• Aucun résultat trouvé

La diffamation, l’injure

Dans le document LA PROTECTION DU MINEUR DANS LE CYBER ESPACE (Page 174-180)

2-b. Les infractions spécifiques à Internet

Chapitre 2. LA SANCTION DES MANQUEMENTS DU MINEUR AUX DROITS D’AUTRUI DANS LE

A. Les infractions de presse

1. La diffamation, l’injure

Il s’agit dans les deux cas de délit visant une personne physique ou morale dans sa réputation, son honneur, etc.

1-a. La diffamation.

Il s’agit d’un « délit ou une contravention consistant à alléguer ou imputer un fait portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ou d’un corps »520.

La loi sur la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 a définitivement établi que, comme les publications dans la presse écrite et audiovisuelle, les publications sur

517 Philippe Bilger, Le droit de la presse, Que sais-je ? PUF 2003, p. 22.

518 Seront retenus comme auteurs principaux des infractions de presse, les directeurs de publication ou éditeurs ; à défaut les auteurs ; à défaut des auteurs les imprimeurs ; à défaut des imprimeurs les vendeurs, distributeurs et afficheurs. Longtemps applicable à la seule presse écrite, elle a été étendue à tout service de la communication audiovisuelle par la loi du 1 3 décembre 1985 qui impose l’existence d’un directeur de la publication et la responsabilité automatique de ce dernier sauf en cas de diffusion « en direct » ; Paris, 1ère Ch., 6 octobre 1987, Polac c/ Romanet.

519

Conférence de la famille 2005, « Protection de l’enfant et usages d’Internet », Rapport de propositions remis à Philippe Douste-Blazy, préc. p.36, Légipresse n°227.

520 Rémy Cabrillac, Dictionnaire du vocabulaire juridique, Jurisclasseur, Litec. – Loi du 29 juillet 1881, art. 29 et s.

174 Internet (et notamment les messages diffusés sur un forum de discussion à accès restreint ou non) sont soumises aux dispositions de la loi sur la presse du 29 juillet 1881521 . Cette loi condamne expressément et sévèrement, la diffamation et l’injure qu’elles soient publiques ou non. La diffamation publique peut être punie d’un an et de 45.000 euros d’amendes ; elle est réputée commise le jour où l’écrit est porté à la connaissance du public.

Les forums de discussion ne sont pas les seuls visés, les mineurs faisant un usage très varié des ressources du cyberespace. La liberté d’expression du mineur se manifeste aussi bien dans les sites personnels, les blogs, les webzines, etc. Tous ces supports sont susceptibles de favoriser ou du moins de faciliter des dérapages tels que la diffamation et/ou l’injure.

Ce sont en grande partie des affaires de diffamation qui ont alimentées le débat sur l’application de l’article 65 de la loi de 1881522. La personne morale tout comme la personne physique peut être victime de diffamation523, il suffit que la victime soit identifiée ou identifiable.

La diffamation est juridiquement sanctionnée, quel qu’en soit l’auteur. Si la preuve de la diffamation est établie le mineur engage sa responsabilité pénale524 ; une action civile est également envisageable. Les parents ou tuteurs légaux peuvent voir leur responsabilité solidairement engagée.

L’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle prévoit la responsabilité pénale du directeur ou du codirecteur de publication « comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au

521

Article de Muriel Cahen paru sur le site Avocat Online, Quelles démarches accomplir pour poursuivre l’auteur d’une injure ou d’une diffamation ? Le droit de la preuve en la matière. http://www.murielle-cahen.com/p_forum2.asp

522

Article 65 modifié par la Loi n°93-2 du 4 janvier 1993 article 52 (JORF 5 janvier 1993).

« L'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait.

Toutefois, avant l'engagement des poursuites, seules les réquisitions aux fins d'enquête seront interruptives de prescription. Ces réquisitions devront, à peine de nullité, articuler et qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels l'enquête est ordonnée.

