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Les collaborations public-privé en santé publique au Canada et la responsabilité publique des acteurs participants: une analyse juridique d'un phénomène émergent

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Les collaborations public-privé en santé publique au Canada et la

responsabilité publique des acteurs participants:

Une analyse juridique d’un phénomène émergent

Marie-Eve Couture Ménard

Institut de droit comparé, Faculté de droit Université McGill, Montréal

août 2013

Une thèse soumise à l’Université McGill afin de répondre partiellement aux exigences du diplôme de doctorat en droit civil (D.C.L.)

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SOMMAIRE

Notre thèse pénètre l’univers complexe et parfois opaque des collaborations établies entre des acteurs publics et privés dans le domaine de la santé publique au Canada. Elle examine les structures et les modalités de quatre collaborations public-privé s’opérant au niveau fédéral, au Québec et en Colombie-Britannique et démontre de quelle manière le droit met en œuvre la responsabilité publique des acteurs participants vis-à-vis de trois forums: les représentants élus de la population, le vérificateur général et les citoyens. En prenant appui sur ces exemples, nous nous attardons aux défis pressentis que pose le modèle émergent de la gouvernance collaborative dans l’application d’un concept essentiel à la démocratie, celui de responsabilité publique. Notre analyse met au jour les apports mais également les déficiences du droit à cet égard et ce, en distinguant les contributions respectives des normes juridiques strictement étatiques et des normes juridiques élaborées conjointement par les partenaires publics et privés des collaborations. Nous concluons finalement qu’un écart existe entre l’engouement pour les collaborations public-privé en santé publique et l’importance accordée à cette manière d’exercer le pouvoir au sein des normes juridiques prévoyant la responsabilité publique des acteurs participants. Cet écart pourrait, selon nous, être symptomatique d’une difficulté ou d’un retard du droit à s’adapter à ce modèle émergent de gouvernance.

SUMMARY

This thesis penetrates the complex and often opaque universe of collaborations between public and private actors in Canada’s public health sector. The thesis examines the diverse facets of four public-private collaborations evolving at the federal level, in Quebec and in British-Columbia, and demonstrates how the law ensures these actors are accountable towards three forums: elected representatives, the auditor general and the citizens. On the basis of these examples, we address the foreseen challenges to public accountability, a pillar of democracy, arising from collaborative governance. Our analysis sheds light on the contribution of the law in this regard, but also on its deficiencies, by distinguishing the respective inputs of the norms stemming strictly from the State and of legal norms developed jointly by collaborating public and private partners. Finally, we conclude that there is a gap between the enthusiasm for public-private collaborations in the public health sector and the recognition of this governance model in the legal norms framing the actors’ accountability. This gap might be symptomatic of a difficulty or a delay in the law’s adaptation to this emerging governance model.

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REMERCIEMENTS

Mes remerciements vont tout d’abord à ma directrice, Professeure Lara Khoury. Au cours de mes cinq années d’études doctorales, elle a lu et relu mes ébauches de thèse avec une rigueur et une minutie remarquables, témoignant de son grand dévouement. Je lui serai ainsi toujours reconnaissante pour ses commentaires constructifs qui m’ont permis de m’épanouir comme chercheuse. Sans le moindre doute, ses enseignements précieux dépassent le cadre de cette thèse et m’aideront dans ma carrière de professeure en droit. Aussi, me considérais-je privilégiée d’avoir évolué sous sa direction. Je reste également touchée par son souci sincère de voir mes travaux avancer à un rythme régulier, que j’ai interprété comme une marque de confiance en mes capacités de réussir cet exercice académique. Je la remercie donc infiniment de m’avoir menée à bon port.

Je remercie également les professeures Alana Klein et Angela Campbell, qui ont agi comme membres de mon Thesis Advisory Committee. Dès le départ, elles m’ont fourni des conseils judicieux qui m’ont servi tout au long des années qui ont suivi.

Il m’importe particulièrement de remercier mes parents, mon frère et ma grand-mère pour leur soutien moral inestimable ainsi que l’intérêt senti qu’ils ont porté à mon cheminement à travers leurs questions et leur aide. Je ne peux passer sous silence les discussions fructueuses avec mon père autour d’un café, les découpures de journaux que ma mère m’a remises régulièrement et les blagues réconfortantes de mon frère. Je les remercie tous du fond du cœur d’avoir cru en moi du début jusqu’à la fin.

Il va sans dire que ma vie de doctorante n’aurait pas été aussi stimulante si je n’avais partagé mon quotidien avec mes complices Christine, Emmanuelle, Adriane, François, David, Jean-Patrick et tous les autres du 8e étage au Centre de

recherche en droit public de l’Université de Montréal, où j’ai été hébergée comme étudiante-chercheure. Je remercie tout spécialement Julie, avec qui j’ai partagé un bureau pendant les trois premières années de mon doctorat, pour ses encouragements et son écoute.

Dans la même veine, je remercie mes collègues de la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, qui m’ont épaulée dans les dernières étapes. Plusieurs d’entre eux m’ont généreusement accordé de leur temps pour me conseiller. La complicité de Marie-Claude, Édith, Hélène, Maxime et Derek m’aura certainement permis de rester positive.

D’autres amis m’ont offert une aide précieuse en fin de parcours, dont Laurence et Ivana. Je ne saurais remercier suffisamment Fernand Lafleur, ami de la famille, pour son travail considérable de relecture. Il a scruté ma thèse avec une attention

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de moine et ses conseils m’ont beaucoup apporté. C’est à lui que je dédie ma thèse, en raison de sa fascination pour le droit.

Je me dois également de remercier Hydro-Québec et le Fonds de recherche du Québec - société et culture pour leur soutien financier crucial à la réalisation de cette thèse.

Mes derniers remerciements vont tendrement à Frédéric. Il m’a soutenue sans relâche, à toute heure. Je le remercie de s’être investi avec autant de bienveillance dans cette étape de ma vie, alors qu’il a écouté d’innombrables fois mes angoisses et mes réflexions. Avec son attitude d’entraîneur, il s’est assuré que je garde le cap sur la thèse et j’ai maintenant le bonheur de célébrer avec lui l’aboutissement de mes efforts.

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TABLE DES MATIÈRES

Sommaire ... v

Remerciements ... vii

Liste des acronymes ... 1

INTRODUCTION GÉNÉRALE ... 2

Chapitre 1. Au coeur des réformes de l’État-providence: une rétrospective…. ... ..19

1.1 L’exercice du pouvoir en mutation: de l’État-providence à la gouvernance partagée ... 20

1.1.1. L’État providence ... 22

1.1.2. La gouvernance de marché ... 25

1.1.3. La gouvernance partagée ... 27

1.2 Le renouvellement de la gouvernance en santé publique: les acteurs privés perçus comme des alliés ... 30

1.2.1. L’amorce du renouvellement global de la santé publique au Canada….. ... 30

1.2.2. Les activités de l’Agence de la santé publique du Canada ... 33

1.2.3. Les réformes provinciales en santé publique ... 37

1.3 Synthèse du chapitre 1 ... 49

PARTIE I. LA GOUVERNANCE COLLABORATIVE EN SANTÉ PUBLIQUE ... 51

Chapitre 2. Regard théorique sur la gouvernance collaborative: une tentative de définition ... 53

2.1 Les caractéristiques générales de la gouvernance collaborative ... 54

2.1.1. Un portrait des acteurs participants ... 55

2.1.2. L’essence de la relation de collaboration ... 57

2.1.3. Une mission commune dans la sphère publique ... 61

2.2 Les variables de la gouvernance collaborative ... 63

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Chapitre 3. Regard pratique sur la gouvernance collaborative ... 69

