• Aucun résultat trouvé

MATURITÉ DU SGS

1.3. L’évaluation de la culture de sécurité

1.3.2. L’approche par les grilles de maturité

60

(1993), plusieurs auteurs (AIEA, 2002a; Fleming 2001; Hudson, 2001; Reason, 1997; Parker, Lawrie et Hudson, 2006) ont développé des grilles décrivant les phases progressives de la gestion de la sécurité dans un continuum allant des pratiques des organisations qui n'ont pas du tout de culture de sécurité à celles qui sont clairement avancées, telles que les HRO (Hopkins, 2006). Ces grilles permettent la génération d'un profil de la culture de sécurité de l'organisation en termes de domaines de forces relatives et de défis, et peuvent être utilisés pour identifier les questions de réflexion pour le changement et l'amélioration de la culture (Parker, 2009).

On peut toutefois reprocher aux grilles de maturité leur caractère normatif au détriment du caractère contingent de la sécurité. Elles évaluent les pratiques de gestion de la sécurité d’une organisation en se référant à un cadre établi alors qu’il n’y a pas une seule et bonne façon (un « one best way ») de faire la sécurité (Chevreau & Wybo, 2007, p.173). La sécurité est dynamique et encours de négociation constante en fonction de l’évolution des conditions d’exploitation, des demandes et des ressources (Besnard & Hollnagel, 2014). Les grilles de maturité supposent sans en évaluer les résultats ou le « produit » (Cooper, 2000), que les caractéristiques du niveau de maturité « continu » (chez Flemming, 2001) ou « générative » (chez Reason, 1997, Hudson, 2001 et Parker et al., 2006) correspondent à un niveau de culture supérieur. Ainsi, elles adoptent une approche d’obligations de moyens, en précisant « ce qu’il faut faire » pour développer un « produit » (la sécurité), au détriment d’une approche d’obligation de résultats puisqu’elles ne mesurent pas ce « produit » (La performance de la sécurité qui en résulte). Elles sont dès lors inefficaces pour analyser les relations d’'influence réciproque entre les systèmes de gestion de la sécurité (SGS) et la performance de sécurité atteinte.

61

1.3.3. L'approche ethnographique

La recherche ethnographique provient de l'anthropologie où les chercheurs se plongent pendant de longues périodes dans la culture à laquelle ils s'intéressent et fournissent des descriptions qualitatives détaillées de ce qu'ils observent (Geertz, 1993). Les tenants de l’approche ethnographique adoptent la position épistémologique selon laquelle l’organisation « est » une culture et à cet effet, la culture ne peut qu’être observée et interprétée (Par exemple Denison & Mishra, 1995; Gordon & DiTomaso, 1992; Hofstede, Neuijen, Ohayv & Sanders, 1990). Cette méthode est souvent utilisée par les sociologues pour étudier les organisations et leurs cultures (Hopkins, 2006). Elle a par exemple permis d'étudier la culture de sécurité dans les HRO entre autres. Des chercheurs ont passé beaucoup de temps sur les porte-avions, dans les centrales nucléaires et dans les salles de contrôle de la circulation aérienne identifiant les éléments de la culture de ces organisations qui contribuent aux opérations fiables (Laporte & Consolini, 1991; Weick & Sutcliffe, 2001). En s'immisçant dans l'environnement étudié, le chercheur peut écouter les principaux symboles verbaux comme des métaphores, des mythes et des récits, ainsi que le sens et les interprétations concernant les aspects centraux de la sécurité. Accessoirement, elle permet au chercheur d'observer les actions exprimées dans une forme rituelle et de capturer et interroger des éléments de compréhension et les pratiques quotidiennes normalisées ou devenus routines (Richter & Koch, 2004).

Toutefois, l'étude ethnographique de la culture d'une organisation exige que le chercheur y passe beaucoup de temps, soit comme un observateur participant, par exemple un employé, ou en tant qu'observateur non-participant (Hopkins, 2006). Le principal inconvénient est qu'elle est couteuse et chronophage (Choudhry et al., 2007 ; Hopkins, 2006), ce qui rend complètement impossible pour le chercheur d'espérer comparer la culture de sécurité de plusieurs organisations.