Les prescriptions commencées à l'époque de la publication de la présente loi, et pour lesquelles il faudrait encore, suivant les lois existantes, plus de trois mois à compter de la même époque, seront, par ce laps de trois mois, définitivement accomplies ».

523 Cass. 1re civ., 5 juillet 2000 : Comm. com. électr., commentaire. n°21, obs. A. Lepage.

524 L’article 48-6 de la loi du 29 juillet 1881 précise que dans le cas de diffamation envers des particuliers et dans[…] le cas d’injure[…], la poursuite n’aura lieu que sur la plainte de la personne diffamée ou injuriée.

175 public». Cette notion implique une prise de connaissance par ce dernier du contenu avant diffusion dans le cyberespace.

Au cours du printemps 2005, plusieurs chefs d’établissement scolaires ont temporairement ou définitivement exclu des élèves, qui avaient mis en ligne des photos dérobées de leurs enseignants, assorties de propos moqueurs voire injurieux525.

Il existe cependant deux possibilités de s’exonérer de cette responsabilité :

- Par l’exception de vérité (exceptio veritatis). Sauf cas particulier, la personne incriminée peut rapporter la preuve de la véracité des faits qu’il a imputé à autrui. Il y a tout de même un encadrement strict à cette exception. En vertu de l’article 35 de la loi de 1881, il n’est pas possible d’invoquer et d’user de l’exceptio veritatis lorsque l’affirmation incriminée concerne la vie privée du plaignant ; lorsqu’elle se réfère à un fait remontant à plus de 10 ans, amnistié, prescrit ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision.

- Par la preuve de la bonne foi et de façon dérogatoire aux principes du droit pénal qui veulent qu’en matière de diffamation le prévenu soit présumé de mauvaise foi. Il s’agit d’une présomption simple, le prévenu a donc la possibilité de démontrer son innocence en prouvant sa bonne foi. La bonne foi suppose quatre critères : la modération, l’absence d’animosité personnelle, le but légitime et le respect du devoir d’enquête526.

La preuve de la vérité et/ou de la bonne foi détruit donc la diffamation. La loi de 1881 en son article 55 ne laisse que dix jours pour offrir cette preuve sous peine d’irrecevabilité. Ces règles datent d’une époque où la publication n’était l’affaire que de quelques uns : éditeurs, groupe de presse, monopole d’Etat sur la radio et la télévision. Aujourd’hui des millions de personnes publient chaque jour sur Internet d’où le problème de l’adéquation de ces réglementations à Internet. Aucun internaute (non professionnel de la presse) ne pré constitue d’une part les preuves de la véracité des contenus qu’il publie, ni d’autre part celles de la bonne foi dont-il fait preuve dans sa publication. Les internautes dans leur majorité ne savent

525 Auteur : Nicole Bondois et M. Nicolas Samarcq http://www.droit-ntic.com/news/afficher.php?id=314 526 Olivier Cazeneuve, Internet et diffamation. Existe-t-il une liberté d’expression de l’internaute ? 3 novembre 2005, http://reseaudesbahuts.lautre.net/article_print.php3?id_article=152

176 pas ce qu’est un devoir d’enquête a fortiori l’internaute mineur. Comment pourraient-ils connaître le délai qu’ils ont pour prouver la véracité de ce qu’ils ont publié ?

Dans l’hypothèse où la diffamation est avérée, la personne diffamée peut solliciter un droit de réponse en ligne selon les dispositions de la loi pour la confiance dans l’économie numérique527. Faute de décret d’application, son applicabilité est encore sujette à caution. En principe cependant, l'absence de décret ne peut empêcher l'application d'une loi, même en matière pénale. Il n'est pas besoin d'attendre la publication d'un décret et la loi est applicable dès son entrée en vigueur (art. 1er Code civil)528.