3.1 Le Fonds pour la promotion des saines habitudes de vie ... 70

3.1.1. Rôle et mission des acteurs ... 70

3.1.2. L’horizontalité des relations de pouvoir ... 74

3.2 L’Initiative canadienne de vaccin contre le VIH ... 76

3.2.1. Rôle et mission des acteurs ... 76

3.2.2. L’horizontalité des relations de pouvoir ... 81

3.3 La Stratégie canadienne de lutte contre le cancer ... 84

3.3.1. Rôle et mission des acteurs ... 84

3.3.2. Horizontalité des relations de pouvoir ... 89

3.4 L’Initiative ActNow BC ... 93

3.4.1. Rôle et mission des acteurs ... 94

3.4.2. L’horizontalité des relations de pouvoir ... 98

3.5 Les craintes suscitées par la gouvernance collaborative en santé publique….. ... 106

3.6 Synthèse du chapitre 3 ... 113

Chapitre 4. La responsabilité publique comme rempart à la gouvernance collaborative… ... 115

4.1 Les finalités de la responsabilité publique ... 118

4.2 Les composantes de la responsabilité publique ... 122

4.2.1. L’octroi d’information ... 123

4.2.2. L’obtention de justifications ... 125

4.2.3. La formulation d’un jugement ... 127

4.2.4. L’imposition d’une sanction ... 128

4.3 Synthèse du chapitre 4 ... 130

Conclusion de la première partie ... 131

Partie II. L’EXERCICE DE LA RESPONSABILITÉ PUBLIQUE DANS LE CONTEXTE DE LA GOUVERNANCE COLLABORATIVE EN SANTÉ PUBLIQUE ... 133

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5.1 Développement d’une classification normative ... 139

5.1.1. Le droit-cadre et le droit-opérateur: distinctions ... 140

5.1.2. L’intérêt de la classification normative ... 142

5.2 Synthèse du chapitre 5 ... 144

Chapitre 6. La mise en oeuvre de la responsabilité publique par le droit 147 6.1 La responsabilité publique de forme politique ... 148

6.1.1. L’information ... 152

6.1.1.1. Le Fonds pour la promotion des saines habitudes de vie ... 153

6.1.1.1.1. Le droit-cadre ... 153

6.1.1.1.2. Le droit-opérateur ... 155

6.1.1.2. L’Initiative canadienne de vaccin contre le VIH ... 158

6.1.1.2.1. Le droit-cadre ... 159

6.1.1.2.2. Le droit-opérateur ... 165

6.1.1.3. La Stratégie canadienne de lutte contre le cancer ... 166

6.1.1.3.1. Le droit-cadre ... 167

6.1.1.3.2. Le droit-opérateur ... 172

6.1.1.4. L’initiative ActNow BC ... 173

6.1.1.4.1. Le droit-cadre ... 174

6.1.1.4.2. Le droit-opérateur ... 178

6.1.1.5. Observations générales sur la composante de l’information .... 178

6.1.2. La justification ... 181

6.1.3. Le jugement et la sanction ... 191

6.1.4. Les apports et les limites du droit ... 195

6.2 La responsabilité publique de forme administrative ... 197

6.2.1. L’information et la justification ... 200 6.2.1.1. Le droit-cadre ... 201 6.2.1.2. Le droit-opérateur ... 207 6.2.2. Le jugement ... 209 6.2.2.1. Le droit-cadre ... 209 6.2.2.2. Le droit-opérateur ... 212

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6.3 La responsabilité publique de forme sociale ... 218

6.3.1. Les acteurs gouvernementaux ... 222

6.3.1.1. L’information ... 223

6.3.1.1.1. L’Initiative canadienne de vaccin contre le VIH ... 223

6.3.1.1.2. La Stratégie canadienne de lutte contre le cancer ... 227

6.3.1.1.3. L’initiative ActNow BC ... 231

6.3.1.1.4. Le Fonds pour la promotion des saines habitudes de vie ... 234

6.3.1.1.5. Observations sur la composante de l’information ... 237

6.3.1.2. La justification, le jugement et la sanction ... 240

6.3.1.2.1. L’initiative canadienne de vaccin contre le VIH ... 241

6.3.1.2.2. La Stratégie canadienne de lutte contre le cancer ... 244

6.3.1.2.3. L’initiative ActNow BC ... 245

6.3.1.2.4. Le Fonds pour la promotion des saines habitudes de vie ... 247

6.3.2. Les acteurs non gouvernementaux ... 249

6.3.2.1. L’Initiative canadienne de vaccin contre le VIH ... 250

6.3.2.2. La Stratégie canadienne de lutte contre le cancer ... 252

6.3.2.3. L’initiative ActNow BC ... 256

6.3.2.4. Le Fonds pour la promotion des saines habitudes de vie ... 258

6.3.3. Les apports et les limites du droit ... 262

6.4 Synthèse du chapitre 6 ... 265

Chapitre 7. Critique du droit mettant en œuvre la responsabilité publique des acteurs de la gouvernance collaborative ... 269

7.1 Première limite: le rôle limité du droit-opérateur dans la mise en œuvre des formes politique, administrative et sociale de la responsabilité publique 271 7.2 Deuxième limite: le rôle limité du droit-cadre quant à la composante de l’information dans le cadre de la responsabilité publique de forme politique 274 7.2.1. Une information axée sur les résultats individuels dans le cadre de la responsabilité publique de forme politique ... 277

7.2.2. L’absence d’information sur le déroulement des collaborations public-privé dans le cadre de la responsabilité publique de forme politique…… ... 280

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7.3 Synthèse du chapitre 7 ... 285

Conclusion de la deuxième partie ... 287

CONCLUSION GÉNÉRALE ... 293

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LISTE DES ACRONYMES ASPC: Agence de la santé publique du Canada BCHLA: British Columbia Healthy Living Alliance BMGF: Bill and Melinda Gates Foundation CSSS: Centre de santé et de services sociaux

ICVV: Initiative canadienne de vaccin contre le VIH INSPQ: Institut national de santé publique du Québec FBMG: Fondation Bill et Melinda Gates

FLAC: Fondation Lucie et André Chagnon FPP: Forum des politiques publiques LC: Lois du Canada

LRO: Lois refondues de l’Ontario LRQ: Lois refondues du Québec

MSSS: Ministère de la Santé et des Services sociaux

OCDE: Organisation de coopération et de développement économiques ONG: Organisme non gouvernemental

OSBL: Organisme sans but lucratif

PCCC: Partenariat canadien contre le cancer RQ: Règlements du Québec

RRQ: Règlements refondus du Québec RSBC: Revised Statutes of British Columbia SBC: Statutes of British Columbia

SCLC: Stratégie canadienne de lutte contre le cancer SCTC: Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada SIDA: Syndrome d’immunodéficience acquise SO: Statutes of Ontario

SRAS: Syndrome respiratoire aigu sévère VIH: Virus de l’immunodéficience humaine

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Au début des années 2000, plusieurs épisodes sanitaires ont dévoilé la désuétude des systèmes de santé publique au Canada, dont les éclosions du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), de l’E. coli (Walkerton) et du virus du Nil occidental. Les gouvernements fédéral et provinciaux du pays ont aussitôt entrepris de réformer la gouvernance en santé publique pour mieux faire face aux défis à venir.1

Dans cet esprit de renouvellement, des lois de santé publique ont été modernisées ou adoptées2 et d’importantes entités semi-autonomes ont été créées, telles que l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC ou l’Agence) en 2004.3 Les gouvernements ont également établi des stratégies d’action pour assurer une meilleure réponse aux besoins de santé publique, dont celle de favoriser la participation accrue d’acteurs non gouvernementaux aux processus de gouvernance du secteur.4 Souvent appelée « action intersectorielle »5 pour désigner l’interaction entre les secteurs public et privé, cette stratégie est désormais prônée aux niveaux fédéral, provincial, régional et local, notamment pour l’élaboration des politiques de santé publique, leur mise en œuvre et leur

1 Santé Canada, Leçons de la crise du SRAS – Renouvellement de la santé publique au Canada,

Ottawa, Gouvernement du Canada, 2003, aux pages 19 et 67 [Renouvellement de la santé publique].