62

Ce premier chapitre a présenté les contours de la notion de culture de sécurité. L’étude de la sémantique du mot culture a permis de montrer comment il a émergé des travaux d’anthropologues avant de devenir une thématique centrale des sciences de gestion. La définition du mot sécurité a ensuite permis de clarifier notre positionnement dans les débats opposant d’une part les concepts de « safety » et de « security » et d’autre part la « sécurité à priori » et la « sécurité à postériori ». L’analyse de l’importance de la culture dans la préservation de la sécurité a permis de souligner le rapprochement entre les mots « culture » et « sécurité » ayant contribué à l’émergence du concept de « culture de sécurité ». Face à la pluralité des définitions de ce concept dans la littérature scientifique et professionnelle, c’est la définition de Cooper (2000) qui a été retenue. Le choix de cette définition a été motivé par le fait que Cooper la présente comme le résultat de l’interaction entre trois groupes de facteurs : psychologiques, comportementaux et organisationnels. Une conception de la culture de sécurité qui présente l’avantage de rendre possible l’étude des relations entre ses différentes dimensions et l’analyse de la façon dont chacune d’elles influence des mesures de performance de la sécurité. Cet avantage est particulièrement important dans cette étude dont l’objectif est d’analyser la façon dont les facteurs organisationnels interagissent avec la performance organisationnelle de sécurité. Chacun des déterminants de la culture de sécurité a ensuite été défini. Les facteurs psychologiques ont été associés à la notion de climat de sécurité en prenant la peine de noter la différence avec la culture de sécurité d’une part et de préciser la différence entre climat individuelle de sécurité et climat organisationnelle de sécurité d’autre part. Les facteurs comportementaux ont été rattachés à la notion de performance individuelle de sécurité. Nous avons constaté que le modèle de performance de sécurité le plus célèbre, celui de Griffin & Neal (2000) a le défaut de présenter la conformité comme le seul moyen de travailler de façon sécurisée. En nous appuyant sur les travaux des auteurs comme Besnard & Hollnagel (2012,

63

2014), Daniellou, et al. (2010), Hollnagel (2014) et Reason (1997, 1998) nous réalisons une critique de ce modèle et proposons une nouvelle définition et une nouvelle catégorisation de la performance individuelle de sécurité. Ensuite, les facteurs organisationnels ont été réduits au système de gestion de la sécurité. La combinaison des travaux de Cambon (2007) et de Zwetsloot (2000) nous ont permis de présenter un modèle synthétique des niveaux de maturité du SGS. Le SGS est dès lors mature lorsqu’il est constitué d’un ensemble de composantes inter-reliées – politiques, règles, procédures, directives, instructions de travail, structures, techniques ou méthodes, …formelles et informelles – et interdépendantes les unes des autres, arrangées et sans cesse améliorées par les gestionnaires dans le but de maintenir et d’améliorer la performance de sécurité. Dans la dernière section de ce chapitre, nous réalisons un tour d’horizon des approches de mesures de la culture de sécurité. L’analyse critique de l'approche des indicateurs de performance à postériori de la sécurité, de l'approche par les grilles de maturité et de l'approche ethnographique constitue une première tentative de justification du recours à la méthode d’enquête.

Globalement, ce chapitre a le mérite de clarifier les principaux concepts qui seront utilisés dans les chapitres suivants. Il permet en particulier de clarifier le concept de comportements propices à la sécurité et donc d’enrichir la définition de la notion de culture de sécurité. En étendant la liste des comportements propices à la sécurité, ce chapitre a montré qu'il reste des questions importantes pas encore abordées dans la littérature sur la culture de sécurité. Notamment celle qui porte sur le processus par lequel les facteurs organisationnels influencent chacune des composantes de la performance individuelle de sécurité des travailleurs. En effet, aucune étude n’aborde la relation entre les perceptions du SGS, conçu comme une dimension du climat de sécurité, et les comportements propices à la sécurité des travailleurs. Le chapitre 2 tente de combler cette lacune en proposant un modèle de pilotage de la culture de sécurité.

65

Chapitre 2: Proposition d'un modèle décisionnel de pilotage