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Les limites à la liberté d’expression des mineurs

Dans le document LA PROTECTION DU MINEUR DANS LE CYBER ESPACE (Page 113-117)

2-b. La communication privée du mineur

B. Les limites à la liberté d’expression des mineurs

Contrairement à ce qui a parfois été soutenu ou espéré, l’exercice de la liberté d’expression ne se conçoit pas sans limites sur Internet. La liberté d’expression exercée par un mineur peut au même titre que celle des internautes en général, donner lieu le cas échéant à la mise en cause de sa responsabilité338.

Une position classique s’inspirant du Premier amendement de la Constitution américaine affirme que la liberté d’expression se régule dans le débat et ne devrait donc pas souffrir d’interventionnisme notamment étatique. Pour d’autres, l’absence de régulation et de réglementation pourrait être source d’atteintes irréparables aux libertés de tous. Le caractère absolu de la liberté d’expression doit se trouver confronté à des limites induites par la nature même des sociétés démocratiques qui se sont bâties sur le respect des libertés d’autrui : c’est la position européenne et française en particulier339.

1. L’autorégulation de la liberté d’expression sur Internet par le

mineur.

L’image ou la parole du mineur ne peut être diffusée sans l’autorisation préalable du ou des titulaires de l’autorité parentale conformément à l’article 99 du code civil et aux règles qui régissent l’autorité parentale. Le seul consentement du mineur capable de discernement demeure insuffisant340. En pratique le respect de ces conditions pour l’exercice de la liberté d’expression du mineur n’est pas facile à mettre en œuvre eu égard à l’instantanéité des relations ayant cours sur Internet ; les contenus d’Internet étant très volatiles, transfrontaliers, intemporels.

338 A. Lepage, Libertés et droits fondamentaux à l’épreuve d’Internet, préc., p.57. 339 Isabelle Falque-Pierrotin ; La liberté d’expression dans la société de l’information.

http://www.foruminternet.org/telechargement/forum/disc-unesco20021115.html

340 Mise en œuvre de la Convention internationale des droits de l’enfant en France et action du gouvernement en faveur de la situation des dans le monde. IV Libertés et droits civils.

113 Dès sa création, autant les créateurs que les utilisateurs de la Toile ont misé sur l’autorégulation de la liberté d’expression. L’idée était d’éviter une intrusion règlementaire qui aurait été assimilée à de la censure341. Malgré l’évolution de la réglementation sur le cyberespace, la crainte de la censure ressurgit dès lors qu’il est question de réglementation dans et sur le cyberespace. Les anciens comme les nouveaux usagers du cyberespace continuent de rêver à un espace totalement libre ne souffrant aucune limite si ce n’est une régulation « dans le débat »342. Cette position n’est pas uniquement attribuable à la conception américaine. Les pères fondateurs d’Internet avaient un penchant avoué pour cette position. Les internautes sont historiquement hostiles à la censure sous toutes ses formes de la liberté d’expression sur Internet. La seule limitation qu’ils entendent tolérer est celle qui vient de la « communauté des internautes » et qui est définie par eux. Ils entendent « séparer le bon grain de l’ivraie » par l’éthique dont tout internaute devrait faire preuve dans le cyberespace.

S’agissant du statut particulier du mineur, aucun texte mis à part la Convention internationale de droits de l’enfant de 1993 en son article 13, ne consacre expressément la liberté d’expression du mineur. On a déduit la liberté d’expression du mineur de la liberté d’expression de l’individu en droit commun. Des aménagements restent nécessaires quant à l’exercice de la liberté d’expression du mineur dans le cyberespace. La liberté d’expression du mineur dans le cyberespace bien que réelle, souffre de limites issues du droit commun et du droit spécifique régissant le statut des mineurs. Par exemple, même au nom de sa liberté d’expression le mineur n’est pas autorisé à consulter des sites notoirement pornographiques, ou ayant un contenu réservé aux adultes. Il n’a pas non plus le droit de faire usage de sa liberté d’expression pour nuire à autrui.

Cette autorégulation ou plutôt autocensure du mineur suppose qu’il maîtrise d’une part les règles de bonne conduite posées par la “Netiquette”, mais aussi et surtout qu’il soit un internaute « citoyen », qu’il se dispense de propos licencieux, injurieux, diffamatoires. Comment attendre une telle maîtrise de soi des mineurs là où même les adultes dans leur majorité ne présentent pas cette qualité de probité. Cela suppose un internaute mineur mais

341 « Beaucoup d’internautes affirment un attachement très fort à la liberté d’expression érigées en principe fondateur. Internet est vécu comme un espace de liberté d’expression et d’échange où toute velléité d’intervention des Etats est à regarder avec méfiance » ; Christian Paul, Rapport au Premier ministre, Du droit et des libertés sur Internet, Collection des rapports officiels, La documentation française 2001, p.33.