2 Voir par exemple: Loi sur la mise en quarantaine, LC 2005, c 20; Loi sur la santé publique,

LRQ, c S-2.2 ; Loi sur la protection et la promotion de la santé, LRO 1990, c H.7; Public Health

Act, SBC 2008, c.28.

3 Agence de la santé publique du Canada, Contexte (été 2013), en ligne: ASPC <

http://www.phac-aspc.gc.ca/about_apropos/back-cont-fra.php>.

4 Voir par exemple: Instituts de recherche en santé du Canada, The Future of Public Health in Canada: Developing a Public Health System for the 21st Century, Ottawa, IRSC, 2003 à la page

3; Agence de la santé publique du Canada et la Commission de l’OMS sur les déterminants sociaux, Au croisement des secteurs – Expériences en action intersectorielle, en politique publique

et en santé, Ottawa, Gouvernement du Canada, 2007 à la page 3 [Au croisement des secteurs];

Direction générale de la santé publique du ministère de la Santé et des Services sociaux,

Programme national de santé publique 2003-2012, Québec, Gouvernement du Québec, 2003 à la

page iii [Programme national de santé publique 2003]; Ministère de la Santé et des soins de longue durée, Normes de santé publique de l’Ontario 2008, Toronto, Gouvernement de l’Ontario, 2008 à la page 14.

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financement. Par conséquent, la santé publique constitue un domaine d’activités propice à l’émergence d’arrangements public-privé.

Or diverses relations peuvent se développer entre des acteurs du secteur public et du secteur privé, notamment: la consultation, la coopération, la coordination, la collaboration et la sous-traitance. Ces types d’interactions ne supposent pas tous les mêmes relations de pouvoir entre les acteurs, le pouvoir pouvant être partagé, délégué ou même exercé de façon exclusive par certains d’entre eux.6

Notre étude s’attarde ainsi spécifiquement aux relations de collaboration établies entre des acteurs publics et privés en santé publique, soit à l’application du modèle théorique de la gouvernance collaborative. Selon ce dernier, les acteurs participants n’entretiennent aucune relation hiérarchique, aucun d’eux ne pouvant contraindre l’autre ou les autres à poser une action. Il en résulte une horizontalité des relations de pouvoir7 qui favorise la négociation et le consensus comme processus décisionnels dominants.8 Dans le cadre de ce modèle de gouvernance, les acteurs privés s’approprient donc une partie du pouvoir, ce qui n’est pas sans soulever d’importantes craintes de nature démocratique qui nous amènent à nous questionner sur la responsabilité des acteurs participant à de telles collaborations vis-à-vis des citoyens et d’autres entités qui représentent leurs intérêts. Ainsi, s’inscrivant dans une perspective juridique, la présente étude a pour objectifs de démontrer et de critiquer le rôle du droit dans la mise en œuvre de la

6 Sébastien Savard, « Les relations de collaboration entre le secteur public et les organismes

communautaires du secteur jeunesse-enfance-famille: Entre la sous-traitance et la coconstruction » (2008) 51:4 Canadian Public Administration 569 aux pages 575 et 576; Joan Price Boase, « Beyond Government? The Appeal of Public-Private Partnerships » (2000) 43:1 Canadian Public Administration 75, aux pages 78 et 79; David Whorley, « The Andersen-Comsoc affair: Partnerships and the Public Interest » (2001) 44:3 Canadian Public Administration 320 à la page 324; John Forrer, James Edwin Kee, Kathryn E. Newcomer et al., « Public-Private Partnerships and the Public Accountability Question » (2010) 70:3 Public Administration Review 475 à la page 476.

7 Chris Huxham, S. Vangen, C. Huxham, et al., « The Challenge of Collaborative Governance »

(2000) 2:3 Public Management Review 337 à la page 350.

8 Chris Ansell et Alison Gash, « Collaborative Governance in Theory and Practice » 2007 (13

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responsabilité publique des acteurs de la gouvernance collaborative, dans le domaine de la santé publique au Canada.

Diverses raisons peuvent inciter des acteurs gouvernementaux (ou acteurs publics) à opter pour le modèle de la gouvernance collaborative en santé publique. L’apport de ressources additionnelles par les acteurs non gouvernementaux (ou acteurs privés), notamment financières et humaines, ainsi que l’échange d’expertise en vue d’une plus grande efficacité d’action en sont des exemples.9 Les acteurs publics peuvent également souhaiter une collaboration avec certains acteurs privés pour accroître leur légitimité auprès de la population10, dans le

contexte politique actuel marqué par un déficit de légitimité de l’État11. Le Forum

des politiques publiques du Canada, qui a tenu en 2008 une table ronde sur la gouvernance collaborative au niveau fédéral, a d’ailleurs affirmé que ce modèle était de mise en raison:

[d]e la prolifération des questions épineuses qui transcendent les frontières des disciplines traditionnelles [...] et de l’émergence d’acteurs non gouvernementaux auto-organisés qui ont potentiellement les moyens et le désir de se pencher sur ces questions.12

9 Barbara Wake Carroll, « Administrative Devolution and Accountability: the Case of the

Non-Profit Housing Program » (1989) 32:3 Canadian Public Administration 351 à la page 351; Valéry Ramonjavelo, Lise Préfontaine et al., « Une assise au développement des PPP: la confiance institutionnelle, interorganisationnelle et interpersonnelle » (2006) 49:3 Canadian Public Administration 351 à la page 351; Chris Huxham, supra note 7 à la page 348.

10 Élise Ducharme, Étude de l’impact de l’arrivée des fondations privées sur les organismes communautaires qui se consacrent à la famille, Mémoire à l’Institut national de recherche

scientifique de l’Université du Québec, Montréal, 2010, à la page 41; Peter Tsasis, « The Politics of Governance: Government - Voluntary Sector Relationships » (2008) 51:2 Canadian Public Administration 272 à la page 272; Steven Rathgeb Smith, « The Challenge of Strengthening Nonprofits and Civil Society » (2008) 68 Suppl. 1 Special Issue Public Administration Review S132 aux pages S132 et S137.

11 Donald J. Savoie, Court Government and the Collapse of Accountability in Canada and the United Kingdom, Toronto, University of Toronto Press, 2008, à la page 3 ; Joan Price Boase, supra note 6 aux pages 75 et 77.

12 Forum des politiques publiques, La gouvernance collaborative et les nouveaux rôles du gouvernement fédéral, Table ronde conjointe du FPP et du PRP: Compte-rendu, Ottawa,

Gouvernement du Canada, FPP, 2008 à la page 6; Sur l’importance de la collaboration au Canada, voir aussi Peter Tsasis, supra note 10 à la page 265.

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Le domaine de la santé publique fait écho à cette réalité, à l’heure où les problèmes sanitaires se complexifient et qu’une panoplie d’acteurs non gouvernementaux est prête à s’impliquer pour relever le défi, notamment des organismes communautaires, d’influentes fondations privées et des organismes non gouvernementaux internationaux.13

À titre d’exemple, au Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux collabore depuis 2007 avec la Fondation André et Lucie Chagnon (Fondation Chagnon), une fondation philanthropique privée. Chaque acteur s’est engagé à verser annuellement, jusqu’en 2017, une somme de vingt millions de dollars au Fonds pour la promotion des saines habitudes de vie.14 Ce fonds est cogéré de

façon paritaire par le ministère et la Fondation Chagnon et sert à financer des initiatives de santé publique locales et nationales.15

Depuis son lancement, cette collaboration public-privé a suscité maintes préoccupations d’ordre démocratique, surtout auprès des organismes communautaires et des élus, ce qui a d’ailleurs mené à sa forte médiatisation. L’opacité du protocole d’entente entre le gouvernement et la Fondation Chagnon a été dénoncée.16 Des craintes ont également été exprimées quant au désengagement possible de l’État relativement à son mandat en santé publique, ce qui laisserait le champ libre au secteur privé. D’autres inquiétudes ont trait à un déséquilibre potentiel dans les rapports de pouvoir entre le gouvernement et la

13 Au croisement des secteurs, supra note 4 à la page 34.

14 Société de gestion du Fonds pour la promotion des saines habitudes de vie, Rapport annuel 2008-2009, Québec, Société de gestion du Fonds pour la promotion des saines habitudes de vie,

2009 aux pages 7, 13 et 15.

