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PARTIE I. LA GOUVERNANCE COLLABORATIVE EN SANTÉ

Chapitre 4. La responsabilité publique comme rempart à la gouvernance

4.1 Les finalités de la responsabilité publique

Dans son ouvrage Legitimacy and Politics, Coicaud expose clairement les liens unissant les concepts de responsabilité publique, de légitimité et de démocratie. Selon lui:

In order for the members of the community to perceive the governors’ position of command as being justified, that position must partake in some explicit way in a dynamic of the common good. The desire for personal success and the thirst for power offer no legitimacy for the rulers’ actions. […] In this way, legitimate

425 William D. Leach, supra note 383 à la page 105. 426 Mark Bovens, supra note 24 aux pages 462 et 464.

political activity is inseparable from responsibility. The latter is the manifestation of a power that accepts the constraints imposed by the right to govern. […] For a ruler, political responsibility therefore involves, above all, the recognition of the public dimension of his activity.427

Le concept de responsabilité publique constitue donc un instrument essentiel de contrôle et d’incitation428 afin que les gouvernants agissent dans l’intérêt de la population, favorisant ainsi l’exercice d’un pouvoir démocratique. Tel que l’affirme McCandless: « [t]he requirement to explain publicly exerts a powerful self-regulating influence on their [authorities] intentions that serves the public good ».429 La responsabilité publique joue en ce sens un rôle de rempart à la gouvernance; elle est un garde-fou permettant d’assurer que les acteurs exerçant un pouvoir sur la population ne briment pas les intérêts de cette dernière au profit de leurs intérêts particuliers.

La responsabilité publique est d’autant plus importante dans le contexte de la gouvernance collaborative, où de multiples acteurs publics et privés se partagent le pouvoir. La panoplie d’intérêts en jeu présente le danger suivant, évoqué par Rocher: « [i]ntérêts et valeurs s’entremêlent, l’intérêt privé se drape dans le discours de l’intérêt public, le confort personnel est recherché au nom du bien commun. »430 Il existe différentes conceptions de la notion d’ « intérêt public ». 431

427 Jean-Marc Coicaud, supra note 26 aux pages 33 ou 34.

428 James G. March et Johan P. Olsen, Democratic Governance, New York, The Free Press, 1995

aux pages 144-145-151; Mark Considine, « The End of the Line? Accountable Governance in the Age of Networks, Partnerships, and Joined-up Services » dans Mark Bevir, dir, supra note 409 à la page 178; Mark Bovens, supra note 24 à la page 463.

429 Henry McCandless, « B.C Election: Responsibility Not Same As Accountability », Reports and

Briefings (2009), en ligne (février 2011): Center for Public Accountability <http://www.centreforpublicaccountability.org/2009/04/responsibility-not-same-as-

accountability/>.

430 Pascal Laborier, Pierre Noreau, Marc Rioux et al., supra note 68 à la page 19. Voir aussi:

Martha Minow, « Public Private Partnerships: Accounting for the New Religion » dans Mark Bevir, dir, supra note 409 à la page 199; David Whorley, supra note 6 à la page 323.

431 M. Shamsul Haque, supra note 383 à la page 66; Jeffrey M. Berry, Lobbying for the People – The Political Behavior of Public Interest Groups, Princeton, Princeton University Press, 1977 à la

page 6; Pierre Trudel, « L’intérêt public », dans Pierre Trudel, Droit de l’information et de la

communication - Texte législatifs, réglementaires et autoréglementaires, Montréal, Coopérative

étudiante de la Faculté de droit de l'Université de Montréal, Juillet 1988 aux pages 129 et 130; Jean Mercier, L’administration publique –De l’École classique au nouveau management public,

Selon une conception interventionniste, l’intérêt public s’entend d’un intérêt qui transcende les intérêts particuliers ou privés, et s’y oppose.432 L’intérêt public pris dans son sens utilitariste réfère plutôt à la somme des intérêts particuliers des citoyens d’une collectivité.433 Malgré les différences entre ces approches, toutes deux affirment que l’intérêt public, et non l’intérêt privé d’un acteur, s’impose comme finalité de l’action politique.434 La responsabilité publique est un instrument qui permet de s’en assurer.

Par ailleurs, la responsabilité publique des gouvernants suppose une évaluation de leurs actions par les gouvernés435, qui influe sur la légitimité des gouvernants.436

La notion de légitimité est communément associée à l’idée d’acceptabilité. Elle renvoie à l’acceptation, par les gouvernés, de s’assujettir à une autorité politique. La légitimité est ainsi une forme de reconnaissance du droit de gouverner accordé à une autorité.437 Issalys introduit également la notion de soutien pour expliquer le concept de légitimité: « [p]eople give support to authority because they consider it

Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2007 aux pages 148 et 150; voir aussi Pierre Rosanvallon, La légitimité démocratique – Impartialité, réflexivité, proximité, Paria, éd Du Seuil, 2008 aux pages 102 à 105.

432 Ibid à la page 284. Cette conception de l’intérêt public remonte notamment jusqu’à Platon, qui

le considérait comme l’intérêt commun de la cité. François Rangeon, L’idéologie de l’intérêt

général, Paris, Economica, 1986 aux pages 43 à 45; voir aussi: Mark Bévir, supra note 409 à la

page xi.

