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Les mécanismes endogènes de modulation de la douleur

Dans le document Université de Sherbrooke (Page 20-24)

2.1 La neurophysiologie de la douleur

2.1.2 Les mécanismes endogènes de modulation de la douleur

Tel que mentionné précédemment, le message nociceptif est soumis à une série de mécanismes modulatoires lors de son trajet vers les centres supérieurs. Ces mécanismes sont susceptibles d’influencer la perception de la douleur (Millan, 2002). Il est possible de présenter ces mécanismes endogènes de modulation de la douleur en les divisant selon trois niveaux distincts; moelle épinière, tronc cérébral et centres supérieurs, présentés ci-dessous.

I. Niveau médullaire

La moelle épinière constitue l’un des premiers sites capables de moduler le message nociceptif. Dès son entrée dans la moelle épinière, l’information nociceptive peut être modulée de façon à diminuer la perception de la douleur ressentie. Cette idée, mise de l’avant pour la première fois par Melzack et Wall dans la désormais célèbre théorie du portillon, propose qu’au niveau des cornes dorsales de la moelle épinière, plus précisément au niveau de la substantia gelatinosa, se trouve des interneurones inhibiteurs qui, une fois activé par les fibres A-bêta (fibres non-nociceptives de gros calibres), viennent inhiber l’activité des fibres A-delta et C (fibres nociceptives) (Melzack et Wall, 1965). Cela fait donc en sorte de bloquer (partiellement ou en totalité) le message nociceptif, en l’empêchant de poursuivre son chemin vers les centres supérieurs, conduisant ainsi à une hypoalgésie locale (Melzack et Wall, 1965). Ce sont ces mécanismes qui explique le réflexe qu’on généralement les individus de frotter la région douloureuse après une blessure pour diminuer la douleur. Ainsi, le fait de frotter le gros orteil lorsque l’on frappe celui-ci sur le pied du lit, par exemple, stimulera les fibres A-bêta pour ainsi mener à l’activation des interneurones inhibiteurs (au niveau de la moelle épinière) et, par conséquent, à l’inhibition des fibres A-delta et C, provoquant une analgésie localisée au niveau de l’endroit où le frottement a été effectué.

Bien que cette théorie ait récemment été jugée trop simple pour expliquer ce mécanisme de modulation de la douleur (Moayedi et Davis, 2013 ; Chen, 2011), de nombreux écrits scientifiques ont appuyé les assises de cette dernière. Entre autres, des études ont permis de démontrer la capacité que possèdent les fibres de gros calibres à inhiber ou moduler les fibres C (Nathan et Rudge, 1974). Cette théorie a donc mis la table pour de nombreuses études

ayant, ultimement, permis d’accroître nos connaissances sur le phénomène de la douleur (Moayedi et Davis, 2013).

Outre ce mécanisme inhibiteur, la moelle épinière laisse également place à des mécanismes excitateurs de la douleur, dont la sensibilisation centrale. Médiée par une libération prolongée de glutamate, un neurotransmetteur relâché suite à l’activation des récepteurs NMDA (N-méthyl-D-aspartate), la sensibilisation centrale est la résultante d’une dépolarisation des neurones nociceptifs spinaux de deuxième ordre, situés dans la corne dorsale de la moelle épinière, menant à une réponse nociceptive accentuée (hyperalgésie) ou à une réponse exagérée d’un stimulus initialement non douloureux (allodynie) (Granot, 2009 ; Marchand, 2008). La sommation temporelle est l’une des mesures fréquemment utilisées en recherche afin d’évaluer l’activation des mécanismes excitateurs ascendants de la douleur (Weissman-Fogel et al., 2009). De fait, la sommation temporelle reflète l’activité des fibres nociceptives de types C. De manière très simpliste, la méthodologie employée afin de mesurer ce phénomène consiste à induire une stimulation douloureuse tonique ou répétée (thermique, mécanique, etc.) de façon à produire une première douleur (fibres A-delta) et une seconde douleur (fibres C) qui sera prolongée dans le temps, due à la conduction lente de ce type de fibres (Basbaum et Thomas, 2013 ; Marchand, 2008). Ainsi, l’augmentation de l’intensité de la seconde douleur sera définie comme étant la mesure de la sommation temporelle.

II. Niveau du tronc cérébral

Quelque temps après que Melzack et Wall aient publié leur théorie du portillon, l’équipe de Reynolds a mis de l’avant le fait que la modulation de la douleur peut également avoir lieu au niveau du tronc cérébral par l’entremise de différentes structures (Reynolds, 1969). La substance grise périaqueducale (SGPA) ainsi que la partie ventrale du bulbe rachidien (NRM) ont été identifiées comme étant les structures à l’origine des voies descendantes sérotoninergiques et noradrénergiques respectivement (Le Bars et al., 1979a). Or suite à une stimulation douloureuse, le message douloureux empruntera la voie spinoréticulaire afin d’activer la SGPA et le NRM qui, une fois activés, vont envoyer des efférences inhibitrices via les voies descendantes nommées ci-haut vers différents segments de la moelle épinière occasionnant ainsi une analgésie diffuse dans l’ensemble du corps (Le Bars et al., 1979a).