15 Gouvernement du Québec, Fonds pour la promotion des saines habitudes de vie (été 2013), en

ligne: Gouvernement du Québec

<http://www.saineshabitudesdevie.gouv.qc.ca/extranet/pag/index.php?fonds&PHPSESSID=3b7ef 52d0e479441ee6bd9ad26bca501>.

16 Portail Québec, Vers la création du Fonds pour le développement des enfants - Le gouvernement doit décréter un moratoire sur les ppp sociaux – Amir Khadir, Actualités gouvernementales, 24

septembre 2009, Gouvernement du Québec (été 2012), en ligne: Portail Québec <http://communiques.gouv.qc.ca/gouvqc/communiques/GPQF/Septembre2009/24/c8485.html>.

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Fondation Chagnon, qui mènerait à ce que certains groupes de la société soient laissés pour compte s’ils ne sont pas visés par la mission de cette fondation.17

Devant tant de méfiance, un site Web non gouvernemental dédié à la surveillance de la Fondation Chagnon a été mis sur pied par la Table ronde des Organismes volontaires d’éducation populaire.18 Une demande de moratoire à l’égard de ce type d’entente de collaboration a même été formulée par un député de l’Assemblée nationale. 19 De plus, alors que la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale du Québec se penchait sur une autre collaboration fort similaire établie entre le gouvernement et la Fondation Chagnon, il a été affirmé que: « [s]uite aux travaux de la Commission qui se terminent aujourd'hui, le public n'est pas rassuré au niveau de la transparence et de l'imputabilité dans la gestion de ces fonds. »20

Les vives réactions quant au partage du pouvoir entre l’État et un acteur privé dont les valeurs, la mission et les approches sont déterminées selon le bon vouloir d’un philanthrope, sont palpables à la lecture de certains titres de journaux: « La dictature de la charité? Une fondation privée peut-elle imposer ses choix au gouvernement? »21, « Quand la philanthropie oriente les politiques sociales »22 ou encore « Les PPP sociaux: soutien essentiel ou mal nécessaire? »23. Les préoccupations émises ont trait à la transparence des processus décisionnels et à

17 Élise Ducharme, supra note 10 à la page 54.

18 Observatoire Fondation Chagnon, Blogue (été 2012), en ligne: Observatoire Fondation Chagnon

<http://observatoirechagnon.blogspot.com/>.

19 Gouvernement du Québec, La Fondation Chagnon refuse de s'expliquer à la Commission des affaires sociales - Le député Amir Khadir: « je crains le manque de transparence » (été 2012), en

ligne: Portail Québec

<http://communiques.gouv.qc.ca/gouvqc/communiques/GPQF/Avril2009/08/c8473.html>.

20 Ibid. Il s’agit de l’examen du projet de loi PL 7, Loi instituant le Fonds pour le développement des jeunes enfants, 1ère sess, 32ème lég, Québec, 2009.

21 Clairandrée Cauchy, « La dictature de la charité? Une fondation privée peut-elle imposer ses

choix au gouvernement? », Le Devoir (23 mai 2009) en ligne: LeDevoir.com <http://www.ledevoir.com/politique/quebec/251834/la-dictature-de-la-charite >.

22 Nicole De Sève, « Quand la philanthropie oriente les politiques sociales » (2010) 33 À babord!

Revue sociale et politique (été 2012), en ligne: À babord! <http://www.ababord.org/spip.php?article1008>.

23 Marie-Claude Bourdon, « Les PPP sociaux: soutien essentiel ou mal nécessaire? », 2010, en

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leur contrôle démocratique, à la protection de l’intérêt public ainsi qu’à la légitimité de l’autorité exercée par divers acteurs. En fait, elles font surgir la question plus générale de la responsabilité publique des acteurs publics et privés qui collaborent en santé publique.

Selon le concept de responsabilité publique, les acteurs exerçant une autorité à l’endroit de la population - les gouvernants - doivent répondre de leurs actions devant cette dernière ou ses représentants tels que sont les députés élus, à savoir les gouvernés.24 Concrètement, la responsabilité publique des gouvernants est mise en œuvre par le biais de mécanismes qui les obligent à octroyer de l’information et des justifications aux gouvernés. D’autres mécanismes permettent ensuite aux gouvernés de formuler un jugement à l’égard des gouvernants et de leur imposer une sanction, le cas échéant.25 On compte ainsi quatre composantes de la responsabilité publique: l’information, la justification, le jugement et la sanction. Cumulées, elles permettent à la population d’exercer un contrôle sur les gouvernants et d’inciter ces derniers à servir continuellement l’intérêt public26, faisant de la responsabilité publique un concept clé de la démocratie.27

Le droit constitue un important véhicule de mise en oeuvre du concept de responsabilité publique, en ce qu’il contribue à organiser l’exercice du pouvoir dans la sphère publique. 28 Par exemple, des lois obligent les acteurs

24 Mark Bovens, « Analysing and Assessing Public Accountability – A Conceptual Framework »

(2007) 13:4 European Law Journal 447 à la page 450.

25 Christian Bidegaray, « Les paradoxes de l’irresponsabilité » dans Bertrand Mathieu et Michel

Verpeaux, dir, Responsabilité et démocratie, Cahiers constitutionnels de Paris 1, Paris, Dalloz, 2008 à la page 79; Larry Diamond et Leonardo Morlino, « Introduction » dans Larry Diamond et Leonardo Morlino, dir, Assessing the Quality of Democracy, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2005 à la page xix; Mark Bovens, supra note 24 à la page 450; Guy Peters, « Public Accountability of Autonomous Public Organizations » (2006) 3 Restoring accountability, Research Studies à la page 303; Mark Bevir, supra note Encyclopedia of governance, Thousand Oaks, California, Sage Publications, 2007 à la page 1.

26 Jean-Marc Coicaud, Legitimacy and Politics – A Contribution to the Study of Political Right and Political Responsibility, Cambridge, Cambridge University Press, 2002 aux pages 33 à 35.

27 Ibid.

28 Pierre Noreau, Droit préventif: Le droit au-delà de la loi, Montréal, Les Éditions Thémis, 1993

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gouvernementaux à divulguer de l’information à la population29 et d’autres normes accordent notamment aux élus et à des entités administratives le pouvoir de formuler un jugement à l’égard des actions posées par le gouvernement.30 Dans les dernières années, les gouvernements canadiens fédéral et provinciaux ont d’ailleurs adopté ou modernisé des lois et des politiques publiques31 afin de répondre à la demande croissante de transparence et de contrôle de la part des citoyens à l’égard des actions posées à même les fonds publics. 32

Les craintes de la population émises à l’endroit de la collaboration entre le gouvernement du Québec et la Fondation Chagnon pourraient bien être symptomatiques de déficiences du droit dans l’application du concept de responsabilité publique dans le contexte du modèle de la gouvernance collaborative. Cette hypothèse génère ainsi la question centrale de notre étude: comment le droit canadien contribue-t-il à mettre en œuvre la responsabilité publique des acteurs publics et privés participant à une gouvernance collaborative en santé publique? Afin d’examiner cette question, nous avons dû effectuer plusieurs choix méthodologiques.

D’entrée de jeu, notre thèse porte exclusivement sur l’application du modèle de la gouvernance collaborative aux niveaux fédéral et provincial d’activités en santé publique. Plusieurs documents gouvernementaux indiquent que les arrangements public-privé sont plus susceptibles d’être mis en œuvre aux niveaux inférieurs en

29 Voir par exemple: Loi sur l’accès à l’information,LRC 1985, c A-1; Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, LRQ, c

A-2.1

30 Voir par exemple: Chambre des communes du Canada, Principes et lignes directrices régissant les questions orales, Compendium - procédure en ligne, en ligne (été 2013): Parlement du Canada

<

http://www.parl.gc.ca/About/House/compendium/web-content/c_d_principlesguidelinesoralquestions-f.htm>; Loi sur l’Assemblée nationale, LRQ, c A-23.1.