433 Udo Pesch, The Predicaments of Publicness, An Inquiry into the Conceptual Ambiguity of Public Administration, Netherlands, Eburon, 2005 à la page 56; François Rangeon, supra note 432

aux pages 45 et 56; Sylvie Paquerot, « Pour une autodétermination politique de l’avenir » dans Sylvie Paquerot, dir, L’État aux orties ?, Mondialisation de l’économie et rôle de l’État, Montréal, Les éditions Écosociété, 1996 à la page 266.

434 Jeffrey M. Berry, supra note 431 à la page 6; Udo Pesch, supra note 433 à la page 55.

435 Steve Jacob, « L’évaluation des politiques publiques » dans Luc Bernier et Guy Lachapelle, dir, L’analyse des politiques publiques, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2010 à la page

287.

436 Ibid.

437 « Légitimité » et « autorité » sont ainsi liées puisque, fondamentalement, seule une autorité

légitime peut commander l’obéissance sans provoquer de mécontentement ou de résistance. Bosire Maragia, « Almost there: Another way of conceptualizing and explaining NGOs’s quest for legitimacy in global politics » (2002) 2 Non-State Actors and International Law aux pages 305 et 311; Jean-Marc Coicaud, supra note 26 à la page 10; Hachim Hurrelmann, Steffen Schneider and Jens Steffek, « Conclusion: Legitimacy – Making Sense of an Essentially Contested Concept » dans Hachim Hurrelmann, Steffen Schneider et Jens Steffek, dir, Legitimacy in an Age of Global

legitimate, and authority derives legitimacy from the support it receives ».438 Témoignant d’une relation mouvante entre les gouvernants et les gouvernés, la légitimité est une quête constante.439 La responsabilité publique des gouvernants permet ainsi aux gouvernés de maintenir ou de modifier l’intensité de la légitimité qu’ils leur accordent.

La légitimité est une qualité essentielle à acquérir par les acteurs en position d’autorité, parce qu’elle contribue à la stabilité et à l’efficacité de l’action publique440:

La légitimité est, comme la confiance entre individus, une « institution invisible ». Elle permet à la relation des gouvernés et des gouvernants de s’établir solidement. […] Elle contribue à donner corps à ce qui fait l’essence même de la démocratie: l’appropriation sociale des pouvoirs. […] Elle conditionne l’efficacité de l’action publique […].441

Les craintes exprimées à l’endroit du modèle de la gouvernance collaborative442, notamment le désengagement de l’État et la perte de contrôle démocratique, pourraient bien miner la légitimité et même l’efficacité des actions découlant des collaborations public-privé. Mockle indique d’ailleurs qu’ « en apparence plus convivial et plus ouvert, le projet politique de la gouvernance souffre toutefois

438 Pierre Issalys, « Choosing among Forms of Public Action: A Question of Legitimacy » dans

Pearl F. Eliadis, Margaret M. Hill et Michael Howlett, dir, Designing Government: from

instruments to governance, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2005 à la page 156;

L’autorité dont jouit un acteur est à ne pas confondre avec le pouvoir d’un acteur dans le secteur public. Pierre Rosanvallon, supra note 431 à la page 160.

439 Laurent McFalls, Construire le politique – Contingence, causalité et connaissance dans la science politique contemporaine, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2006 à la page 83.

C’est ainsi que Rosanvallon, qui aborde notamment les situations de déficit de légitimité, parle de l’importance pour les gouvernants de renforcer leur légitimité-capital ou ce qui est appelé leur « réservoir de légitimité ». Pierre Rosanvallon, supra note 431 à la page 277.

440 Anne Mette Kjaer, Governance, Cambridge, Polity Press, 2004 à la page 12; W. Phillips

Shiverly et Jules-Pascal Venne, Pouvoir et décision: Introduction à la science politique, 3e éd,

Montréal, Chenelière McGraw-Hill, 2008 aux pages 56 et 57; voir aussi: Jean-Marc Coicaud,

supra note 26 à la page 11.

441 Pierre Rosanvallon, supra note 431 à la page 21. 442 Voir la section 3.5 de la présente étude.

d’un déficit de légitimité puisque les acteurs en cause ne représentent souvent que leurs propres intérêts. »443

Il importe donc que les gouvernés aient l’opportunité d’évaluer la légitimité des acteurs participants à la gouvernance collaborative et des actions qu’ils posent et que ces acteurs aient l’occasion, par le fait même, de faire valoir leur légitimité auprès des gouvernés. Le concept de responsabilité publique est un instrument qui permet aux gouvernés et aux gouvernants de se prêter à un tel exercice d’évaluation et de démonstration de légitimité. Comme nous l’avons mentionné, il contribue également à assurer la primauté de l’intérêt public sur les intérêts privés.

La pertinence de la responsabilité publique comme rempart à la gouvernance collaborative en santé publique ne fait pas de doute. Par contre, sa mise en œuvre demande de s’attarder à plusieurs composantes qui assurent concrètement son exercice.