) les employés acceptent les objectifs qui leur sont fixés sur la base de l'information qui leur est communiquée. La motivation peut dans ces conditions déclencher le comportement et le diriger vers la réalisation des objectifs à condition que les objectifs soient difficiles, précis et bien définis (Locke, 1968).

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que l'organisation est inquiète pour leur bien-être, ils vont développer une obligation implicite de rendre la pareille en réalisant des comportements qui profitent à l'organisation. Cette théorie puise ses racines dans le cadre de la relation historique entre les climats sociaux artificiels et les comportements qui en découlent chez les travailleurs (Lewin, 1951). Elle est fondée sur l’hypothèse de l’existence d’une relation sociale de réciprocité entre les travailleurs et leur

entreprise (Savoie & Brunet, 2000). Le climat de travail25 en général et le climat

de sécurité en particulier sont les meilleurs prédicteurs de l’engagement et/ou de son contraire, le désengagement du travailleur à l'endroit de l’organisation (Savoie & Brunet, 2000).

Dans la littérature de sécurité, Hofmann & Morgeson (1999) ont fait valoir que lorsque les employés travaillent dans un environnement où la sécurité est une préoccupation, ils jugent utile d’y contribuer en se conformant aux procédures de sécurité établies. La perception du climat de sécurité reflète les croyances des employés au sujet de la priorité que l’organisation accorde à la sécurité et ces perceptions informent des attentes en termes de comportement (Zohar, 1980). Le cadre théorique ayant été précisé il convient à présent de dire en quoi notre étude se distingue des études antérieures ayant mobilisées le même cadre théorique. Notre particularité repose sur le choix des dimensions du climat de sécurité à étudier. La présentation des dimensions choisies et des motivations de ce choix fera l’objet de la sous-section suivante.