31 Voir par exemple: Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, Politique sur les paiements de transfert, 2008, en ligne: Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada < http://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?id=13525&section=text> [Politique sur les paiements de transfert 2008]; Loi sur l’administration publique, LRQ, c A-6.01; Balanced Budget and Ministerial

Accountability Act, SBC 2001, c 28.

32 Richard Nadeau, « La satisfaction envers la démocratie: le paradoxe canadien » dans Neil

Nevitte, dir, Nouvelles valeurs et gouvernance au Canada, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2002 à la page 41.

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santé publique.33 Cependant, aux niveaux fédéral et provincial, les activités en santé publique ont une influence significative sur l’offre de services à la population, puisque les gouvernements se chargent d’orienter et de financer des programmes de santé publique. D’ailleurs, les vives réactions suscitées par la collaboration provinciale entre le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec et la Fondation Chagnon ont révélé l’importance de s’attarder à la gouvernance collaborative aux niveaux supérieurs d’activités en santé publique.

Par ailleurs, aux fins de bénéficier d’illustrations concrètes du modèle de la gouvernance collaborative en santé publique, nous avons effectué une recension de collaborations public-privé au niveau fédéral ainsi qu’au sein de chaque province canadienne, c’est-à-dire une recension d’initiatives auxquelles participent au moins une organisation publique et une organisation privée qui entretiennent des rapports de pouvoir égalitaires en vue d’accomplir ensemble une mission commune. 34 Puisqu’il n’existe pas de liste exhaustive des collaborations public-privé en santé publique au Canada, il a été nécessaire d’examiner plusieurs types de documents susceptibles de faire état de telles collaborations. Or la mention de l’existence d’une collaboration public-privé est souvent faite au sein de documents consensuels dont l’accès est difficile du fait de leur caractère confidentiel ou parce qu’ils ne sont pas automatiquement rendus publics. Des démarches longues et coûteuses sont alors requises pour accéder à ces documents en vertu des lois d’accès à l’information. Paradoxalement, sans de tels documents, il est pratiquement impossible de connaître ou de vérifier l’existence de la

33 Voir par exemple: Beth Gazley, « Beyond the Contract: The Scope and Nature of Informal

Government-Nonprofit Partnerships » (2008) 68:1 Public Administration Review 141. Plusieurs documents gouvernementaux indiquent que des arrangements public-privé sont plus susceptibles d’être mis en œuvre aux niveaux inférieurs en santé publique: Agence de la santé publique du Canada, Rapport ministériel sur le rendement 2007-2008, Ottawa, Gouvernement du Canada, 2008 à la page 27 [Rapport ministériel 2007-2008 ASPC]; Au croisement des secteurs, supra note 4 aux pages vii et 30; Instituts de recherche en santé du Canada, supra note 4 à la page 38; Administrateur en chef de la santé publique, Rapport sur l’état de la santé publique au Canada, Ottawa, Gouvernement du Canada, 2008 à la page 73.

34 Les critères précis de sélection des exemples de collaborations public-privé sont décrits dans le

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collaboration en question. Notre exercice de recension s’est donc avéré long et ardu, comme en témoignent les prochaines lignes.

Nous avons d’abord scruté tous les rapports annuels ainsi que les sites Web des ministères de la santé de toutes les provinces canadiennes ainsi que du niveau fédéral couvrant la période 2004-2012; cette période correspond en fait à celle du renouvellement de la gouvernance en santé publique au pays et les documents gouvernementaux pertinents n’étaient pas toujours disponibles antérieurement à cette période. Nous avons également examiné les sites Web et les documents de nombreux organismes non gouvernementaux oeuvrant aux niveaux fédéral et provincial en santé publique au Canada, tels ceux de la Société canadienne du cancer, la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC et la Fondation Bon départ de Canadian Tire. Enfin, nous avons initié de nombreux échanges avec des fonctionnaires et des organismes non gouvernementaux pour nous aider à repérer des collaborations public-privé.

Parmi la dizaine d’initiatives public-privé pressenties à travers le pays au terme de ces démarches préliminaires, plusieurs ont dû être rejetées à la lumière de recherches plus poussées.35 En effet, dans le cours de communications additionnelles avec des fonctionnaires ou des représentants d’organismes non gouvernementaux, ceux-ci nous ont parfois confirmé qu’aucune documentation n’existait concernant une initiative pressentie. Dans ce cas, nous avons dû rejeter cette dernière aux fins de notre étude, puisque nous avions besoin de documents nous permettant d’analyser les normes juridiques écrites susceptibles de contribuer à responsabiliser les acteurs participants à ladite initiative.36

35 Voici quelques exemples de cas rejetés: Fonds de partenariat pour la maladie d’Alzheimer et les

maladies connexes (Québec); Jumpstart Canadian Tire (Ontario, Terre-Neuve et Manitoba); Walkabout Program Écosse); Veggies and Fruit: Goodness in many ways (Nouvelle-Écosse); Communitys Action for Senior Independence (CASI) (Colombie-Britannique); Ontario AIDS treatment network (Ontario); Improving cardiovascular outcomes in Nova Scotia (ICONS) (Nouvelle-Écosse); Défi Daniel Lavoie (Québec).

36 Pour des explications concernant le choix d’étudier les normes juridiques écrites pouvant

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De plus, nous avons soumis une dizaine de demandes d’accès à l’information au Québec, en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse, au Manitoba, en Ontario, ainsi qu’au niveau fédéral, afin de vérifier si des initiatives pressenties constituaient bel et bien des collaborations public-privé, c’est-à-dire des initiatives où les acteurs participants se partagent le pouvoir décisionnel de manière égalitaire en vue d’accomplir ensemble une mission commune. Suite à des délais allant de 3 à 10 semaines par demande d’accès37 et des frais exigés pouvant s’élever jusqu’à 143 dollars pour une seule demande d’accès38, nous avons reçu des documents39 qui, à leur lecture, ont parfois révélé que les relations de pouvoir entre les acteurs d’une initiative pressentie n’étaient pas égalitaires ou ne tendaient pas vers l’horizontalité, auquel cas nous avons dû rejeter ce genre d’initiative. Il appert en effet que des acteurs publics et privés utilisent, pour décrire leur interaction, des termes comme « partenariat » et « collaboration » qui portent parfois à croire qu’il s’agit d’une relation de pouvoir horizontale, alors que ce n’est pas le cas; il s’agit, par exemple, de sous-traitance ou de simple consultation.

La recension d’exemples de collaborations public-privé s’est donc étendue sur une période de plusieurs mois, à l’issue de laquelle nous avons pu finalement retenir quatre exemples de collaborations public-privé aux niveaux fédéral et provincial, incluant la collaboration du gouvernement du Québec avec la Fondation Chagnon. Deux collaborations public-privé ont lieu au niveau fédéral. Il s’agit, premièrement, de la collaboration entre le gouvernement du Canada et la Fondation Bill et Melinda Gates (Fondation Gates) dans le cadre de l’Initiative

37 En vertu de la loi, les fonctionnaires ont parfois été obligés de notifier les tierces parties

mentionnées dans les documents auxquels nous demandions accès, préalablement à l’envoi de ces documents. Les fonctionnaires se sont alors prévalus d’extensions de délais prévues à la loi avant de nous communiquer les renseignements demandés.

38 Nous nous sommes prévalus d’une exemption de paiement dans le cadre d’une demande

d’acccès soumise en Ontario, en argumentant que cette demande était faite aux fins de recherches doctorales et que les frais exigés étaient considérables compte tenu de nos ressources financières.