L’analgésie engendrée est principalement due à la libération de neurotransmetteurs dont la sérotonine et la noradrénaline, provenant des voies descendantes, qui activeront au passage les interneurones GABAergiques et enképhalinergiques (au niveau de la moelle épinière) responsables de bloquer la transmission du message nociceptif du neurone de deuxième ordre vers les centres supérieurs (Le Bars et al., 1979b ; Marchand, 2008). L’effet analgésique diffus obtenu est, entre autres, attribuable aux opioïdes endogènes, libérés suite à la stimulation des interneurones enképhalinergiques. En effet, puisque les récepteurs opioïdergiques sont présents en grande quantité et localisés dans l’ensemble du corps humain, la réponse analgésique engendrée est généralisée (Fields et Heinricher, 1985 ; Fields et Basbaum, 1978). L’ampleur de la réponse analgésique sera proportionnelle à l’intensité du stimulus nociceptif, sa durée ainsi que de la superficie corporelle stimulée (Bouhassira et al., 1995). Longtemps connus sous le nom des mécanismes de contrôle inhibiteur diffus nociceptif (CIDN), ces mécanismes inhibiteurs descendants sont dorénavant appelés les CPM (de l’anglais Conditioned Pain Modulation), terminologie revue par Yarnitsky est ses collaborateurs en 2010 (Yarnitsky et al., 2010).

III. Niveau des centres supérieurs

Les centres supérieurs se trouvent à être le troisième et dernier niveau capable de moduler le message nociceptif. Au cours des dernières années, plusieurs études ont montré que certains mécanismes issus des centres supérieurs ont d’importants rôles à jouer dans le contrôle de la douleur. Utilisant des techniques de neuroimagerie, ces études ont identifié certaines régions corticales, telles que les cortex SI et SII, le CCA ainsi que l’insula (ensembles nommé la Pain Matrix), comme étant impliquées dans la perception de la douleur (Marchand, 2008). Le thalamus figure également parmi les structures cérébrales importantes impliquées dans la modulation de la douleur. Tel que vu précédemment, cette structure joue un rôle clé dans l’intégration des informations nociceptives provenant des voies ascendantes spinothalamique (SI et SII) et spinoréticulaire (CCA et insula) liées aux composantes sensorielles et émotionnelles de la douleur (Marchand, 2004). Néanmoins, tout porte à croire qu’elles ne sont pas les seules régions à être impliquées dans la modulation de la douleur; cet aspect sera discuté au cours des prochaines sections.

Reste qu’il ne fait aucun doute, l’implication de ces différentes structures cérébrales entre en jeu lorsque l’on parle de manipulations cognitives comme la distraction, l’hypnose ainsi que les attentes (Damien et al., 2018 ; Marchand, 2008). L’hypnose, par exemple, peut moduler la composante sensoridiscriminative (SI) en plus de la composante motivo-affective (CCA) de la douleur (Hofbauer et al., 2001 ; Rainville et al., 1997). En effet, Rainville et ses collaborateurs ont montré que, selon la suggestion qui est donnée lors de l’hypnose, les participants peuvent percevoir différemment (soit positivement ou négativement) l’intensité et l’aspect désagréable d’un même stimulus nociceptif (Rainville et al., 1999). Outre l’hypnose, l’effet placebo est un autre bel exemple de modulation de la douleur médié par les centres supérieurs. L’effet placebo est un phénomène complexe faisant intervenir plusieurs structures cérébrales dont le cortex préfrontal (dorsolatéral et ventro-médian) mais également certaines structures du tronc cérébral telles que la SGPA ainsi que la région rostroventrale du bulbe rachidien (Anne-Claire N, 2020 ; Wager et Atlas, 2015). Médié en partie par les systèmes opioïdergiques et dopaminergiques, cet effet implique également le CCA, l’insula et l’amygdale (activation de la libération d’opioïdes; régions qui seraient responsables de l’activation des mécanismes inhibiteurs descendants de la douleur) (Anne-Claire N, 2020 ; Lau et Vaughan, 2014), et le noyau accumbens (activation de la libération de dopamine;

région impliquée dans le système de récompenses et cruciale dans la réponse placebo) (Anne-Claire N 2020 ; Wager et Atlas, 2015). Fortement influencé par les attentes, l’effet placebo peut s’avérer très efficace en contexte clinique (Amanzio et al., 2001).

Tel que résumé au cours des dernières sous-sections, il est possible de constater que la douleur est un phénomène dynamique faisant intervenir une multitude de structures neuronales et cérébrales afin de bien réguler les mécanismes inhibiteurs et excitateurs de la douleur. Toutefois, de nombreuses études mettent de l’avant l’hypothèse qu’un manque d’équilibre entre ces deux types de mécanismes serait à l’origine de certaines douleurs chroniques.

Dans le document Université de Sherbrooke (Page 20-24)