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Chapitre 1 : Problématique

1. Problématique générale

1.1. Une culture ou des cultures ?

1.1.3. Polarité entre culture populaire et culture classique ou savante

1.1.3.1. Culture populaire

Plusieurs auteurs, dont Pasquier, soulignent la difficulté à définir la culture populaire : « Par des acteurs? Par un type d’objets ou de contenus? Faut-il la caractériser par opposition à d’autres formes culturelles? » (2005, p. 61). La définition qu’on donne de la culture populaire

6 C’est pourquoi, par exemple, nous préférons l’expression « pratique légitimée » à « pratique légitime ». Cette

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dépend évidemment de celle qu’on propose des concepts de culture et de populaire lorsqu’on les considère séparément (Storey, 2009). Il paraît logique que ce qu’on entend par culture populaire constitue une hybridation de définitions et de perspectives. Nous avons déjà présenté différentes acceptions ou perspectives du concept de culture; quant au concept de populaire, Williams (1983) en propose quatre définitions. Selon lui, pourrait être populaire ce qui est aimé par un grand nombre de personnes; un genre inférieur de travail; un travail exposé délibérément pour gagner la faveur du public; la culture faite par le peuple pour le peuple. La locution « culture populaire » peut avoir des acceptions multiples, qui ne se limitent pas à celles énoncées par Williams. En effet, elle peut aussi être conçue comme « un bien commun (siècle des Lumières) et également comme un signe distinctif de classe (E. Goblot et P. Bourdieu) » ou alors être « associée au style de vie propre à certaines catégories sociales (R. Hoggart) » (Mouchtouris, 2007, p. 41-42). Elle pourrait tantôt référer à la culture traditionnelle, orale, paysanne et industrielle ou de masse (Lemieux, 2002).

Un survol de quelques changements sociaux survenus au cours des 19e et 20e siècles permet

de mieux comprendre les débuts de l’utilisation de l’expression « culture populaire ». Parmi eux, notons l’exode rural. Pour certains auteurs comme Montpetit (1982) et Mouchtouris (2007), l’invention de cette expression émanerait notamment de l’opposition entre le monde rural et le monde urbain. Avant l’industrialisation et l’exode rural qui en a découlé, il semble que la relation entre la culture populaire et la culture savante ne se posait pas, encore moins leur opposition (Montpetit, 1982). Ces deux formes de culture n’auraient cohabité qu’en ville, où les clivages sociaux se créent en fonction de la valeur accordée à certaines institutions ou pratiques culturelles. L’arrivée en milieu urbain de plusieurs milliers de personnes originaires de régions rurales a eu pour effet un mélange d’habitudes culturelles différentes. La confrontation de traditions dissemblables aurait fait émerger une discussion démocratique, mis à distance la culture première et permis la construction explicite d’une culture seconde. Cette dernière peut être considérée comme une reconstruction des traditions ou une réappropriation des pratiques culturelles (Mouchtouris, 2007).

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Bien entendu, ces changements sociaux, quoique majeurs, ne sont pas les seuls à avoir contribué à la naissance de l’expression « culture populaire ». Storey a inventorié six définitions de la culture populaire qui permettent d’entrevoir d’autres origines et acceptions de l’expression. La première serait d’y référer comme ce qui est largement privilégié ou aimé par un grand nombre d’individus. L’aspect populaire de la culture pourrait se mesurer par la vente d’objets culturels, comme des livres et des chansons, ou les taux de fréquentation de lieux culturels, de concerts, de spectacles ou de festivals (Storey, 2009). La seconde manière de concevoir la culture populaire, selon Storey (2009), est de l’opposer à ce qu’est la culture classique ou savante. Une fois défini ce qu’on entend par « classique » se retrouve dans le populaire tout ce qui n’a pas trouvé sa place dans la définition de la culture classique. Pour Mouchtouris, cette façon de voir la culture populaire serait tributaire de la sociologie du 20e

siècle. Selon la chercheuse, de culture authentique et autonome, la culture populaire a été associée à ceux n’appartenant pas à l’élite. L’analyse de la culture à partir des pratiques des élites contribue évidemment à réitérer et réifier une opposition entre cette culture légitime, valorisée, et la culture qui n’est pas celle de l’élite, la culture populaire. Dans cette façon d’envisager la culture, la culture populaire est vue comme étant commerciale et fabricable en série tandis que la culture savante serait le résultat d’un acte de création individuel (Storey, 2009).