39 Les documents étaient toujours envoyés par voie postale, ce qui pouvait allonger les délais de

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canadienne de vaccin contre le VIH.40 La seconde collaboration a cours entre le gouvernement du Canada et les acteurs non gouvernementaux formant le Partenariat canadien contre le cancer et vise la mise en œuvre de la Stratégie canadienne de lutte contre le cancer.41 Quant à la quatrième collaboration public-privé, elle est provinciale et s’est développée entre le ministère de la Santé de la Colombie-Britannique et les membres de la BC Healthy Living Alliance dans le cadre de l’initiative ActNow BC.42

Ainsi, le souci de dresser un portrait représentatif du phénomène de la gouvernance collaborative en santé publique au Canada nous a amené à examiner des collaborations public-privé évoluant au sein de différents ressorts, soit le fédéral, le Québec et la Colombie-Britannique. Ce faisant, notre étude comporte un aspect de droit comparé, puisque nous en comparons les règles juridiques étatiques pertinentes à la mise en œuvre de la responsabilité publique des acteurs participants aux collaborations public-privé.

Il importe également de souligner que notre thèse examine des collaborations dont l’existence se révèle à travers des documents, de sorte que les quatre exemples décrits précédemment sont qualifiés comme tel sur la base d’écrits. Certes, une recherche empirique pourrait éventuellement montrer que les partenaires d’une collaboration entretiennent une relation de pouvoir quelque peu distincte de celle évoquée dans les documents 43 , ou encore révéler l’existence d’autres collaborations s’opérant de facto en santé publique aux niveaux fédéral et provincial d’activités.

40 Gouvernement du Canada, Initiative canadienne de vaccin contre le VIH (été 2013), en ligne:

Gouvernement du Canada <http://www.chvi-icvv.gc.ca>.

41 Partenariat canadien contre le cancer, À propos (été 2013), en ligne: PCCC

<http://www.partnershipagainstcancer.ca/fr/>.

42 British Columbia Government, ActNow BC - Partners in Healthy Living (été 2012), en ligne:

BC Government <http://www.actnowbc.ca/partners_in_healthy_living>.

43 C’est souvent le cas lorsqu’il s’agit d’organismes communautaires et de leurs ententes avec le

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Par ailleurs, considérant le nombre restreint d’exemples de collaborations public-privé que nous avons été en mesure de documenter, notre étude se veut exploratoire d’un phénomène émergent et ne prétend pas dégager de grandes tendances à partir d’une étude de cas. L’examen des quatre exemples de collaborations public-privé est, malgré leur petit nombre, extrêmement révélateur quant au rôle du droit dans l’application du concept de responsabilité publique. Il importe de mentionner que la littérature évoque cinq formes de responsabilité publique: politique, administrative, sociale, judiciaire et professionnelle.44 Toutefois, nous examinerons les formes politique, administrative et sociale de la responsabilité publique, à savoir la responsabilité des acteurs publics et privés envers les députés élus, le vérificateur général et les citoyens. La responsabilité publique de forme professionnelle a été exclue parce qu’elle ne présente pas de pertinence dans le contexte des collaborations public-privé que nous avons retenues en santé publique. En effet, les acteurs participants ne sont pas des professionnels de la santé qui, individuellement, rendent compte de leurs actions devant un ordre professionnel.45 Quant à la forme judiciaire46 de la responsabilité publique, selon laquelle un acteur est tenu responsable de ses gestes devant les tribunaux judiciaires ou quasi-judiciaires47, elle ne sera pas non plus abordée. À ce titre, notre thèse vise l’analyse de la responsabilité publique des acteurs de la gouvernance collaborative devant des forums publics pouvant exercer un contrôle continu des actions publiques, indépendemment de l’existence d’un contentieux. En effet, il nous apparaît essentiel de questionner la surveillance qu’exercent les gouvernés ou leurs représentants à l’endroit des acteurs d’une collaboration public-privé en santé publique, sans égard nécessairement au manquement à certaines normes, mais bien en vue de s’assurer que ladite collaboration dessert continuellement les intérêts de la population. Nous entendons ainsi contribuer à

44 Mark Bovens, supra note 24 aux pages 455 à 457. 45 Ibid à la page 456.

46 Dans la littérature anglophone, cette forme de responsabilité publique est appelée « legal

accountability ».

47 Mark Bovens, supra note 24 à la page 456; R.L. Gagné, « Accountability and public

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l’accroissement des connaissances sur la manière dont le droit balise les modèles de gouvernance novateurs en santé publique au Canada.

D’ailleurs, quelques auteurs canadiens ont abordé la participation d’acteurs privés aux processus de gouvernance en santé publique depuis le renouvellement de ce secteur d’activités dans les années 2000. Ces auteurs ont surtout entrepris de dégager les facteurs politiques et administratifs minant l’émergence ou le déroulement de collaborations public-privé, en s’appuyant sur des entrevues réalisées auprès d’acteurs participants pour en faire la démonstration. 48 À titre d’exemple, Tsasis s’est attardé à une initiative conjointe établie entre le ministère fédéral de la Santé et cinq organisations non gouvernementales pour lutter contre le VIH/SIDA et a démontré comment le financement de ces organisations par le gouvernement fédéral a affecté les dynamiques de pouvoir en jeu et menacé l’existence d’une véritable collaboration. 49 À notre connaissance, aucune étude n’a été réalisée dans une perspective juridique pour examiner l’application du modèle de la gouvernance collaborative en santé publique au pays, ni pour analyser la responsabilité publique des acteurs participants. D’ailleurs, la littérature juridique canadienne en santé publique concerne surtout la réglementation de certains problèmes sanitaires comme le tabagisme, l’obésité et

48 Claude M. Rocan, Challenges in Public Health Governance: The Canadian Experience,

Invenire Books, Ottawa, 2012; Peter, supra note 10; Nathalie Burlone, Caroline Andrew, Guy Chiasson et al., « Horizontalité et gouvernance décentralisée: les conditions de collaboration dans le contexte de l’action communautaire », 2008: 51(1) Canadian Public Administration, 127 [Nathalie Burlone]; Sylvie Stachenko, « Case Study: the Canadian Heart Health Initiative » dans Irving Rootman, Michael Goodstadt, Brian Hyndman et al. (ed), Evaluation in Health Promotion:

Principles and Perspectives, Copenhague, WHO Regional Publications, European Series, No 92,

2001; Michael J. Prince, « A Cancer Control Strategy and Deliberative Federalism: Modernizing Health Care and Democratizing Intergovernmental Relations » (2006) 49:4 Canadian Public Administration 468.

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les maladies infectieuses, notamment à la lumière du conflit entre les droits de la personne et l’intérêt collectif.50

Il demeure que le décloisonnement des secteurs public et privé, le concept de responsabilité publique et les rapports entre le droit et la gouvernance sont des thèmes ayant fait couler beaucoup d’encre dans la littérature canadienne et internationale des dernières années, sans égard au domaine de la santé publique. On constate notamment que des auteurs abordent la participation accrue d’acteurs privés dans les processus de gouvernance, sans toutefois distinguer les différentes interactions possibles entre les acteurs publics et privés, alors que d’autres s’intéressent à la typologie des différentes relations de pouvoir pouvant s’établir entre ces divers acteurs.51 Par ailleurs, dans une perspective politique et

administrative, plusieurs auteurs s’intéressent aux défis que pose le décloisonnement des secteurs public et privé eu égard à la mise en œuvre du concept de responsabilité publique.52 Enfin, des juristes tentent de qualifier la nature des rapports entre le droit et la gouvernance, notamment dans le secteur de la santé.53 Ainsi, plusieurs études examinent des problématiques connexes à la nôtre et nous y référerons tout au long de la présente thèse.