Quel est le régime du droit de réponse ? Le demandeur doit simplement faire état de sa volonté d'exercer son droit de réponse. Il est maître de la teneur de sa réponse. Bien évidement ce droit est gratuit. Le délai pour exercer un droit de réponse est de 3 mois. En effet, l’action civile ou pénale en diffamation se prescrit après 3 mois à compter de la première mise en ligne de l’écrit jugé diffamatoire. Le point de départ de ce délai est la mise à disposition au public du message justifiant la demande. Seul l’instant de la mise en ligne doit être pris en considération. Au 1er mars 2006, seuls les messages mis en ligne trois mois plus tôt étaient susceptibles de faire l'objet d'un droit de réponse. La difficulté est de déterminer avec précision cette date sur Internet ; reste à préciser quel type d'écrit doit parvenir au service de communication ? La loi ne donne pas d'indication. Il est préférable d'utiliser un courrier recommandé avec accusé de réception. En effet, la question de la preuve du respect du délai sera réglée de cette manière. Dès réception de la réponse, le directeur de la publication a trois jours pour l'insérer dans son service de communication (article 6 IV de la LCEN al. 3). La difficulté pratique est d'identifier le responsable du service de communication et son adresse postale529.

527 Depuis 2004, l'article 6 IV de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique fixe le cadre juridique du droit de réponse spécifique sur Internet (ci-après art. 6 IV LCEN).

528 Le futur décret d'application concernant le droit de réponse en ligne a été transmis à la Commission européenne. Relevant de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, il permet aux personnes citées par un "service de communication au public en ligne" d'y publier une réponse de 200 "lignes" maximum. Les chats et forums de discussion ne font pas parti des supports concernés. La réponse doit être envoyée avant 3 mois, et doit être insérée avant 3 jours, sous peine de 3.750 euros d'amende pour le directeur de la publication. Pour le texte du Décret voir : http://www.tntlex.com/public/projet_decret_droit_reponse.pdf

529 Thinault Verbiest, « Droit de réponse : comment l'exercer sur le Net », 20/06/2006, voir le site Le Journal du Net : http://www.journaldunet.com/juridique/juridique060620.shtml

177 Il est nécessaire de garder une trace électronique de l’infraction avant que cette dernière ne soit effacée. Bien qu’il soit reconnu force probante à l’écrit électronique530, la preuve n’est pas aisée à établir. La personne dont l’écrit diffamatoire émane doit pouvoir être identifiée. Il doit être établi que cet écrit a été conservé « dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ».

L’enregistrement d’une page Web diffamante ne peut constituer qu’un commencement de preuve sans force probante indiscutable, car l’intégrité peut être remise en cause, la page Web enregistrée sur support électronique ou imprimée peut avoir été préalablement modifiée. Il existe une autre démarche : établir un constat par un huissier ou par un agent assermenté de l’Agence de la Protection des Programmes. Pour être reconnu comme preuve par le juge, le constat par huissier doit respecter des règles de validité : la victime de la diffamation ne doit en aucun cas intervenir lors de l’établissement du constat531.

Bien que la diffamation apparaisse comme le délit de presse par excellence, l’injure est tout autant un délit de presse. C’est généralement un dérapage de langage, un excès constituant une catégorie résiduelle d’infractions dans le contentieux de la presse532.

1-b. L’injure.

L’injure contrairement à la diffamation ne fait référence à aucun fait précis. L’injure, est un « délit ou une contravention incriminant l’emploi d’une expression outrageante termes de mépris ou invective, sans contenir d’imputation d’un fait précis »533. En pratique la diffamation et l’injure sont souvent mêlées. Ce qui permet de les différencier, c’est le fait que la diffamation suppose une imputation ou une allégation d’un fait déterminé contrairement à l’injure. L’absence de publicité fait dégénérer les délits de diffamation et d’injure en contraventions non publiques de première classe punissables de 38 euros d’amendes et

530

Depuis la loi du 13 mars 2000 et son décret d’application du 31 mars 2001, les preuves électroniques sont acceptées et ont la même force probante que les preuves écrites. L’article 1316-1 du code civil dispose que « l’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ». L’article 1316-3 du code civil précise que « l’écrit sur support électronique à la même force probante que l’écrit sur support papier ».