114 conscient de ses droits et devoirs envers autrui de même que de ses responsabilités. Dans la « vie réelle » nul ne prétend laisser une autonomie au mineur telle qu’il puisse s’autocensurer et prendre la pleine mesure de ses actes et des conséquences qui en découlent, c’est pour cette raison qu’il existe des règles pour protéger les mineurs d’autrui et d’eux-mêmes. « La vie virtuelle » ne saurait être soumise à des règles différentes, ce d’autant plus que les risques bien que différents sont aussi grands et lourds de conséquences. Même si « nul n’est sensé ignoré la loi », les mineurs du fait de leur vulnérabilité intrinsèque ne peuvent être tenus aux mêmes devoirs qu’un adulte ; en outre les mineurs n’ont pas la même maturité même à âge égal.

Il y a des internautes très jeunes343 qui ne disposent pas encore d’une capacité propre à leur conférer un bon discernement dans la « vie réelle » et a fortiori sur le Web. Toutefois la capacité de discernement ne fait pas tout, certains mineurs en disposent mais n’en demeurent pas moins vulnérables sur la Toile. Ils ne maîtrisent pas tous les arcanes des droits et devoirs qui doivent s’appliquer à eux sur la Toile. Dans un monde virtuel où ils sont confrontés à des internautes de toutes natures, les mineurs ne sont pas toujours bien armés devant la perversité de certains de leurs interlocuteurs.

Il serait possible d’envisager un autre mode d’autocensure : la modération mutuelle dans les forums et autres chats. Dans cette hypothèse, l’autonomisation de la responsabilité est encore trop grande pour le mineur, qui n’en mesure pas forcément tous les enjeux. Il est indispensable que le mineur soit accompagné, ou du moins assisté dans sa liberté d’expression par un adulte.

1.a. La Netiquette.

La Netiquette est un des outils phares de l’autorégulation. Elle n’a aucune force juridique mais plutôt une valeur morale. La netiquette a été initiée par la branche universitaire des fondateurs d’Internet « à l’âge d’or d’Internet » quand n’était encore concerné qu’un nombre limité de personnes344. La netiquette a été pensée comme une sorte de code de bienséance345. Les services de discussion par forum sont principalement visés par ce type d’autorégulation

343

On estime qu’un mineur se met à surfer sur la Toile vers six ans.

344 Estelle de Marco, Le droit pénal applicable sur Internet, DEA Informatique et Droit sous la direction du Professeur Michel Vivant, Université de Montpellier 1 : www.juriscom.net/uni/mem/06/crim01.htm

115 ou d’autocensure. La netiquette se présente sous la forme de dix commandements très larges, dont le contenu a une forte connotation morale et, ne fait pas l’objet en l’état actuel du droit de sanctions juridiques. Elle peut néanmoins acquérir une valeur juridique lorsqu’elle est intégrée dans des contrats, comme faisant partie des obligations entre les cocontractants346. La valeur morale de la netiquette se dilue au fil des années, de l’évolution d’Internet et de la croissance exponentielle du nombre d’internautes. Il est plus facile de fixer des règles communes dans un groupe restreint partageant de surcroît une communauté d’intérêt, que d’uniformiser des règles de bienséance à des catégories disparates d’internautes. Il faudrait que tous les internautes comprennent et reconnaissent comme leurs les règles préconisées par la netiquette.

A ce stade, intervient une difficulté supplémentaire liée à la situation juridique du mineur. Le mineur est une personne vulnérable, bien qu’il faille admettre qu’il maîtrise souvent mieux que les adultes l’outil informatique et Internet en particulier. Sa connaissance de cet outil couvre indifféremment l’aspect technique du fonctionnement du matériel informatique et la maîtrise des technologies que suppose l’utilisation du Web. Le mineur comme toute personne censée connaître la loi doit savoir ce qui est prohibé. En l’espèce il devrait connaître quelles sont les limites de sa propre liberté d’expression dans le cyberespace. La liberté d’expression du mineur s’exerce selon des schémas différents dans le cyberespace. Elle peut s’exprimer dans un cadre unilatéral ou bilatéral. Dans un cadre unilatéral, le mineur diffuse son expression (quel qu’en soit la forme : écrite, orale, etc.) vers autrui. Il n’attend pas a priori de réponse. Par contre dans le cadre d’une expression bilatérale, l’interactivité avec autrui est au centre de sa libre expression. Il s’exprime par rapport à un autre internaute. Il devrait donc savoir maîtriser sa liberté d’expression et savoir canaliser ou limiter celle des autres. On entre là dans une dimension juridique et relationnelle que tous les mineurs ne maîtrisent vraisemblablement pas. Il faudrait que le mineur connaisse et comprenne toutes les implications juridiques de la liberté d’expression dans le cyberespace. Par ailleurs même les internautes libertaires ont dû admettre que le cyberespace ne devait pas être un espace de non droit, et que la seule autorégulation ne pouvait venir à bout de la cybercriminalité découlant de la liberté d’expression.

116 Lorsque le mineur se sent dépassé par le mode ou le contenu de l’expression de son interlocuteur, il lui reste la possibilité d’en référer à un adulte, un intermédiaire du cyberespace ou à une autorité légale compétente.

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