50 Voir par exemple: Nola M. Ries, Tracey Bailey et Timothy Caulfield, Public Health Law and Policy, 3e ed, Canada, LexisNexis, 2011; R. Rodal, Nola M. Ries et K. Wilson, « Influenza vaccination for health care workers: towards a workable and effective standard » (2009) 17 Health Law J 297; Barbara Von Tigerstrom, « Taxing Sugar-Sweetened Beverages for Public Health: Legal and Policy Issues in Canada » (2012) 50:1 Alberta Law Review 37; Lara Khoury, Marie-Eve Couture-Ménard & Olga Redko, « The Role of Private Law in the Control of Risks Associated with Tobacco Smoking: The Canadian Experience » (2013) 39:2 American Journal of

Law & Medicine 442; Alana Klein, « Criminal Law, Public Health, and Governance of HIV

Exposure and Transmission » (2009) 13 Int'l J. Hum. Rts. 251; B.M. Knoppers, Thérèse Leroux, Béatrice Godard et al., « Framing Genomics Public Health Research and Policy: Points to Consider » (2010) 13 Public Health Genomics 224.

51 Voir par exemple: Sébastien Savard, supra note 6.

52 Voir par exemple: Robert Agranoff, « Inside Collaborative Networks: Ten Lessons for Public

Managers » (2006) December Special Issue, Public Administration Review 56; John Forrer, James Edwin Kee, Kathryn E. Newcomer et al., supra note 6; Laura Edgar, Building Policy

Partnerships: Making Network Governance Work, Ottawa, Institute On Governance, 2002;

Carolyn M. Hendriks, « The Democratic Soup: Mixed Meanings of Political Representation in Governance Networks » (2009) 22: 4 Governance: An International Journal of Policy, Administration, and Institutions 689; Jody Freeman, « Collaborative Governance in the Administrative State » (1997-1998) 45 UCLA L. Rev. 1.

53 Daniel Mockle, « La gouvernance publique et le droit » (2006) 47 Les Cahiers de Droit 89;

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Aux fins de notre problématique, notre étude se compose de la façon suivante: un chapitre préliminaire (chapitre 1) ainsi que deux parties comportant chacune trois chapitres. Notre chapitre préliminaire expose la volonté politique des acteurs publics d’inclure davantage les acteurs privés dans les processus de gouvernance en santé publique au sein des ressorts fédéral, ontarien, québécois et de la Colombie-Britannique. À cette fin, nous expliquons, dans un premier temps, de quelle manière les mutations récentes de la gouvernance dans la sphère publique ont occasionné un décloisonnement des secteurs public et privé dans les États développés. Dans un deuxième temps, nous abordons le renouvellement de la gouvernance en santé publique au Canada, afin d’identifier les éléments qui favorisent désormais l’émergence du modèle de la gouvernance collaborative dans ce domaine.

Ensuite, la première partie de notre thèse s’attarde au modèle de la gouvernance collaborative ainsi qu’au concept de responsabilité publique. Au sein de notre second chapitre, nous cernons ainsi les éléments théoriques de la gouvernance collaborative qui la distinguent des autres modèles de gouvernance. Notre troisième chapitre pose, quant à lui, un regard pratique sur la gouvernance collaborative. Nous y présentons, d’une part, les quatre exemples de collaborations public-privé recensés en santé publique au Canada et, d’autre part, les inquiétudes que ces collaborations suscitent auprès de la société civile et des députés élus. Nous amorçons alors une réflexion sur l’importance de responsabiliser les acteurs de la gouvernance collaborative en santé publique. Notre quatrième chapitre, qui clôt cette première partie, est donc consacré au concept de responsabilité publique, soit à son importance pour la démocratie ainsi and Portland, Hart Publishing, 2006; Pascal Laborier, Pierre Noreau, Marc Rioux et al., Les

Réformes en santé et et justice – le droit et la gouvernance, Les Presses de l’Université Laval,

Québec, 2008; Louise Lalonde, dir, et Stéphane Bernatchez, coll, Le droit, vecteur de la

gouvernance en santé? Défis théoriques et enjeux pratiques de l’accès aux soins de santé,

Sherbrooke, Les éditions Revue de droit, 2012; Louise Lalonde et Stéphane Bernatchez, dir, La place du droit dans la nouvelle gouvernance étatique, Sherbrooke, Les Éditions Revue de Droit, 2011.

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qu’à chacune de ses composantes constitutives que sont l’information, la justification, le jugement et la sanction.

La seconde partie de notre thèse démontre le rôle du droit dans la mise en œuvre de la responsabilité publique des acteurs participant aux collaborations public-privé en santé publique. Avant tout, notre cinquième chapitre présente la classification normative que nous avons développée afin d’analyser le rapport entre le droit et la gouvernance collaborative. Ensuite, notre sixième chapitre examine de quelle manière le droit met en œuvre la responsabilité publique de formes politique, administrative et sociale des acteurs participant aux collaborations public-privé recensées en santé publique. Pour ce faire, chacune des formes de responsabilité publique est définie, puis les normes juridiques contribuant à sa mise en œuvre sont analysées quant aux quatre composantes de la responsabilité publique que sont l’information, la justification, le jugement et la sanction. Enfin, dans notre septième et dernier chapitre, nous critiquons la responsabilité publique à laquelle sont tenus les acteurs de la gouvernance collaborative en santé publique en vertu du droit actuel, ce qui nous amène à discuter du rapport entre le droit et les modèles innovateurs de gouvernance publique.

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Chapitre 1. Au coeur des réformes de l’État-providence: une

rétrospective

L’émergence de la gouvernance collaborative en santé publique s’inscrit dans le contexte de la mutation que connaît l’exercice de l’action publique depuis les années 1980 au Canada et dans les autres États développés. Depuis la crise de l’État providence, la façon de gouverner des acteurs publics est, en effet, en pleine évolution.54 Sous l’État-providence, le droit contribuait largement à la mise en oeuvre d’un gouvernement hiérarchique et bureaucratique, que Noreau qualifie d’ailleurs d’État-législateur.55 Cependant, la lourdeur et l’inefficacité reprochées à l’État providence ont provoqué l’adoption de modèles de gouvernance prônant l’efficacité et l’innovation, notamment par la reconnaissance des acteurs privés à but lucratif ou non lucratif comme des alliés et non comme une menace.56

Cette section préliminaire survole donc, en premier lieu, les réformes de l’exercice de l’action publique ayant conduit à l’avènement de la « gouvernance » dans la sphère publique, c’est-à-dire dans les domaines d’intérêt public. Cela permet de mieux comprendre les considérations politiques, sociales et économiques qui poussent de plus en plus les gouvernements à se tourner vers les acteurs privés pour répondre aux besoins de la population. En second lieu, le renouvellement du secteur de la santé publique amorcé au début des années 2000 est abordé, pour mettre en lumière la volonté politique des gouvernements fédéral et provinciaux de travailler plus étroitement avec les acteurs non gouvernementaux dans ce domaine d’activités. L’examen de ces deux mouvements de réformes vise à montrer que le contexte canadien actuel est favorable à l’émergence de collaborations public-privé en santé publique.

54 Jason M. Solomon, « Law and Governance in the 21st Century Regulatory State » (2008) 86

Texas Law Review 819 à la page 822; Christopher Pollitt et Geert Bouckaert, Public Management

Reform – A comparative Analysis, 2e éd, Oxford, Oxford Press, 2004 aux pages 61 et 62.

55 Pierre Noreau, « Action publique et gouvernance contractuelle: le cas des politiques de santé au

Québec » dans Pascal Laborier, Pierre Noreau, Marc Rioux et al., dir, supra note 53 à la page 222.

