• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Cadre théorique

2.2. La figure de l’omnivore de Peterson

2.2.7. Les types d’omnivores

Comme Peterson l’a laissé entendre, les omnivores ne constituent pas un groupe parfaitement homogène et ils se déclinent en différents types. Les résultats des travaux de recherche de Coulangeon (2003), de Bellavance, Valex et Ratté (2004), de Warde, Wright et Gayo-Cal (2007) et d’Emmison (2003), entre autres, vont dans ce sens.

78 2.2.7.1. Les travaux de Coulangeon

La mise en exergue par Coulangeon (2003) de cinq classes d’individus selon leurs caractéristiques sociodémographiques « souligne bien la persistance de phénomènes de stratifications sociale, culturelle et générationnelle des goûts dont le degré d’éclectisme ne constitue qu’une dimension (p. 18). Dans ce classement, les individus d’aucune des cinq catégories ne démontrent un « éclectisme tous azimuts », ce qui l’incite à distinguer deux formes d’éclectisme : l’éclectisme éclairé et l’éclectisme indistinct. Pour ce chercheur, l’éclectisme éclairé « demande, pour conserver ses propriétés distinctives, à ne pas s’exercer de manière indifférenciée » (p. 18). Il s’agirait d’ancrer ses goûts omnivores dans une combinaison de genres plus ou moins rares. Coulangeon ajoute que, dans le domaine de la musique, « seul l’éclectisme “éclairé” constitue en effet une modalité particulière du raffinement esthétique » (p. 18). À l’opposé, l’éclectisme indistinct constitue « la disqualification la plus radicale de la compétence et du “bon goût” (Menger, 1986) » (Coulangeon, 2003, p. 18). Les personnes affichant cette forme d’éclectisme manquent de connaissances, rejettent les classements ou ne sont tout simplement pas en mesure de faire des choix (Ollivier et Gauthier, 2007).

2.2.7.2. Les travaux de Bellavance, Valex et Ratté

Dans un article traitant de l’analyse des répertoires culturels des nouvelles élites omnivores, Bellavance et al. (2004) mentionnent que « la prise en compte [du] jeu entre répertoire et usage du répertoire permet en outre d’affiner [les] notions d’éclectisme et d’“omnivorisme” » (p. 41). Sur le plan théorique, ils distinguent ainsi quatre grands profils :

1- répertoire limité à la fois en matière de composition du répertoire (disciplines et genres descriptifs) et de l’usage de ce répertoire (plan symbolique);

2- répertoire éclectique sur le plan de sa composition, mais exclusif sur le plan de l’usage;

79

3- répertoire exclusif sur le plan de la composition, mais éclectique sur le plan de l’usage;

4- répertoire éclectique sur les plans de la composition et de l’usage.

On reconnaît dans le premier profil l’univore décrit par Peterson et, dans le quatrième, l’omnivore. Par ailleurs, comme Bellavance et al. (2004) le mentionnent eux-mêmes, les deux autres profils doivent être mieux définis :

L’éclectique de type 2 correspondrait ainsi à une sorte d’omnivore puriste, hyperactif en matière de consommation, mais puriste en matière de goût. L’éclectique de type 3 serait au contraire un spécialiste (soit mélomane, grand lecteur, collectionneur, etc.) mais très ouvert en matière de genre (pouvant s’intéresser à des œuvres mineures / majeures, nouvelles / anciennes, populaires / sérieuses, etc.) à l’intérieur de sa forme d’art préférée (p. 41).

Sans prétendre que leur approche permettra de dégager un modèle généralisable de l’omnivore, ils souhaitent plutôt mieux comprendre le sens des goûts des omnivores. La réalisation d’entrevues auprès d’un échantillon d’hommes les a amenés à conclure que, bien que tous qualifiés d’omnivores, ils ne font pas partie de la même communauté de goûts. De plus, « ils ne prétendent manifestement pas de la même manière, au nom des mêmes valeurs, et ne livrent pas combat avec les mêmes arguments » (p. 53). Les différents registres que les entrevues ont fait émerger font douter qu’on puisse déterminer si une forme de goût peut imposer sa supériorité, sa légitimité (Bellavance et al., 2004). Selon qu’une enquête mise sur la connaissance, le succès d’entreprise ou l’émotion, elle donnera raison à l’un ou à l’autre.

Les analyses de Bellavance et al. dressent en outre un constat voulant que la figure de l’omnivore « renvoie peut-être à une tendance de fond, mais qui recouvre plusieurs possibilités différentes. L’“omnivorisme” peut en effet se distribuer de façon très inégale au sein d’une même élite » (p. 55). Les causes possibles de ces différences sont notamment une distribution inégale du capital culturel, des habitus différenciés et la biographie personnelle des individus (Bellavance et al., 2004).

80

2.2.7.3. Les travaux de Warde, Wright et Gayo-Cal

Dans le cadre de leurs travaux de recherche, Warde et al. (2007) ont identifié des individus omnivores par volume (sur le plan de la participation, des goûts et des connaissances) à partir d’un sondage. Ils les ont ensuite interviewés afin d’évaluer la force du lien entre une vaste participation culturelle et la notion d’omnivore. L’examen des résultats du sondage et du matériel des entrevues les amène à distinguer quatre formes distinctes d’ « engagement » culturel, sans toutefois prétendre qu’elles constituent un modèle généralisable :

1- le professionnel, qui manifeste des préférences discriminantes autant pour la culture savante que la culture populaire et une connaissance particulière des différences entre les genres et au sein d’un genre. Il est celui qui ressemble le plus à l’omnivore décrit par Peterson;

2- le dissident, qui accorde de la valeur à un large éventail de pratiques, brise les barrières et les hiérarchies et défie les forces qu’il perçoit comme tentant de « garder les personnes à leur place »;

3- l’apprenti, qui accorde lui aussi de la valeur à un large éventail de pratiques et qui traverse les barrières culturelles, mais du bas vers le haut. Il s’agit donc d’un individu disposant d’un capital culturel relativement petit, qui n’occupe pas une position sociale élevée et qui participe, ou du moins qui tente de participer, à des activités habituellement associées à la culture savante, en plus de participer à des activités culturelles populaires;

4- le sans prétention, qui obtient un score élevé sur l’échelle de la connaissance, mais dont la compétence ne se traduit par aucune forme distinctive d’engagement.

Bien que cette classification ne puisse être adoptée en tant que modèle unique de l’omnivorité, elle met elle aussi en lumière, à l’instar des résultats des travaux de Coulangeon et de Bellavance et al., la nécessité de mieux appréhender les visages multiples à l’omnivorité.

81 2.2.7.4. Les travaux d’Emmison

Dans le cadre de ses travaux sur la mobilité culturelle, Emmison mentionne que les omnivores peuvent être catégorisés selon différentes caractéristiques. Il les a regroupés selon le nombre de genres musicaux appartenant à la culture d’élite ou populaire appréciés par les individus. Il identifie d’abord le highbrow omnivore, individu dont deux des genres musicaux préférés sont de statut élevé (par exemple la musique classique et l’opéra) et un se situe dans le statut peu élevé (par exemple le country, le western, le rock). Il identifie également le lowbrow omnivore; parmi les trois types préférés de musique de ce type d’omnivore, deux proviennent du statut peu élevé et un du statut élevé. Finalement, les trois genres musicaux privilégiés par l’omnivore idéal typique appartiennent à chacun des types purs de goûts. Emmison mentionne que l’on peut identifier nombre d’autres types d’omnivores selon les combinaisons de leurs préférences.