531 Article de Muriel Cahen, « Quelles démarches accomplir pour poursuivre l'auteur d'une injure ou d'une diffamation ? Le droit de la preuve en la matière » TGI Paris, 4 mars 2003.

http://www.murielle-cahen.com/p_forum2.asp

532 Christophe Bigot, « Connaître la loi de 1881 », Guide Légipresse 2004.

533 Rémy Cabrillac, Dictionnaire du vocabulaire juridique, Jurisclasseur, Litec. – Loi du 29 juillet 1881, art. 29 al 2.

178 relevant du tribunal de police et régies respectivement par les articles R. 621-1 et 2 du code pénal534.

Si l’expression outrageante peut être une simple indélicatesse, l’invective elle recouvre les termes les plus grossiers, voire les plus orduriers. La plupart du temps, le caractère injurieux des propos incriminés est d’une totale évidence535. L’injure tout comme la diffamation suppose l’existence d’une victime déterminée ou déterminable. « Dès lors que l’injure formulée de manière générale vise une pluralité de personnes formant un groupe restreint, chaque membre de ce groupe, atteint par l’injure, dispose d’un droit individuel à demander réparation du préjudice qui lui a été causé »536. L’intention coupable suppose que « l’expression outrageante, les termes de mépris ou l’invective » aient été formulés sciemment. La jurisprudence pose une présomption de mauvaise foi537 ; nul ne peut ignorer qu’il offense en outrageant538.

Il n’est pas possible en matière d’injure, et ce contrairement à la diffamation d’invoquer la bonne foi pour s’exonérer de sa responsabilité. Dans le cas l’injure une seule excuse est exonératoire : la provocation. L’article 33 de la loi de 1881 prévoit une excuse absolutoire qui entraîne le renvoi des fins de la poursuite et donc une absence totale de condamnation. Cette provocation n’est cependant définie par aucun texte. C’est la jurisprudence qui en a progressivement défini les contours et déterminé les conditions d’application. Il s’agit de tout fait ou agissement volontaire de nature à excéder sa victime et donc expliquer la réplique qu’est l’injure, il doit cependant présenter des caractères précis :

- la personne provoquée doit être celle poursuivie pour injure. Ce qui exclut que l’on puisse légitimement se porter par le verbe au secours d’un tiers qui aurait été l’objet d’une provocation,

- il faut qu’il existe un lien direct entre la provocation et l’injure. Ce qui impose que l’une et l’autre se suivent dans le temps de manière rapprochée,

- il doit exister une certaine proportionnalité entre l’attaque initiale et l’injure en réplique.

534 Civ. 2, 24 octobre 2002.

535 Philippe Bilger, Le droit de la presse, Que Sais-Je ? PUF 2003, p. 62. 536

Crim., 12 septembre 2000, Bull. n° 265.

http://www.ca-bastia.justice.fr/crim120900.htm

537 Crim., 18 janvier 1950 ; CA Paris, 2 mars 1995, Droit pénal, 1995-121, observations Véron. 538 Philippe Bilger, Le droit de la presse, op.cit., p. 66.

179 Il n’est pas nécessaire que la provocation ait été publique au sens de la loi de 1881. Peut-on considérer que le mineur qui a été victime de provocation est en droit de répliquer par l’injure sur Internet ? Eu égard à l’audience et à la rapidité de la diffusion sur Internet l’élément de proportionnalité est-il respecté ? Pour l’heure la jurisprudence n’a pas encore statué sur la question.

Dans le document LA PROTECTION DU MINEUR DANS LE CYBER ESPACE (Page 174-180)