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1.1 L’exercice du pouvoir en mutation: de l’État-providence à la gouvernance partagée

Le terme « gouvernance » connaît une popularité incontestable, dont le revers est certainement la difficulté de circonscrire une définition du terme, qui est pour le moins polysémique.57 Si l’on s’en remet à l’Encyclopedia of Governance, la gouvernance est un vocable qui peut être utilisé spécifiquement pour référer aux réformes du rôle de l’État dans la sphère publique. Ces réformes font allusion aux changements apportés à la façon d’exercer l’action publique suite à la crise de l’État providence dans les années 1980 et 1990.58 Par ailleurs, le terme « gouvernance » peut être employé plus largement pour évoquer l’action publique de façon générale, même avant l’ère des réformes. Dans ce cas, l’expression « new governance » permet de distinguer la gouvernance d’avant et d’après réformes.59

Dans la littérature contemporaine sur l’exercice de l’action publique, la plupart des auteurs utilisent le terme « gouvernance » dans son sens plus restreint, c’est-à-dire pour référer aux réformes dans la façon de gouverner depuis la crise de l’État providence. 60 Benyekhlef, par exemple, considère que la gouvernance « se veut d’abord une recherche de nouvelles techniques de gouvernement ».61

La gouvernance peut se distinguer du concept de « gouvernement », comme l’explique l’Encyclopedia of Governance:

57 Louis Meuleman, « Reflections on Meta Governance and Community Policing: The Utrecht

Case in the Netherlands and Questions about Cultural Transferability of Governance Approaches and Meta Governance » dans Ann Marie Bissessar, dir, Governance and Institutional

Re-engineering, Newcastle, Cambridge Scholars Publishing, 2008, 150 à la page 153. 58 Mark Bevir, supra note 25 à la page 334.

59 Ibid.

60 Daniel Mockle, supra note 53 à la page 159; Roger King, The Regulatory State in an Age of Governance, Houndmills, New-York, éd. Palgrave, 2007 à la page 19; Karim Benyekhlef, Une possible histoire de la norme: Les normativités émergentes de la mondialisation, Montréal,

Éditions Thémis, 2008 à la page 627.

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Governance can seem to be just a new term for government. However, there are differences between them. Conceptually, governance is less oriented to the state than is government, and it evokes the conduct of governing at least as much as it does the institutions of government. Temporally, governance captures changes in government since the latter quarter of the twentieth century.62 [nos soulignés]

Aux fins de notre étude, le terme « gouvernement » revêt donc deux significations, selon le contexte dans lequel il est employé. D’une part, il s’entend du processus traditionnel d’exercice de l’action publique qui prévaut avant l’ère des réformes; il se distingue alors de la « gouvernance ». D’autre part, il réfère à l’institution, c’est-à-dire au gouvernement perçu en tant qu’acteur participant à l’exercice de l’action publique.63 Une collaboration public-privé suppose, en effet,

la participation du gouvernement.

Pour reprendre l’expression de Pollitt et Bouckaert, il s’observe, surtout depuis les années 1980, une véritable « pandémie » de réformes quant à la façon de gouverner dans la sphère publique. Deux dimensions de base de ces réformes sont la gamme d’acteurs appelés à participer aux processus de gouvernance et l’éventail des relations qu’ils entretiennent entre eux.64 Les propos de Benda-Beckman et de ses collègues résument bien la mutation de l’exercice de l’action publique:

The past twenty years have witnessed important changes in the ways in which government is exercised. A plurality of non-state actors has become involved in what until recently was considered the sole domain of state agencies. To capture these processes, the term « governance » was coined, and it has generated a substantial body of literature.65

62 Mark Bevir, supra note 25 à la page xxxvii.

63 David E. McNabb, The New Face of Government – How Public Managers Are Forging a New Approach to Governance, Boca Raton London New York, CRC Press, 2009 à la page xvi.

64 Franz Von Benda-Beckman, Keebet Von Benda-Beckman et al., dir, Rules of Law and Laws of Ruling – On the governance of Law, London, Ashgate, 2008 aux pages 1 à 3.

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L’examen de trois modèles d’exercice de l’action publique permet d’illustrer les réformes de l’ère industrielle jusqu’à aujourd’hui. Le premier est celui de l’État providence et correspond au modèle traditionnel de gouvernement qui prévalait avant l’ère de la gouvernance. Les deux autres sont la gouvernance de marché et la gouvernance partagée, cette dernière englobant la gouvernance collaborative. Ces trois modèles constituent des archétypes et se sont, en général, succédés dans cet ordre à travers le temps.66 Néanmoins, la popularité d’un modèle à un moment donné n’a pas entraîné pour autant la disparition de celui qui le précédait.

1.1.1. L’État providence

L’État providence, aussi appelé État keynésien67, État social68 ou État webérien69, s’est établi comme modèle de gouvernement dans les années suivant la Deuxième Guerre mondiale et est demeuré populaire tout au long de l’ère industrielle.70 Le gouvernement, comme institution, s’affichait alors comme la figure centrale de la sphère publique, en ce qu’il y jouait pratiquement un rôle exclusif pour répondre aux besoins de la population.71 De plus, l’État entretenait une relation de méfiance

envers les forces du marché et adoptait une attitude dite interventionniste au soutien de l’intérêt public. C’est dans ce contexte qu’ont émergé nombre de politiques sociales et de systèmes de protection sociale venant baliser les forces du marché.72 Selon King: « [t]he welfare state was a service-delivery state in

66 Louis Meuleman, supra note 57 à la page 151.

67 L’état keynésien tire son appellation des travaux de l’économiste John Maynard Keynes, fort

connu au milieu du 20e siècle. Ses travaux ont notamment porté sur les problèmes de chômage après la Deuxième Guerre mondiale et sur le rôle de l’État pour faire face à ce problème public. Roger King, supra note 60 aux pages 7, 14 et 15.

68 Pascal Laborier, Pierre Noreau, Marc Rioux et al., « Réformer l’action publique: introduction à

l’étude des réformes et de la gouvernance » dans Pascal Laborier, Pierre Noreau, Marc Rioux et al., dir, supra note 53 à la page 5.

69 L’État providence est étroitement associé à la théorie rationnelle-légale développée par Max

Weber, d’où l’appellation « État webérien ». Cette théorie est axée sur la bureaucratie et la hiérarchie. Christopher Pollitt et Geert Bouckaert, supra note 54 aux pages 61 à 63; Louis Meuleman, supra note 57 à la page 154.

70 Conseil de l’Europe, New social Demands: The Challenges of Governance (Trends in Social cohesion No 4), Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 2002 à la page 7.

71 Ibid aux pages 7 et 14. 72 Ibid aux pages 15 à 17.

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which government assumed responsibility not only for the provision of a wide range of services but also for their production and operation. »73

Malgré les variantes qu’il peut présenter selon les pays, les attributs fondamentaux d’un État providence sont les suivants: hiérarchique, bureaucratique et générateur prolifique de législations et de règlements. Il établit également une distinction claire entre le secteur public et le secteur privé.74

L’État providence est hiérarchique, puisque ce sont les entités centrales du gouvernement qui dictent les règles que les entités décentralisées et les acteurs régulés doivent suivre. Autrement dit, l’action publique se réalise via une chaîne de commandements rigide où les supérieurs donnent des ordres à leurs subordonnés.75 On attribue ainsi à l’État une attitude de « command-and-control »76 associée à un exercice de l’autorité qualifié de « top-down », où les ordres viennent d’en haut et découlent jusqu’en bas.77 En ce sens, l’État providence est un modèle de gouvernement où les lieux de pouvoirs sont centralisés et l’approche « top-down » est étroitement liée à l’existence d’une bureaucratie:

The top-down approach […] is characterized by a powerful, hierarchical state where a political elite devises policy that is then implemented through a strict, sequential, and stable chain of command via bureaucrats and service providers.78

La rationalité bureaucratique développée par le sociologue Max Weber donne son sens à l’expression « État webérien ». Elle correspond à un processus où le monde social, entre autres, obéit à une façon rationnelle d’agir par la planification, la

73 Roger King, supra note 60 à la page 17.

74 Christopher Pollitt et Geert Bouckaert, supra note 54 à la page 61. 75 Ibid à la page 83; Mark Bevir, supra note 25 à la page 412.

76 Lester M. Salamon, The Tools of government – A Guide to the New Governance, Oxford-New

York, Oxford University Press, 2002 à la page 15.

77 David E. McNabb, supra note 63 à la page xvi. 78 Mark Bevir, supra note 25 à la page 971.

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