Une troisième façon de définir la culture populaire est de la considérer comme de la culture de masse, c’est-à-dire complètement commerciale. Il s’agirait d’une production de masse pour une consommation de masse et, au surplus, passive (Storey, 2009). Sans entrer dans ce débat, plusieurs considèrent la culture américaine comme emblématique de la culture population (Storey, 2009).

La culture populaire peut aussi être vue comme la culture qui vient du peuple (Storey, 2009). De ce point de vue, elle est la culture folklorique, la culture du peuple pour le peuple (Storey, 2009). Il s’agit d’une définition de la culture populaire qui réfère à une conception très romantique de la culture de la classe ouvrière construite en tant que source de protestation

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dans nos sociétés capitalistes contemporaines. Une première difficulté avec cette approche est d’identifier qui se qualifie comme faisant partie du peuple. La seconde est que la nature commerciale de la plupart des ressources dont se compose la culture populaire est évacuée. En effet, les gens ne construisent pas la culture spontanément à partir de matériaux qu’ils ont produits. Les matériaux de base sont commerciaux.

Une cinquième définition de la culture populaire se fonde sur l’analyse politique de Gramsci et particulièrement sur son développement du concept d’hégémonie qui réfère à la façon dont les groupes dominants de la société cherchent à obtenir le consentement de groupes subordonnés, ce à quoi ils arrivent en manifestant un leadership moral et intellectuel. Les tenants de cette approche envisagent la culture populaire comme le lieu d’une lutte entre la résistance des groupes subordonnés et les forces d’incorporation, qui s’exercent pour satisfaire les intérêts des groupes dominants. Dans cette perspective, la définition de la culture populaire émergerait d’un terrain d’échange et de négociation entre les théoriciens de la culture de masse et le peuple, terrain marqué par la résistance et l’incorporation. C’est dans ce que Gramsci nomme « équilibre du compromis » que se meuvent les textes et les pratiques populaires. Le processus est historique puisque la culture est qualifiée de populaire à un moment et différemment à un autre. Il est aussi synchronique puisqu’il se déplace entre la résistance et l’incorporation. En somme, ceux qui appréhendent la culture populaire par le biais de la théorie de l’hégémonie tendent à la voir comme le terrain d’une lutte idéologique entre les classes dominantes et subordonnées, de même qu’entre les cultures dominantes et dominées.

La sixième et dernière définition de la culture populaire inventoriée par Storey relève du débat qui entoure le postmodernisme. Son élément majeur veut que la culture postmoderne ne reconnaisse pas la distinction entre la culture savante et la culture populaire. Certains y voient la fin d’un élitisme culturel construit sur une distinction arbitraire de la culture; d’autres, la victoire du commerce sur la culture (Storey, 2009).

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La culture populaire peut être vue comme un donné, c’est-à-dire un ensemble formé par les traditions et l’environnement familier d’un groupe (Dumont, 2005). Mais si la culture n’en est pas un et qu’elle ne se transmet pas dans son intégralité d’une génération à l’autre, il s’agit d’un construit, d’une production historique (Cuche, 2010). Cuche entrevoit cette culture comme « une construction qui s’inscrit dans l’histoire, et plus précisément dans l’histoire des rapports sociaux des groupes sociaux entre eux » (2010, p. 77). Ce serait le cas des cultures ouvrière et bourgeoise. Ce serait également le cas de la culture classique.